Publié le vendredi 14 juin 2002 | http://prison.rezo.net/14-janvier-2002-recours-de-plein/ Tribunal Administratif de Paris
RECOURS DE PLEIN CONTENTIEUX
POUR : Monsieur Michel GHELLAM, né le 30 septembre 1959 à FREJUS, domicile élu chez Me LUNEAU,175 Quater, Boulevard Jean Jaurès 92100 BOULOGNE BILLANCOURT Ayant pour avocat Me Françoise LUNEAU, barreau des Hauts de Seine (PN 335), 175 quater boulevard Jean Jaurès 92100 BOULOGNE BILLANCOURT, téléphone : 01.46.04.59.59. Télécopie : 01.46.04.60.94. Lequel se constitue sur la présente,
CONTRE : La décision du service visa de la maison d’arrêt de la Santé, La décision de rejet implicite de la demande d’indemnisation et du recours hiérarchique formé par Monsieur Michel GHELLAM du ministre de la justice
Monsieur Michel GHELLAM a l’honneur de solliciter l’annulation de la décision précitée, la restitution des deux journaux saisis par l’administration pénitentiaire et l’indemnisation de son préjudice sur le fondement des observations suivantes :
1. Rappel des faits Monsieur Michel GHELLAM a été détenu de juin à novembre 2001 à la maison d’arrêt de la Santé. Le 12 octobre 2001, Monsieur Michel GHELLAM s’est vu remettre une enveloppe contenant une lettre et des documents émanant de son conseil, laquelle avait été préalablement ouverte par le service courrier de la maison d’arrêt, alors que toute correspondance adressée par un avocat à son client est par nature couverte par le secret absolu. Par courrier du 13 octobre 2001, le conseil de Monsieur Michel GHELLAM a attiré l’attention du directeur de la maison d’arrêt de la Santé sur cette grave violation du secret absolu de la correspondance entre un avocat et son client. Puis, Monsieur Michel GHELLAM s’est vu notifier une décision du service visa par laquelle deux exemplaires de la revue "l’Envolée", à laquelle il est abonné, lui étaient saisis au motif que n’étaient pas satisfaites les formalités de dépôt légal et en application d’une " note 00476 du 5/10/2001 ". Par lettre du 18 octobre 2001, le conseil de Monsieur Michel GHELLAM a communiqué au directeur de la maison d’arrêt de la Santé copie du récépissé du dépôt légal et lui demandait une copie de la " note 00476 du 5/10/2001 ". Cette correspondance est néanmoins demeurée sans réponse et sans effet. Monsieur Michel GHELLAM a formé un recours hiérarchique auprès du ministre de la justice et demandé la restitution des journaux par lettre en recommandé avec accusé de réception en date du 28 octobre 2001 réceptionnée le 30 octobre 2001. Il demandait également l’indemnisation de son préjudice résultant tant de la saisie des journaux que de la violation du secret des correspondances que lui avait adressées son conseil. Ce recours comportant également demande d’indemnisation est demeuré sans réponse à ce jour. C’est pourquoi Monsieur Michel GHELLAM sollicite l’annulation de la décision du service visa de la maison d’arrêt de la Santé et l’annulation de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique et de sa demande d’indemnisation formée auprès du ministre de la justice. Monsieur Michel GHELLAM sollicite également du Tribunal la condamnation de l’administration pénitentiaire à lui restituer les deux exemplaires de la revue " L’Envolée ". Monsieur Michel GHELLAM sollicite enfin la condamnation de l’Etat au paiement d’une somme de 15.244,90 Euros au titre de la réparation de son préjudice moral.
2. Sur la recevabilité et le bien fondé du recours A. Sur la recevabilité du recours Il est constant que toute décision d’une autorité administrative faisant grief à celui à l’encontre de laquelle elle a été édictée est susceptible d’un recours en excès de pouvoir. La faculté d’introduire un recours en excès de pouvoir devant le Juge Administratif est d’ailleurs un Principe Fondamental du Droit Administratif. Ce n’est donc qu’en appréciant in concreto si une décision de l’autorité administrative fait grief ou non à l’intéressé que les Juridictions administratives peuvent déterminer si un recours en excès de pouvoir est recevable ou non. Dans le cas d’espèce, les décisions administratives attaquées font particulièrement griefs à Monsieur Michel GHELLAM ; La décision du service visa de la maison d’arrêt de la Santé a conduit à la confiscation pure et simple de deux journaux dont Michel GHELLAM est le propriétaire légitime. Il a donc été porté une atteinte au droit de propriété de Monsieur Michel GHELLAM.
La décision implicite de rejet du recours hiérarchique et d’indemnisation de son préjudice du ministre de la justice porte pareillement atteinte aux droits de Monsieur Michel GHELLAM, dès lors que ce dernier n’a pas pu être réintégré dans ses droits et n’a pas obtenu l’indemnisation de son préjudice qui découle d’une violation du droit de propriété et du principe du secret de la correspondance entre un avocat et son client. Dès lors, les décisions attaquées modifient bien la situation juridique de Monsieur Michel GHELLAM et lui font griefs. Enfin, le présent recours est diligenté dans les formes et délais légaux. Monsieur GHELLAM devra donc être déclaré recevable en son recours.
B. Sur le bien fondé du recours de plein contentieux 1. Sur la décision du service du visa du 15 octobre 2001
Sur l’inexistence juridique de cette décision Pour tenter de justifier la saisie des deux exemplaires du journal "l’Envolée" appartenant à Monsieur GHELLAM, le service du visa de la maison d’ arrêt de la Santé s’est contenté de remettre à Monsieur GHELLAM "une note". Or, l’auteur de cette note n’est pas précisé sur le document. Pareillement, cette note n’est pas datée. En l’absence du nom de l’auteur et de date sur ce document, il apparaît que la prétendue décision remise au détenu le 15 octobre 2001 est dépourvue de toute réalité juridique. Il est donc demandé au Tribunal de céans de constater l’inexistence juridique de la décision de saisie des journaux de Monsieur Michel GHELLAM.
Sur l’illégalité de cette décision – violation de la loi, erreur manifeste d’appréciation, incompétence de son auteur et non respect des règles de forme Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article D 444 du nouveau code de procédure pénale, tout détenu a le droit de se procurer par l’intermédiaire de l’administration des journaux ou périodiques de toute nature. Suivant cette disposition, seules les publications contenant des menaces précises contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires peuvent être retenus à la demande du chef d’établissement par le ministre de la justice. Pour tenter de justifier de la saisie des journaux de Monsieur Michel GHELLAM, la note du "service du visa" de la maison d’arrêt de la Santé se contente d’énoncer deux prétextes : un défaut de dépôt légal et par référence à la note 00476 du 05/10/2001. Le premier prétexte est totalement fallacieux puisque le journal "l’Envolée" est bien édité sous un numéro de dépôt légal lequel est versé aux débats. Ce journal a en outre parfaitement informé les établissements pénitentiaires que les formalités du dépôt légal avaient été accomplies. Le conseil de Monsieur Michel GHELLAM a communiqué le récépissé du dépôt légal au directeur de la maison d’arrêt, lequel n’a pas daigné en tirer les conséquences. Concernant la référence à "la note 00476 du 05/10/2001", le directeur de la maison d’arrêt de la santé n’a pas daigné en adresser une copie au conseil de Michel GHELLAM. Il convient toutefois de rappeler qu’une note interne à l’administration, de surcroît contraire aux dispositions légales, ne peut en aucune façon être opposée à un justiciable, et dans le cas d’espèce ne peut s’opposer aux dispositions de l’article D 444 du nouveau code de procédure pénale énonçant le droit des détenus à avoir accès à des journaux. La décision est donc entachée d’une erreur manifeste d’appréciation quant aux motifs allégués. En tout état de cause, la saisie de ce journal est parfaitement illégale et contraire aux dispositions de l’article D 444 du nouveau code de procédure pénale issu du décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998. Cette disposition affirme le droit des détenus à avoir accès à des journaux, qui s’inscrit dans le cadre du droit à la liberté d’opinion et à liberté de l’information énoncés par la déclaration des droits de l’homme de 1789, le préambule de la constitution de 1946 et la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La seule exception à ce droit est précisément limitée par les dispositions de l’article D 444 du nouveau code de procédure pénale. Or, en l’espèce, les journaux saisis ne contiennent aucune menace précise contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires. Cela n’a d’ailleurs même pas allégué. Dès lors, la décision est entachée d’une violation des dispositions de l’article D 444 du nouveau code de procédure pénale.
En outre, suivant l’article D 444 du nouveau code de procédure pénale, seul le ministre de la justice peut retenir les publications litigieuses, sur la demande du chef d’établissement. En l’espèce, la saisie des journaux a été opérée par le service du visa de la maison d’Arrêt de la Santé et non par le ministre de la justice. La décision attaquée est donc frappée de l’incompétence de son auteur.
Enfin, il n’est pas même justifié d’une demande préalable en ce sens du chef d’établissement. Dès lors, l’exigence formelle d’une demande préalable du chef d’établissement n’a pas été respectée. La décision déférée a été rendue en violation des règles de forme énoncées à l’article D 444 du nouveau code de procédure pénale. Dès lors la décision entreprise a été rendue en violation de l’article D 444 du nouveau code de procédure pénale et est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, de l’incompétence de son auteur et du non respect des règles de forme. Son annulation devra donc être prononcée.
2. Sur la restitution des journaux saisis Le Tribunal fera droit à la demande de Monsieur Michel GHELLAM tendant à la condamnation de l’administration pénitentiaire à lui restituer les journaux saisis.
3. Sur l’indemnisation du préjudice subi par Monsieur GHELLAM Monsieur GHELLAM a subi un préjudice certain et incontestable découlant de l’attitude de l’administration pénitentiaire à son égard. Ses journaux lui ont été confisqués sous prétextes de motifs fallacieux. Il a donc été porté atteinte à son droit de propriété sous des prétextes illégaux. Mais encore, à cette illégalité vient s’ajouter l’ouverture du courrier adressé à Monsieur Michel GHELLAM par son conseil. Or, il est de principe constant que les correspondances entre un avocat et son client sont couvertes par le secret professionnel. L’administration a bien commis une faute administrative. L’administration pénitentiaire ne peut donc en aucun cas procéder à l’ouverture et à la lecture du courrier qu’un avocat adresse à l’un de ses clients détenu. Nonobstant que ces faits relèvent également du droit pénal, Monsieur Michel GHELLAM subit un préjudice moral, certain et réel. Il convient de rappeler que Monsieur Michel GHELLAM s’est évadé de la Maison centrale de Clairvaux en septembre 1992 où un agent pénitentiaire trouvait la mort dans des circonstances mal élucidées. Lors du procès lié à ces faits en novembre 1999 qui s’est tenu à la Cour d’assises de Troyes, lors de laquelle Monsieur Michel GHELLAM a justement dénoncé toutes les tortures et actes de barbarie qu’il a subies depuis 1993…
Monsieur Michel GHELLAM analyse ces autres manœuvres de l’administration pénitentiaire comme désormais plus "subtiles" : mises en isolement systématiques, brimades, pression psychologique … s’analysant comme une volonté de l’administration de vouloir "pousser à bout" ce détenu… Le Tribunal appréciera l’attitude délétère de l’administrations pénitentiaire à l’encontre de Monsieur Michel GHELLAM et sanctionnera la faute commise. En tout état de cause, l’administration pénitentiaire a bien commis une faute et a causé un préjudice moral certain au requérant en procédant à l’ouverture du courrier adressé par l’avocat à Monsieur Michel GHELLAM et à la saisie injustifiée de ses journaux,
C’est pourquoi le Tribunal prononcera le nullité de la décision implicite de rejet du Ministre de la Justice et condamnera l’Etat à verser à Monsieur Michel GHELLAM la somme de 15.244,90 euros à titre de dommages et intérêt en réparation du préjudice subi.
Monsieur GHELLAM a été contraint d’exposer des frais irrépétibles qu’il serait inéquitables de laisser à sa charge ; Il conviendra de condamner l’Administration pénitentiaire au paiement d’une somme de 3.000 euros en application des dispositions du code des tribunaux administratifs.
PAR CES MOTIFS
IL EST DEMANDE AU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE :
Sous Toutes Réserves Le 14 janvier 2002
Françoise LUNEAU
Pièces communiquées : Décision du 15 octobre 2001 du service visa de la maison d’Arrêt de la Santé Lettre RAR de Maître LUNEAU du 13 octobre 2001 Lettre RAR de Maître LUNEAU en date du 18 octobre 2001 Lettre RAR de Maître LUNEAU en date du 28 octobre 2001 Dépôt légal du Journal d’Envolée |