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3 Du Territoire...

Publié le dimanche 11 juillet 2004 | http://prison.rezo.net/3-du-territoire/

1. Du village à l’agglomération

Avant l’irruption de la prison, Fleury-Mérogis était un village de quelques centaines d’habitants situé dans une petite commune boisée à 80%. Suite à la construction de l’autoroute A6, de la Francilienne et à l’élargissement de la N445, la commune s’est vue progressivement encerclée par des voies de circulation rapide. Ce corset viaire, agissant comme une enclave physique, a eu pour conséquence une restriction des échanges avec les autres communes voisines : plus de continuité viaire avec Grigny et les autres communes, faible relation par transports en commun, quasi-impossibilité de franchir les voies à pied, etc. Les culs-de-sac se sont multipliés dans le réseau viaire de la commune.

A la fin des années 60, la commune a créé deux zones industrielles dans des endroits stratégiques. La première a été implantée au-delà de la Francilienne, le long la voie, sur un terrain contraint par une réglementation qui limite les hauteurs de construction à 5m de hauteur en raison de la proximité d’un aérodrome, et difficilement exploitable pour une autre affectation. Cette situation était gérable dans la mesure où l’activité prévue était le stockage de voitures. La seconde zone, beaucoup plus importante, a été bâtie le long de l’autoroute. Un emplacement idéal, faisant écran aux nuisances de l’A6 sans être trop à l’écart du village.

A partir de 1968, l’arrivée de la prison et d’une caserne de gendarmerie a eu des conséquences énormes sur la commune.

La surface des terrains que l’administration pénitentiaire et le Ministère de la justice se sont octroyés représente un tiers des 6349481m² de la commune !

La population de Fleury-Mérogis est passée de moins de quatre cent habitants avant 68 à plus de six mille personnes dans les années 90. 
 
Effectivement, la population des détenus a, dès l’occupation de la prison, multiplié à elle seule le nombre des habitants de la commune par huit.

D’un point de vue identitaire, la maison d’arrêt a totalement vampirisé le nom du village de Fleury-Mérogis qui désigne désormais pour la grande majorité des gens une prison.

Avec l’arrivée massive d’une nouvelle population, une tranche d’habitations et de commerces s’est installée contre le domaine de la prison, à plus d’un kilomètre du bourg d’origine.

Les activités du village se sont délocalisées dans cette bouture urbaine.

Des promoteurs et quelques bailleurs sociaux y ont hâtivement lancé des opérations de logements, de l’autre coté de la nationale 445. Si bien qu’après les élargissements successifs de cette voie, les cités d’habitations se sont retrouvées totalement coupées de l’agglomération.

Le village a donc été partiellement vidé de sa substance au profit d’une agglomération problématique, qui ne tient ni de l’extension ni de la périphérie. Au bout du compte, il est même difficile de savoir si ce quartier est rattaché à la prison. A partir des années 90, un nouveau quartier résidentiel constitué de petits pavillons (voir doc. ci-contre) s’est implanté entre le vieux bourg et le quartier des années 70, mais sans parvenir à les relier ; les voies volontairement tortueuses (vernaculaire artificiel) de ce quartier n’assurent pas de réelle continuité.

L’emprise de la prison a également eu pour conséquence d’isoler totalement la zone industrielle située contre l’A6 (voir doc. ci-contre) en en coupant l’accès existant. Il faut désormais sortir de la commune pour y accéder ! Le nouveau réseau viaire du territoire de la prison a complètement nié les relations existantes. Plusieurs routes et chemins d’importance historique ont été effacés de la carte (voir doc. p. préc.).

D’un point de vue paysager, l’apparition de la prison tient de la scène du film « Rencontre du 3e type » dans laquelle un gigantesque vaisseau spatial atterrit en pleine campagne. Il suffit d’observer la taille de la petite ferme située à quelques mètres de la prison (voir doc. p.6), et qui a bien entendu très vite disparu, pour se rendre compte de la phénoménale rupture d’échelle. L’analogie avec le film de Spielberg est d’autant plus poussée que les habitants de cette ferme ont dû assister à l’arrivée massive et soudaine de détenus (des hommes), engouffrés dans l’antre gigantesque de la prison (le vaisseau spatial).

Le vieux village de Fleury-Mérogis est devenu, en l’espace de dix ans, un quartier historique à l’écart d’une agglomération extrêmement confuse et enclavée de surcroît.

Notre intervention sur la prison s’attache notamment à rééquilibrer au mieux les relations entre les différentes entités urbaines de la commune. Nous visons ainsi à relier le monde intérieur de la prison à son environnement urbain et naturel immédiat.

La démolition des établissements pour femmes et pour mineurs est l’occasion de restituer à la ville un territoire stratégique. En y établissant un parcellaire destiné à des activités industrielles et de services, le village et l’agglomération retrouvent une liaison directe avec la zone industrielle existante (voir doc. ci-contre). Pour asseoir cette liaison, nous envisageons de tracer une voie perpendiculaire à l’avenue des Peupliers depuis le centre du village. Cette voie longera le quartier pavillonnaire, l’agglomération, et débouchera sur la zone industrielle et la prison. La prison participera directement à cette liaison en déployant des bâtiments de stockage (voir partie -les ailes) alignés sur l’avenue des Peupliers.

Cette avenue, qui est en réalité une impasse (un comble pour une avenue), sera connectée à d’anciennes voies réutilisées (voir doc. p. 118) qui distribueront la zone industrielle et l’hippodrome. Son statut d’« à-venue » sera enfin assuré par un débouché direct sur la prison.

2. De la justice.

Le site de l’administration pénitentiaire (ministère de la Justice) constitue probablement la tranche urbaine la plus cohérente de la commune, d’un point de vue militaire bien entendu. Cette qualité nuit à l’ensemble de l’agglomération qui n’en tire aucun profit (mis à part financier).

En revanche, le corset viaire qui enclave la commune s’avère un atout pour la prison en agissant comme une enceinte. L’encerclement par de larges voies rapides et la présence de la forêt ont probablement pesé dans le choix d’implantation de la prison.

Le réseau viaire local, détaché du tissu existant, est essentiellement fréquenté par les visiteurs et par des véhicules de gendarmerie. Les voies sont très réglementées, la signalisation est particulière.

Situé au-delà de l’avenue, le parking de la prison déborde le long des peupliers. Devant la prison, des poids lourds forment une file interminable qui donne au lieu des allures de poste frontière et de zone de frêt.

Entre la prison et la nationale, des résidences de gendarmes et de surveillants, ainsi que divers locaux de formation sont disposés de part et d’autre de l’avenue.

De par les règlements de sécurité, la prison a généré plus de 22ha de pelouse inaccessibles !

Beaucoup de terrains sont gelés ou interdits (périmètres de sécurité, parcours militaires, etc) sans que l’on en perçoive les limites, de sorte qu’il règne sur ce territoire un sentiment d’insécurité inversé. La forêt est-elle un lieu de parcours sportif, de promenade ou un territoire interdit ? Le promeneur n’a aucun moyen de le savoir, jusqu’au moment ou il se fait arrêter par des gendarmes en ronde. Lors de notre première visite, alors que nous quittions le trottoir de l’avenue des Peupliers pour marcher sur l’herbe, une voix sortie de nulle part nous a intimé l’ordre de faire immédiatement demi-tour.

Notre intervention sur les abords de la prison vise à recadrer les programmes de l’administration pénitentiaire et du Ministère de la justice dans une forme urbaine civile. En recréant un parcellaire dans le prolongement des résidences de la caserne et jusqu’à la zone industrielle existante, et en y introduisant une mixité programmatique, on redéfinit les bâtiments rattachés à la prison dans une logique urbaine globale.

Le périmètre de sécurité est déplacé à l’intérieur de la prison [1] et tous les terrains gelés sont utilisés pour la ville.

Le parking de la prison sera ramené contre le bâtiment sur une large esplanade. Le flux des poids lourds y sera entièrement géré, ce qui décongestionnera l’avenue. 

3. De la maison d’arrêt pour hommes

Le territoire intérieur de la maison d’arrêt pour hommes, pourtant aussi vaste que le site des pyramides de Gizeh (voir doc. p. préc.), se caractérise par une absence quasi totale d’aménagement. Seules les parties situées entre les tripales et les ateliers (c’est-à-dire moins d’un dixième de la surface totale) sont utilisées pour les cours de promenade. Celles-ci se résument à une dalle béton ornée de grillages.

En dehors d’un terrain de football en terre, le reste du territoire est purement résiduel. C’est une étendue de gazon qui est devenue le territoire des ordures, des chats et des rats (voir doc.ci-contre.). Cet abandon est très certainement volontaire. Vu le contrôle absolu qui règne sur le moindre mètre carré dans les tripales, il est difficile d’imaginer comment obtenir un résultat aussi efficace sur la surface du terrain de la prison ! Il semble que l’absence de traitement de ce terrain serve à définir un territoire artificiel qui supplante l’idée de contexte paysagé. Ce terrain ne doit appartenir à personne, il n’est le territoire d’aucune collectivité locale parce qu’il représente le reste du monde. Certaines perspectives informatiques de prisons contemporaines montrent clairement cette volonté.

Les circulations dans la prison se font à l’intérieur du bâtiment, le peu de déplacement en extérieur est assuré par des fourgons.

Cet univers artificiel et les pratiques qui en découlent excluent toute idée de rapport entre intérieur et extérieur.

Le système de circulation interne, assuré par les galeries, exclut toute idée d’urbanisme.

Un membre de l’agence Architecture Studio explique à ce propos qu’un projet de prison ne demande pas de créer « une architecture fermée, mais de faire de l’architecture dans un périmètre délimité par une enceinte de 200 mètres de côté ». 
 
Notre démarche vise à mettre en rapport le terrain de la prison avec son contexte. De l’échelle de l’enceinte à celle de la cellule, l’ensemble de nos interventions participera à qualifier ce terrain comme un lieu essentiel de la vie en détention. 

[1] Voir partie - l’enceinte