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7 Atelier 2 : La dimension professionnelle

Publié le dimanche 20 juin 2004 | http://prison.rezo.net/7-atelier-2-la-dimension/

Animation : Pierre Bastoul (directeur de l’UPR de Dijon)
Intervenant : Michel Freby (enseignant)

Maintenance Hygiène des locaux
P. Bastoul
l’idée de départ est liée à la modernisation du service général entre l’unité travail, l’unité formation professionnelle et l’UPR. Le constat de départ était que des personnes travaillaient au service général, parfois pour lutter contre l’indigence, et sortaient de ce travail sans que ce service bénéficie d’une reconnaissance quelconque : pas de formation, pas d’acquis.
L’objectif que nous avons défini n’était pas de faire passer des examens ou un CAP, mais d’apporter un « petit plus ». Dans l’UPR de Dijon, nous avons beaucoup de petits établissements et il était illusoire, avec des présences de 2 ou 3 mois, de faire passer un CAP. De plus, les personnes recrutées pour le service général sont de « bas niveaux ». Nous avons donc aménagé l’emploi du temps pour permettre l’organisation de cours d’enseignement général ou l’apport de savoirs professionnels et de techniques associées dans le domaine de la maintenance des locaux.
Il s’agissait d’une articulation parallèle sur le temps habituel et une articulation verticale avec la formation professionnelle. Verticale, car lorsque les personnes partaient en centre de détention, c’est un dispositif de formation complet qui les prenait en charge.
Dans les grandes maisons d’arrêt, là où il y a un nombre important de personnes dans le service général, un organisme de formation vient enseigner la pratique et les savoirs professionnels associés et les enseignants prennent en charge l’enseignement général.
La problématique était : comment, dans les petits établissements, donner ces savoirs alors que les enseignants ne peuvent pas être des spécialistes de la maintenance et de l’hygiène des locaux ?
J’ai donc demandé à deux professeurs de biotechnologie et EDC de construire un outil pédagogique simple, abordable et réalisable par un UPR. Nous n’avons pas en effet les moyens de réaliser un programme comme ÉFoRe. Les enseignants ont travaillé pendant 2 ans, nous avons commencé à expérimenter les premières programmations et nous avons abouti à l’outil actuel. Il se décline en trois modules et deux niveaux. L’objectif était de donner le même contenu, mais sous deux présentations différentes.
Il y a un niveau 1 pour les personnes plus faibles en lecture et écriture, et le module 2 pour les personnes de niveau V qui sont plus autonomes. Pour les personnes de très bas niveau (catégories B et C), l’outil n’est pas efficace en l’absence d’une médiation très importante de l’enseignant. Un essai a été mené avec une cassette vidéo, pour ceux qui ne savent pas écrire, en relation avec des entreprises-tremplin qui accueillent temporairement des personnes qui n’ont pas encore engagé une formation.
Ces entreprises ont besoin de personnes qui possèdent seulement quelques notions. Nous avons pu obtenir quelques résultats rassurants sur l’efficacité du dispositif. Grâce à la cassette, une transmission de gestes et de savoirs par voie verbale était possible, mais il était impossible pour l’UPR de poursuivre cette voie sans faire appel à un organisme spécialisé. Nous avons donc renoncé à cette stratégie. Cependant, sur la proposition des enseignants, et lorsque le séjour peut durer plusieurs mois, ces personnes peuvent être intégrées dans le niveau 1.
Les personnes peuvent travailler en cellule (beaucoup le demandent) et venir en cours. Une évaluation graduée est incluse dans l’outil, l’objectif de l’UPR étant de donner un matériel « clé en mains ». Le programme peut être aménagé, complété. Le livre est utilisé en lycée professionnel dans la formation « Hygiène des locaux », le concepteur étant maintenant dans un lycée près de Dijon.
Depuis l’an dernier, nous avons engagé une nouvelle phase dans les petits établissements : pour des modules de 15 à 20 heures, je fais venir des professeurs de la spécialité et nous venons de doter cinq petits établissements, pour des personnes qui ont déjà reçu la théorie, de moyens pour apprendre la pratique. En début d’année, nous avons doté tous les établissements du matériel minimum (il est évident qu’une auto-laveuse est inutile puisqu’elle ne peut passer dans les couloirs ou les cellules, mais tous sont équipés de chariots comme dans les entreprises).
Nous parvenons ainsi à construire les aspects théoriques et un minimum de pratique. Le service ainsi rendu à l’établissement pénitentiaire est valorisé par une formation complémentaire. L’initiative de cette action est venue du pôle travail et l’UPR est venue en appoint apporter sa contribution.
Les effets se mesurent sur l’organisation du travail : les personnes sont libérées deux demi-journées par semaine pour participer aux cours. Notre objectif est bien sûr de lutter par ce moyen contre l’illettrisme.
Deux observations pendant l’expérimentation :
- dans le module 1, les personnes ont été très intéressées par la biologie, la microbiologie. Mais lorsque dans la pratique, les personnes ont lu « brancher l’aspirateur » elles ont eu le sentiment d’être prises pour des « débiles » ;
- pour des questions de sécurité, on a fait remarquer qu’il ne fallait pas mélanger certains produits, mais on n’a pas donné le nom des produits qui risquaient d’exploser ou d’être toxiques.
Question  : le détenu est-il en formation professionnelle ou pas ? a-t-il un avantage financier ou un désavantage financier lorsqu’il s’inscrit à ces cours.
Réponse : c’est un contrat. Cela dépend du chef d’établissement.
À partir du moment où il est classé « maintenance ou hygiène des locaux », il n’y a pas de retenue sur salaire. Il est payé normalement pour les deux demi-journées, mais s’il ne vient pas, il peut s’exposer à être déclassé. C’est Pacte 2. Dans l’expérimentation, le chef d’établissement a rendu obligatoire le fait d’aller au cours, dans d’autres établissements, l’obligation était moindre, enfin dans d’autres on ne classait qu’après fréquentation de quelques cours. Dans le premier cas, certains détenus venaient « à reculons » ou avec une attitude de refus. Mais c’était tellement incitatif que certains se sont engagés dans un parcours, et, lorsque les modules ont été terminés, ils ont continué à venir avec l’enseignant. Dans le deuxième cas, en fonction des recrutements, peu de personnes se sentaient concernées. Nous n’avons pas encore assez de recul pour analyser l’intérêt de chaque formule.
Participant : Je crois que dans ce genre de formation, il faut essayer de
mettre l’accent sur la formation scolaire que sur la formation professionnelle.
Comme vous l’avez dit, c’est un métier dans certains cas, mais les entreprises n’embauchent pas en premier lieu avec un CAP. Celui-ci est reconnu comme un diplôme de « haut niveau » dans ce milieu précis. Le sortant de prison a peutêtre plus d’intérêt personnel. à choisir un autre métier que d’intégrer une entreprise dans laquelle il entrerait sans CAP dans les mêmes conditions sans avoir cette formation.
Participante  : Comment sont validés ces acquis ? Comment le parcours est-il reconnu ?
Réponse : Tout est basé sur un référentiel, mais il n’y a pas de validation. L’attestation est inscrite dans le livret de parcours de formation. Dans les établissements plus importants, le parcours est validé par la formation professionnelle et les attestations sont délivrées par les organismes de formation. Mais cela s’appuie sur des stages plus longs et plus lourds.
Proposition d’un participant d’établir, avec un organisme de formation professionnelle, des fiches de postes descriptives de l’activité menée par les détenus au service général et établir une validation par rapport à cette fiche en faisant intervenir un professionnel de l’extérieur (entreprise de nettoyage...). Ce regard peut être plus « monnayable » sur l’extérieur.
Réponse : Au départ ce n’était pas notre objectif. Nous avons essayé de pallier le fait que des grands établissements disposent de moyens importants alors que les petits établissements ont peu de moyens. Avec 30 ou 35 personnes, on ne peut faire des groupes de niveaux et l’on accepte tout le monde.
Question : Pour la logistique, les enseignants interviennentils seuls ou avez-vous des spécialistes extérieurs ?
Réponse : Au début non, mais maintenant un spécialiste intervient dans les modules de 15 heures par spécialité. Au niveau budgétaire, cela est financé par l’Éducation nationale. Dans les petits établissements, les enseignants appartiennent au ministère de l’Éducation nationale, mais dans les grands établissements, les Greta interviennent ainsi que d’autres organismes.
Question : Je veux rebondir sur la validation. Cette formation n’est en général pas exigée par les entreprises, sauf dans les milieux particuliers comme en milieu nucléaire ou hospitalier.
Si on peut valider, il y a des possibilités pour les personnes de continuer une formation vers ces emplois. On ne peut le faire qu’à un niveau régional
et pas local, car on ne trouvera jamais dans les petits établissements une formation qualifiante., sauf si la région, comme c’est le cas à Bonneville,
pour le CAP Pâtisserie, prend cette décision. Ma question porte sur l’ingénierie de mise en place des modules.
Comment as-tu réussi à mobiliser les enseignants ? As-tu reçu des financements spécifiques ? Ce travail a-t-il été fait pendant le temps de travail ?
Réponse : Oui, cela a été réalisé pendant le temps de travail. Cette
idée est née au sein de l’UPR et je l’ai proposée aux enseignants. Je l’ai financé sur des heures récupérées. J’ai téléphoné à l’inspectrice de la spécialité et je lui ai demandé de m’indiquer deux enseignants compétents pour construire un référentiel.
Participant  : En deçà de la validation des acquits, c’est un bon prétexte pour aborder des thèmes comme l’illettrisme ou l’indigence.
Nous sommes de plus dans une perspective de revalorisation du service général, dans Pacte 2.
Question : Est-ce que ce dispositif continue dans tous les établissements ?
Réponse : Il y a des sites où cela a commencé et s’est effondré.
Parfois cela n’était pas assez incitatif. Dans d’autres sites, le fonctionnement habituel a repris le dessus. Parfois 5 ou 6 personnes participaient au module et l’année suivante une seule. Lorsque cela est instauré dans le cadre de la formation professionnelle, chaque année le dispositif est reconduit.
Participant : L’important me semble être que ce projet soit porté de façon pluri-catégorielle par l’établissement : l’enseignement, la formation professionnelle, la santé, les ateliers, l’équipe de direction, les personnels de surveillance doivent être partie prenante. Lorsque le projet est initié et porté par un des partenaires, cela ne fonctionne pas. Le mérite est d’avoir mis en place un outil utilisable même par un enseignant non spécialisé.
Ce n’est ni à l’UPR, ni à la DR d’impulser, c’est à l’établissement à prendre en charge, donc à l’ensemble de l’équipe.
Les publics en situation d’illettrisme, ceux que nous n’arrivons pas à toucher, qui posent des problèmes de discipline et font des séjours réguliers en QD, ou restent dans les cellules et disparaissent dans la prison, nous ne pouvons au départ les mettre avec les autres : ne serait-ce que sur le plan psychologique, ils se sentent dévalorisés. On ne peut entrer avec eux sur un référentiel, mais on peut mettre en place un contrat travail et faciliter leur venue avec les enseignants. S’il existe une volonté réelle de l’établissement, on peut, par ce biais, les resocialiser et créer une dynamique. Autour de « maintenance-hygiène des locaux », cela me paraît une idée superbe. Nous avons une formation MHL dans notre établissement 13 000, portée par un partenaire, mais « balancée » comme çà. Le partenaire a dû venir nous chercher, sur l’enseignement général par exemple, mais nous ne sommes pas des prestataires de service.
Participant : dans notre établissement, nous avons mis en place un CAP ETC car nous voulions donner une force plus grande au CFG. Tout le monde n’obtiendra pas le CAP. Le CAP ETC présente l’avantage d’aborder trois métiers au sein de la prison : l’entretien des locaux, la buanderie et la cuisine. Le partenariat mis en place tient compte du fait que nous n’avons pas les enseignants à temps plein. Nous avons mis en place un système d’alternance, une semaine sur deux. Il est impulsé par l’employeur, qui envoie les élèves. Il a parfois fallu un an de travail avec le patron de la buanderie ou de l’entretien des locaux pour obtenir ce résultat, en particulier pour des personnes illettrées ou connaissant de grandes difficultés de lecture. Le jeune n’aura pas forcément le CAP, mais il est inscrit dans un processus d’obtention du CAP. Il est engagé dans une dynamique, vient avec assiduité au cours et est performant au niveau professionnel.

CAP Cuisine
M. Freby
 : L’histoire de cette expérience date de 2 ans au mois de mars quand arrive un détenu mineur incarcéré sous mandat de dépôt depuis un an. Il était en apprentissage « cuisine-restauration » en vue de passer son CAP/BEP au mois de juin de la même année. Tout s’effondrait donc pour lui, perdant son lieu d’apprentissage et de formation. On sentait cependant qu’après un passage difficile, il tenait à se présenter à son examen et il m’a demandé s’il pouvait s’inscrire.
Nous ne pouvions lui proposer de formation pratique, et il n’y avait pas de cuisine en dehors de celle de la maison d’arrêt. Il était possible de lui proposer des cours généraux et la technologie pouvait être étudiée grâce au support d’un livre. Ayant déjà une bonne pratique, il s’engagea dans la préparation de son examen.
Le directeur de l’établissement donna son accord, l’action fut menée et devant le jury, il obtint son examen avec les félicitations du jury.
Cela nous donna l’idée d’utiliser cette expérience. Nous sommes dans une petite maison d’arrêt (130 places avec actuellement une centaine de détenus). Il n’était pas possible de monter une formation professionnelle dans le cadre de la cuisine : il existait déjà une formation en métallerie-serrurerie qui avait des difficultés à faire le plein. Par ailleurs la présence moyenne est de quatre mois, ce qui exclut la possibilité de monter une formation qualifiante.
Nous avions vécu avec ce jeune une expérience assez exemplaire de partenariat entre l’administration pénitentiaire, la formation professionnelle, l’Éducation nationale et l’enseignement à distance. L’un des surveillants travaillait en cuisine, étant lui même cuisinier de métier. Il encadrait des personnes classées en cuisine, dont un détenu présent depuis deux ans et qui venait de passer en jugement, donc éventuellement transférable, et qui voulait passer un CAP. Nous étions devant deux contraintes :
- la première était de bloquer le transfert de ce détenu,
- la deuxième était d’obtenir en contrepartie un accord d’aller jusqu’à l’examen (à défaut, le détenu aurait été transféré en centrale car il s’agissait d’une longue peine).
La formation pratique par le surveillant spécialisé a été mise en place et la formation théorique a été menée par correspondance.
En effet, le détenu pouvait venir en classe, mais pendant un temps limité puisqu’il devait participer à la fabrication des repas de la maison d’arrêt. Pour le français, l’anglais et les mathématiques, j’ai mis en place un tutorat. Pour la technologie, le problème fut plus complexe. Le surveillant était un pratiquant spécialisé, mais ce n’était pas un enseignant. Nous nous sommes tournés vers le lycée hôtelier de Troyes et un programme de 40 heures pour l’année à raison d’une heure et demie par semaine a pu être financé par nos services.
Un autre détenu a suivi le même parcours, et un mineur qui doit sortir dans deux mois a pour projet de faire un CAP Cuisine. Il a été autorisé à suivre cette « initiation », profiter de ce potentiel pendant deux demi-journées par semaine avec les majeurs à chaque fois que le surveillant spécialisé est présent. Tout ce partenariat n’est possible que grâce à la bonne volonté des uns et des autres. Cette équipe, qui n’est pas institutionnalisée, se voit parfois entre deux portes, mais elle tourne et les autres surveillants regardent cette expérience avec intérêt. J’espère qu’elle pourra s’étendre à d’autres domaines, « hygiène des locaux » par exemple, car le chef des travaux a des compétences et pourrait encadrer au niveau pratique.
Pour le mineur, il faut bien sûr l’autorisation du chef d’établissement
En réponse à l’un des participants qui souligne que cela peut donc varier d’un établissement à l’autre, un des animateurs du groupe rappelle qu’il y a désormais des règles : hormis pour des raisons de sécurité ou de discipline, on ne transfère plus un détenu qui est engagé dans une dynamique de formation et il est recommandé de le laisser aller au terme de son cursus. Les surveillants orienteurs font un excellent travail et la Pénitentiaire a défini des pratiques très innovantes. Les textes ne sont pas très contraignants. Par contre nous ne sommes habilités pour des unités capitalisables, alors que dans un CAP par exemple, on ne peut mener le cursus jusqu’au bout.
Un autre participant rappelle que les unités capitalisables sont spécifiques de la formation professionnelle et de la formation continue alors qu’il existe aujourd’hui une validation en formation initiale par contrôle en cours de formation. Mais pour pouvoir pratiquer celui-ci, il faut que l’équipe qui intervient soit agréée par les autorités académiques.
Un autre participant souligne que les CAP peuvent être préparés en cinq ans. Il faut donc créer le contrôle continu au sein des établissements. Les mineurs sont eux sous statut scolaire et ne peuvent passer les examens en candidat libre.
Intervenant : Ce qui me paraît essentiel dans notre travail est que nous sommes dans un partenariat total. Le détenu a son projet, celui-ci a été entendu par le SPIP, il prépare déjà sa sortie même si elle doit avoir lieu dans cinq ou six ans. Il y a l’Administration pénitentiaire, l’Éducation nationale, le service des examens, les enseignants du lycée E. Herriot, le Greta. Je pense que si on peut montrer que ces bonnes volontés multiples se concrétisent par une réussite aux examens, cela peut encourager les vocation.
Animateur : Ce n’est pas forcémentla vision de l’administration et leurs arguments sont solides. Les deux missions, surveillance et aide à la réinsertion, sont antinomiques, paradoxales.
Participant  : Ce qui m’a beaucoup intéressé dans votre exposé, c’est le côté « à la carte ». Si j’ai bien compris la genèse, nous sommes en présence d’un individu qui arrive et dit « bien sûr j’ai une affaire judiciaire, mais qu’est-ce que je deviens par rapport à mon avenir et à mes échéances ? ». J’ai entendu parler dans ce colloque d’entreprise virtuelle pour valider les stages : c’est important que la prison trouve des scénarios, des stratégies pour contourner le côté abrupt de l’enfermement et je vois que parfois c’est possible.

 
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