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2 - Réponse à Monsieur Toulouze, Directeur Régional des Services Pénitentiaires de Paris
suite à la fin brutale du partenariat avec Planches contact

Publié le lundi 26 juillet 2004 | http://prison.rezo.net/2-reponse-a-monsieur-toulouze/

Jean-Christophe Poisson 11, rue du Réveillon 91330 - Yerres

Monsieur Toulouze directeur régional des services pénitentiaires de Paris DRSP 3 avenue de la division Leclerc BP 103 94267 FRESNES CEDEX

Yerres, le 16 juillet 2004,

Monsieur le directeur régional,

Monsieur Gely, Chef de service à la direction régionale des services pénitentiaires assistait le 28 mai 2004 à la présentation du travail de création dramatique que nous menions depuis six mois avec douze prisonniers du Centre de Détention de Melun.

Le courrier de remerciements détaillé que je lui adressais prétendait aussi préparer une réunion prévue avec la direction de la prison et le service pénitentiaire d’insertion et de probation de Seine Marne pour la suite de l’atelier de pratique théâtrale que je mène au Centre de Détention de Melun depuis 1999.

Les remarques que vous formulez au sujet de cette correspondance vous conduisent à mettre fin à notre partenariat et, par conséquent, à la conduite de mes projets d’intervention culturelle dans les établissements pénitentiaires d’Ile de France.

Votre démonstration, l’art consommé de la désinformation et le l’ellipse qui la sous-tend auraient porté sur toute autre emprise de la fonction publique, je n’aurais pas pris la peine de vous répondre. J’en serais resté à ma sensation première, celle d’une profonde stupeur devant l’absence pathétique d’argument direct émanant d’une position administrative aussi respectable que la vôtre.

Mais il s’agit de la prison, Monsieur le directeur régional, d’un espace publique de non-droit que j’ai appris à très bien connaître en 7 ans d’intervention et sur lequel pèsent trop de responsabilités collectives.

En quelques traits de plume vous rayez l’accès à l’ expression d’une soixantaine de prisonniers par le théâtre et dans la dignité, l’accompagnement actif et bénévole et la ré-insertion de 9 d’entre eux, les deux projets d’aménagement de fin de peine que je conduis actuellement, le public de presque 200 personnes issues de la société civile venues en cinq ans à la rencontre de l’espace carcéral dans un esprit de compréhension.

Là, ma stupeur laisse place à l’indignation. Ne vous déplaise, ma liberté de citoyen n’offre aucune prise aux méthodes de contrôle occultes que votre administration développe intra-muros. L’arbitraire, notamment, instrument vis à vis duquel des dizaines de milliers de prisonniers, présumés innocents ou condamnés, ne disposent d’aucun recours. En rendant cette lettre publique, j’exerce le moindre de mes droits et devoirs. Partager avec eux ma liberté d’expression.

La façon acrobatique avec laquelle vous tentez de retourner mes arguments contre moi appelle les précisions suivantes.

Je ne m’attarderai pas sur le procès en opacité qui m’est fait. Présence physique de deux agents du SPIP lors des premières réunions préparatoires avec les prisonniers, énoncé explicite du contenu du projet, long entretien avec Monsieur Peray, sous-directeur de la prison, réunion avec Monsieur Gely, circulation fréquente de notes de travail détaillées aux participants par l’intermédiaire des adresses emails du SPIP (je les tiens à votre disposition), j’estime avoir donné, comme tous les ans, tous les gages de transparence nécessaires au bon déroulement du projet de création théâtrale qui m’a été confié par la Scène Nationale de Sénart en 1999.

Je les ai donnés avec d’autant plus de bonne volonté que le climat administratif général qui pesait sur le déroulement de notre travail s’était singulièrement dégradé depuis août 2003. Je sais faire la part des choses. Je ne résume pas à une offensive contre ma personne la violence des dysfonctionnements que j’observe depuis pratiquement un an dans le déroulement de mon travail et dans leur répercussions sur la vie des prisonniers.

Je fonde en priorité cette évolution sur l’émergence à Melun de symptômes plus larges, communs à l’ensemble des établissements pénitentiaires et à leur surpopulation. Je ne rentrerai pas dans le détail. Madame Hanicot, directrice de l’établissement, possède les emails que je rédigeai pour protéger le cadre légal de mon action. J’en mentionnerai un seul. Désormais formés en quatre mois, toujours recrutés au niveau BEPC, pénétrant en détention avec la peur au ventre, conditionnés, les nouveaux agents de surveillance ont été facteurs de tous les incidents directs auxquels j’ai été confronté. L’attention ainsi portée mécaniquement sur notre activité est à la source de la perte de confiance générale dont je fus victime, confiance qui, jusqu’à cette année avait permis d’obtenir les résultats dont vous faites l’éloge à plusieurs reprise dans votre courrier. Mais peut-on vraiment parler de confiance quand en réalité mon travail s’est toujours développé dans une indifférence sidérale de la Direction de l’Etablissement, partagée d’une année sur l’autre entre le boycot et la récupération mondaine des représentations finales, en fonction de la qualité des publics que j’invitais, hauts fonctionnaires de la justice, magistrats, représentants des tutelles ministérielles (Culture, DRAC) ou journalistes ?

« L’administration ne saurait vous reconnaître une quelconque légitimité dans l’appréciation que vous portez ». J’accepte d’autant plus volontiers votre rappel à l’ordre, Monsieur le directeur régional, que je ne me place pas sur le terrain administratif en saisissant le ministère de la Justice, quels que soient les niveaux que les circonstances me mènent à choisir.

Je suis simplement, mais scrupuleusement, préoccupé par le Droit.

Qu’il soit déjà présent en détention, qu’il m’encadre et me légitime alors à dénoncer, les infractions de l’établissement au protocole Ministère de la Justice/ Minsitère de la Culture de 1986, à la convention Ministère de la Justice/ Minsitère de l’Education Nationale de 2002, la fantaisie d’un règlement intérieur oral qui dit tout et son contraire d’un surveillant à l’autre, d’un jour sur l’autre, ou bien qu’il tarde à s’appliquer à l’espace carcéral et à conserver à ses pensionnaires le statut élémentaire de citoyen.

En ouvrant les portes des prisons aux intervenants et publics extérieurs, la puissance publique ne pourra jamais leur imposer de laisser leur culture démocratique sous un mouchoir à la consigne.

L’absence persistante d’application en prison des Droits à la Santé, à l’Education, des Droits de l’Homme, du Droit d’expression, des Droits de la famille, du Droit du travail, du Droit à la réinsertion décrit dans le CPP, des Directives édictées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ne peut leur échapper bien longtemps.

Soyez assuré qu’il ne s’agit ici ni de théorie, ni de slogan. Dans chacun de ces domaines, à Melun ou ailleurs, j’ai été confronté personnellement à de trop nombreuses illustrations d’une faillite à laquelle je ne m résoudrai pas.

Pour ce qui est de votre indignation au sujet de ma façon de déplorer l’attitude d’une emploi jeune immature sur-investie d’attributions provoquant rivalités sentimentales et affrontements physiques entre prisonniers, je me permets de vous restituer par retour la paternité du diagnostic de « difficultés d’ordre médical » dont aurait été victime cette personne. Difficultés que vous me révélez aujourd’hui et que je n’aurais en aucun cas eu l’indignité d’instrumentaliser dans mon propos. Relisez attentivement ma lettre à Monsieur Gely, elle est parfaitement claire à ce sujet. J’y dénonce la trop longue tolérance par l’administration d’une attitude anachronique avec la détention et les dégâts profonds qu’elle y causa.

Vous m’accusez de fournir de fausses informations aux parlementaires ? Contrairement à ce que vous affirmez, contrairement à ce que Madame Hanicot a écrit à Messieurs Jego et Mamère -, Monsieur Belhakal, refusé aux représentations de notre spectacle, était parfaitement connu au SPIP de Melun depuis avril 2002, date à laquelle il adressait un courrier officiel de demande de permis de visite pour un des participants à l’atelier et entamait une relation téléphonique soutenue avec Madame Roy, Conseiller d’Insertion et de Probation, pour tenter d’obtenir satisfaction et de faire son métier d’éducateur. En vain, jusqu’à ce qu’il obtienne de Madame Hanicot l’engagement, hélas verbal, de la délivrance immédiate de ce permis. Un mois et demi après cette promesse, il attend toujours cette autorisation.

Opacité, acharnement personnel, diffusion de fausses informations, la contraction de ma note à Monsieur Gely à ces trois espaces argumentaires, la façon pour le moins insolite que vous avez de les revisiter, méprisant la longue analyse que j’y développais des difficultés rencontrées à Melun depuis un an, ne pouvaient que vous conduire à un constat radical.

Contrairement à votre intuition finale, je ne le partage pas : La remise en cause de notre partenariat a pour conséquence immédiate d’interrompre le lien professionnel et humain que j’entretiens depuis des années avec un certain nombre de prisonniers au Centre de Détention.

Elle efface aussi un travail de cinq ans que je tiens pour indispensable au déroulement harmonieux des ateliers de pratique culturelle en détention, la connaissance approfondie du fonctionnement d’un établissement et les relations de respect et de compréhension construites graduellement avec le personnel de surveillance. L’accès à cette culture locale est particulièrement importante pour le déroulement d’une intervention parce qu’elle pallie la rotation accélérée des Conseillers d’Insertion et de Probation (j’ai connu six interlocuteurs différents pour le théâtre en cinq ans à Melun, six sensibilités différentes, apparus et disparus) et la difficulté pour l’intervenant à compter dans l’établissement sur la continuité et l’intensité à la source de la politique culturelle définie pour les prisonniers.

Au delà d’un abandon forcé que je déplore amèrement, c’est à partir de la qualité de ce lien, à partir de cette connaissance, que s’est tissée ce que je prends pour la déontologie obligée du rôle d’intervenant en détention.

La fidélité, l’accompagnement des sortants dans leur retour à la liberté, la contribution active à l’aménagement des fins de peine, ma participation à la réflexion publique sur les réformes nécessaires du système pénitentiaire, mon engagement dans l’association Banpublic auprès des détenus et de leurs familles pour l’information de tous - du grand public jusqu’aux représentants de la nation -, y participent autant que la « qualité artistique et culturelle » de ces « prestations » auxquelles vous auriez voulu me voir en rester, en bon soldat des pratiques occupationnelles tolérées par l’administration pénitentiaire.

En m’interdisant désormais l’accès en détention vous m’affranchissez du devoir de réserve minimal auquel je m’étais astreint jusque là dans les différents établissements où je suis passé, et ce pour garantir à la fois la pérénité du travail avec les prisonniers et leur protection.

J’y vois l’unique aspect positif de votre décision. Les lignes de force du cahier des charges de bon sens qui s’est dessiné devant moi en huit ans d’intervention sont assez solides et partagées pour que je continue dehors, et au plus loin, à les documenter et à les défendre. Ceci dans un esprit de responsabilité, pour le respect du Droit, et avec comme seul objectif l’avènement d’une prison placée au cœur de la réconciliation collective.

Veuillez agréer, Monsieur le directeur régional , l’expression de mes salutations distinguées.

Jean-Christophe Poisson Metteur en scène