Publié le mardi 18 janvier 2005 | http://prison.rezo.net/la-protection-de-l-integrite/ 2) La protection de l’intégrité physique et psychologique des mineurs détenus Les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté précisent que « les mineurs doivent être détenus dans des conditions (...) qui les protègent des influences néfastes et des situations à risques. » [1]. Les quartiers de mineurs sont notoirement le théâtre de violences importantes. Dans son rapport de 2001, la Défenseure des Enfants notait que « les quartiers de mineurs sont considérés comme de véritables poudrières. » [2]. Il est un fait que de nombreux mineurs détenus présentent des troubles majeurs du comportement. Une étude sur la santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus réalisée en 2001 [3] montre que les mineurs sont sur-représentés (40%) parmi les détenus souffrant de troubles émotionnels et comportementaux apparus durant l’enfance. Des adolescents très perturbés se retrouvent ainsi regroupés en détention, parmi lesquels certains manifestent des comportements violents spectaculaires. Selon le Dr Michel, psychiatre dans un établissement recevant des mineurs, des détenus « s’installent dans la confrontation, qui peut aboutir à la mise en danger d’eux-mêmes ou de l’entourage. Certains font de chaque désagrément une « affaire de principe ». Leur sentiment de devoir défendre leur crédibilité en toute occasion les pousse à faire monter la pression crescendo, au point de devenir parfois dangereux. »[Dedans dehors, OIP, n°28, novembre 2001, p.13]]. A côté de réactions brutales individuelles, les violences collectives sont nombreuses. Ces violences de groupe sont généralement du même type que celles qui ont cours hors les murs, lesquelles sont d’ailleurs très souvent à l’origine de l’incarcération des intéressés. C’est ainsi que des bandes existantes à l’extérieur se reconstituent fréquemment derrière les murs, en fonction ordinairement d’un critère d’appartenance géographique. Elles peuvent s’en prendre à des jeunes isolés et originaires d’autres quartiers ou localités, sous forme, par exemple, de racket ou d’agressions physiques à répétition. Pour le Dr Michel, « Il y a le mystère des nouvelles générations de "banlieusards". Ils considèrent le passage en prison comme une sorte de rite initiatique et vivent beaucoup plus que les autres "la tête à l’extérieur". Ils situent leur recherche identitaire dans une sorte de déviance à la loi et peuvent être extrêmement violents en groupe. (...) Les plus âgés (au-delà de trente ans), parmi lesquels des caïds, sont effrayés par ces jeunes "incontrôlables" » [4]. Face à cette violence, certains mineurs vivent autant que possible reclus en cellule pour éviter la confrontation avec ces bandes. L’arrivée simultanée de quatre ou cinq jeunes gens peut faire ainsi basculer une situation maîtrisée jusque-là en apparence. Le niveau de violence observable au sein des quartiers de mineurs dépend en tout premier lieu des effectifs accueillis. La mise en place de très petites structures contribue à le réduire nettement. A l’inverse une sur-occupation du quartier aggrave considérablement le phénomène, le groupe devenant alors « ingérable », selon les personnels et les intervenants extérieurs. L’affectation de plusieurs jeunes dans une même cellule est de ce point de vue particulièrement problématique. Outre les graves problèmes qu’elle pose au regard du droit au respect de la dignité, déjà soulignés supra, cette promiscuité suscite entre jeunes des jeux d’influences sans aucun doute néfastes au développement de leur personnalité et compromet leur sécurité. L’obligation générale de sécurité vis-à-vis des personnes incarcérées doit être particulièrement garantie aux mineurs, pour leur sécurité personnelle et la prévention des actes de violences entre mineurs détenus. Elle reste encore insuffisante, bien que, en plusieurs endroits, des efforts manifestes soient menés. Le juge administratif a, du reste, considéré que l’affectation de trois jeunes de moins de vingt et un ans dans la même cellule créait un « risque spécial » d’atteinte à leur intégrité physique [5]. De plus, cet encombrement contraint l’administration à diminuer le temps d’enseignement et d’activités par mineurs pour pouvoir constituer des petits groupes. Sur ces questions, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies « recommande en particulier aux Etats parties d’examiner d’urgence la nécessité de mettre en place des garanties appropriées pour veiller à la sécurité, à la protection et à la réadaptation des enfants placés en détention, notamment en prenant des mesures visant par exemple à imposer des restrictions strictes de la durée de la détention avant jugement, ce qui permettrait de réduire le nombre d’enfants incarcérés » [6]. Les qualités professionnelles des personnels pénitentiaires qui interviennent auprès des mineurs jouent également un rôle déterminant dans la régulation des tensions, au travers notamment de la manière dont sont gérés les incidents. Pour le CPT, « la surveillance et le traitement des mineurs privés de liberté sont des tâches particulièrement exigeantes. Le personnel appelé à de telles tâches devrait être recruté avec soin pour sa maturité et sa capacité à relever les défis que constituent le travail avec - et la préservation du bien-être de - ce groupe d’âge. Il devrait notamment être personnellement motivé pour le travail avec des jeunes, et être capable de guider et de stimuler les mineurs dont il a la charge. L’ensemble de ce personnel, y compris celui affecté uniquement à des tâches de surveillance, devrait recevoir une formation professionnelle tant initiale que continue, et bénéficier d’une supervision et d’un soutien extérieurs appropriés dans l’exercice de ses fonctions. » Les Règles des Nations Unies du 14 décembre 1990 posent également le principe d’un perfectionnement professionnel périodique à l’endroit des agents affectés dans les quartiers de mineurs. [7] La CNCDH juge bienvenue la publication par l’administration pénitentiaire, fin 2001, d’un guide du travail auprès des mineurs en détention. Elle note avec intérêt le fait que les surveillants des quartiers de mineurs sont souvent volontaires pour cette mission et affectés à titre permanent. Une formation spécialisée de six semaines est prévue à leur endroit, dispensée par l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire. Toutefois, la Commission de suivi de la détention provisoire en 2004, relève que « Cette formation est loin d’avoir été donnée à tous, alors que tous en réclament le bénéfice. A cet égard, l’administration pénitentiaire, confrontée à des difficultés de gestion évidentes, doit pourtant veiller à cet aspect des choses, comme à développer, peut-être de manière moins formelle, dans les directions régionales, les échanges d’expériences entre agents chargés de quartiers de mineurs. » [8] Il n’est pas rare non plus qu’une situation de sous-effectif temporaire en personnels soit compensée par une affectation en nombre de surveillants stagiaires dans les quartiers de mineurs. Un véritable programme de ressources humaines doit être mis en œuvre, incluant le cas échéant un système de primes, pour assurer une stabilité des équipes présentes auprès des jeunes détenus. La Défenseure des Enfants appelait en 2001 et à nouveau en 2004 l’administration à « soutenir la création de postes de surveillants spécialisés, formés au contact des mineurs ». Les personnels d’encadrement et de direction devraient également obligatoirement suivre une formation spécialisée. L’importance des actes auto-agressifs chez les mineurs détenus constitue également un sujet particulièrement préoccupant. Selon le rapport du Professeur Terra, « le taux de suicide [en milieu pénitentiaire] croît avec l’âge mais le taux des moins de 18 ans est élevé alors qu’il est faible en population générale soit, en 1999 de 7,5 pour 100 000 habitants. Pour cette tranche d’âge, le taux de suicide en détention [18,2 pour 10 000] est plus de 20 fois supérieur au taux moyen de cette tranche d’âge. Mais nous ne disposons pas de données sur le taux de suicide pour des sujets de cet âge et porteurs des mêmes facteurs de risque que ceux qui sont détenus en France. De ce fait, il n’est pas possible d’apprécier l’ampleur exacte du caractère suicidogène de la détention » [9]. Proposition 2 Pour faire face à ces phénomènes de violences, qu’il s’agisse des violences contre autrui ou contre soi, la CNCDH préconise une limitation de la taille des unités accueillant les mineurs incarcérés. Elle souhaite des restrictions du recours à la détention provisoire. Elle réitère fermement, ici, sa recommandation tendant au strict respect du principe de l’encellulement individuel des détenus. Elle estime indispensable qu’une formation spécialisée conséquente, initiale et continue, soit dispensée à l’ensemble des fonctionnaires concernés par l’accueil des mineurs en détention. Cette formation devra impérativement comporter une préparation à l’intervention de crise suicidaire. La CNCDH recommande également que, lors de leur arrivée en détention, tous les mineurs aient systématiquement un entretien avec un médecin psychiatre, et non pas seulement avec un infirmier psychiatrique. Les services médicaux des établissements accueillant des mineurs devraient comprendre des psychiatres spécialisés dans l’adolescence. La CNCDH demande qu’une étude comparative soit réalisée pour mesurer précisément les spécificités du phénomène de suicide des mineurs détenus. [1] Les Règles disposent également que la structure des installations doit réduire les risques d’incendies [2] Rapport du Défenseur des Enfants, 2001, p.64 [3] La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus accueillis par les services médico-psychologiques régionaux, Etudes et résultats, DRESS, juillet 2002 [4] Dedans dehors, OIP, n°28, novembre 2001, p.14 [5] TA Versailles, 18 mai 2004, Zaouiya c/ministre de la Justice [6] Débat général sur la « violence d’Etat contre les enfants », septembre 2000 [7] Article 85 [8] Rapport de la Commission nationale de suivi de la détention provisoire, juin 2004, p.86 [9] J-L Terra, Rapport de mission sur la prévention du suicide des personnes détenues, décembre 2003, p.34 |