Publié le lundi 13 décembre 2004 | http://prison.rezo.net/12-les-avocats-absents-du-pretoire/ La sanction disciplinaire en prison constitue une grave atteinte aux droits de l’homme, puisqu’elle relève d’un pouvoir tout-puissant qui reste loin du modèle d’un procès équitable. Un détenu qui enfreint le règlement interne à la prison est convoqué devant une commission de discipline sans pouvoir être assisté d’un avocat ou d’un tiers. Il a trois heures pour préparer sa défense. Le Syndicat des avocats de France (SAF) milite pour qu’enfin l’avocat entre au prétoire des commissions disciplinaires. La commission pénale du Syndicat des avocat s de France s’intéresse depuis près de deux ans à cette question des sanctions disciplinaires en prison. Depuis longtemps notre syndicat exigeait déjà que la prison soit une enceinte où ne seraient retenus que des condamnés ou des prévenus, et non pas un lieu où leurs droits seraient retenus : « leurs droits de » ou « leurs droits à ». Notre démarche consistait à proposer aux avocats de viser à modifier les comportements liés aux sanctions administratives en profitant de l’appel d’air créé par la loi de 1996. Son objectif était à notre niveau de faire du débat sur la sanction dans la prison un symbole de ce que ne devait pas être l’enfermement, et susciter au besoin un vrai débat sur l’incarcération. Un avocat impuissant La tâche était difficile, car l’avocat n’est pas investi, culturellement pourrait-on dire, dans l’après-sanction. L’application des peines est un souci immédiat après le prononcé de la décision. Il l’est rarement au-delà. L’avocat s’autocensure pour des interventions sur la détention, non prévues par la loi et donc très aléatoires quant à leur résultat et qui au surplus ne sont pas prises en charge par l’aide légale qui concerne, rappelons-le, la moitié au moi ns du contentieux pénal . Ce faisant, l’avocat conforte cette idée qu’il est impuissant s’agissant de la prison et de la peine. Cette idée est tellement admise que même lorsque c’est un présumé innocent en détention provisoire qui fait l’objet d’une mesure disciplinaire, il n’en parle pas forcément à son conseil, certain de son impuissance. La tâche était difficile aussi, car les avocats ne disposaient que de peu d’outils : la loi de 1996, fruit d’un long processus de négociation entre le ministère et l’administration pénitentiaire, laissait peu de marge de manœuvre, notamment en imposant le recours préalable. La jurisprudence du Conseil d’État trop lentement évolutive sur la distinction entre les mesures d’ordre intérieures et les mesures susceptibles de recours, n’ouvrait pas un champ de critique très vaste. La tâche était enfin difficile, car les rares avocats qui se risquaient sur ces terrains difficultueux, se voyaient souvent rappeler, de manière cinglante, par les professionnels qu’ils n’étaient pas compétents, et par les non-professionnels que les prisons n’étaient pas ce qu’ils en disaient et que de toute façon les prisonniers n’intéressaient personne. Pourtant, cette question était importante. Les garanties données en matière de droits fondamentaux à tous et même aux plus faibles, qui s’arrêtaient aux portes des lieux de détention, devenaient inexplicables au regard de l’universalité des droits qui fondait ces avancées. Cette question était importante, car nous savions tous qu’en matière de sanctions disciplinaires, la prison était un lieu de non- droit, et même bien plus. Elle était un lieu d’anti-droit : une sphère qui , dans un contexte démocratique gouverné par le principe d’égalité devant la loi, niait le droit du prisonnier uniquement parce qu’il est prisonnier, qui lui interdisait de revendiquer et de pratiquer ses droits, qu’on prétendait par ailleurs fondamentaux : droit de préparer sa défense effectivement, droit de prendre connaissance des charges, droit d’être assisté par un conseil ... La question disciplinaire en prison symbolisait les béances inacceptables que connaît notre État de droit. À part un cercle d’amis politiques habituel, la conscience de cette anomalie et le souhait qu’il y soit remédié n’étaient pas partagés. Depuis vingt -cinq ans, les voix qui s’étaient élevées pour dénoncer l’état matériel, social , juridique, sanitaire de la condition carcérale semblent enfin être entendues. Sans rien apporter de vraiment nouveau, le livre de Véronique Vasseur par son retentissement a provoqué un débat sur ce que pouvait être la prison. Il a obligé l’administration pénitentiaire à rappeler que la peine n’a pas pour objet de faire de la peine, mais uniquement de priver de la liberté d’aller et venir. Aujourd’hui, la situation a changé. L’avocat doit profiter de cette modification de la perception de la prison et du prisonnier pour défendre là où il est plus que jamais nécessaire de défendre. Les deux rapports parlementaires sur les prisons en France par leur initiative, et surtout par leur contenu, ont démontré ce qu’était réellement la prison en France aujourd’hui. Ils ont montré notamment ce que c’était de subir l’exécution d’une peine privative de liberté dans une maison d’arrêt. Ce débat a brisé un tabou : l’état des prisons n’est pas une fatalité à laquelle on devrait se résigner, une évidence gouvernée par une loi d’airain. Le nouveau droit des administrés Mais la situation a changé surtout parce que le droit a changé. La loi du 12 avril 2000 concernant les rapports entre l’administration et les administrés est applicable. Elle l’est y compris aux rapports concernant les détenus et l’administration pénitentiaire. On le sait parce c’est une loi de la République et qu’à défaut de prévoir elle-même des exceptions, rien ne permet d’en limiter le champ d’application, pas même des circulaires ou des habitudes de l’administration pénitentiaire. On le sait, car les débats parlementaires le disent clairement. Cet outil est considérable s’il est utilisé en matière disciplinaire. Il permet de connaître les pièces du dossier, il permet de se faire assister par un avocat. Encore faut-il l’utiliser. Le prétoire de demain peut ne ressembler en rien à celui dont nos clients nous parlent de temps en temps. Je devrais dire : « doit ne plus ressembler ». Mais cela dépendra de la volonté individuelle et collective des avocats. Il faudra dépenser beaucoup d’énergie, même avec des outils juridiques comme ceux dont nous disposons désormais, pour arriver à changer les habitudes à défaut des esprits. L’avocat au prétoire, c’est comme l’avocat dans le cabinet du juge d’instruction à la fin du XIXe siècle, ou l’avocat en garde à vue il y a vingt ans. C’est une culture de la toute-puissance à modifier, pour faire entendre que donner les mêmes droits dedans et dehors, c’est refuser de considérer le prisonnier comme un « sous-homme », c’est refuser de confisquer des droits inaliénables que la loi ne permet pas à l’administration pénitentiaire de confisquer. L’avocat au prétoire, cela va d’abord être un combat. L’un des rapports parlementaires cités plus haut met en exergue cette capacité de l’administration pénitentiaire à toujours essayer de faire valoir ses propres règles de fonctionnement au regard de sa spécificité organique, au mépris des principes les plus élémentaires de notre droit, comme par exemple celui de la hiérarchie des normes. Il est probable qu’on n’échappera pas à cet argument en cette matière, qui consistera à dire que l’administration pénitentiaire n’est pas concernée par ce texte qui n’a qu’une vocation générale. Cette adversité qui a toujours le même fondement idéologique doit être un aiguillon pour l’avocat. Elle doit forcer l’avocat à se préparer avant tout en se formant. C’est de sa responsabilité. Il est ainsi nécessaire sans doute que, là où les forces le permettent, des échanges soient organisés sur la discipline et la prison, entre les professionnels, les militants et les avocats. Il est aussi nécessaire que de manière générale des demandes soient adressées aux responsables des lieux de détention pour avoir communication des règlements intérieurs. Il est indispensable que les magistrats soient interpellés sur le rôle qu’ils ont à jouer dans l’apprentissage du respect du droit par l’administration pénitentiaire. Il est sans doute nécessaire que les avocats, dans le cadre de leur obligation de conseil, informent leurs clients détenus de leurs droits en matière disciplinaire. Alors, à force de volonté, l’avocat pourra intervenir effectivement dans la procédure disciplinaire en milieu fermé. Il ne restera plus qu’à faire entrer dans le champ du droit les mesures qui pour l’instant sont hors de portée de la critique, et qui sont pourtant dramatiques pour les individus et les familles : les déplacements disciplinaires ou les mesures d’isolement. Franck BOEZEC, avocat au Barreau de Nantes, responsable de la commission pénale du Syndicat des avocats de France |