Publié le lundi 17 janvier 2005 | http://prison.rezo.net/les-conditions-d-hygiene-et-d/ 1) Les conditions d’hygiène et d’hébergement des mineurs détenus La Convention de New York sur les droits de l’enfant, stipule à l’article 37-3 que « Les Etats parties veillent à ce que tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant (...) » Selon les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté [1], « Les mineurs détenus doivent être logés dans des locaux répondant à toutes les exigences de l’hygiène et la dignité humaine », « séparés des adultes » et ceux « détenus avant jugement devraient être séparés des mineurs condamnés ». L’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante énonce à l’article 11 que « la détention provisoire est effectuée soit dans un quartier spécial de la maison d’arrêt, soit dans un établissement pénitentiaire spécialisé pour mineurs ; les mineurs détenus sont, autant qu’il est possible, soumis à l’isolement de nuit. Les mineurs âgés de treize à seize ans ne peuvent être placés en détention que dans les seuls établissements garantissant un isolement complet d’avec les détenus majeurs (...) ». L’article 20-2 de l’ordonnance dispose que « l’emprisonnement est subi par les mineurs soit dans un quartier spécial d’un établissement pénitentiaire, soit dans un établissement pénitentiaire spécialisé pour mineurs dans les conditions définies par décret en Conseil d’Etat ». Dans sa partie réglementaire, le Code de procédure pénale prévoit qu’il n’y a pas de dérogation possible à l’encellulement individuel (l’ « isolement de nuit ») des détenus âgés de moins de vingt-et-un ans, sinon pour des motifs liés à leur personnalité ou pour raison médicale (article D.516). Force est de constater qu’entre les textes et la réalité persiste un décalage très net, malgré les prises de positions fermes en faveur d’une amélioration des conditions de détention des mineurs émises dans différents rapports parlementaires [2]. Pour la CNCDH, le premier motif de préoccupation réside dans l’absence d’étanchéité entre le « quartier mineurs » et le reste de la détention, observée dans nombre d’établissements. La Commission nationale de suivi de la détention provisoire indique que « l’existence de quartiers de mineurs ne doit pas dissimuler que nombre de mineurs incarcérés sont en réalité confrontés aux adultes. » [3] Cette situation résulte d’abord de l’architecture des maisons d’arrêt concernées, qui n’ont pas, pour la plupart, été conçues pour recevoir cette catégorie de détenus. Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs relève notamment qu’« Il est fréquent que le "quartier mineurs" se limite à quelques cellules isolées du reste de la détention par une grille » [4]. Même dans le cas où le quartier mineurs occupe intégralement un ou plusieurs étages, les possibilités de communication demeurent étendues. Ainsi, par l’utilisation du « yo-yo » [5] d’un étage à un autre, tous types d’échanges peuvent prospérer. Le CPT s’en est du reste ému à l’occasion de sa dernière visite en France [6]. De même, lorsque les quartiers des mineurs et ceux des majeurs se font face, il est illusoire de croire que l’étanchéité prévue dans les textes peut être garantie, avec tous les phénomènes de contagion ou de mimétisme que cela induit. Le cas des jeunes filles mineures incarcérées est à cet égard particulièrement problématique. Selon le principe énoncé à la règle 26.4 des Règles de Beijing [7], tout doit être mis en œuvre pour qu’en aucun cas, « l’aide, la protection, l’assistance, le traitement et la formation dont bénéficient » les mineures privées de libertés ne « soient inférieures à ceux dont bénéficient les jeunes délinquants. Un traitement équitable doit leur être assuré ». Or ces jeunes filles, certes considérablement moins nombreuses que les garçons, sont systématiquement détenues dans les mêmes locaux que les majeures. En ce qui les concerne, la Commission de suivi de la détention provisoire relève que, « en dépit de quelques attentions particulières, sans doute, [elles] ne peuvent que se voir appliquer le régime attaché aux détenues majeures, en dépit de consignes officielles inverses. On ne manquera pas de dire que leur nombre est considérablement moins élevé et que leur détention au milieu des majeures pose moins de difficultés que l’insertion de mineurs parmi les majeurs (hommes). Mais ces explications n’en sont pas. Ou plutôt, elles ne peuvent être que l’alibi de l’impuissance à trouver une solution satisfaisante. Il n’est guère acceptable que les jeunes détenues ne trouvent pas dans les établissements pénitentiaires les possibilités offertes aux jeunes hommes, notamment en termes d’éducation ou de réinsertion sociale. » [8] Certaines pratiques de gestion de la détention contribuent également au développement des contacts entre les adolescents et leurs aînés. Il n’est pas rare en effet que des jeunes majeurs se trouvent affectés dans des quartiers réservés aux mineurs que ce soit pour suivre une formation dispensée exclusivement dans ce quartier ou pour contribuer à apaiser les tensions qui y règnent. D’autre part, dans certains établissements, les mineurs qui viennent d’être écroués sont placés au « quartier arrivants » pour quelques jours, alors que les cellules contiguës sont occupées par des adultes. Enfin, doivent être mentionnés en dépit de leur caractère très exceptionnel les cas où, pour cause de surpeuplement du « quartier mineurs », des adolescents de plus de seize ans se trouvent temporairement affectés dans des cellules situées au sein du « quartier adultes ». Le rapport du Sénat précité note en outre que, « D’une manière générale, les déplacements de détenus au sein des établissements permettent difficilement d’éviter les contacts entre majeurs et mineurs ». Tel est le cas par exemple durant les temps d’attente avant un parloir ou une consultation médicale. D’autre part, le quartier disciplinaire est le plus souvent commun aux majeurs et aux mineurs. Pour la Commission de suivi de la détention provisoire, « il est regrettable d’avoir à rappeler que la France se singularise sur ce point en Europe. Dans tous les pays comparables, les enfants sont séparés radicalement des adultes (...) Le caractère ancien de cette situation ne l’excuse pas. La séparation entre mineurs et majeurs doit être un impératif immédiat du régime de détention provisoire » [9]. La CNCDH partage entièrement cette conviction. Elle observe, à la suite du CPT, qu’« héberger ensemble des mineurs et des adultes (...) entraîne inévitablement un risque de domination et d’exploitation. » [10] Dans nombre de situations locales, les pratiques pénitentiaires laissent perdurer des contacts entre mineurs prévenus et condamnés. Pour la majorité d’entre eux, les jeunes placés en détention provisoire et d’autres définitivement jugés se retrouvent affectés dans un même quartier d’une maison d’arrêt voire dans une même cellule. Cette cohabitation de différentes catégories pénales est contraire aux dispositions du Code de procédure pénale qui prévoient qu’elles ne relèvent pas du même régime de détention [11] De plus, cet état de fait induit pour les mineurs condamnés qu’ils ne peuvent bénéficier du régime de détention en vigueur dans les centres de détention, orienté vers l’objectif de réinsertion sociale. En effet, leur maintien en maisons d’arrêt n’autorise pas les mesures de resocialisation et de préparation à la sortie les plus volontaristes et les plus dynamiques. En outre, il est pour le moins paradoxal de faire subir aux mineurs condamnés qui sont détenus en maisons d’arrêt le régime plus rigoureux de la détention provisoire et de les priver des conditions de détention offertes aux condamnés majeurs. Des entorses au principe de l’encellulement individuel des mineurs sont également parfois constatés. Cependant, la baisse importante des effectifs de mineurs détenus entre 2002 et 2004 [12] dont il y a tout lieu de se féliciter, a limité le phénomène, même si certains « quartiers mineurs » connaissent encore des situations de surpopulation ponctuelles, entraînant le doublement des cellules des intéressés. Comme le note la Commission de suivi de la détention provisoire, « la situation quantitative des hébergements [des mineurs] n’appelle aucune remarque particulière » [13] En revanche, tel n’est pas le cas s’agissant de la configuration et l’état matériel des locaux. De ce point de vue, les règles des Nations Unies précitées énoncent que « La conception des établissements pour mineurs et l’environnement physique doivent être conformes à l’objectif de réadaptation assigné au traitement des mineurs détenus, compte dûment tenu du besoin d’intimité des mineurs et de leur besoin de stimulants sensoriels, tout en leur offrant des possibilités d’association avec leurs semblables et en leur permettant de se livrer à des activités sportives, d’exercice physique et de loisirs. » Le CPT considère de son côté que, en plus d’ « être de dimensions adaptées, disposer d’un bon éclairage et d’une bonne aération, les chambres et lieux de vie des mineurs devraient être correctement meublés, bien décorés, et offrir une stimulation visuelle appropriée. » [14] Même si quelques progrès ont été réalisés par endroits, les « quartiers mineurs » sont pour la plupart très loin de répondre à ces standards. Certains sont mêmes particulièrement dégradés voire insalubres, qu’il s’agisse des cellules ou des locaux à usage collectif, en particulier les douches. La Commission de suivi de la détention provisoire notait en juin 2004 que, « Même dans des établissements récents, (...) les cellules ne réussissent pas à apparaître seulement propres. Peintures jaunes sales, sanitaire de médiocre qualité, murs nus et absence de matérialisation de quelque espace personnel que ce soit, humidité sont leur marque. Dans les établissements plus anciens, l’état des espaces collectifs est encore plus médiocre. Sur ces points, préoccupants, rien de sensible n’a été fait depuis les alarmes récentes des commissions parlementaires » [15]. La Défenseure des Enfants avait auparavant affirmé, en 2001 : « les enjeux d’équipements sont majeurs. Des modifications importantes sont indispensables, tant l’accueil des mineurs se fait dans des locaux vétustes, sales, exigus, inadaptés (par exemple, un quartier de mineur coincé entre le quartier d’isolement et les cellules disciplinaires). » [16] Dans son rapport 2004 qui porte sur les mêmes thèmes, la Défenseure des enfants insiste à nouveau sur ces points qui demeurent préoccupants. Pour faire face à ces problèmes persistants, la loi du 9 septembre 2002 a prévu la création d’établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs (EPM). Il s’agit d’établissements autonomes qui garantissent une séparation complète des mineurs détenus d’avec les majeurs. Le Gouvernement a entrepris de construire sept établissements de ce type, qui devraient être livrés à partir de la fin de l’année 2006. Ces nouvelles prisons seront situées à proximité des grandes agglomérations [17], dans le souci d’assurer le maintien des liens familiaux. Chacun de ces établissements est destiné à accueillir 60 mineurs au maximum. Les secteurs d’hébergement seront organisés en unités - isolées les unes des autres - d’une dizaine de cellules. L’une d’entre-elles, de taille plus réduite, sera destinée à l’accueil des jeunes filles. La CNCDH accueille favorablement le principe d’établissements spécialisés pour mineurs qui représentent sans aucun doute une avancée au regard de la situation existante. Elle constate avec satisfaction que ceux-ci répondent aux recommandations du CPT, pour qui « tous les mineurs privés de liberté, prévenus ou condamnés pour une infraction pénale, devraient être incarcérés dans des centres de détention spécialement conçus pour des personnes de cet âge, offrant des régimes de détention adaptés à leurs besoins et possédant un personnel formé au travail avec les jeunes. » [18] Toutefois, elle observe que l’indétermination quant à la place qu’occuperont ces établissements au sein de la carte pénitentiaire française suscite certaines inquiétudes. La CNCDH souhaite que ces établissements soient répartis sur l’ensemble du territoire afin d’assurer le maintien des liens familiaux. Des aspects importants de l’organisation de la détention en leur sein demeurent également indéfinis. Une fois le programme de construction mené à terme, ce sont 420 nouvelles places destinées aux mineurs détenus qui seront ouvertes. Le sort qui sera réservé aux « quartiers mineurs » existants est encore aujourd’hui incertain. Il a été annoncé qu’un certain nombre d’entre-eux seraient rénovés et que d’autres seraient fermés [19]. D’après les informations qui ont été données à la CNCDH par les représentants de la Chancellerie, le nombre des places qui seront abandonnées n’est pas encore définitivement fixé. La CNCDH ne peut manquer de s’interroger sur l’augmentation du nombre de places pour mineurs à laquelle devrait aboutir la mise en œuvre de ce programme de construction d’établissement. Pour la Commission de suivi de la détention provisoire, « une majorité de quartiers de mineurs actuels subsisteront. Le principe de cette croissance [du nombre de places] mérite d’être questionné. Si une substitution partielle devait être logiquement opérée entre prison et centres éducatifs fermés, au profit de ces derniers, on peut se demander, alors que les quartiers de mineurs ne sont pas aujourd’hui en surpopulation, si l’excès de places, ou bien resterait inutile, ou bien n’encouragerait pas les magistrats à recourir, plus volontiers qu’ils ne font aujourd’hui, à la détention provisoire des mineurs. Ou, pour faire simple, ne peut-on s’interroger sur la cohérence entre la construction des 600 places de centres éducatifs fermés et les 420 places d’établissements pénitentiaires pour mineurs ? » [20] En effet, quelles que soient les avancées promises par ces établissements en termes de conditions de détention et de prise en charge éducative, il importe de ne pas perdre de vue que l’incarcération des mineurs doit « n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible », ainsi que le prescrit l’article 37-b de la Convention relative aux droits de l’Enfant. La Défenseure des Enfants a d’ailleurs rappelé en 2001« la nécessité impérieuse de maintenir une justice adaptée à la spécificité des enfants, de combattre l’inflation carcérale des mineurs, de développer pour les enfants les alternatives à l’incarcération » [21]. L’année suivante, elle affirmait que « l’incarcération des mineurs doit rester exceptionnelle et la priorité doit être donnée à l’éducatif (...) L’importance des taux de récidive à la suite des incarcérations de mineurs impose le développement des moyens nécessaires à une action éducative de qualité et la recherche de solutions alternatives à l’emprisonnement. » [22] Dans son rapport 2004 qui porte sur les mêmes thèmes, la Défenseure des enfants insiste à nouveau sur ces manques. Par ailleurs, la proportion de mineurs en détention provisoire (près de 66%) pose question. D’autre part, les principes qui ont présidé à la création de ces nouveaux établissements, en particulier l’impératif d’une stricte séparation des détenus mineurs et adultes, n’autorisent pas que l’on se satisfasse d’une simple réfection matérielle des quartiers de mineurs existants dans les maisons d’arrêt. Le plus souvent, la conception architecturale de ces établissements n’est tout simplement pas adaptée à l’accueil des mineurs, que l’on considère la proximité de la détention des adultes ou l’absence d’espace suffisant pour le déroulement de l’enseignement scolaire ou des activités socio-éducatives, culturelles et sportives, de même que pour les visites. Pour ce qui est du fonctionnement à venir des EPM, le cahier des charges laisse en suspens la question de savoir si prévenus et condamnés cohabiteront ou si des unités seront réservées à chaque catégorie de détenus ou encore si certains EPM constitueront des établissements pour peines tels qu’il en existe pour les majeurs. Cette lacune mérite d’être comblée au plus vite compte tenu de l’importance de la question à de multiples égards, notamment en termes de gestion des effectifs de détenus au plan national ou de l’organisation de l’enseignement et de la formation. Proposition 1 La CNCDH exprime sa satisfaction quant à la mise en place d’établissements réservés exclusivement aux mineurs. Elle recommande au Gouvernement de tenir compte, dans la fixation de l’étendue du parc pénitentiaire, des capacités d’accueil des Centres éducatifs fermés et de ne pas accroître le nombre de places destinées aux mineurs en détention. Elle estime que l’abandon des anciennes structures s’impose dès lors que les conditions d’accueil des mineurs définies au plan international ne sont pas assurées. Elle demande l’application de la loi en ce qui concerne la séparation stricte des mineurs et des majeurs, ainsi qu’en ce qui concerne l’encellulement individuel. [1] Adoptées par l’Assemblée générale dans sa résolution 45/13 du 14 décembre 1990 [2] Assemblée nationale, La France face à ses prisons, juin 2000 ; Sénat, Prisons : une humiliation pour la République, juin 2000 ; La République en quête de respect, 26 juin 2002 [3] Rapport de la Commission nationale de suivi de la détention provisoire, juin 2004, p.87 [4] Sénat, La République en quête de respect, p.156 [5] Cordelette de confection artisanale employée pour transmettre des objets de cellule en cellule [6] Rapport au gouvernement relatif à la visite du CPT effectuée du 11 au 17 juin 2003 [7] Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs, adopté par l’Assemblée générale le 29 novembre 1985 [8] Rapport de la Commission nationale de suivi de la détention provisoire, juin 2004, p.86 [9] Rapport de la Commission nationale de suivi de la détention provisoire, juin 2004, p.87 [10] CPT, 9ème Rapport général d’activités, Mineurs privés de liberté, 1998, p.13 [11] Parmi les 751 mineurs détenus au 1er juillet 2004, 487 (64,8 %) étaient prévenus et 264 condamnés. La proportion de prévenus est en baisse : 67,2 % en juillet 2003, 69 % en 2002, 69,25 % en 2001 [12] Au 1er octobre 2004, 579 mineurs étaient détenus. Ils étaient 667 en octobre 2003 et 690 en octobre 2002. Voir annexe [13] Rapport de la Commission nationale de suivi de la détention provisoire, juin 2004, p.85 [14] CPT, 9ème Rapport général d’activités, Mineurs privés de liberté, 1998, p.14 [15] Rapport de la Commission nationale de suivi de la détention provisoire, juin 2004, p.85 [16] Rapport du Défenseur des enfants, 2001, p.64 [17] Respectivement à Quievrechain (Valenciennes), Chauconin (près de Meaux, Seine et-Marne), Meyzieu (Lyon), Lavaur (Tarn), Porcheville (Yvelines), Orvault (près de Nantes) et Marseille [18] CPT, 9ème Rapport général d’activités, Mineurs privés de liberté, 1998, p.14 [19] Le secrétaire d’Etat aux programmes immobiliers de la Justice avait annoncé que 200 places seraient fermées en raison de leur vétusté [20] Rapport de la Commission nationale de suivi de la détention provisoire, juin 2004, p.98 [21] Rapport du Défenseur des Enfants, 2001, p.63 [22] Avis du Défenseur des Enfants du 8 juillet 2002 |