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(2002) Entrée du phénomène de la toxicomanie en prison

Strasbourg, le 13 février 2002
CPT (2002) 13
COMITE EUROPEEN POUR LA PREVENTION
DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS
INHUMAINS OU DEGRADANTS
(CPT)
L’ENTREE DU PHENOMENE DE LA TOXICOMANIE
DANS LES PRISONS

Document préparé par M. Mario BENDETTINI

L’objectif de ces notes est de fournir un instrument aux membres du Comité afin de se représenter le phénomène des drogues et de la toxicomanie en prison pour déterminer et esquisser, de façon toujours plus précise, les relations violentes, dégradantes et inhumaines entre les composants du groupe institutionnel et du groupe déviant et au sein même de ces groupes.
Lorsque le phénomène de la toxicomanie est apparu, la culture carcérale a eu beaucoup de mal à accepter le détenu toxicomane. Ce dernier a toujours été considéré, surtout de la part de la criminalité organisée, comme quelqu’un en qui on ne pouvait avoir confiance et qui pouvait facilement être victime de chantage. Pour le personnel de surveillance et le personnel de santé, le toxicomane était gênant, car il exigeait davantage d’interventions.
Depuis quelques années, toutefois, le nombre de détenus toxicomanes est devenu si élevé que la culture carcérale a changé ; on est passé d’un système d’exclusion à un système de contrôle à l’intérieur même des prisons.
Le SIDA a cependant contribué à réactiver le conflit, car le détenu toxicomane et séropositif est perçu également comme une menace directe pour la santé. C’est ainsi qu’il y a des refus de cohabiter avec un séropositif dans une même cellule ; des épisodes de discrimination dans la vie en prison ; un usage excessif de précautions de la part des agents dû à des préoccupations irrationnelles, elles-mêmes dues à des croyances erronées sur la transmission du virus (par la sueur ou l’utilisation de la même vaisselle) ; la non affectation à certaines tâches à l’intérieur de la prison (par exemple celles qui ont trait à la cuisine) ; le sentiment qu’ont les autres détenus à l’égard des séropositifs, perçus comme des privilégiés auxquels on réserve un traitement de faveur.
Quelques chiffres :
- Dans certains pays européens, le pourcentage de toxicomanes en prison représente entre 30 % et 35% de la population carcérale.
- D’après une enquête portant sur 25 prisons européennes, 7 % des détenus toxicomanes auraient commencé à se faire des injections en prison.
Le phénomène de la toxicomanie comprend un ensemble de trois facteurs :
1. la substance (aspect pharmacologique) ;
2. le consommateur (aspect psychologique) ;
3. l’environnement social dans lequel la rencontre entre substance et consommateur se réalise, ce qui englobe toutes les expressions relationnelles (aspect sociologique).

SUBSTANCE
Chaque substance présente :
—des caractéristiques (poudre, cristaux, feuilles, fleurs séchées et hachées, résine, pastilles etc.) ;
—des modalités de consommation (fumée ou inhalée, par piqûre intramusculaire ou intraveineuse, par voie orale) ;
—des effets pharmacologiques (euphorie, analgésie, excitation, confusion et troubles sensoriels, désorganisation cérébrale, hallucinations etc.) ;
—des symptômes toxiques et comportementaux différents (dépression, agressivité, violence, paranoïa, tendances suicidaires etc.).
Quelles sont les substances qui circulent à l’intérieur de la prison ? (héroïne, cocaïne, hachich, crack, LSD etc.).
Quel usage est-il fait des psycholeptiques ? (benzodiazépines, barbituriques etc.).
Existe-t-il un abus d’alcool et un usage de drogues ou de psycholeptiques associé à l’alcool ?
La substance est-elle prise de façon isolée ou en groupe ?
A quel moment de la journée est-elle consommée : le matin, l’après-midi, le soir, la nuit.
Dans quel but ?
- pour diminuer l’anxiété
- pour procurer une détente
- pour atténuer l’ennui
- pour soulager la douleur
- pour augmenter la force, la résistance, le courage
- pour fuir la réalité
- pour imiter et appartenir au groupe
Quelles sont les stratégies utilisées en prison pour se droguer ?(ex : le tube de recharge d’encre en plastique des stylos Bic utilisé comme seringue). Existe-t-il des rituels ?
Existe-t-il des statistiques et des études épidémiologiques sur le phénomène des drogues en prison ?

LE DETENU TOXICOMANE
Il n’existe pas un type de toxicomane, mais plusieurs.
Quelques éléments pour parvenir à différencier un toxicomane d’un autre :
- âge du sujet ;
- type de substance(s) et incidence sur le comportement ;
- années de consommation ;
- quantité et fréquence (quotidienne, hebdomadaire, mensuelle) ;
- usage individuel ou à plusieurs ;
- nombre et modalités des désintoxications ;
- nombre d’overdoses et en quelles circonstances ;
- tentatives de suicide.
Aspect criminologique
- La délinquance a-t-elle eu lieu avant ou après la toxicomanie ?
Cette différenciation permet de mettre en évidence le niveau de dangerosité du sujet.
- typologie du délit ou des délits commis ;
- appartenance à des bandes ou à des organisations criminelles.

QUELQUES EXPERIENCES...
La prison peut être vécue par le toxicomane comme un moment de stagnation, l’interruption d’une vie pénible et marginale qui a perdu tous ses points de repère. Ceci ne signifie pas que la détention est souhaitée par le toxicomane.
—Pour certains toxicomanes, l’expérience de l’emprisonnement surtout la première fois, est un moment de prise de conscience du problème et de son état, une occasion qui peut être utilisée pour commencer à penser au changement.
—Après la première fois, l’expérience peut causer moins de crainte. Le toxicomane connaît déjà le lieu et ses règles. Il est devenu plus expert quant aux procédures lui permettant d’obtenir des mesures alternatives à la détention.

MILIEU CARCERAL
Le milieu carcéral impose les mêmes exigences que le milieu social :
1) limiter l’entrée des drogues en prison (types de contrôle...) ;
2) sanctionner les trafiquants et ceux qui font usage de drogues (lesquelles et de quelle nature) ;
3) mettre en place des programmes thérapeutiques d’aide aux toxicomanes (détention atténuée etc.) ;
4) prévenir grâce à des programmes.
Quelques catégories pour mettre en évidence des aspects et situations différentes
Contextes :
Chaque contexte présentera des particularités.
- La prison pour hommes
- La prison pour femmes
- La prison pour mineurs
- La prison pour militaires
Type de détention :
- détention préventive
- détention sur du court, moyen et long terme
Origine des détenus :
- concitoyens
- étrangers
Dimension :
- individuelle
- en groupe
Quelques états d’âme de la vie quotidienne en prison :
- peur des autres détenus, des agents de surveillance, des maladies infectieuses (Sida etc.), d’être victime de rétorsions, de violences physiques et sexuelles.
- impuissance
- ennui
- isolement, solitude, refus
- douleur (essentiellement psychique)
- inactivité
- non-sens

QUELQUES MOMENTS DE LA VIE CARCERALE
• ENTREE
—Quels agents pénitentiaires le toxicomane rencontre-t-il à son arrivée ?
—médecin
—psychologue
—assistante sociale
—éducateur
—autres ?
—Analyses de laboratoire
—Quelles sont les analyses effectuées ?
—Les tests Hiv, hépatites B et C sont-ils effectués ? Sont-ils volontaires ou obligatoires ? Le droit à la vie privée est-il sauvegardé ?
—Des examens d’urine sont-ils effectués pour la recherche de stupéfiants ?
Existe-t-il des protocoles ?
—Existe-t-il des liens (et des interventions en prison) avec des intervenants spécialisés du secteur de la toxicomanie travaillant dans la région ?
—Y a-t-il des hospitalisations ?
Quelques problèmes de santé d’un toxicomane
—Abstinence
Prescriptions médicales :
• Quels sont les traitements prescrits pour compenser l’état
d’abstinence
• Existe-t-il des prescriptions de substances de remplacement, comme la méthadone, pour un traitement progressif ou pour une cure de maintien ?
• Utilise-t-on des substances antagonistes, comme naltrexone, naloxone ?
• Procède-t-on à des examens d’urine ?
• L’accès au traitement et son suivi sont-ils difficiles ?
—Overdose
—Séropositivité
—HIV
—SIDA déclaré
—Hépatites (B, C)
—Troubles psychiatriques (co-morbidité)
—Affections dentaires
—Maladies de la peau
—Complications materno-fœtales
—Etc.
Prévention et éducation médicales
—Cours de formation et de perfectionnement pour les agents pénitentiaires et pour les détenus ;
—Diffusion de documents, campagnes publicitaires pour faire circuler les connaissances et les informations :
- sur les mesures nécessaires afin d’éviter la transmission des maladies infectieuses ;
- pour réussir à gérer les situations d’urgence.
—Stratégies de réduction du dommage (par exemple : distribution de seringues jetables, de préservatifs, etc.).
Questions ouvertes
La santé pénitentiaire doit-elle relever de la compétence du Ministère de la Justice ou du Ministère de la Santé ?
Quels sont les avantages, les solutions, les problèmes, etc.
• SECTION
—Où est-il placé ?
- avec les autres détenus
- dans une section à part
- en isolement (s’il est séropositif)
—Détention atténuée
Existe-t-il une section ayant mis en place un programme thérapeutique de réhabilitation ?
- Quelles en sont les modalités d’accès et quelles sont les conditions requises ?
• ACTIVITES ET SOCIABILITE
Quels sont les problèmes qui se posent ? Exclusions, discriminations.
Existe-t-il des activités particulières, des cours spécifiques ?
Quel type de relation existe-t-il avec :
• La famille, le compagnon
• La police judiciaire (gardiens)
• Les éducateurs, assistantes sociales, psychologues
• Les enseignants et volontaires etc.
• Les détenus
• Le personnel médical

VIOLENCE
• COMPORTEMENTS VIOLENTS
— pour se procurer la substance
—suite à la consommation de substance
—par réaction à son état de séropositivité, le détenu utilise la peur des autres face au SIDA (détenus, gardiens, intervenants divers) et les menace de son sang.
o automutilation
o tentatives de suicide
o suicides
o comportements violents :
- entre toxicomane et détenus comme victime ou comme acteur violent
- entre toxicomane et gardiens en crise d’abstinence, le toxicomane peut adopter une attitude provocatrice et violente pour obtenir les soins et
les médicaments qu’il réclame ; le plus souvent, dans ce cas-là, les gardiens emploient la force.
- entre toxicomane et intervenants
Feindre de ne pas comprendre, se mettre en colère contre la lenteur des solutions apportées, tenter d’impliquer tout le monde (la famille, les avocats, les bénévoles), hurler, effrayer, presser.
Ou bien
Jouer les séducteurs, embrouiller son interlocuteur, jouer les “pauvres victimes” pour susciter la compassion.
Susciter la colère de l’intervenant.
- entre toxicomane et Direction
Type de demandes et de réponses apportées par la Direction.
• DECES
Mort par overdose : en prison (due à la qualité de la substance) ou à l’extérieur, en général, la première semaine après la sortie.
• DROGUE ET SUBCULTURE
La population détenue est une réalité unique et compacte, mais uniquement lorsqu’on l’oppose à la réalité institutionnelle car à l’intérieur, elle est divisée, fractionnée et constituée d’individus isolés et de groupes (de type spontané et de type organisé). Chaque groupe est à la recherche de son propre espace, de son territoire. Il existe au sein de ces groupes toute une hiérarchie et à l’intérieur comme à l’extérieur de chacun d’eux, des rapports de force, de prédominance, de pouvoir et de sujétion. Les règles qui caractérisent ces groupes sont archaïques, violentes, dures, impitoyables et cruelles.
Quelques types de groupes :
- groupe local
- groupe d’étrangers
- groupe ethnique
- bandes
- mafia
Quel lien y a-t-il entre drogue et POUVOIR.
Combien de POUVOIRS coexistent en prison ?
POUVOIR MANIFESTE
- pouvoir institutionnel (autorité judiciaire, direction
carcérale, autorité des gardiens).
POUVOIR OCCULTE
- pouvoir des subcultures des détenus
- pouvoir divisé dans la prison en territoires ou zones de domination connues et reconnues par tous les détenus.
- abus de pouvoir de la direction et des gardiens.
- connivence et accord tacite entre pouvoir manifeste et pouvoir occulte.
• TRAFIC DE STUPEFIANTS
- Qui sont les trafiquants ? (détenus, gardiens, autres intervenants pénitentiaires ?)
- Le trafic suppose une ou plusieurs organisations ? Quels sont les intérêts ?
- Quelles sont les règles à l’intérieur de l’organisation et entre les organisations ?
- De quel type de pouvoir dispose celui qui contrôle le trafic de la drogue ?
Quelles sont les conséquences pour les transgresseurs ?
- Que doit faire ou à quoi doit se soumettre le détenu toxicomane qui recherche de la drogue ? Quel est le prix à payer et de quelle façon ? (en argent, en nature, en échange de quelle faveur, de quel service ou de quelle prestation etc.).
- Comment la drogue entre-t-elle ? A travers quels canaux ?
1. entretiens avec la famille (par un baiser)
2. gardiens
3. détenus rentrant de permission
4. colis, objets, vêtements
5. lancée au moyen d’un lance-pierres
6. à l’intérieur de son propre corps
- Quelles sont les techniques et le type d’interventions
adoptées par l’Institution pour contrôler et empêcher l’entrée des drogues en prison ?
• SANCTIONS DISCIPLINAIRES
- Existe-t-il des sanctions pour ceux qui font usage de drogue ou qui trafiquent ? Lesquelles ?
- Existe-t-il des sanctions pour ceux qui refusent de se soumettre à l’examen des urines ?
- Existe-t-il des statistiques sur les dénonciations pour détention et trafic de drogue, sur les saisies effectuées et sur les protagonistes de ces faits ?

Source : le CPT

 
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