Saisine no 2002-31
AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité à la suite de sa saisine, le 28 novembre 2002, par M. Robert Bret, sénateur des Bouches-du-Rhône.
La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 28 novembre 2002, par M. Robert Bret, sénateur des Bouches-du-Rhône sollicité par la section française de l’OIP, de faits qui se sont déroulés à la maison d’arrêt pour femmes de Draguignan (Var) concernant un surveillant qui « selon des témoignages de femmes incarcérées dans cet établissement, se serait dévêtu - à plusieurs reprises alors qu’il était affecté au mirador en service de nuit - et aurait eu un comportement obscène (attouchements sur lui-même) visible depuis lesfenêtres de certaines détenues ».
La direction de l’établissement aurait été informée, selon le sénateur auteur de la saisine, par une détenue, qui ensuite aurait fait l’objet de pressions pour qu’elle garde le silence avant d’être transférée au centre pénitentiaire de Marseille.
La Commission a reçu, le 17 avril 2003, de Monsieur le procureur de la République de Draguignan, copie du rapport rédigé le 15 avril 2003 par Monsieur le directeur du centre pénitentiaire de Draguignan à la demande du parquet.
La Commission a aussi reçu, le 24 avril 2003, de la direction régionale de l’administration pénitentiaire le même rapport avec la précision que « compte tenu des conclusions de l’enquête administrative interne » il n’avait pas semblé opportun au directeur régional de donner suite à cette affaire.
La Commission a auditionné la détenue, le surveillant mis en cause et d’autres surveillants témoins de certains faits.
- LES FAITS
A - Récit de la détenue
Mlle B., détenue à la maison d’arrêt pour femmes de Draguignan déclare : « une nuit d’août 2002, je me tenais à la fenêtre pour fumer une cigarette. Il était assez tard, environ 23 heures, lorsque j’ai vu une scène dans le mirador qui m’a beaucoup choquée. Je précise que le mirador est situé à une vingtaine de mètres du bâtiment de la détention, côté cour. Le surveillant était complètement nu et faisait des gestes qui ne laissaient aucun doute : il était en train de se masturber. De temps en temps, il orientait les jumelles en direction des fenêtres des détenues ; il utilisait aussi un caméscope ».
Mlle B. n’a rien dit à la surveillante mais déclare avoir relaté les faits à un ami dans un courrier qui aurait été saisi. Mlle B. affirme : « peu de temps après, une surveillante est venue me voir à propos de cette affaire. Je lui ai raconté ce que j’avais vu et elle m’a dit : “vous avez eu une détention tranquille jusqu’à présent ; si vous voulez que ça continue, ne remuez pas la merde” ».
Mlle B. a déclaré à la Commission : « après ces faits, j’ai commencé à avoir des problèmes avec certaines surveillantes : j’ai eu droit à une fouille de cellule, où m’ont été retirés tous les objets de décoration qui m’étaient autorisés jusqu’alors. [...] Il m’a été formellement interdit de reparler de cette histoire dans mes lettres, autrement mes courriers ne seraient pas acheminés ».
Le 16 septembre 2002, Mlle B. apprend qu’elle est transférée dans la journée aux Baumettes. Alors qu’elle s’enquiert du motif, il lui est répondu qu’elle doit être affectée dans un centre de détention. Mlle B. dit « avoir vécu ce transfert comme une punition », d’abord parce qu’elle avait demandé à rester à la maison d’arrêt de Draguignan pour mener à bien des études en cours, « cet établissement offrant de meilleures conditions de détention, c’est un petit établissement plutôt calme, ensuite parce que ses antécédents disciplinaires aux Baumettes étaient connus et lui étaient défavorables ».
Selon ses déclarations, Mlle B., à son arrivée aux Baumettes, n’est pas affectée en centre de détention, comme on le lui avait annoncé, mais dans une cellule des plus vétustes de la MAF (aile sud), ceci, pendant trois mois puis quelques semaines encore dans l’aile nord. Mlle B. n’est admise au centre de détention qu’en janvier 2003. Mlle B. n’a pu reprendre ses études.
Elle a expliqué : « je préparais un DAEU par correspondance. Aux Baumettes, les conditions de détention sont plus difficiles : notamment à cause du bruit permanent ».
B - Récits des surveillants
La surveillante de service la nuit du 17 août 2002 a déclaré avoir constaté un chahut dans la détention. Pensant qu’il s’agissait d’un « parloir sauvage » (parents ou amis stationnant le long du mur d’enceinte et interpellant les détenus), elle a alors appelé en renfort le premier surveillant responsable pour toute la prison. Ensemble, ils se sont rendus dans une pièce du premier étage dont les fenêtres donnent sur le mirador. Ils ont constaté que le surveillant en poste dans le mirador avait la chemise ouverte. « J’ai compris que le chahut était provoqué par la tenue vestimentaire non réglementaire de ce collègue », a déclaré la surveillante.
« Le premier surveillant a dû téléphoner à ce collègue pour lui demander de rectifier sa tenue, ce qu’il a dû faire ». Répondant aux questions de la Commission concernant le poste au mirador, la surveillante a indiqué que « le mirador est climatisé » et qu’« en août 2002 le surveillant V. avait en effet des jumelles dans le mirador ». Elle a ajouté : « l’établissement n’en était pas encore doté à l’époque ; il s’agissait donc de jumelles personnelles.
En ce qui concerne un caméscope, je n’en ai pas vu ; j’en ai entendu parler par la rumeur ».
Interrogée sur l’existence de rumeurs relatives au comportement du surveillant V., la surveillante a déclaré : « j’en avais connaissance avant cette nuit-là : elles circulaient en détention depuis plusieurs semaines ».
Par ailleurs, la surveillante a reconnu ne pas avoir consigné les faits du 17 août 2002 sur le cahier prévu à cet effet. Le premier surveillant appelé en renfort a confirmé les raisons de l’intervention de cette nuit-là, le constat de la « chemise déboutonnée » et le fait que « le surveillant a rectifié sa tenue immédiatement après son appel téléphonique ». Il déclare avoir été convoqué plusieurs jours après par le directeur « qui m’a questionné sur cette nuit-là suite aux rumeurs ». « J’ai établi en avril 2003 un rapport, demandé par le directeur, dans le cadre du passage de l’inspection ».
C - Récit du surveillant mis en cause
Le surveillant mis en cause, M. V., indique que, le 17 août, il était de service de nuit au mirador situé « à trente mètres au maximum de la maison des femmes ». Il précise que le mirador est « constitué de verre pour la partie donnant sur la détention (opaque sur la partie basse) et en béton sur l’arrière ; les fenêtres sont fermées, ce qui est très pénible quand le soleil tape ». Ce faisant, il omet de mentionner que le mirador est climatisé.
Le surveillant conteste l’existence d’un caméscope mais reconnaît avoir été en possession d’une paire de jumelles. À ce sujet, il ressort d’une lettre du directeur de l’établissement qu’« une paire de jumelles est mise à la disposition des agents en faction au mirador depuis le 25 septembre 2003 ». Cette mesure fait l’objet d’une note de service no 153/09/03 relative au matériel de sécurité ainsi rédigée : « à compter du 25 septembre 2003, les matériels de sécurité suivants sont installés à l’établissement, conformément aux directives ministérielles et régionales : [...] une paire de jumelles par mirador ».
Lors de son audition, le surveillant a contesté avoir eu des gestes à caractère sexuel lors de son service au mirador.
D - Rapport de la direction
Concernant la nuit du 17 août 2002, le directeur du centre pénitentiaire de Draguignan, dans son rapport à M. le procureur de la République de Draguignan, note : « j’ai convoqué et entendu M. V. qui m’a déclaré qu’effectivement, en raison de la chaleur, il avait presque entièrement déboutonné sa chemise, mais qu’ayant constaté que certaines détenues de la MAF s’étaient mises à l’interpeller, il avait immédiatement rectifié sa tenue. Considérant que l’incident ne méritait pas l’ouverture d’une procédure disciplinaire, j’ai cependant adressé une sévère admonestation à M. V. qui, par ailleurs, s’avère être un bon surveillant dans son travail en détention ».
- AVIS
A - Sur l’intervention d’un agent masculin
Le chahut existant en détention cette nuit-là devait être suffisamment important pour justifier l’intervention d’un agent masculin.
Les éléments recueillis par la Commission sur l’existence de parloirs sauvages à la MAF de Draguignan suscitant régulièrement des troubles avec une clinique proche justifiaient l’appel de la surveillante au premier surveillant responsable de toute la prison le 17 août.
B - Sur l’absence de consignation de l’incident sur le registre de nuit par la surveillante
Dans un précédent avis (saisine no 2002-19), la Commission avait rappelé l’opinion de la direction de l’établissement pénitentiaire concerné, à savoir qu’« il est recommandé d’indiquer dans ce registre une intervention ayant nécessité une demande de renfort ». La Commission estime que l’intervention d’un premier surveillant en service pour l’ensemble de la prison aurait dû faire l’objet d’une mention sur le registre de nuit. Cela aurait permis à la direction, compte tenu de la rumeur préexistante à l’incident, d’agir plus rapidement.
C - Sur l’utilisation d’un caméscope par le surveillant mis en cause
Cette utilisation n’est pas prouvée.
D - Sur l’utilisation d’une paire de jumelles
Cette utilisation est établie. Au surplus, il ne pouvait s’agir que de jumelles personnelles, les miradors n’ayant été dotés d’une paire de jumelles qu’à compter du 25 septembre 2003.
E - Sur l’attitude de la direction de la MAF dans ce dossier et sur l’absence de procédure disciplinaire
La Commission constate que M. le directeur de la MAF de Draguignan semble ignorer que les miradors sont climatisés et que c’est à la suite du coup de téléphone du premier surveillant que le surveillant mis en cause a rectifié sa tenue. Elle note aussi qu’il ignorait que ce dernier utilisait en août 2002 une paire de jumelles personnelle.
Une admonestation même sévère n’est pas une sanction disciplinaire, alors que le fait de faire son service, dans un mirador climatisé, la chemise « presque entièrement déboutonnée » aurait mérité la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire et ce d’autant plus que l’utilisation d’une paire de jumelles personnelle pour, selon les dires du surveillant, surveiller les départs de feu et l’utilisation de téléphones portables, exigeait, étant donné le climat qui régnait à la prison, des explications circonstanciées.
L’administration justifie en effet la dotation d’une paire de jumelles dans les miradors pour la lutte contre les intrusions aériennes (déchiffrage des numéros des hélicoptères) ou contre les parloirs sauvages (lecture des plaques d’immatriculation, description d’individus), mais pas contre des incidents susceptibles de se produire dans les cellules.
La Commission constate par ailleurs que la note et les appréciations générales du surveillant mis en cause n’ont pas été modifiées bien que le fonctionnaire ait été, selon le directeur, « sévèrement admonesté ». La Commission regrette que la direction de l’établissement n’ait pas diligenté une enquête interne au vu des rumeurs persistantes, opérantes bien avant la nuit du 17 août 2002 et de fait préjudiciables au bon déroulement de la vie carcérale
F - Sur le transfert de la détenue ayant révélé l’incident
L’administration pénitentiaire écarte la possibilité d’un quelconque lien de cause à effet entre la révélation de l’incident et le transfert, un mois plus tard, de la détenue concernée. Le garde des Sceaux, dans un courrier à la Commission du 5 mai 2003, fait valoir que « cette affectation permet à cette condamnée définitive de concilier le maintien de ses liens familiaux avec l’accès au régime caractérisant les établissements pour peines ».
La Commission retire des auditions que la participation de Mlle B. à la propagation, en détention et à l’extérieur par son courrier, de propos concernant le comportement du surveillant V. dans le mirador, était connue et mal vécue par les personnels de surveillance. Elle retient que Mlle B. n’avait pas demandé à bénéficier d’un rapprochement géographique.
Elle comprend aussi que la décision de son transfert ait pu manquer de lisibilité pour cette détenue lorsqu’elle s’est retrouvée de fait dans une MAF et non en centre de détention, comme on le lui avait expliqué pour justifier son départ de Draguignan.
- RECOMMANDATIONS
1) Comme elle l’a déjà fait dans son avis no 2002-19, la Commission demande que soit rappelé aux services pénitentiaires que tout incident survenant dans une maison d’arrêt pour femmes et nécessitant, de nuit, le recours à un surveillant pour des raisons de sécurité, soit mentionné par la première surveillante dans le registre de nuit existant à cet effet.
2) La Commission recommande que l’utilisation des paires de jumelles dont sont dotés les miradors fasse l’objet d’une circulaire précisant les conditions dans lesquelles cette utilisation peut se faire, afin d’éviter qu’il ne soit porté atteinte à l’intimité des détenus, notamment dans les maisons d’arrêts de femmes. Le non-respect de ces conditions d’utilisation devrait être constitutif d’une faute professionnelle susceptible d’entraîner des poursuites disciplinaires.
Adopté le 19 janvier 2004
Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis à M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Il n’y a pas de réponse du garde des Sceaux