Ban Public
Le portail d’information sur les prisons
CEDH, 14 novembre 2002, Mouisel c/France : Préjudice lié à une non libération malgré la maladie du plaignant

570
14.11.2002
Communiqué du Greffier
ARRÊT DE CHAMBRE DANS L’AFFAIRE << MOUISEL>> c. FRANCE

La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit son arrêt [1] dans l’affaire << Mouisel>> c. France (requête no 67263/01).

La Cour dit, à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 3 (interdiction des traitements ou peines inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue au requérant 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral. (L’arrêt n’existe qu’en français.)

1. Principaux faits
Jean << Mouisel>> est un ressortissant français né en 1948 et résidant à Fougaron.
Le 12 juin 1996, il fut condamné à quinze ans d’emprisonnement pour vol en bande organisée avec arme, séquestration et escroquerie. Un certificat médical daté du 8 janvier 1999 établit que le requérant était atteint d’une leucémie lymphoïde chronique. Son état de santé s’étant aggravé, il suivit une chimiothérapie dispensée en hospitalisation de jour. Le requérant était enchaîné lors des extractions médicales vers l’hôpital, et il affirme en outre que pendant les séances de chimiothérapie, ses pieds étaient enchaînés et l’un de ses poignets attaché à son lit. Se plaignant de ces conditions et de l’agressivité des surveillants à son encontre, le requérant décida d’interrompre son traitement médical en juin 2000.
Afin de déterminer si l’état de santé du requérant était compatible avec sa détention, une expertise médicale fut établie le 28 juin 2000. Elle conclut qu’il était nécessaire que l’intéressé soit pris en charge en milieu spécialisé. Le 19 juillet 2000, le requérant fut transféré d’urgence au centre de détention de Muret en vue d’un rapprochement vers le centre hospitalier de Toulouse. Il fut mis en liberté conditionnelle le 22 mars 2001, avec obligation de se soumettre à un traitement ou à des soins médicaux.

2. Procédure et composition de la Cour
La requête a été introduite le 8 octobre 2000. En vertu de l’article 41 de son règlement, la Cour a décidé le 11 avril 2001 que celle-ci serait traitée en priorité. Par une décision du 21 mars 2002, la première section de la Cour à déclaré la requête recevable.
L’arrêt a été rendu par une chambre composée de sept juges, à savoir : Christos Rozakis (Grec), président,
Françoise Tulkens (Belge),
Jean-Paul Costa (Français),
Peer Lorenzen (Danois),
Nina Vaji ? (Croate),
Egil Levits (Letton),
Anatoli Kovler (Russe), juges,
ainsi que Erik Fribergh, greffier de section.

3. Résumé de l’arrêt
Griefs
Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant dénonçait son maintien en détention et les conditions de celle-ci en dépit de sa grave maladie. Décision de la Cour
La Cour précise que la période à prendre en considération en l’espèce commence à la date du premier rapport médical faisant état de la maladie du requérant, soit le 8 janvier 1999, et se termine par sa libération conditionnelle le 22 mars 2001.
Selon la Cour, l’état de santé, l’âge et un lourd handicap physique constituent désormais des situations pour lesquelles la capacité à la détention est posée au regard de l’article 3 de la Convention. Bien qu’il n’y ait pas d’obligation générale de libérer un détenu en raison de son état de santé, cette disposition impose aux Etats de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins médicaux requis. Par ailleurs, la Cour rappelle que les modalités d’exécution des mesures prises ne doivent pas soumettre le détenu à une détresse ou une épreuve d’une intensité excédant le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.
Quant à la compatibilité de l’état du requérant avec son maintien en détention, la Cour note que la législation française permet aux autorités d’intervenir lorsque des détenus souffrent de maladies graves. En application de la loi du 15 juin 2000, une libération conditionnelle peut être accordée à un détenu quand il y a « nécessité de subir un traitement ». Par ailleurs, aux termes de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, une suspension de peine peut être prononcée à l’encontre des condamnés atteints de pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention. La Cour constate ainsi que la santé de la personne privée de liberté fait désormais partie des facteurs à prendre en compte dans les modalités de l’exécution de la peine privative de liberté, notamment en ce qui concerne la durée du maintien en détention. En l’espèce, elle admet que le requérant ne pouvait toutefois bénéficier de ces deux recours au moment de la période considérée : il ne remplissait pas les conditions requises pour bénéficier de libération conditionnelle, et la loi permettant de suspendre la peine n’existait pas encore.
Quant aux incidences du maintien en détention du requérant et les conditions de celle-ci, la Cour constate que la progression de la maladie a rendu son état de santé de plus en plus incompatible avec la détention, sans que des mesures particulières ne soient prises par les autorités pénitentiaires. Par ailleurs, bien qu’il n’ait pas été prouvé que le requérant était enchaîné lors de l’administration des soins, il ne fait aucun doute qu’il était menotté lors des transferts à l’hôpital. Or, considérant son état de santé, le fait qu’il s’agisse d’une hospitalisation, la nature du traitement et la faiblesse physique du requérant, la Cour estime que cette mesure est disproportionnée au regard des nécessités de la sécurité. Elle note d’autre part qu’aucun élément ne laissait craindre un risque important de fuite ou de violence. Enfin, la Cour relève que les extractions ainsi décrites ne sont pas conformes aux recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture sur les conditions de transfert et d’examen médical des détenus.
De l’avis de la Cour, les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge adéquate de l’état de santé du requérant. Le maintien en détention de celui-ci, surtout à compter de juin 2000, à porté atteinte à sa dignité, constituant une épreuve particulièrement pénible et causant une souffrance allant au-delà de celle que comporte inévitablement une peine d’emprisonnement et un traitement anticancéreux. Par conséquent, la Cour conclut que le maintien de l’intéressé en détention constitue un traitement inhumain et dégradant.

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).
Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme
F - 67075 Strasbourg Cedex
Contacts : Roderick Liddell (téléphone : +00 33 (0)3 88 41 24 92)
Emma Hellyer (téléphone : +00 33 (0)3 90 21 42 15)
Stéphanie Klein (téléphone : +00 33 (0)3 88 41 21 54)
Télécopieur : +00 33 (0)3 88 41 27 91 La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée en 1959 à Strasbourg pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Le 1er novembre 1998 elle est devenue permanente, mettant fin au système initial où deux organes fonctionnant à temps partiel, la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme, examinaient successivement les affaires.

[1] L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre