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Saisine no 2003-15 pour connaitre les conditions d’exécution d’une fouille générale

Publié le mercredi 25 août 2004 | http://prison.rezo.net/saisine-no-2003-15-pour-connaitre/

Saisine no 2003-15
AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité à la suite de sa saisine, le 27 février 2003, par M. Serge Blisko, député de Paris.

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 27 février 2003, par M. Serge Blisko, député de Paris, des conditions dans lesquelles a été organisée et s’est déroulée une fouille générale à la maison d’arrêt de la Santé à Paris (XIVe arrondissement) le 28 janvier 2003. Deux témoignages recueillis par l’association Observatoire des prisons - section française sont joints à la saisine.
Le garde des Sceaux a fait parvenir à la Commission différents éléments d’information, notamment un rapport du directeur régional des services pénitentiaires.
La Commission a entendu le directeur de la maison d’arrêt et interrogé le médecin responsable de l’unité de consultations et soins ambulatoires. Elle a mandaté deux de ses membres pour se rendre à la maison d’arrêt où ils ont recueilli les déclarations d’un détenu dont la famille avait alerté l’Observatoire international des prisons.

- LES FAITS
La lettre saisissant la Commission expose des faits portés à la connaissance du Parlementaire par l’OIP : « de 7 heures 30 à 16 heures, tous les détenus ont été regroupés précipitamment dans les cours [...] etmaintenus dans le froid avec pour seuls moyens de subsistance une boisson lactée et un gâteau [...]. L’OIP nous rapporte au travers de témoignages recueillis sur place [...] l’état déplorable dans lequel ils ont retrouvé leurs effets personnels. [...] ».

A - Relation par l’administration pénitentiaire
« La fouille générale a démarré le 28 janvier dès 7 heures du matin avec le réveil des détenus. Après la fouille par palpation, chaque détenu a été dirigé vers la cour de promenade où le petit-déjeuner a été distribué.
[...] Le déjeuner a été [...] distribué selon le mode classique aux étages après réintégration en cellule des détenus. [...] La distribution la plus tardive est intervenue aux alentours de 14 heures du fait d’un retard pris sur le bloc D notamment.
« Chaque équipe de fouilleurs était dotée d’un cahier sur lequel les objets saisis dans chaque cellule devaient être répertoriés. L’ensemble des cahiers ont été ensuite traités par l’établissement avec rétention d’objets saisis non réglementaires et restitution éventuelle de certains objets ne posant pas de problème de sécurité. [...] 240 m3 de déchets ont été retirés de la détention ce jour du 28 janvier 2003 » [1].
Le directeur de la maison d’arrêt a précisé devant la Commission : « il nous apparaissait nécessaire d’organiser une fouille générale car nous devons le faire périodiquement et une fouille précédente d’un bâtiment s’était révélée fructueuse. On s’était en particulier aperçu que les détenus avaient parfois des téléphones portables ou d’autres objets interdits ou dangereux. L’intérêt de la fouille générale, c’est que nous pouvons fouiller l’ensemble de la maison d’arrêt d’un seul coup, ce qui permet d’éviter que les objets interdits ne soient détruits ou passés de cellule en cellule. À l’occasion d’une fouille générale, ce sont jusqu’à plusieurs centaines de personnes qui doivent être mobilisées parmi les effectifs de l’administration
pénitentiaire. [...].
« Les personnels chargés de la fouille ont été rassemblés avant le début de l’opération, vers 5 heures 30, afin que l’encadrement leur explique la façon d’opérer [...]. Nous avons évacué l’ensemble des détenus, qui ont été placés dans leurs cours de promenade respectives. Nous leur avons bien dit de se munir de vêtements chauds [...]. À l’entrée de la cour [...], un petit-déjeuner leur a été servi. [...] Il s’agissait d’une collation froide.
« Lorsque les détenus ont été invités à regagner leurs cellules, ils ont été fouillés à corps [...]. L’opération de réintégration a été retardée au bâtiment D. En effet, certains détenus refusaient de regagner leurs cellules.
[...] Les traitements médicaux, notamment les traitements insuliniques, ont été assurés pendant le déroulement de la fouille. [...].
« D’une façon générale, il est de notre intérêt de faire la fouille le plus correctement possible, de ne pas mettre à sac les cellules, afin de ne pas avoir à subir une tension excessive les jours suivants dans la détention ».

B - Relation par un détenu
M. M. a déclaré : « [...] vers 7 heures, les surveillants nous ont demandé de nous vêtir chaudement et nous ont fait descendre dans la cour de promenade, qui est très petite. [...] Le repas de midi n’a pas été servi, même pas à notre retour en cellule.
« Quand je suis remonté dans ma cellule, je me suis aperçu qu’une photo avait été déchirée par son milieu ; deux autres avaient simplement disparu. [...] Le courrier était éparpillé ; certaines lettres avaient disparu (quatre ou cinq). Des vêtements étaient par terre ; les draps étaient souillés car l’agent s’était servi de mon matelas pour grimper, au lieu de se servir du tabouret. Mon thermoplongeur avait été détérioré et rendu inutilisable. [...] J’ai entendu d’autres détenus me dire que leurs vêtements avaient été tachés par de l’huile ou du café. [...] Les surveillants qui ont fait la fouille venaient de l’extérieur ; c’est sans doute la raison pour laquelle ils n’avaient pas de considération particulière ».
Une parente de détenu expose dans une lettre jointe à la saisine que « les détenus ont été parqués à l’extérieur dans la cour bétonnée sans pouvoir s’asseoir. [...] Ils ne sont rentrés dans leur cellule qu’après avoir été fouillés à nu et là ils ont découvert les dégâts occasionnés par cette fouille : photos non mises au mur déchirées, courriers personnels reçus lus et éparpillés dans la cellule, café en poudre vidé par terre, miroir brisé, carnet de timbres disparu [...], cendres de cigarettes dans le lit, matelas piétiné bien qu’il y ait un tabouret, vêtements par terre sur lesquels on a versé de l’huile, tous les bricolages que peuvent effectuer les détenus pour un peu de bien-être détruits. Quant aux personnes insulino-dépendantes, pas de soins. Pas de douche non plus [...]. Les détenus ont mangé leur déjeuner à 16 heures ».

- AVIS
A - Sur la décision d’organiser une fouille générale
Le garde des Sceaux a écrit à la Commission : « suite à des événements récents (présence en détention d’armes et de substances explosives), j’ai décidé d’initier une politique de fouille générale des établissements sensibles hébergeant un nombre important de détenus dangereux. [...] Les conditions dans lesquelles ces fouilles sont exécutées sont définies à la fois par les dispositions réglementaires des articles D. 269 et D. 275 du Code de procédure pénale et les circulaires des 14 mars 1986 et 1er février 2002. [...] ».
1) Justification de la fouille générale
L’article D. 269 prescrit aux surveillants de procéder, « en l’absence des détenus, à l’inspection fréquente et minutieuse des cellules et locaux divers où les détenus séjournent, travaillent ou ont accès ». « Les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef d’établissement l’estime nécessaire », mais « dans des conditions qui, tout en garantissant l’efficacité du contrôle, préservent la dignité inhérente à la personne humaine ». (Article D. 275). La circulaire du 31 mars 1986 précise notamment les conditions dans lesquelles les détenus peuvent être soumis à des fouilles intégrales [2]. Celle du 1er février 2002, relative aux pouvoirs des personnels de surveillance dans les établissements pénitentiaires, ajoute que « le pouvoir d’investigation des personnels de surveillance est la seule garantie que les personnes détenues n’entreposent pas des matériels dangereux pour la sécurité de tous ».
Le directeur de la maison d’arrêt a exposé que l’opération a été « décidée et pilotée par la direction régionale, dont certains membres étaient présents le jour des faits pour encadrer ». D’ailleurs, « plus de la moitié des personnels venaient de l’extérieur ». 22 équipes réunissant 412 fonctionnaires dont 39 gradés ont été mobilisées pour procéder aux fouilles du matin (425 cellules) et de l’après-midi (312 cellules).
Les circonstances indiquées par le directeur de la maison d’arrêt paraissent être de celles qui justifient une mesure de fouille générale mais le directeur régional de l’administration pénitentiaire a indiqué à la Commission qu’aucun compte rendu écrit n’a été établi.
2) Date retenue
La fouille a eu lieu le mardi 28 janvier 2003. Il ressort des bulletins météorologiques des jours précédents qu’une température de 2 à 7 degrés, puis de 8 à 9 degrés, puis de 7 à 8 degrés avait été prévue ce jour-là en Île-de-France. Le matin même, un quotidien titrait en « une » « Météo : 16 °C de moins en deux jours », exposant que le temps avait été printanier la veille (16,4 °C à Orly lundi 27), mais qu’il redeviendrait maussade et faiblement pluvieux dans la journée du 28 et qu’il se rafraîchirait fortement les jours suivants. La température a été, en définitive, de 6 degrés le mardi 28 à Paris.
Compte tenu des prévisions météorologiques disponibles, la décision de retenir la date du 28 janvier pour la fouille générale ne paraît pas comme ayant été de nature à faire supporter aux détenus des conditions climatiques anormales. Il était néanmoins nécessaire de limiter le plus possible la durée du cantonnement des détenus dans les cours dans des conditions météorologiques défavorables.

B - Sur les modalités de la fouille générale
1) Durée
Les détenus du « quartier haut » (bâtiments A, B, C et D) - les plus nombreux - ont été réveillés à 7 heures et dirigés rapidement vers les cours de promenade de chaque bâtiment. Ceux des bâtiments B et C sont remontés dans les cellules vers 12 heures. Ceux du bâtiment A sont remontés vers 13 heures. En revanche, la situation a été tendue dans les cours du bâtiment D et les détenus ne sont remontés que vers 14 heures 30. Le directeur a exposé : « nous avons fait appel aux forces de l’ordre ; celles-ci se sont présentées en sécurité mais n’ont pas eu à intervenir ».
La fouille a eu lieu l’après-midi pour les deux divisions actuellement occupées au « quartier bas » et pour les quartiers spéciaux (isolement et disciplinaire).
Les détenus du « quartier haut » sont demeurés au moins 5 heures dans les cours de promenade, jusqu’à 7 heures et demie pour ceux du bâtiment D. Eu égard à la température relevée ce jour-là, cette durée a été trop longue.
2) Collation
Les détenus ont reçu un petit-déjeuner froid à leur arrivée en cour de promenade : boisson chocolatée sous vide et biscuits. Selon le directeur de la maison d’arrêt, le petit-déjeuner « [n’a] pas pu être servi dans les conditions habituelles car sinon l’effet de surprise aurait été perdu ».
Le ministère et l’administration pénitentiaire assurent que lorsque les détenus ont regagné les cellules, « le déjeuner leur a été normalement distribué » [3]. M. M., qui était détenu au bâtiment B - bâtiment où la fouille se serait déroulée sans problème et où les détenus seraient remontés vers 12 heures, selon la direction de la maison d’arrêt, - a déclaré néanmoins à la Commission : « le repas de midi n’a pas été servi, même pas à notre retour en cellule ».
La Commission estime que la distribution d’une boisson froide peut être considérée comme insuffisante à 7 heures d’un matin frais de janvier et constate qu’elle a recueilli des informations contradictoires sur la distribution du déjeuner.
3) Effets personnels
Le garde des Sceaux a précisé que « des consignes du chef d’établissement ont été données aux gradés, responsables de cette opération » et que « les agents étaient dotés d’un cahier sur lequel les objets saisis dans chaque cellule étaient répertoriés ». Il a ajouté : « il n’a pas été signalé, ni auprès de la direction de l’établissement, ni auprès des représentants de la direction générale présents le jour de cette fouille, de dégradation d’effets personnels ».
Des consignes écrites ont été remises aux gradés, chefs d’équipes.
Elles invitent ces gradés à inscrire sur un cahier « tous les objets [...] non autorisés ou vous paraissant relever de cette catégorie [...] que vous retirez [des cellules] et qui doivent donc se retrouver en cartons nominatifs » [4] et à conserver « les sommes d’argent ou tout autre objet de valeur [...] dans les sachets de valeurs [...] jusqu’à remise à un des membres de l’équipe d’encadrement de la fouille ». « Lors du contrôle des cellules, les objets à caractère religieux ou personnel (photographies et courriers notamment) doivent être strictement respectés ; s’ils doivent être décollés d’un support, manipulés ou faire l’objet d’un examen approfondi, il ne faut en aucun cas les détériorer ».
Les cahiers conservés dix mois après la fouille ont été consultés.
Certains objets non réclamés demeuraient dans des cartons.
Le directeur de la maison d’arrêt a exposé : « les affiches collées sur les murs sont arrachées car elles servent souvent à dissimuler des objets interdits ou des “bricolages” prohibés. Les affiches sont détruites. Les photos personnelles, en revanche, ne sont jamais détruites ou abîmées, même si elles peuvent être décollées pour vérification. [...] Même si des personnels extérieurs participent à la fouille, celle-ci est réalisée en collaboration avec le personnel de l’étage et du bâtiment.
« Les lettres sont ouvertes pour vérifier qu’elles ne contiennent pas d’objets interdits [...]. En principe, toutes les lettres sont laissées dans les cellules. [...] Les effets de valeur sont remis au gradé qui en vérifie la légalité.
L’argent trouvé est systématiquement saisi. Les timbres, en revanche, sont remis dans les cartons. [...].
« J’estime que la marge d’appréciation laissée aux agents lors de telles opérations est réduite. Elle existe, mais le Code de procédure pénale fixe des cadres assez précis ».
Il avait précisé en octobre : « il convient de ne pas exclure que certaines photos de famille aient pu, collées à des posters par exemple ou à des revêtements artisanaux, être emportées avec l’ensemble et donc détruites » [5].
Un témoignage joint à la saisine mentionne la destruction des « bricolages » effectués par les détenus. La direction de la maison d’arrêt a exposé que les 240 m3 de déchets retirés le 28 janvier correspondaient pour l’essentiel à des installations non conformes au règlement de la maison d’arrêt.
La Commission constate que les déclarations qu’elle a recueillies donnent à penser que les consignes données aux équipes de fouille n’ont pas toujours été scrupuleusement respectées : une photo déchirée, disparition de plusieurs photos et lettres, thermoplongeur rendu inutilisable [6], draps et vêtements salis.
4) Fouilles personnelles
Un témoignage joint à la saisine relève une « fouille à nu ».
Il ne ressort pas des éléments recueillis par la Commission que les fouilles personnelles des détenus aient été réalisées dans des conditions contraires à celles que fixent les articles du Code de procédure pénale et les circulaires précités.

C - Sur le bon fonctionnement du système de soins
Le médecin responsable de l’unité de consultations et soins ambulatoires (UCSA) - unité du groupe hospitalier Cochin - a déclaré qu’elle n’avait pas été prévenue, non plus que la cadre infirmière supérieure, de la fouille générale, qui a été précédée d’une fouille des locaux communs, dont les locaux de l’UCSA, le 27 janvier, de 18 heures 45 à 22 heures [7].
« C’est le médecin de garde qui a représenté seul l’UCSA. Il s’en est suivi une certaine confusion avec “fouille” des bureaux médicaux privés (où les patients n’ont jamais accès), des vestiaires du personnel infirmier de Cochin et de la pièce d’archivage des dossiers médicaux [...].
« L’ensemble de tous les médicaments qui étaient en possession des détenus dans leurs cellules pour leurs traitements a été saisi [...]. Une partie de ces médicaments a été ramenée le lendemain matin en vrac à l’UCSA, l’autre partie jetée à la poubelle. De ce fait, il y a eu une interruption de traitement d’au moins douze heures, le temps que la pharmacie de l’UCSA, le lendemain matin, rétablisse tous les traitements en cours et les redistribue. Il y a environ 50 % des détenus qui ont un traitement en cours à un jour donné (soit, à cette époque, environ 400 traitements), et certains sont indispensables, comme ceux des coronariens [...]. Fort heureusement, nous n’avons eu à déplorer aucun problème médical grave [...]. »
La Commission constate que les dispositions nécessaires n’ont pas été prises pour préserver le secret médical protégeant les dossiers détenus par l’UCSA et pour garantir la continuité des traitements suivis par de nombreux détenus, ce qui faisait courir à ces derniers un risque réel.

- RECOMMANDATIONS
1) S’efforcer de réduire la durée des opérations de fouille générale, notamment lorsqu’elles se déroulent, comme le 28 janvier 2003, dans un contexte météorologique défavorable.
2) Établir un compte rendu écrit des opérations ;
3) Souligner à nouveau la nécessité absolue de préserver l’intégrité des objets à caractère personnel que les détenus sont autorisés à conserver dans les cellules, cellules qui devraient être pourvues d’un tableau sur lequel les photos pourraient être fixées ; il en va de la dignité de la personne détenue.
4) Apporter dans la préparation et dans la conduite des fouilles générales la plus grande attention à l’exacte information des médecins responsables d’UCSA et des cadres infirmiers supérieurs afin que le secret médical protégeant les dossiers conservés par les unités de consultations et soins soit préservé et que la continuité des traitements prescrits aux détenus soit garantie.
Adopté le 9 janvier 2004

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis à M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Pas de réponse du garde des Sceaux

[1] Rapport du 2 octobre 2003 du directeur de la maison d’arrêt au directeur de l’administration pénitentiaire

[2] Circulaire AP 86-12 G1 du 14 mars 1986 relative à la fouille des détenus, publiée au Bulletin officiel du ministère de la Justice. Le Conseil d’État a jugé que ses dispositions sur les fouilles intégrales ne sont pas contraires à l’article D. 275 et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux dispositions de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (8 décembre 2000).

[3] Lettre du garde des Sceaux à la Commission du 23 octobre 2003

[4] « Les détritus sont placés dans les sacs poubelles »

[5] Rapport précité du 2 octobre 2003 au ministère

[6] M. M. a précisé qu’il a fait une réclamation auprès du chef de bâtiment et qu’une indemnisation a été promise, qui n’avait toutefois pas été versée dix mois après la fouille

[7] Fouille effectuée par soixante gradés, surveillants et techniciens