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Introduction à la mission Santé / Justice de décembre 2000

Historique

L’apparition du virus du sida en France a nécessité, de la part des pouvoirs publics, l’élaboration d’une stratégie de prévention, de dépistage et de prise en charge des publics les plus confrontés aux risques de transmission de ce virus : personnes ayant des relations homosexuelles et usagers de drogues par voie intraveineuse. Des actions de sensibilisation - notamment des actions de proximité avec les associations de lutte contre le sida - ont été menées en direction des premiers. Les seconds ont fait l’objet d’une attention toute particulière compte tenu de leur forte exposition découlant des pratiques de partage du matériel d’injection. Une politique sanitaire et sociale pragmatique de réduction des risques liés à la consommation de drogues par voie intraveineuse a été mise en place en leur direction.
Amorcée en 1987 avec la libéralisation de la vente des seringues en pharmacie, elle a connu un essor particulier au milieu des années 90 avec le développement des traitements de substitution, des programmes d’échange de seringues et des lieux de contact avec les usagers. Elle a pour objet de prévenir les contaminations par le sida et les hépatites virales, à l’égard des usagers de drogues qui ne peuvent ou ne veulent arrêter leur consommation, (notamment par voir intraveineuse), mais également les problèmes et les complications découlant de l’usage et de la recherche de produits (abcès, overdoses, problèmes sociaux...).
En milieu pénitentiaire, des actions d’information, de prévention sur le VIH et de prise en charge des personnes atteintes par ce virus ont été développées à partir de 1985.
Une première note d’information sur les infections à virus LAV (lymphadénopathie virus) a été envoyée aux services le 5 septembre 1985. Elle était destinée à fournir une information objective sur ce virus et à aider à dédramatiser les situations provoquées par une mauvaise connaissance de cette maladie. Elle insistait sur la nécessité d’informer les personnels et les personnes détenues sur les modes de transmission du virus et sur les mesures d’hygiène à respecter.
À partir de 1988, l’enquête menée à un jour donné en milieu hospitalier sur l’infection par le VIH (virus de l’immuno-déficience humaine) a été réalisée en milieu pénitentiaire. Depuis cette date, elle permet de suivre les évolutions des cas d’infection au VIH, connus par les services médicaux au sein de la population pénale, et met en évidence une forte prévalence de ce virus en détention.
Courant 1989, une nouvelle note précisait les conditions de réalisation du dépistage à l’égard des personnes détenues, renforçait les actions de formation des personnels et prévoyait la distribution systématique aux sortants de prison de brochures d’information destinées à faire connaître l’usage du préservatif. Elle indiquait également que les préservatifs devaient être mis à disposition des personnes sortant de prison et disponibles auprès du service médical de l’établissement pour les détenus qui en faisaient la demande. Enfin, elle indiquait que des conventions devaient être signées entre les établissements pénitentiaires particulièrement confrontés à cette infection et les structures hospitalières spécialisées ou les centres d’information et de soins de l’immuno-déficience humaine (CISIH) en vue
d’assurer des consultations et une prise en charge des personnes atteintes par l’infection.
À partir de 1993, des conventions ont été passées entre les établissements pénitentiaires et les consultations de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) afin d’offrir aux personnes détenues les mêmes conditions d’accès au dépistage du VIH qu’en milieu libre, de favoriser l’adoption de comportements de prévention individuels et de permettre aux personnes séropositives l’accès à une prise en charge précoce.
D’une manière générale, l’enjeu de santé publique présenté par le virus du sida a accéléré la prise de conscience des pouvoirs publics sur l’état de santé des personnes détenues. Il a contribué à la mise en place de la mission confiée au haut comité de la santé publique et à la mise en oeuvre en janvier 1994 de la réforme de la santé en milieu pénitentiaire.

En vue d’une meilleure application de la loi du 18 janvier 1994, le garde des Sceaux et le secrétaire d’État à la santé ont confié, fin 1995 au professeur Gentilini, une mission d’étude sur la prise en charge du VIH et de la toxicomanie en milieu pénitentiaire.
Le rapport remis [1] comprend de nombreuses recommandations sur le champ de la prévention, du dépistage et de la prise en charge des différentes maladies infectieuses en détention. Certaines d’entre elles ont fait l’objet d’une mise en oeuvre immédiate dans le cadre de la circulaire DGS/DH/DAP du 5 décembre 1996 relative à la lutte contre l’infection
par le VIH en milieu pénitentiaire.
Parallèlement, le directeur de cabinet du garde des Sceaux demandait, début février 1996 à l’inspection générale des services judiciaires, de constituer un groupe de travail sur l’amélioration de la prise en charge des toxicomanes incarcérés et sur la lutte contre l’entrée de drogues en détention. Le rapport, déposé en juillet 1996 [2], établit un constat préoccupant sur l’entrée et la circulation de produits illicites en détention, souligne le risque de contaminations intracarcérales et préconise le développement d’une politique volontariste sous le double angle de l’ordre public et de la santé publique.
Compte tenu des enjeux de santé publique et face aux revendications de certaines associations qui réclamaient l’application en détention de toutes les mesures de prévention existant à l’extérieur, notamment la mise en place de programmes d’échanges de seringues, le directeur général de la Santé et le directeur de l’administration pénitentiaire ont décidé, fin 1997, de mettre en place une mission conjointe santé-justice sur la réduction des risques de contamination par le VIH et les hépatites en milieu carcéral.

Objet et méthodologie du groupe de travail

L’objet de la mission était de faire un constat objectif sur l’exposition des personnes détenues aux risques de transmission du VIH et des hépatites virales par voie sanguine ou sexuelle (ampleur des comportements à risques, incidence des différents virus), d’apprécier l’effectivité et l’efficacité des moyens de prévention déjà mis en place et de proposer une stratégie de réduction des risques adaptée au contexte carcéral. Compte tenu de son objet et de l’approche qui était celle de la réduction des risques, la mission a limité ses travaux aux seules transmissions des infections VIH, VHB (virus de l’hépatite B) et VHC (virus de l’hépatite C) et n’a pas abordé la question de la prise en charge thérapeutique de ces infections en milieu carcéral.
Les travaux ont débuté fin 1997. Le groupe de travail a été composé de représentants des administrations centrales concernées (direction générale de la Santé-DGS, direction des hôpitaux-DH pour le ministère chargé de la Santé et direction de l’administration pénitentiaire-DAP pour le ministère de la Justice), d’un membre de l’Institut de veille sanitaire (InVs, ex-RNSP) ainsi que de professionnels de terrain (directeur d’établissement pénitentiaire, directeur de service pénitentiaire d’insertion et de probation, médecins exerçant au sein d’unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) et médecin exerçant dans un établissement pénitentiaire à gestion mixte et coordonnateur d’un centre spécialisé de soins aux toxicomanes en milieu pénitentiaire).
Il a été animé par le bureau des actions de proximité de la direction générale de la Santé et le bureau des politiques sociales et d’insertion de la direction de l’administration pénitentiaire.
Dans un premier temps, les données disponibles en France sur les différents virus, les comportements à risques, les cas de contaminations et la mise en oeuvre des orientations de prévention en détention ont été recensées. Un état des lieux des situations internationales a également été réalisé [3] (annexe 19).
Les faibles données nationales disponibles ont amené les deux administrations concernées à commander deux nouvelles études. La première réalisée en 1998 par l’observatoire régional de la Santé Provence - Alpes - Côte d’Azur (ORS PACA) [4] avait pour double objectif d’enquêter sur la prévalence des pratiques à risques en détention et d’analyser les contraintes et la faisabilité des programmes de réduction des risques en milieu carcéral. Le rapport final a été déposé fin 1998. La seconde a été confiée à l’organisme “recherches et évaluations sociologiques sur le social, la santé et les actions communautaires” (RESSCOM) [5]. Elle avait pour objet de mieux saisir la problématique de prise de risques, en matière d’injection et de sexualité, en explorant les conditions dans lesquelles ces usagers les comprennent, les gèrent et s’y confrontent à l’intérieur comme à l’extérieur du milieu carcéral. Le rapport a été rendu au mois de mai 1999.
Ces éléments ont été progressivement enrichis par différents travaux nationaux : enquête sur la santé des entrants en prison [6], enquête sur les traitements de substitution en milieu carcéral [7], étude menée auprès des usagers de drogue fréquentant les programmes d’échanges de seringues en France [8].
Ces différentes études sont exposées en annexe.
De nombreuses auditions d’organismes intervenant en milieu pénitentiaire et de chercheurs ont été menées.
Les membres du groupe de travail ont ensuite souhaité rencontrer et échanger, avec des personnels travaillant en détention, sur leur perception des problèmes de santé des personnes détenues, les répercussions sur la détention, les comportements à risques et les mesures de prévention mises en place dans leurs sites respectifs. Une grille d’entretien a été élaborée. Six déplacements en sous-groupes ont été organisés dans des sites présentant des caractéristiques différentes. Des entretiens ont eu lieu séparément avec chaque catégorie professionnelle : personnels de surveillance, personnels d’insertion, personnels de direction et personnels sanitaires.
Une synthèse de ces auditions a été effectuée et restituée aux sites concernés (annexe 18).
À l’appui de ces différents éléments, le groupe de travail a engagé une réflexion en vue de faire ses propositions. Quatre ateliers ont travaillé sur des thèmes distincts : conditions de vie en milieu carcéral et réduction des risques, réduction des risques de transmission par voie sexuelle, réduction des risques de transmission par voie sanguine et accompagnement de la politique de réduction des risques. Ils ont fait des propositions qui ont été discutées et validées en réunion plénière. La synthèse de ces ateliers fait l’objet des recommandations du présent rapport.
À l’issue de ces travaux, la rédaction du rapport a été engagée.

[1] Professeur Gentilini, Problèmes sanitaires dans les prisons, maladies infectieuses, toxicomanie - état d’avancement de la loi du 18 janvier 1994 - avant, pendant et après l’incarcération. Flammarion, février 1998, Paris

[2] Inspection générale des services judiciaires, Rapport à monsieur le garde des Sceaux : groupe de travail sur la lutte contre l’introduction de drogues en prison et sur l’amélioration de la prise en charge des toxicomanes incarcérés. 1996, rapport non publié

[3] J. Emmanuelli. Usage de drogues, sexualité, transmission du VIH, HB, VHC et réduction des risques en prison à travers le monde. Réseau national de santé publique, septembre 1997

[4] ORS PACA. Réduction des risques de l’infection à VIH et des hépatites en milieu carcéral : prévalence des pratiques à risques et analyse des contraintes et de la faisabilité des programmes de réduction des risques en milieu carcéral. Rapport final 1998

[5] P. Bouhnik, E. Jacob, I. Maillard, S. Touzé. L’Amplification des risques chez les usagers de drogues : prison - polyconsommations - substitution. RESSCOM. 1999

[6] M.-C. Mouquet, M. Dumont, M.-C. Bonnevie. La Santé à l’entrée en prison : un cumul des facteurs de risques. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Études et résultats. 1999

[7] I. Tortay, H. Morfini, C. Parpillon, F. Bourdillon. Enquête sur les traitement de substitution en milieu pénitentiaire. Mars 1998

[8] J. Emmanuelli, F. Lert, M. Valenciano. Caractéristiques sociales, consommation et risques chez les usagers de drogues fréquentant les programmes d’échange de seringues en France. Institut de veille sanitaire, Institut national de la Santé et de la Recherche médicale. 1999