Publié le mardi 25 juin 2002 | http://prison.rezo.net/foucault-michel-surveiller-et,574/ Edition Gallimard, Paris, 1975 Vincent Viard M. Foucault Michel Foucault commence sa carrière comme psychologue spécialiste des maladies mentales. C’est dans ce contexte que va naître une de ses œuvres les plus aboutie : Folie et déraison : histoire de la folie à l’âge classique qui paraît en 1961. Nommé au Collège de France en 1970, il introduira pour la première fois, lors de sa leçon inaugurale le concept de pouvoir qui constitue un de ses thèmes de prédilection. C’est donc dans ce cadre qu’il publia en 1975 Surveiller et punir dans lequel il analyse les origines de la prison moderne et de ses pratiques disciplinaires. (dans la lignée de cette réflexion, sur le contrôle des corps et des esprits, il publiera l’Histoire de la sexualité en 3 tomes).
I. Le passage, à la fin du 18ème siècle, du supplice au système carcéral 1. le supplice : Michel Foucault débute son ouvrage par la description du supplice de Damien et montre comment au 18ème, cet affrontement réglé, ce rapport de force ouvert en forme de duel, selon son l’expression, apparaît comme la forme la plus aboutie de châtiment. Il s’agissait alors de reconstituer la souveraineté blessée, d’où cet art de retenir, dans la vie, la souffrance. Le corps du supplicié peut, dès lors, être considéré comme un champ politique. L’affrontement visible qui se transforme en cérémonie ouverte est instantané : c’est l’action directe du bourreau sur le corps du condamné. Mais le supplice n’est pas qu’un spectacle, il permet que l’on reproduise et retourne le crime sur le corps visible du condamné. Il fait que le crime, dans la même horreur se manifeste et s’annule. 2) La punition et la discipline : A la fin du 18ème siècle la punition change de nature, elle n’est plus un spectacle public mais se déroule dans l’ombre de la prison, se cache de la foule. L’intervention sur le corps ne vise plus seulement la chair mais se déploie dans le temps pour avoir prise sur l’esprit. A l’origine est le projet politique de quadriller exactement les illégalismes, de généraliser la fonction punitive. D’autre part, le châtiment doit porter encore plus qu’avant une véritable fonction d’exemplarité, la punition regarde vers l’avenir. Foucault montre que le condamné doit apparaître désormais comme une sorte de " propriété rentable " pour la société et montrer l’exemple. La discipline que Michel Foucault qualifie " d’anatomie politique du détail " exige la mise en place de certains principes. Ainsi elle s’exerce généralement dans un lieu clos, hétérogène à tous les autres et fermé sur lui-même ; lieu à l’intérieur duquel chaque chose, chacun à sa propre place (la règle des emplacements fonctionnels). La discipline assure également un contrôle de l’activité réglé par l’emploi du temps (on retrouve ce principe aussi bien dans le monde carcéral qu’à l’école, à l’armée ou encore à l’usine), et cette disciplinarisation du monde social n’est pas réductible à la seule prison mais s’impose bien comme un modèle valable pour la plupart des institutions. Ainsi dans le bon emploi du corps qui permet un bon emploi du temps rien ne doit rester oisif ou inutile, le corps se transforme alors en corps de l’exercice qui est un concept très important dans ce schéma. Foucault propose en effet ici une définition de l’exercice : " il s’agit d’une technique par laquelle on impose aux corps des tâches à la fois répétitives et différentes mais toujours graduées ". Il permet ainsi d’assurer dans la contrainte et la continuité une croissance, une observation et une qualification car la discipline a bien pour fonction de redresser, d’éduquer et donc de permettre la transformation des individus. Foucault, d’autre part expose le projet architectural original mis au point par Jérémie Bentham, qui met en place un système de surveillance, le Panopticon. Ce dispositif aménage ainsi des unités spatiales qui permettent de voir continuellement. Contrairement au principe du cachot ou l’on enferme, prive de lumière et cache, ici le détenu est vu, exposé et la visibilité devient alors le piège. Le panoptique induit en effet chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Ainsi pour Bentham le pouvoir doit être visible et invérifiable. Visible car sans cesse le détenu peut voir la silhouette de la tour centrale d’ou il est épié, et invérifiable car le détenu ne doit jamais savoir s’il est regardé. 3) Le parallèle avec Asiles de Goffman Après avoir vu les différents moyens par lesquels se met en place ce nouveau système pénal, on peut faire un rapide détour par Erwing Goffman et son ouvrage Asiles qui parait en 1968 soit 7 ans avant Surveiller et punir, et qui étudie le comportements des malades dans les hôpitaux psychiatriques, c’est-à-dire dans des institutions dont le fonctionnement se révèle finalement très proche de celui de la prison telle qu’elle est envisagée par Foucault. On comprend alors bien comment cette nouvelle dimension du contrôle social à travers les corps notamment, dépasse largement le simple cadre du milieu carcéral. Ainsi, Goffman nous décrit le monde hospitalier comme un lieu coupé du reste de la société dont les modalités de vie sont explicitement réglées. De la même manière cette institution vise à couvrir et à contrôler l’ensemble des aspects de l’existence. Le traitement y est collectif et les reclus y sont constamment surveillés. Goffman distingue également ce qu’il appelle des techniques de mortification : l’isolement, le dépouillement de tout bien personnel, la dégradation de l’image de soi. De la même manière l’établissement psychiatrique est une sorte de Panopticon dans lequel il y a toujours une personne susceptible de voir ou d’entendre les reclus. Enfin on trouve en marge du règlement interne un système de récompense et de faveur accordés aux reclus en échange de leur soumission physique et mentale. Les menaces de punition régulent également la vie de ces derniers.
II Les ambiguïtés de la prison comme instance unique du système pénal.
1) l’imposition du modèle carcéral comme forme essentielle du châtiment : La prison en l’espace d’un siècle s’est imposée comme la forme essentielle du châtiment, alors qu’elle n’était à l’origine qu’une forme de peine parmi d’autres, largement disqualifiée par son association trop fréquente avec l’arbitraire royal et les excès du pouvoir souverain. Avec le code pénal de 1810, le système de pénalité devient l’incarcération sous toutes ses formes, la punition dès lors, s’uniformise. En réalité, la prison n’est pas tout à fait regardée à l’époque comme une peine. Son rôle est d’être une prise de gage sur la personne et sur son corps, par la prison on s’assure de quelqu’un, on ne le punit pas. Elle prescrit alors, un peu comme nous l’avons vu avec Goffman, un recodage de l’existence autour de quelques principes : l’isolement, le travail des détenus, la finalisation du temps. En fait pour opérer la transformation sur les individus elle a recours à 3 grands schémas : 2) La prison produit son objet : le délinquant En réalité là où a disparu le corps marqué du supplicié est apparu le corps du prisonnier, doublé de l’individualité du délinquant que l’appareil même du châtiment a fabriqué. Ainsi dès le début du 19ème siècle la prison se voit soumise à une critique qui l’accompagne encore aujourd’hui. Elle ne fait pas baisser le taux de criminalité mais au contraire, c’est elle qui engendre la récidive. Elle contraint effectivement à une vie artificielle et, tout en voulant être un lieu d’apprentissage du respect de la loi, elle devient le refuge de l’illégalité et de l’abus de pouvoir ; elle constitue ainsi un environnement favorable à la propagation des attitudes criminogènes. On peut donc résumer l’utilité paradoxale de cet échec de la prison qui passe par la formation d’une délinquance spécialisée en trois points : Dans ce contexte, peut-on croire que la " douceur punitive " de l’enfermement représente un progrès vis à vis des supplices ? Foucault répond clairement par la négative, elle est quelque chose de plus qu’un supplice atténué, même si ce seuil de l’intolérable change. Il s’inscrit ainsi directement dans la lignée des révoltes des détenus dans les années 70 et écrit dans Surveiller et punir : " au cours des dernières années, des révoltes des prisons se sont produites un peu partout dans le monde. Leurs objectifs, leurs mots d’ordre avaient à coup sûr quelque chose de paradoxal. C’étaient des révoltes contre toute une misère physique qui date de plus d’un siècle : contre le froid, contre l’étouffement et l’entassement, contre des murs vétustes, contre la faim, contre les coups. Mais c’étaient aussi des révoltes contre des prisons modèles, contre les tranquillisants, contre l’isolement, contre le service médical ou éducatif. Révoltes contradictoires, contre la déchéance mais contre le confort, contre les gardiens mais contre les psychiatres ? Il s’agissait bien d’une révolte des corps contre le corps même de la prison. " Cette réflexion sur la prison et sur le pouvoir en général reste d’actualité aujourd’hui, on peut en effet faire allusion aux nombreux écrits qui sont parus dernièrement sur la nécessité d’une réforme du monde carcéral (V.Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé) qui se fonde sur une demande d’amélioration du respect de l’individu, sur de meilleures conditions de réinsertion et une recherche d’utilité sociale réelle du monde carcéral.
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