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4 Discussion

Publié le lundi 15 novembre 2004 | http://prison.rezo.net/4-discussion/

Un récapitulatif des analyses et des sous-échantillons sur lesquels elles ont été effectuées est présenté à la figure 2.

4.1. Étude comparative de la mortalité des sortants
Il convient de rappeler que l’étude comparative de la mortalité des sortants n’était pas l’objectif initial de cette étude. Cependant, la connaissance de la mortalité des prisonniers à leur sortie de prison constitue un indicateur important pour apprécier les impacts cumulés de la période d’incarcération et du retour à la vie extérieure sur leur santé. Les données recueillies nous ont permis de réaliser cette étude et de fournir ainsi des informations qui, jusqu’ici, n’avaient pas été produites en France.

4.1.1. Les sortants non identifiés par l’INSEE
Dans la sous-cohorte des sortants nés en France et dans les DOM
À partir de la cohorte initiale des sortants nés en France, le statut vital n’a pu être obtenu pour 13,3 % des sujets nés en France à partir du fichier de l’INSEE. Ce taux est satisfaisant car l’INSEE identifie habituellement entre 75 et 95 % des individus lorsqu’une procédure d’appariement sur des données indirectement nominatives est utilisée. Le taux de sortants perdus de vue dans la présente enquête s’explique vraisemblablement par des inexactitudes concernant les informations recueillies au niveau du greffe, informations qui ne semblent pas systématiquement vérifiées ; le passage par le greffe étant obligatoire, les données sont vraisemblablement exhaustives. La comparaison des sujets perdus de vue et de ceux qui ont été retrouvés dans le fichier de l’INSEE (tableau 21) n’a pas montré de différence selon l’âge en 1997, le sexe et la durée moyenne d’incarcération, facteurs pouvant être associés à la mortalité et l’état de santé. Il est donc peu probable que les perdus de vue soient à l’origine d’un biais de sélection dans la cohorte étudiée.

Tableau 21 : Comparaison des sujets identifiés par l’INSEE/INSERM
et des sujets « perdus de vue »

Figure 2 : Récapitulatif des analyses et des sous-échantillons

Dans la sous-cohorte des sortants nés à l’étranger et dans les TOM
En ce qui concerne la cohorte des sujets nés à l’étranger, le taux de perdus de vue était plus élevé (environ 40 %) que pour les sujets nés en France et seuls 20 % des sujets ont pu être identifiés sans divergence d’état civil par l’INSEE. Ceci peut être dû au fait que :
Les données relevées au niveau des fiches d’écrou au greffe de la maison d’arrêt de Fresnes n’étaient pas fiables pour les sujets nés à l’étranger, de fausses déclarations pouvant être données par des personnes ayant une interdiction de résidence sur le territoire ;
L’accès de l’INSEE aux certificats de naissance des personnes nées à l’étranger est limité.
De plus, les décès dans cette sous-cohorte étaient vraisemblablement sous-enregistrés, le nombre de décès observés étant très inférieur à celui constaté dans la cohorte des sujets nés en France.
Pour ces raisons, les analyses de mortalité n’ont pas été effectuées dans cette sous-cohorte qui n’a pas non plus été intégrée dans l’étude cas-témoins.

4.1.2. Les sujets transférés à Fresnes pour raison médicale : un biais de sélection
Parmi les décès, 15 sur les 40 observés en 1997-1998 et 14 sur les 35 observés dans l’année suivant la sortie sont survenus chez des sujets ayant été transférés pour raison médicale d’une autre prison à l’hôpital de Fresnes. La prison de Fresnes est en effet un des seuls établissements pénitentiaires, sinon le seul, doté d’un hôpital adapté à la prise en charge de détenus. Huit des 9 sujets décédés par tumeur et 2 des 3 décès par SIDA/VIH sont survenus chez des détenus transférés pour raison médicale à Fresnes. Ceci est l’origine d’un biais de sélection qui explique la surmortalité apparente observée par tumeurs parmi les sortants de la prison de Fresnes. Pour l’étude comparative de la mortalité des sortants de la prison de Fresnes, les décès qui ont été observés parmi les sujets transférés pour raison médicale à Fresnes ont ainsi été retirés de l’analyse.

4.1.3. Un nombre élevé de causes de décès inconnues
Parmi les 40 décès identifiés en 1997-1998 dans la cohorte des sujets nés en France, la cause de décès n’a pu être obtenue pour 11 d’entre eux et parmi les 21 décès survenus dans l’année suivant la libération chez des détenus non transférés pour raison médicale, 9 causes étaient inconnues. Dans la classe d’âges des 15-34 ans, les causes inconnues représentaient 55,6 % des décès et dans la classe d’âges des 35-54 ans, elles représentaient 40 % des décès.
Ceci était dû au fait que ces sujets ont été autopsiés. Les IML ne sont pas toujours autorisés à communiquer à l’INSERM les informations concernant les causes de décès des sujets qu’ils autopsient. La majorité des décès de cause inconnue sont survenus en région parisienne. La direction de l’IML de Paris, que nous avons contactée, a confirmé qu’elle n’était pas autorisée à transmettre à l’unité compétente de l’INSERM, les informations relatives aux causes de décès des personnes autopsiées en son sein. L’autorisation a finalement pu être obtenue après intervention de la MILDT auprès du Procureur de Paris.
Des études comparant les causes de décès inconnues à partir des données des certificats de décès de l’INSERM et celles des IML (Paris et Lyon) ont montré une importante sous-estimation des décès par suicide (d’un facteur 4,6), par intoxications alcooliques et par overdoses dans les statistiques nationales de décès de l’INSERM (Lecompte, 1995 ; Lecompte, 1994 ; Tilhet-Coartet, 2000). Les données récupérées auprès de l’IML de Paris vont dans le même sens.

4.1.4. Une surmortalité globale significative des détenus entre 15 et 54 ans
Cette étude montre une surmortalité significative chez les sortants de prison âgés entre 15 et 54 ans quelle que soit la population de référence retenue (population générale, ouvriers-employés) : le taux de mortalité standardisé toutes causes confondues à l’exclusion des overdoses était 3,4 fois supérieur à celui des populations de référence.
Cette surmortalité n’a pas été observée, par contre, chez les sujets de 55 ans ou plus.
Dans les classes d’âges 15-34 ans et 35-54 ans, tous les SMR, quelles que soient les causes, étaient augmentés. À noter une mortalité par cirrhose alcoolique du foie significativement augmentée chez les sujets âgés de 35 à 54 ans uniquement (multipliée par 14) probablement du fait des délais nécessaires pour la constitution de cette maladie en cas d’alcoolisme. Ces résultats sont cohérents avec les résultats des études réalisées en milieu carcéral montrant des taux de prévalence élevés de consommation d’alcool (Rotily, 1998 ; Rotily, 2001).

4.1.5. Une surmortalité très élevée et significative par overdose
Quatre décès par overdose ont été observés dans la période de 3 mois à un an après la sortie. Les SMR correspondants dans les classes d’âges 15-34 ans et 35-54 ans indiquent une surmortalité très prononcée avec des facteurs multiplicatifs de l’ordre respectivement de 120 et 270 et d’au minimum 25 et 7. Bien sûr, le nombre absolu de décès par overdose étant
peu élevé, les intervalles de confiance sont larges.
Ces SMR élevés peuvent être liés à un sous-enregistrement de ces causes de décès dans la population générale, souvent classées parmi les causes de décès inconnues (Lecompte, 1995 ; Lecompte, 1994 ; Tilhet-Coartet, 2000). Mais ces résultats sont cohérents avec les résultats des études réalisées en milieu carcéral (Rotily, 1998 ; Rotily, 2001). La proportion de détenus toxicomanes en prison serait en France de 15 à 25 % et elle a été évaluée, dans d’autres pays d’Europe de l’ouest, à un tiers des détenus adultes de sexe masculin.
Elle est ainsi beaucoup plus élevée que dans la population générale : en 1993, la proportion des UDVI chez les personnes âgées de 15 à 54 ans en France était estimée à 5 pour 1 000 (Rotily, 2001).
Une étude réalisée chez des UDVI masculins infectés par le virus HIV a montré que le risque de décès par overdose était 8 fois plus important dans les 15 jours suivant la sortie de prison que dans les semaines suivantes (Seaman, 1998). Les décès par overdose observés dans notre étude sont survenus dans un délai supérieur à 3 mois après la sortie de prison.
Il est ainsi possible qu’un nouvel épisode d’incarcération ait eu lieu entre la sortie entre 1997 et le décès. La connaissance du moment du décès par overdose paraît essentielle pour déterminer s’il est possible de prévenir ces décès par une stratégie de prévention et de préparation à la sortie.

4.1.6. Des résultats très similaires en prenant la population générale
ou les ouvriers-employés comme groupes de référence
Les sortants de prison constituent un groupe de population dont les caractéristiques démographiques sont très particulières.
Les informations disponibles montrent que les ouvriers-employés sont sur-représentés parmi les détenus, avant leur incarcération. Or, il existe d’importantes disparités de mortalité en fonction des catégories socioprofessionnelles (Jougla, 2000). Notamment, le risque de décéder en France pour les hommes entre 35 et 65 ans est double chez les ouvriers par rapport aux cadres supérieurs et aux professions libérales. Des informations existent aussi sur les chômeurs et les inactifs à partir de la cohorte 1982 de l’INSEE : la mortalité des chômeurs est deux à trois fois plus élevée que celle des hommes ayant un emploi.
Cette surmortalité s’observe pour tous les groupes sociaux et quel que soit le niveau d’étude (Jougla, 2000).
La surmortalité des inactifs apparaît également importante avec des risques de décès 3 à 5 fois plus élevée que chez les actifs.
Les SMR obtenus pour la population des « ouvriers-employés » qui sont les mêmes que ceux calculés pour la population générale, ne correspondent pas aux résultats qui étaient attendus. En effet, la mortalité des « ouvriers-employés » est plus importante que celle des autres catégories socioprofessionnelles d’actifs.
Après discussion avec les responsables de l’INSERM SC8, il est possible que ce résultat provienne d’un manque de fiabilité des données recueillies sur la catégorie socioprofessionnelle sur les certificats de décès : en particulier, il est possible que des personnes actives soient classées comme inactives lorsque leur profession n’est pas connue.

4.2. Étude cas-témoins : des données peu exploitables
La réalisation d’une étude cas-témoins pour évaluer l’effet protecteur des UPS constituait l’objectif principal de la présente étude, mais ceci n’a pu être mené à bien de façon aussi approfondie que souhaitable pour plusieurs raisons qui sont discutées ci-après.
Tout d’abord, le nombre de décès observés, même s’il était important, s’est révélé beaucoup plus faible que ce que les calculs de décès attendus, réalisés à partir de données publiées en Ecosse en 1997 (voir le chapitre matériels et méthode) ne laissait présager.
Rappelons qu’au moment où le protocole a été rédigé, aucune donnée de mortalité n’avait été publiée sur la population carcérale française. Les raisons de cet écart entre l’estimation du nombre de décès attendus et celui observé ne sont pas connues des auteurs de ce rapport. Il est possible qu’elles soient liées à des différences de système sanitaire en prison entre la France et l’Ecosse.
De plus, un autre effet ayant un impact sur la puissance statistique de l’étude était le très faible nombre de sujets effectivement passés par les dispositifs UPS (4 %). Pour remédier à cet inconvénient du point de vue de l’évaluation épidémiologique de ces dispositifs, plusieurs points peuvent être discutés :
L’augmentation de la taille de la cohorte : elle serait souhaitable dans une seconde étude plus large et représentative, mais elle ne pouvait être envisagée pour la présente étude :
- inclure les années postérieures à 1997 n’était pas envisageable, les données sur les causes mortalité n’étant disponibles au plus tard que jusqu’en 1998 au moment de l’étude (2001),
- inclure des données sur plusieurs années avant 1997 aurait été très lourd : aucune des données nécessaires à la constitution de la cohorte n’étant informatisée, elles sauraient dû être saisies manuellement.
La mise en oeuvre d’un autre type de design épidémiologique :
- une enquête prospective exposés non-exposés comparant la mortalité des sujets passant par le QIS à celle des sujets n’étant pas passés par le QIS se serait aussi heurtée à des problèmes de puissance statistique compte tenu du taux de mortalité observé (de l’ordre de 2 %). Si l’on fait l’hypothèse d’une mortalité deux fois plus faible dans le groupe « QIS » que dans le groupe « non QIS », la taille de chacun des groupes aurait du être de 1 750 sujets : le nombre cumulé de passages par le QIS à Fresnes est loin d’atteindre ce chiffre. En raison de l’absence d’informatisation au moment de l’étude, la constitution de la base d’échantillonnage aurait été lourde. Ce type d’étude serait peut être envisageable à l’heure actuelle à la condition que plusieurs établissements ayant expérimenté des QIS soient inclus et que les données du greffe soient accessibles par informatique.
- Une étude cas-témoins réalisée dans la sous-cohorte des toxicomanes comparant des cas décédés à des témoins non décédés : elle permettrait de mieux cibler l’étude aux problèmes liés à la toxicomanie mais poserait le problème du repérage préalable du statut vis à vis de l’usage de drogues ; les données recueillies dans la présente enquête travers des dossiers médicaux a montré que l’information recueillie n’est pas toujours fiable : sur 3 décès par overdose, 2 se sont produits chez des sortants n’ayant pas de dossier au SMPR ; les détenus ne déclarent pas toujours qu’ils sont toxicomanes et l’information n’est pas enregistrée de façon systématique et standardisée dans les dossiers.
Dans la présente étude, des données sur les facteurs de risques de la mortalité à la sortie de prison n’ont pu être recueillies qu’à partir des dossiers se trouvant au SMPR de Fresnes, soit pour 17 cas et 130 témoins. Les variables pour lesquelles une information était recherchée pour l’étude des facteurs de risque de la mortalité étaient la toxicodépendance, le statut sérologique vis-à-vis du VIH, du VHB et du VHC, le suivi médical, la substitution et la participation au QIS.
L’information sur ces facteurs colligée dans ces dossiers était incomplète et enregistrée de façon non standardisée. Leur exploitation statistique dans l’objectif de l’étude cas-témoins n’a donc pu être envisagée.
Une analyse a cependant été effectuée concernant la présence d’un dossier au SMPR et la notion de passage par un QIS. Elle a été ajustée sur l’âge et sur la durée de la peine et a montré une association statistiquement significative entre le fait d’être suivi au SMPR et une surmortalité après la sortie de prison, en 1997 et 1998. Cette association est vraisemblablement liée au fait que la population suivie au SMPR est en moins bon état de santé que le reste de la population carcérale. La proportion de détenus toxicomanes au sein des détenus suivis au SMPR n’est pas négligeable non plus (23 % dans l’échantillon de l’étude cas-témoins) même s’il est vraisemblable que des détenus non suivis au SMPR étaient aussi toxicomanes. On manque d’informations pour déterminer si cette population était plus représentée dans la file active du SMPR. On notera que parmi les trois sujets décédés d’une overdose, deux n’avaient pas de dossier au SMPR.
La taille de l’étude et le faible nombre de sujets passés par le QIS n’ont pas permis de vérifier si le passage par le QIS jouait un rôle éventuellement protecteur vis-à-vis de la mortalité à la sortie de prison, notamment par overdose.