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11 Les sanctions alternatives valent ... la peine

Publié le dimanche 12 décembre 2004 | http://prison.rezo.net/11-les-sanctions-alternatives/

La prison constitue-t-elle toujours la peine de référence ? Sans doute dans les têtes, car dans les sociétés modernes, l’emprisonnement est la seule peine réellement visible, mesurable, afflictive et vécue comme telle. Pourtant, il existe ce que l’on appelle les peines alternatives, qui pourraient remplacer l’emprisonnement, qui, on le sait, a des conséquences trop lourdes pour être banalisé comme il l’est aujourd’hui.

Il suffit d’écouter des personnes qui comparaissent lors d’une audience correctionnelle pour des infractions d’une certaine gravité : le fait d’être ou non condamné à de la prison ferme constitue la question essentielle. Une peine d’emprisonnement avec sursis, une médiation-réparation, par exemple, ne sont pas, la plupart du temps, perçues comme de véritable sanctions. L’enjeu des peines dites « alternatives » à la prison, - et le simple fait que ces peines soient dénommées « alternatives » montre bien que la référence culturelle centrale est celle de la prison-, est d’une part, de progressivement mordre sur les peines d’emprisonnement prononcées et, d’autre part, de faire progresser dans l’opinion et le vécu des uns et des autres qu’il s’agit de vraies peines, sanctionnant un comportement socialement réprouvé, incluant un élément de contrainte sur l’individu tout en affirmant une volonté de ne pas l’exclure de la communauté.

Depuis le début des années 1980, ces peines dites « alternatives à l’emprisonnement » se sont progressivement développées en Europe, et la France y a pris une part importante, là encore, tant dans le débat théorique que dans la mise en oeuvre effective. Ce débat impliquait parallèlement aussi une critique du système du « tout-carcéral » et des dégâts provoqués par un recours excessif à la prison qui ne fonctionnerait que comme une machine à produire de l’exclusion sociale [1].

L’idéologie et l’approche économique de ces phénomènes ont toute leur importance dans ce débat. À l’opposé, les États-Unis ont développé un système pénal et un marché centrés sur une incarcération massive qui aboutit à une population pénale aujourd’hui 8,8 fois supérieure à la France, si on la rapporte au nombre d’habitants respectifs. La Grande-Bretagne, qui pourtant possède une longue tradition de « peines exercées dans l’intérêt de la communauté », en lien avec les collectivités territoriales, a développé depuis le début des années 1990 une théorie de la prison fondée sur le slogan d’un ancien responsable du Home Office, John Howard, « Prison works » (« la prison, ça marche »), accompagnant des programmes de construction de nouveaux établissements et des prestations confiées au secteur privé.

C’est à l’aune de cette croissance programmée et assumée des populations pénales qu’il faut mesurer en contre-point l’impact des mesures « alternatives » à l’emprisonnement en France ces dernières années. Une remarque méthodologique préalable s’impose. Une chose est de mesurer le développement des peines alternatives, une autre est de savoir si elles ont réellement « mordu » sur l’emprisonnement. Les évaluations qualitatives disponibles sont en l’espèce peu nombreuses. Il faut, pour ce faire, distinguer les « mesures » alternatives aux poursuites, des « peines » alternatives.

Les mesures alternatives aux poursuites sont mises en oeuvre par les parquets pour éviter de saisir inutilement des juridictions pénales déjà sur-encombrées. Autrefois, les procureurs n’avaient recours qu’au classement sans suite « sec », ou à des dispositifs spécifiques tel celui de l’injonction thérapeutique en matière d’usage de stupéfiants. Les parquets pratiquaient aussi les classements sous condition, en particulier celle d’indemniser la victime, l’indemnisation mettant fin au préjudice et à la procédure. Ces pratiques quantitativement importantes n’étaient pas comptabilisées en statistique. Depuis 1992, elles le sont et incluent les classements après médiation pénale pour les majeurs, après médiation-réparation pour les mineurs, après injonction thérapeutique, après régularisation, indemnisation, avertissement ou poursuite administrative.

Sur les cinq dernières années, on peut relever que l’ensemble de ces mesures alternatives auxquelles les parquets ont recours se situent dans un rapport de 1 à 3 avec les affaires effectivement poursuivies devant les tribunaux (213 000 procédures traitées en alternatives aux poursuites en 1999 contre 638 000 procédures renvoyées devant les juridictions pénales). La progression régulière du nombre de ces mesures s’intègre dans le développement de la politique de la ville menée par les parquets, en phase avec celui des maisons de la justice et du droit qui offrent souvent le cadre de la mise en oeuvre concrète de ces mesures alternatives dans un délai rapproché après la commission de l’infraction (voir tableau 1). Les peines alternatives, quant à elles, peuvent concerner soit les peines « nouvelles », inscrites dans la loi depuis 1975, comme la suspension et l’annulation du permis de conduire, ou encore la confiscation, face aux peines traditionnelles que constituaient l’emprisonnement ferme, l’emprisonnement avec sursis simple ou avec mise à l’épreuve, l’amende, soit les peines uniquement alternatives à l’emprisonnement ferme, comme le travail d’intérêt général (TIG), créé en 1985. On constate surtout, dans l’analyse quantitative du prononcé de ces « nouvelles peines », le recours toujours croissant au travail d’intérêt général, définitivement inscrit dans la gamme des « bonnes » sanctions, ainsi qu’aux sanctions concernant le permis de conduire qu’il faut cependant rapporter au nombre élevé de poursuites pour conduite en état alcoolique (tableau 2).

Malgré cela, la part de l’emprisonnement ferme dans les peines prononcées reste stable (tableau 3).

Au total, sur les quinze dernières années, les peines dites alternatives l’emportent sur l’amende et le sursis. Elles expliquent aussi sans doute pour partie la diminution des courtes peines d’emprisonnement ferme (jusqu’à trois mois), l’autre terme de l’explication résidant dans la diminution des condamnations pour vol auxquelles ces courtes peines répondaient souvent. Bruno Aubusson de Cavarlay [2] explique que l’enjeu des peines alternatives pour les années à venir sera que les juges les appliquent pour des infractions, de plus en plus nombreuses à être jugées par les tribunaux correctionnels (violences, commerce de stupéfiants), et qui sont aujourd’hui punies de peines d’emprisonnement plus élevées.

Une justice pénale qui refuse de faire de l’emprisonnement son axe central doit donc, d’une part, trouver des réponses alternatives efficaces à l’emprisonnement, ce qui implique, en plus de la priorité donnée à la prévention de la délinquance, une forte augmentation des moyens de prise en charge donnés aux mesures exercées en milieu ouvert, et, d’autre part, de faire diminuer le quantum des peines et de favoriser les libérations conditionnelles, la semi-liberté, les arrêts domiciliaires sous surveillance électronique.

Dans une société de plein emploi, qui ouvrirait des perspectives à toute sa jeunesse et ne relèguerait pas des quartiers entiers à l’écart de la vie économique, de telles orientations de politique pénale s’inscriraient naturellement en phase avec la politique générale. Il en est tout autrement dans la société d’exclusion dont la prison n’est que le révélateur. C’est pourquoi il est essentiel de lutter contre la pente naturellement punitive d’une société et de tout faire pour que, en phase avec les collectivités territoriales et les associations, la justice développe cette politique « alternative » qui en vaut la peine...

Jean-Paul JEAN, magistrat

Tableau 1 : L’évolution des procédures alternatives aux poursuites (1995-1999)

Tableau 2 : Évolution 1990-1998 du nombre des peines alternatives prononcées pour délits

Tableau 3 : Part de l’emprisonnement ferme dans les peines prononcées par les tribunaux correctionnels (1990-1999)

[1] Jean-Paul Jean : « La prison, machine à gérer l’exclusion » in Le Monde diplomatique juillet 1995

[2] « Le développement des peines alternatives », in revue Panoramiques n° 45, 1er trimestre 2000 : « Prisons : quelles alternatives ? »