Publié le jeudi 14 avril 2005 | http://prison.rezo.net/analyse-de-l-attitude-adoptee-par/ 6. Analyse de l’attitude adoptée par les services de santé pénitentiaires à Genève pour la prise en charge des jeûnes de protestation, et comparaison avec d’autre pays Dans ce chapitre, nous analysons l’attitude et les lignes directrices adoptées à Genève par les services de santé pénitentiaires. Nous les comparons à celles observées dans quatre autres pays européens (Espagne, France, Pays-Bas, Grande-Bretagne) ainsi que par le CICR. Nous évaluons également leur adéquation avec des déclarations internationales portant sur ce problème (p.ex. Déclarations de Tokyo et de Malte de l’AMM). A. La prise en charge du jeûne de protestation en médecine pénitentiaire A.1. Textes de référence : les Déclarations de l’Assemblée Médicale Mondiale A travers diverses Déclarations, l’Association Médicale Mondiale (AMM) donne des recommandation d’ordre déontologique pour la communauté médicale mondiale. Nous avons pris certaines de ses Déclarations pour base de référence car elles proposent des recommandations concernant spécifiquement la prise en charge de jeûnes de protestation. Il s’agit notamment des Déclarations de Tokyo (1975) et de Malte (1991, révisée en 1992). Les Déclarations de l’AMM n’ont pas de valeur contraignantes mais sont considérées comme des références internationales en matière de déontologie médicale. a) La Déclaration de Rancho Mirage Lors de sa 38ème Assemblée mondiale à Rancho Mirage en octobre 1986, l’AMM a adopté une Déclaration portant sur l’indépendance et la liberté professionnelle du médecin. Elle stipule en particulier que « les médecins doivent jouir de l’indépendance professionnelle leur permettant de soigner leur patients sans interférence. Il faut préserver le jugement professionnel du médecin et son pouvoir discrétionnaire de prendre des décisions cliniques et éthiques concernant les soins et le traitement apportés à ses patients » [68]. b) La Déclaration de Tokyo Le texte complet figure en Annexe ; il n’a pas été amendé depuis son adoption en octobre 1975. Le paragraphe 5 de la Déclaration de Tokyo s’énonce comme suit : Lorsqu’un prisonnier refuse toute nourriture et que le médecin estime que celui-ci est en état de formuler un jugement conscient et rationnel quant aux conséquences qu’entraînerait son refus de se nourrir, il ne devra pas être alimenté artificiellement. La décision en ce qui concerne la capacité du prisonnier à exprimer un tel jugement devra être confirmée par au moins un deuxième médecin indépendant. Le médecin devra expliquer au prisonnier les conséquences que sa décision de ne pas se nourrir pourraient avoir sur sa santé. 39 c) La Déclaration de Malte L’AMM a adopté lors de sa 43ème Assemblée mondiale en novembre 1991 la dite « Déclaration de Malte de l’AMM sur les grévistes de la faim » [31]. Cette Déclaration reprend les termes du paragraphe 5 de la Déclaration de Tokyo, en précisant que l’autonomie du patient sera respectée même lorsque celui-ci, « tombé dans le coma, est sur le point de mourir ». La Déclaration de Malte est plus récente que la Déclaration de Tokyo, aborde les termes de la relation médecin-patient et donne des directives encore plus précises pour la prise en charge d’un jeûne de protestation, où qu’il ait lieu d’ailleurs (détenus et citoyens libres). Le texte a été modifié dans sa forme en septembre 1992 et figure en Annexe. 40 d) Commentaires L’esprit de la Déclaration de Tokyo reprend celui de la Déclaration de Rancho Mirage sur l’indépendance du médecin. Son but est de « soutenir le médecin dans son droit de refuser d’assister ou de participer à la torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants », ainsi que « sa liberté et son indépendance dans l’offre de soins et traitements médicaux » [18]. L’AMM considère que « la plupart des sociétés dans le monde concèdent à chaque individu le droit de déterminer lui-même ses besoins en matière de santé et de traitements médicaux », et qu’ « une fois qu’une décision est prise par un individu capable de discernement et correctement conseillé et informé, cette décision ne peut-être annulée que par lui-même » ; « si cet individu perd conscience ou devient par la suite incapable de discernement, on ne doit pas en déduire qu’il faudrait annuler sa décision précédente » [18]. Certains auteurs ont tenté d’appliquer en toutes situations les recommandations de la Déclaration de Tokyo de 1975 [70], qui s’adressait initialement au problème de la torture de détenus et à l’implications des médecins dans de telles situations. Cependant, jusqu’au début des années nonante, les auteurs considérèrent « inadéquat d’extraire l’article 5 » portant sur le jeûne de protestation du contexte globale de la Déclaration de Tokyo. Ils distinguaient notamment la détention arbitraire d’un individu, considérée comme un « traitement cruel, inhumain ou dégradant » même en l’absence de torture, de son incarcération dans un contexte légal (p.ex. suite à une inculpation ou un procès équitable). Il était même ainsi admis que dans certains pays où les « institutions pénales ont le devoir légal d’assurer la santé et la sécurité des détenus, (...) le système judiciaire prive le prisonnier de son droit à l’autonomie en matière de soins de santé et traitements médicaux » [18]. Toutefois, cette interprétation des recommandation s’est modifiée lors de la préparation de la Déclaration de Malte, qui est consacrée exclusivement au jeûne de protestation. Si « la Déclaration de Tokyo concerne les grévistes de la faim en prison , (...) la Déclaration de Malte concerne les grévistes de la faim où qu’ils soient. » [13]. La Déclaration de Malte a repris les différents points de l’article 5 de celle de Tokyo et, de fait, actuellement l’AMM considère que « l’article 5 de la Déclaration de Tokyo n’est pas destiné aux seuls prisonniers détenus dans un système judiciaire inéquitable - il doit s’appliquer en toutes situations » [13]. L’AMM précise encore que, « à moins que ce ne soit pour évaluer la capacité mentale du gréviste, l’objectif n’est pas que les médecins modifient les principes de ces Déclarations [de Tokyo et de Malte] selon que la motivation du gréviste de la faim leur paraît ou ne leur paraît pas juste et légitime. Les principes doivent être appliqués sans tenir compte de l’opinion du médecin sur la raison sous-jacente de la grève de la faim, à condition que le gréviste soit mentalement capable » [13]. B. La prise en charge des jeûnes de protestation à Genève B.1. Situation pénitentiaire genevoise Sur le canton de Genève, la prison de Champ-Dollon permet l’incarcération de prévenus durant la période d’instruction ainsi que de détenus en attente de transfert ; en moyenne journalière, une trentaine des détenus placés à la prison de Champ-Dollon sont des condamnés dépendant du SAPEM 42 . La prison de Champ-Dollon dispose d’un Service médical, dépendant de l’IUML, et offrant des consultations de médecine générale ou spécialisée. Chaque détenu est vu le jour de son incarcération par une infirmière et peut obtenir un rendez-vous avec l’un des médecins du service médical sur demande écrite confidentielle ou sur proposition d’une infirmière si celle-ci le juge nécessaire [2]. Le canton de Genève dispose en outre de deux unités hospitalières carcérales fermées, l’une de 12 lits à l’Hôpital cantonal universitaire destinées aux soins médicaux et chirurgicaux hospitaliers de détenus (Quartier cellulaire hospitalier, QCH) et l’autre situées sur le domaine des Institutions universitaires de psychiatrie et destinée aux soins psychiatriques hospitaliers (Quartier cellulaire psychiatrique, QCP) [2]. Le chapitre 7 fournit encore des données épidémiologiques relatives au jeûne de protestation dans les institutions pénitentiaires genevoises. Nous entreprenons plus loin (voir 6.B.2.) une analyse de la prise en charge du jeûne de protestation dans les institutions genevoises du point de vue pratique. Les éléments de cette prise en charge identifiés servent de base à une comparaison avec la prise en charge décrite dans d’autres pays. a) Directives générales pour la prise en charge des jeûnes de protestation en Suisse En 1977, en raison d’une actualité marquée par des jeûnes de protestation semblant de plus en plus fréquents, le Ministère Public Fédéral a cherché à définir une position par rapport à l’alimentation forcée de détenus menant un jeûne de protestation, en sa basant sur l’avis de juristes, de médecins et entre autres de celui des Instituts Universitaires de Médecine Légale (IUML) de Zürich, Berne, Bâle et Genève. Les directives suivantes ont été adoptées en 1978 [72] : « Le détenu sera dûment informé des suites possibles de sa grève de la faim. On essaiera de le détourner de son projet. A cet occasion, on lui fera savoir - étant admis qu’il a le discernement - qu’en cas de refus de nourriture, une aide médicale peut survenir trop tard. Le code de déontologie de la FMH [67] représente l’une des bases de référence pour les médecins suisses. Ce texte donne des recommandations d’ordre général pour la pratique médicale et fait référence à des directives de l’Académie suisse des sciences médicales relatives à certains thèmes (p.ex. transplantations d’organes, recherche expérimentale sur l’homme, accompagnement médical des patients en fin de vie) ; il n’est toutefois pas fait mention spécifique du jeûne de protestation. La FMH reconnaît le droit d’un patient de refuser des mesures de survie 43 , y compris par le biais de directives anticipées 44 ; le devoir du médecin d’informer son patient est ici rappelé 45 . Toutefois, cette reconnaissance ne s’applique qu’aux patients « en fin de vie » 46 ou « souffrant de troubles cérébraux extrêmes » 47 ; le cas du jeûne de protestation semble de ce fait clairement omis. Le code de déontologie est soumis à la législation fédérale et cantonale. De ce fait, la loi cantonale K 1-80 peut lui être opposée dans le cas d’un patient effectuant un jeûne de protestation et refusant des mesures de survie. Il est toutefois intéressant de noter que la FMH 48 définit l’euthanasie passive comme « la renonciation à des mesures de survie ou leur interruption dans certaines circonstances », les mesures de survie comprenant entre autres la réhydratation et l’alimentation artificielles. Dans les cas où le patient refuse d’éventuelles mesures de survie, on pourrait ainsi associer la prise en charge du jeûne de protestation à une forme d’euthanasie passive. Ce serait oublier que la demande initiale du jeûneur n’est pas que le médecin lui permette de mourir, mais simplement qu’il s’engage à ne pas interférer dans la démarche revendicatrice et conflictuelle du patient avec le partenaire-cible. b) Directives générales pour la prise en charge des jeûnes de protestation à Genève à la prison préventive de Champ-Dollon En 1978, l’essai intitulé « Grève de la faim en prison » [11] par F. Delaite de l’IUML de Genève reprend les différents aspects du jeûne de protestation (diagnostic, caractéristiques physiopathologiques, suivi, traitement). Un autre document genevois, « Les grèves de la faim en médecine pénitentiaire » [4] écrit par J.-P. Restellini, refait le point sur la question en 1989. Ces deux documents décrivent en fait la prise en charge des jeûnes de protestation dans les institutions genevoises à l’époque où ils ont été rédigés. Toutefois, tout en tenant compte de ces deux documents, la prise en charge à la prison de Champ-Dollon est ici décrite, de façon plus actuelle, sur la base des informations fournies par le médecin-adjoint responsable du service de santé au moment de la rédaction de ce travail, à savoir J.-L. Martin. Le principe de base appliqué est que le jeûne de protestation ne doit pas être considéré comme une maladie (sauf s’il s’inscrit dans un contexte psychopathologique). Le détenu qui annonce un jeûne de protestation est en revanche pris en charge comme un patient, bénéficiant du même accès aux soins et des même droits que tous les autres patients détenus. En particulier, le secret médical est garanti au jeûneur dans la même mesure qu’aux autres détenus. Ainsi, si le juge peut ordonner une expertise médicale, le patient détenu peut restreindre l’accès au dossier et fournir les informations qu’il estime adéquates au juge, libre à ce dernier d’apprécier la valeur de ces informations et d’interpréter ce qui lui est éventuellement caché. La prise en charge est sujette à deux tendances, l’une paternaliste, avec risque de non-reconnaissance du conflit et prise de parti en faveur du partenaire-cible, l’autre étant la mise en place d’une prise en charge spécifique, avec risque de radicalisation du jeûne et prise de parti en faveur du détenu. L’attitude adoptée à la prison de Champ-Dollon se garde de tomber dans l’un ou l’autre de ces extrêmes, visant une voie médiane où la revendication est prise en considération et le détenu informé de ses droits et des risques encourus, mais sans prise de parti en sa faveur, ni conseils à même de favoriser la prolongation du jeûne. Le but de la prise en charge médicale est d’obtenir l’arrêt du jeûne avant de risquer des complications médicales sérieuses, sans pour autant exercer de pression active sur le détenu 49 . J.-L. Martin distingue en effet information et conseils. Il s’agit d’informer le patient détenu afin qu’il puisse prendre des décisions de manière éclairée ; le médecin lui offre en outre un certain cadre d’expression et un suivi clinique. En revanche, il ne s’agit ni de faciliter le jeûne ni de le rendre plus difficile. L’équipe de santé dans son ensemble offre une écoute empathique, sans parti pris. Elle n’intervient pas dans le conflit entre le jeûneur et le partenaire-cible, afin de ne pas devenir l’objet des pressions de l’une et l’autre partie, et ainsi de conserver sa neutralité. Toutefois, le médecin responsable, en général le médecin-adjoint responsable du service médical, discute dans une certaine mesure avec le détenu jeûneur le bien-fondé des revendications ; la fermeté des juges vis à vis des jeûnes de protestation est signalée au détenu, sur la base de l’expérience fournie par les cas précédents. Le médecin responsable vérifie que le patient détenu a au moins usé des moyens de revendication officiellement admis, à savoir un mot écrit au surveillant qui le transmet au gardien-chef ou au directeur de la prison, alternativement une revendication orale formulée lors de la tournée quotidienne par l’un des responsables pénitentiaires (directeur, sous-directeur ou gardien-chef) ; le médecin vérifie enfin que le patient détenu a averti le partenaire-cible ultime visé par ses revendications et a informé celui-ci du début du jeûne 50 . Si un détenu signale par écrit le début d’un jeûne de protestation à l’un des intervenants pénitentiaires (service médical, directeur, gardien, assistant social), ce destinataire fait en général parvenir des copies aux autres intervenants 51 . A cette occasion, le détenu est invité à prévenir le partenaire-cible adéquat, si ce n’est pas encore le cas. Concernant la possibilité de consulter un médecin pour un deuxième avis, la loi cantonale genevoise prescrit que l’IUML a le monopole des soins à la prison de Champ-Dollon. De ce fait, les détenus n’ont pas le libre choix du médecin, si ce n’est entre les deux médecins-assistants du service médical, le médecin-adjoint et des vacataires. Il y a encore la possibilité de visites d’un médecin de la ville, sans possibilité de prise en charge. Concernant l’indépendance des médecins à la prison de Champ-Dollon, le service médical dépend du Département de l’Action sociale et de la Santé, et non pas de celui de Justice et Police et des Transports. Les médecins du service médical n’entretiennent donc pas de relation hiérarchique avec le juge ou le directeur de la prison, partenaires-cibles fréquents en cas de jeûne de protestation. Ceci garanti ainsi une indépendance administrative de l’autorité médicale 52 . Ainsi, il est déjà arrivé qu’un juge demande au service médical une intervention (p.ex. réalimentation du détenu) et que celle-ci soit refusée. On notera la nuance sémantique dans l’appellation de « service médical à la prison de Champ-Dollon » et non pas « de la prison de Champ-Dollon ». En pratique, il semble que cette situation rende juges, avocats et médecins plus à l’aise, interdisant d’emblée toute idée d’ingérence dans le champ d’activités des autres. Théoriquement, les détenus menant un jeûne de protestation sont vus en consultation deux fois par semaine environ. En pratique, ils sont en général suivis une fois par semaine dès l’annonce du jeûne, voire deux fois par semaine en fonction de l’évolution ; ils sont en principe vus quotidiennement en cas de jeûne absolu (« grève de la soif »). Lors de la première consultation, les patients détenus bénéficient systématiquement d’informations sur leur santé (voir 6.B.2.c). Lors de chaque consultation de suivi, le jeûneur est informé des résultats de l’évaluation clinique et d’éventuels examens biologiques. Le diagnostic différentiel du jeûne de protestation est établi par les médecins du service médical. Il n’y a pas de consultation systématique par un psychiatre lorsqu’un détenu annonce un jeûne de protestation. L’évaluation psychiatrique initiale est effectuée par le médecin-adjoint responsable du service médical, au titre de médecin interniste. Les détenus ont théoriquement droit à des cellules individuelles ; mais, en pratique, la population résidente dépasse souvent le nombre de cellules. Pourtant, même lorsque à certaines périodes de l’année l’établissement compte des cellules vides, des regroupements et isolements ont en général lieu, suivant la classe sociale ; à titre d’exemple, un avocat pourra préférer gérer son dossier seul, alors que des détenus de classes défavorisées préféreront la compagnie de codétenus (accès à l’information), de même que les toxicomanes habitués à la promiscuité et en quête de substances ; d’autres regroupements ont lieu sur la base de certains critères ethniques (langue commune). Il est admis qu’un détenu jeûneur puisse subir une pression psychologique de la part des autres détenus (sans compter le rôle mal connu du système des caïds 53 ), que ce soit pour interrompre ou poursuivre son jeûne. Il est d’usage pour le service médical de ne pas chercher à modifier les conditions de détention du jeûneur, considérant qu’il n’est pas de son ressort de décider de ce genre de modification. De plus, il n’y a pas de règlement pénitentiaire imposant de mettre un détenu effectuant un jeûne de protestation en isolement. Enfin, le service médical admet que le non-isolement permet au patient détenu de faillir à son jeûne en se servant sur le plateau d’un codétenu. J.-L. Martin souligne le confort relatif des détenus à la prison de Champ-Dollon par rapport à des centres de détention dans d’autres pays ; en outre, la population à la prison de Champ-Dollon est à environ 80 % originaire d’autres pays. Il émet l’hypothèse que les motifs de contestation par rapport aux conditions de détention soient moins fréquents qu’à l’étranger. Pour ce qui est de l’indication à une hospitalisation, il n’y a pas de scores de gravité ni de critères précis pour décider de l’hospitalisation. J.-L. Martin ne juge pas de tels outils utiles en raison de l’aspect multifactoriel du problème du jeûne de protestation : 1) conflictuel, 2) psycho-intellectuel, 3) biologique, 4) clinique. La prise en considération de ces quatre dimensions permet de poser l’indication à une hospitalisation. La dimension psycho-intellectuelle en particulier ainsi que l’appréciation globale par l’équipe médicale jouent un rôle important dans la décision d’hospitaliser. C’est une décision intuitive basée sur le sens clinique qui décide de l’indication à hospitaliser, plutôt que la prise en considération d’un score de gravité. J.-L. Martin considère toutefois qu’il serait utile d’avoir une liste de recommandations d’ordre général pour l’orientation des personnels de santé confrontés pour la première fois à des cas de jeûne de protestation, en particulier pour planifier le suivi clinique et biologique. Certaines règles prévalent toutefois dans la décision d’hospitaliser. L’hospitalisation est en générale retardée, car elle peut jouer un rôle important de déblocage de la situation si celle-ci de prolonge. A priori, le détenu n’est pas hospitalisé en l’absence d’anomalies du bilan clinique et biologique. En effet, la dramatisation de l’hospitalisation est accrue lorsque l’indication est basée sur l’apparition de complications, même mineures. Il s’ensuit un sentiment de perte des garanties de sécurité pour la santé, amenant souvent le jeûneur à renoncer à son action. Le transfert vers le Quartier Cellulaire Hospitalier (QCH) peut être décidé précocement sur la base d’anomalies mineures ou non spécifiques du bilan biologique et clinique (p.ex. baisse de l’état général, marche incertaine, affaiblissement intellectuel), si l’hospitalisation peut avoir un rôle sur l’une des quatre dimensions du problème citées plus haut. Certaines règles sont également suivies pour la prise et charge thérapeutique. Les traitements préventifs tels que l’administration de vitamines ne sont pas prescrits systématiquement, car ils couvriraient l’apparition de complications mineures (p.ex. neuropathie). Comme cela a été dit, ces complications habituellement réversibles à un stade précoce, servent de signe d’appel pour une hospitalisation ; elles favorisent également la réflexion du jeûneur. Il est relativement difficile d’obtenir un régime particulier de la part des cuisines de la prison de Champ-Dollon. Ainsi, les menus s’adaptent difficilement à des habitudes culturelles ou religieuses (p.ex. régime casher). Ceci amène parfois à une situation de sous-alimentation volontaire qui peut être mal interprétée par le personnel pénitentiaire, ou encore être à l’origine d’une revendication du détenu sur les conditions de détention. De même, certains régimes médicalement prescrits comme un régime antidiabétique ou une réalimentation post jeûne de protestation peuvent être difficiles à obtenir. La nourriture servie est relativement grasse et souvent mal supportée lors de la réalimentation. La nutrition contre le gré d’un détenu jeûneur conscient n’est pas imposée ni permise par la loi. Les détenus qui entreprennent un jeûne de protestation ne se voient pas proposer de rédiger des directives anticipées. La décision de réanimer et réalimenter un détenu qui perd connaissance dans le contexte de son jeûne ne se pose théoriquement pas, le détenu étant en général transféré vers le QCH avant la survenue de telles complications graves. c) Directives générales pour la prise en charge des jeûnes de protestation au Quartier Cellulaire Hospitalier (QCH) de l’Hôpital cantonal universitaire de Genève L’essai rédigé en 1978 par Delaite [11], relatif au jeûne de protestation à Genève, décrit également la prise en charge au QCH. Il souligne entre autres le rôle joué par l’isolement relatif (éloignement des codétenus, des gardiens et éventuellement du partenaire-cible s’il s’agit de l’autorité pénitentiaire) ainsi que par l’encadrement et la surveillance accrus par l’équipe soignante, permettant de briser le cercle vicieux et amener le détenu à renoncer en douceur à son jeûne. Encore une fois, nous décrirons la prise en charge des jeûne de protestation au QCH sur la base des informations plus récentes fournies par le médecin-adjoint responsable au moment de la rédaction de ce travail, à savoir D. Bertrand. Les entrées au QCH se font à la demande du médecin responsable du service médical pénitentiaire, avec l’accord du médecin responsable du Quartier Cellulaire Hospitalier. Les entrées au QCH se font habituellement directement depuis le centre de détention ; une exception à cette règle sont les urgences vitales, qui transiteront par la Division des urgences médicochirurgicales avant une éventuelle hospitalisation. Le médecin du Quartier cellulaire hospitalier se situe « en aval » de la situation. Ainsi, si l’hospitalisation précoce permet parfois de débloquer une situation, elle présente le risque en survenant trop tôt de ne laisser au médecin du QCH que peu d’arguments biologiques pour justifier l’hospitalisation, ne serait-ce qu’aux yeux du patient. L’hospitalisation a souvent un effet important sur le partenaire-cible, en particulier lorsqu’il s’agit d’un juge qui le plus souvent téléphone au moment de l’hospitalisation pour se renseigner sur l’état de gravité du jeûneur. Paradoxalement, le partenaire-cible est souvent également rassuré par l’hospitalisation, en ce que, si elle annonce une étape importante dans le conflit, elle garantit également une certaine sécurité face aux complications. Ce sentiment de sécurité apparente se base sur la présomption que le détenu n’osera pas laisser son état de santé se dégrader jusqu’à l’apparition de complications médicales graves, difficiles à traiter même en milieu hospitalier. Chez certains juges, ce sentiment de sécurité est également inspiré par la conception erronée que le personnel médical réanimera le détenu à la demande du juge, même contre la volonté exprimée du détenu. L’hospitalisation représentant une étape importante du conflit, le médecin du QCH adopte souvent un rôle de médiateur actif, relativement différent de celui du médecin du centre de détention. Ce dernier a pour tâches d’identifier les cas, de déterminer la résolution du jeûneur, de s’assurer que le jeûneur a averti le partenaire-cible de ses revendications et du jeûne en cours, et de décider si nécessaire d’hospitaliser le jeûneur ; en revanche, il cherchera à ne pas s’impliquer du tout dans le conflit. Le médecin du QCH est confronté à une minorité de patient détenus qui restent de manière prolongée en conflit avec le partenaire-cible, et dont l’état de santé peut être plus préoccupant. Le rôle de médiateur actif du médecin du QCH n’est pas un rôle de négociateur entre le jeûneur et le partenaire-cible, mais dépasse celui qui se limite à informer le patient détenu. Le médecin devient un conseiller actif, sans pour autant prendre parti. En général il s’agit d’une part de remettre le détenu face à la réalité, et d’autre part de jouer sur la notion juridique qu’avec la mort du détenu prend fin la cause, ce qui ne peut être le but du juge 54 . Plus le conflit se prolonge, plus ses acteurs tendent à camper sur leurs positions ; le médecin est alors amené à renouer le dialogue entre le jeûneur et le partenaire-cible, afin de créer les conditions nécessaires d’une négociation à même de permettre l’arrêt du jeûne. Il s’agit d’une tâche ardue, car lorsque le détenu n’est pas transféré à l’hôpital de façon convenue pour mettre un terme honorable à sa démarche revendicatrice, mais plutôt pour des raisons de santé, sa détermination est relativement forte et les tentatives de redéfinir les motifs de la revendication et ses chances de succès sont souvent infructueuses. Quoiqu’il en soit, il s’agit à ce stade d’assurer absolument le dialogue entre le jeûneur et son partenaire-cible, afin d’éviter les impasses et de voir le temps jouer en défaveur de la santé du jeûneur ; car le médecin hospitalier dispose de bien moins de temps que celui du centre de détention pour tenter de résoudre le conflit et par la même éviter les complications médicales du jeûne. Tout comme au service médical à la prison de Champ-Dollon, on ne propose pas systématiquement aux jeûneur de rédiger des directives anticipées (testament biologique). Ils reçoivent des informations générales quant aux soins qui seront prodigués, ceux-ci comprenant la décision a priori de réanimer en cas de troubles de la conscience. A travers l’analyse des cas survenus au QCH, nous relevons le cas d’un détenu ayant entrepris un jeûne prolongé au point d’être hospitalisé et dont la demande, pourtant écrite, de ne pas être réanimé a été d’emblée refusée[2, cas N°18] ; en effet, à l’époque, la position de l’IUML était qu’il fallait réanimer le patient de toute façon s’il venait à perdre sa capacité de discernement. Depuis, cette attitude s’est modifiée ; si un détenu demande spontanément de ne pas être réanimé, cette demande sera actuellement acceptée, sous réserve de l’accord du médecin-chef responsable de l’IUML. Comme indiqué (6.B.1.a), cette modification résulte de l’évolution législative cantonale genevoise, la loi sur les droits des patients (K 1-80) prévoyant en son art. 3 la reconnaissance juridique des directives anticipées. B.2. Concepts relatifs à la prise en charge Nous passons ici en revue les différents concepts relatifs à la prise en charge des jeûnes de protestation tels qu’ils se dégagent des différents textes nationaux et internationaux proposant des directives, en particulier les Déclarations de Tokyo et de Malte. Chacun de ces concepts est abordé d’un point de vue général puis en rapport avec la situation dans les institutions genevoises, éventuellement dans d’autres pays. a) Bienfaisance et autonomie : Respect de la vie et servir le patient au mieux de ses intérêts Toutefois, dans la plupart des situations, différentes prises en charge sont possibles, avec une pondération différente pour chacun des principes éthiques. Ainsi, les principes de bienfaisance et d’autonomie du patient entrent souvent en conflit, posant des problèmes de prise en charge. A titre d’exemple, les incertitudes déontologiques relatives à l’avortement ou à l’euthanasie éclairent bien ce dilemme : il s’agit dans ces cas de privilégier soit le respect absolu de la vie, soit les intérêts du patient. Les intérêts du patient peuvent être soit formulés lorsque le patient est capable de discernement, soit supposés dans le cas contraire (p.ex. retard mental ou coma). La difficulté inhérente à la prise en charge du jeûne de protestation provient justement du même dilemme puisqu’il s’agit d’un patient dont la demande d’autonomie est en conflit avec le désir de bienfaisance du médecin. Le refus du patient de recevoir les soins minimaux nécessaires à la vie, justifié par son acceptation d’un décès éventuel, dépend de l’autonomie accordée au patient. En outre, le choix du type de traitement (p.ex. perfusions ou alimentation par sonde) et du moment (patient conscient ou à « l’article de la mort ») nous interrogent sur la non-malfaisance de l’intervention du médecin. Enfin, l’évolution naturelle d’un jeûne de longue durée placera alternativement le médecin devant les intérêts formulés puis supposés du patient. Aux problèmes quotidiens et pratiques du médecin confronté à un jeûne de protestation, les règles déontologiques formulées par l’AMM ne fournissent qu’une base de réflexion en ce qu’elles ne sont pas contraignantes. Quant aux directives nationales, elles sont souvent peu précises. Avant de déterminer si les règles déontologiques répondent aux questions relatives à la prise en charge d’un patient par un médecin, il se pose la question de savoir à partir de quand le détenu, a priori en bonne santé et qui entreprend un jeûne de protestation, est considéré comme un patient. Le jeûne de protestation n’est en général pas considéré comme une maladie. En revanche, le détenu peut être considéré comme un patient du moment où il est pris en charge par un médecin. C’est ainsi le cas au service médical à la prison de Champ-Dollon ; de même, d’après l’AMM, le détenu devient un patient dès qu’intervient la relation avec un médecin [31, . ]. Des règles déontologique spécifiques aux soins médicaux en milieu pénitentiaire peuvent être définies (voir p.ex. [73]) et servir de cadre général à des principes de prise en charge d’un jeûneur. b) Indépendance professionnelle du médecin, permettant un jugement professionnel, des décisions cliniques et éthiques, et des soins sans interférence d’un tiers (partenaire-cible) dans la relation médecin-malade Un second principe abordé par les Déclarations de l’AMM est celui de l’indépendance de décision et d’action de tout médecin, quelles que soient ses conditions de travail. Ce principe n’est pas partout appliqué de la même façon. Un cas de figure relatif au jeûne de protestation est celui des pays qui considèrent que l’obligation de l’Etat d’assurer la survie des personnes à sa charge (p.ex. détenus) prévaut sur le droit à refuser un traitement. Il en est ainsi de l’Espagne, où cet argument est d’autant plus prôné que le gouvernement espagnol à été confronté ces dernières années aux jeûnes de protestation menés par des membres d’une organisation terroriste, le Groupe du Premier Octobre (GRAPO), revendiquant un statut politique pour ses membres emprisonnés. La situation de conflit est exacerbée par l’administration de traitements et réalimentation par la force qu’elle implique, avec les conséquences mentionnées plus haut (5.C.3) (menaces ou assassinat de médecins) ; la priorité donnée à la responsabilité de l’Etat vis-à-vis de ceux à sa charge est en fait un choix politique et suscite des représailles envers ceux qui participent à ce choix. Une situation politique similaire prévalait en Grande-Bretagne jusque dans les années septante ; par la suite, le principe de responsabilité de l’Etat auprès de ceux à sa charge fut abandonné au profit de la primauté des droits du patient détenu de refuser des soins. Ceci permit de rétablir l’indépendance de la profession médicale dans ce domaine. Un autre cas de figure est celui des pays où les lois portant sur l’assistance à personne en danger imposent dans tous les cas une intervention par le médecin en cas de danger significatif, comme c’est le cas en France. Dans cette situation, plutôt qu’un choix à caractère politique, c’est une loi d’ordre général qui impose l’intervention du médecin au détriment des droits du patient, de l’indépendance professionnelle du médecin et de son droit de refuser d’effectuer un acte médical. L’Etat est dans ces cas susceptible de se décharger de sa responsabilité en invoquant un ensemble de lois préexistantes ; les patients ont plus de difficultés à faire valoir leurs droits, puisqu’ils ne sont pas confronté à une institution mais à un système légal. Ainsi des décisions à caractère politique ou une certaine interprétation des lois sur l’assistance à personne en danger déterminent dans quelle mesure le médecin est libre de refuser d’effectuer un acte médical. Pour ce qui est de son indépendance professionnelle pour l’administration d’un traitement, celle-ci reste de toute manière subordonnée au principe d’autonomie du patient. Il est ainsi toujours lié par la loi dans un sens ou un autre ; s’il se trouve que le médecin n’a pas l’obligation d’administrer une alimentation forcée, il n’a pas non plus la liberté de le faire contre le gré du patient sur la base de ses propres convictions éthiques. Comme nous le voyons, les lois d’un pays ou encore la subordination à une autorité peuvent interférer avec l’indépendance professionnelle du médecin. Il faut également tenir compte de l’interférence créée par le détenu qui entreprend un jeûne de protestation. En effet, la prise en charge du jeûneur est intéressante en ce qu’il s’agit d’un patient créant volontairement son problème de santé dans le but de soumettre le partenaire-cible à un chantage. Ce chantage implique dans une certaine mesure le médecin : celui-ci, bien que cherchant à exercer sa profession comme pour n’importe quel patient, peut être influencé par la situation de chantage (p.ex. administration de certains soins contre cessation du jeûne). A Genève, les services médicaux prenant en charge les détenus dépendent du Département des Affaires Sociales et de la Santé, et non pas du Département de Justice et Police et des Transports et de l’administration pénitentiaire ; comme cela a déjà été dit, ils bénéficient de ce fait d’une certaine indépendance administrative. De plus, la législation fédérale ne rend pas l’Etat ou l’administration pénitentiaire responsable de la survie des personnes placées à sa charge, pour autant que leurs besoins minimaux soit assurés. Enfin, l’interprétation qui est faite en Suisse du devoir d’assistance à personne en danger est subordonnée au droit de la personne concernée de refuser cette assistance. De ce fait, le médecin peut donc être considéré comme indépendant dans son activité professionnelle, et convenir avec son patient (ou son représentant légal) de toutes les décisions d’ordre médical. c) Information du patient sur les conséquences du jeûne (avec l’intervention d’un interprète si nécessaire) d) Evaluation de la capacité de discernement Dans une relation médecin-malade, la capacité de discernement est usuellement présumée [74]. Le jeûne de protestation est par définition une démarche volontaire, implique un refus potentiel de traitement et son évolution naturelle mène à une perte de la capacité de discernement associée à un risque vital. De ce fait, il semble essentiel que la capacité de discernement soit systématiquement évaluée en cas de jeûne de protestation, et non présumée. La capacité de discernement peut se définir selon les critères médico-légaux suivants : le discours du patient est cohérent, En effet, le consentement à un acte médical doit être libre, notamment de pressions visant des finalités étrangères à la protection immédiate de la santé, ainsi que de l’influence de tiers [75]. Dans le cas particulier du jeûne de protestation, il faudra tenir compte de la liberté de choix de chaque individu participant à un jeûne collectif. Dans tous les cas, il faut évaluer le rôle de tiers, inhérent à la dynamique triadique du jeûne de protestation, qu’il s’agisse du partenaire-cible ou de témoins tels que les proches (éventuellement concernés par les revendications du jeûneur), les codétenus ou encore une opinion publique mobilisée par les revendications et le combat du jeûneur. Le médecin doit en général prendre connaissance des motifs du jeûne pour apprécier la cohérence du discours. Il n’a cependant pas besoin, pour s’exprimer sur la capacité de discernement, d’être impliqué dans le conflit entre le jeûneur et le partenaire-cible, ni de juger la valeur ou la pertinence de ces motifs ou encore leur chance d’aboutir. En présence d’un trouble psychiatrique, la décision de reconnaître au patient sa capacité de discernement est d’autant plus difficile que de nombreux détenus présentent des troubles psychopathologiques qui ne s’accompagnent pas forcément d’un désir de mourir ni d’une incohérence du discours (p.ex. certains états dépressifs, les dépendances chroniques à des opiacés). En outre, la présence de symptômes dépressifs est d’autant plus fréquente que le détenu qui entame un jeûne de protestation vit une situation carcérale pénible et se lance dans un combat difficile. Déterminer que le jeûneur dispose de sa capacité de discernement implique qu’il soit pleinement informé sur les conséquences de ses actes afin de se prononcer en connaissance de cause (permettre une « sage décision » [31]). Il est donc indispensable d’informer le jeûneur dès que possible, puis à l’occasion de chaque consultation de suivi. Les informations qui sont habituellement données à la prison de Champ-Dollon sont les suivantes : Informations générales lors de la première consultation : e) Confirmation de la capacité de discernement par un deuxième médecin indépendant Compte tenu de l’importance que l’évaluation de la capacité de discernement revêt, notamment du point de vue médico-légal (responsabilité du médecin et droits du patient), l’AMM recommande qu’elle soit confirmée par un médecin indépendant. A la prison de Champ-Dollon, il n’est pas fait appel à un deuxième médecin indépendant pour confirmer ou infirmer la capacité de discernement ; toutefois, en cas de doute, deux médecins de l’équipe médicale se prononceront. De plus, au QCH, les patients peuvent être pris en charge par un psychiatre, si cela s’avère nécessaire, avec leur consentement ; celui-ci sera amené à se prononcer sur la capacité de discernement. f) Possibilité de consulter et/ou d’être traité par un autre médecin (médecin de confiance) Les responsables en médecine pénitentiaire aux Pays-Bas, tentant de mettre en application cet aspect des droits du patient 57 , ont dû assumer les difficultés que cela implique. Un détenu menant un jeûne de protestation peut être, à sa demande, examiné et suivi par un médecin de confiance. L’intervention d’un tel médecin, extérieur aux services du Ministère de la Justice, se fait sous la responsabilité du directeur de la prison et avec l’avis du médecin responsable et de l’Inspecteur des services médicaux du Ministère de la Justice. Si le jeûneur ne peut citer un médecin en particulier, le médecin responsable propose l’un de ses collègues responsable du service médical d’un autre centre de détention [30]. La British Medical Association (BMA), citée dans un article datant de 1978 [11], propose que le médecin garde une complète liberté de jugement (la réalimentation forcée est admise, pour autant qu’il s’agisse d’une décision purement médicale). Dans le contexte hautement conflictuel à caractère politique de l’époque, ceci pouvait justifier de proposer un nouveau médecin, dans l’espoir éventuel du partenaire-cible d’en trouver un qui nourrisse de force ; par ailleurs, la BMA retient la proposition de permettre au détenu de choisir son médecin, permettant par-là au jeûneur de prendre un médecin opposé à la nutrition contre le gré du patient. A la prison de Champ-Dollon, il est admis que les conditions de détention impliquent la perte de certains droits, y compris la possibilité de choisir son médecin, même si le Service médical s’efforce par ailleurs de fournir des prestations de soins équivalentes à celle de la pratique ambulatoire. Le détenu a toutefois la possibilité de choisir parmi les trois médecins du Service médical, dans la mesure de leur disponibilité. De plus, dans certains cas, il sera arrangé qu’un médecin choisi par le détenu puisse être consulté à la prison de Champ-Dollon ; en revanche, sauf cas exceptionnel 58 , un suivi régulier et exclusif par médecin extérieur au service médical est en général impossible, le règlement ne l’autorisant pas. En résumé, l’accès à un médecin de confiance n’est pas une pratique courante à Genève. La situation décrite ici est compatible avec les recommandations de la Convention pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe, relative à la protection des personnes privées de liberté par une autorité publique [2]. g) Consentement du patient à des soins en général, respect de la volonté du patient de ne pas recevoir de soins (même pour sauver sa vie), directives anticipées Si ce respect semble généralement acquis chez le patient capable de discernement (sauf dans les cas déjà mentionnés des pays où le médecin ne disposerait pas d’une indépendance professionnelle totale), la question devient plus délicate lorsque le détenu devient inconscient des suites de son jeûne. La Déclaration de Tokyo en 1975 est le principal texte international qui recommande de ne pas nourrir artificiellement un jeûneur, ce qui fait supposer qu’on n’agira pas contre la volonté du patient, même inconscient. Comme cela a été dit, l’AMM soulignait le contexte dans lequel s’inscrit le texte, à savoir celui de la participation de médecins à des actes de torture et ne donnait en fait pas de directive pour ce qui est de prisonniers détenus et/ou jugés équitablement [18]. Depuis, la Déclaration de Malte propose des recommandations plus précises, spécifiques au jeûne de protestation, dans le contexte plus général de la relation du médecin avec tout patient. Ainsi, si le médecin reste libre de prendre des décisions médicales pour un patient inconscient, il le fera dans l’intérêt présumé de celui-ci et en respectant les décisions prises avec le patient auparavant lorsqu’il était conscient [31. ]. Certains auteurs pensent que la nutrition forcée pose plus la question du droit à mourir qu’un problème de torture ou de mauvais traitement [14]. Le partenaire-cible considère souvent la nutrition forcée comme une solution au jeûne. Celle-ci étant un traitement médical, l’autorité tend à considérer le jeûne de protestation comme une maladie et de faire dès lors de la nutrition forcée une décision purement médicale, reportant toute la responsabilité de l’intervention sur le médecin. En revanche, lorsque le médecin refuse d’entreprendre une nutrition forcée, il demande en fait au jeûneur d’assumer pleinement le risque qu’il prend pour sa vie et sa santé, et à l’autorité d’assumer les conséquences d’une mort évitable (renforcement d’un mouvement, création d’un martyr pour une cause, impopularité d’un mode de fonctionnement contesté par le jeûneur). La littérature sur le jeûne de protestation abordant relativement souvent la légitimité de la nutrition forcée, il est intéressant de noter qu’il est fait presque exclusivement référence à des cas de patients détenus. En général, l’alimentation forcée est admise pour les patients déclarés incapables de discernement, mais il semble inadmissible qu’un médecin nourrisse de force un citoyen libre, non emprisonné. On peut alors se demander dans quelle mesure les détenus sont assimilés à des personnes dépendantes, à l’instar des mineurs ou des malades mentaux [31. ]. Lorsque le patient devient confus ou comateux, ou encore sujet à un important trouble de l’humeur, menant à une perte de la capacité de discernement, le médecin doit décider et agir à la place du patient, dans l’intérêt présumé de celui-ci. Ceci signifie que le médecin doit interpréter quel aurait été le choix du patient, en fonction de ce qu’il connaît de lui et non en fonction de ses propres convictions. Le médecin tiendra compte également des dispositions prises par le patient, orales ou de préférence écrites ; il respectera également les engagements pris avec le patient d’intervenir ou non (d’où l’importance de permettre au patient de désigner un autre médecin traitant). Tenant compte de tous ces facteurs, le médecin pourra décider de ne pas réanimer le patient ; de le réanimer si la situation se modifie profondément, p.ex. si le partenaire-cible a accédé à ses demandes ; de le réanimer si le médecin intervenant en urgence ne dispose pas d’informations suffisantes pour interpréter quelle aurait été la volonté du patient (p.ex. changement de médecin responsable par l’autorité pénitentiaire dans les cas où le service médical dépend de celle-ci) 59 . Des directives anticipées permettent d’évaluer a posteriori la volonté du patient de refuser un traitement. La question éthique fréquemment posée est de déterminer si, afin de ne pas enfreindre le principe du respect de l’autonomie, la volonté antérieure du patient de non-intervention devrait être respectée en cas de perte de la capacité de discernement. Pour certains, les effets sur la sphère mentale des modifications métaboliques font douter de la capacité du patient à revenir sur un décision prise antérieurement et légitime une intervention contre sa volonté [36] ; c’est retirer toute valeur à des directives anticipées. Pour d’autres, la question éthique trouve une réponse dans le fait que l’intention initiale de l’action poursuivie n’est pas la mort, mais est celle de gagner l’épreuve de force [2]. Pourtant, ceci signifierait que lorsque le médecin accepte les directives anticipées du patient, il ne croit pourtant pas que le jeûneur prétend réellement mettre sa vie en jeu en vue de la réalisation de ses revendications et que le médecin sait d’avance qu’il ne tiendra pas compte de ces directives anticipées si le jeûneur doit courir un risque vital. Il faudrait alors d’emblée refuser les directives anticipées du patient jeûneur. Ce serait également considérer qu’aucune cause ne mérite de risquer sa vie pour elle. De façon similaire, c’est admettre que le patient souffre pour appuyer ses revendications mais pas qu’il meurt pour elles. Enfin, c’est enlever la force principale de ce moyen de revendication, le partenaire-cible craignant alors bien moins une issue fatale. En pratique, de telles directives peuvent ne venir à la connaissance du médecin responsable du patient que tardivement, alors que sa capacité de discernement ne peut plus être évaluée (p.ex. coma). La capacité qu’avait le patient de se déterminer de manière consciente et informée au moment de la rédaction des directives doit alors être appréciée rétrospectivement. En cas de jeûne de protestation, l’évolution progressive de l’état du jeûneur et la publicité théoriquement donnée à sa démarche devraient le plus souvent permettre d’évaluer formellement la capacité de discernement suffisamment tôt, et d’en consigner l’appréciation par le médecin dans le dossier. Ceci est particulièrement important en raison du conflit associé à la démarche du jeûne et de l’intervention d’une tierce personne (partenaire-cible) dans la relation. Dans tous les cas, la formulation et la clarté des directives sont essentielles pour faciliter la prise de décision par le médecin. Il est d’autant plus important de recueillir tôt les directives anticipées d’un détenu jeûneur, afin qu’il n’y ait pas de contestation ultérieure quant à l’existence de la capacité de discernement de la personne concernée au moment où les directives anticipées ont été rédigées. Dans les cas où des traitements de nutrition parentérale sont entrepris, que ce soit avec ou sans l’accord du jeûneur, il peut se présenter le cas classique du jeûneur qui atteint un équilibre physiologique précaire mais durable. Le jeûne et la situation conflictuelle sont alors susceptibles de se prolonger indéfiniment (on pourra prendre pour exemple les prisonniers politiques irlandais du début des années septante 60 ou encore un cas à Genève 61 ). Cette situation diminue le risque de décès mais n’exclut pas certaines complications médicales. En outre, elle met à l’épreuve tant la détermination de l’autorité que celle du jeûneur. Une telle évolution d’un jeûne de protestation évoque une forme moderne du Cat & Mouse Act britannique du début du XXème siècle, le conflit se prolongeant, au détriments de la santé du jeûneur, car la menace d’une issue fatale disparaît. En Suisse, le droit à l’intégrité corporelle est garanti dans la législation 62 et découle également du droit à la liberté personnelle 63 . L’acte médical représente une atteinte à l’intégrité corporelle, qui ne se justifie que par la volonté de restituer ou protéger la santé du patient, et ce avec son consentement éclairé [75]. De ce fait, l’intervention du médecin en cas de jeûne de protestation, en particulier les manoeuvres de réalimentation, nécessite par principe le consentement du patient. Le Procureur général de la Confédération a demandé en 1977 aux IUML (Genève, Bâle, Berne et Zurich) de prendre position quant à l’alimentation forcée [19]. Le Ministère public, dans sa synthèse des différents avis donnés [72], se prononce contre l’alimentation de force/artificielle si le détenu s’y oppose et a la capacité de discernement 64 . Il n’est pas fait mention de directives anticipées. La Confédération helvétique est membre du Conseil de l’Europe depuis 1963 et signataire de la Convention du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) 65 . Ses principes généraux stipulent que le consentement du patient à des investigations et/ou traitement devrait être éclairés et que tout patient capable de discernement a le droit de refuser une intervention ou un traitement [2]. Toutefois, cette Convention ne fait pas spécifiquement référence au jeûne de protestation et en outre ne prononce pas en ce qui concerne le respect de directives anticipées en cas de perte de la capacité de discernement. Dans les institutions pénitentiaires genevoises, le consentement du patient, s’il est en pratique courante souvent implicite, est légalement requis et respecté. D’éventuelles directives anticipées transmises oralement ou sous forme d’un testament biologique n’étaient pas prises en compte dans les institutions pénitentiaires genevoises jusque dans les années nonante 66 . L’attitude adoptée vis-à-vis de telles directives s’est progressivement modifiée, parallèlement avec une redéfinition des droits du patient dans la loi genevoise. En effet, la loi genevoise K 1-80 de 1987 confère une valeur légale à d’éventuelles directives anticipées rédigées par le patient. Le patient doit bien sûr être capable de discernement au moment de rédiger de telles directives. Dans le cas du jeûne de protestation, ce n’est que de manière présomptive que des directives anticipées sont recevables. En effet, la jurisprudence suisse 67 n’a pas eu à traiter pour l’instant de cas relatif à un refus de soins au cours d’un jeûne de protestation. Si à l’avenir un litige devait survenir dans un tel cas, il n’est pas exclu que d’éventuelles directives anticipées puissent être contestées et considérées nulles et non applicables sur le plan juridique, car non conformes à l’art. 20 CO [76] ; en effet, il s’agirait de déterminer dans quelle mesure l’acceptation de la mort à fin de revendication n’est pas « illicite ou contraire aux moeurs ». Les directives anticipées pourraient en outre être contestées sur le fait que le patient n’est pas atteint d’une maladie incurable ou d’un handicap sévère et irréversible. h) Dossier détaillé La Déclaration de Malte recommande de disposer d’un dossier médical détaillé. Le dossier médical représente un document de nature médico-légale, et le médecin devra, par déontologie 68 et par obligation légale[61 ], le tenir suffisamment complet et à jour. Le jeûne de protestation en médecine pénitentiaire est non seulement un problème de santé, mais également influence et est influencé par la situation judiciaire du détenu. En disposant du dossier judiciaire, le médecin pourrait alors mieux apprécier la légitimité de la revendication de son patient, en se basant sur des faits objectifs, et éventuellement le conseiller plus précisément sur ses chances de succès. En revanche, la lecture et l’interprétation d’un dossier judiciaire fait appel à des compétences qui ne sont pas directement du ressort d’un médecin, mais plutôt de l’avocat ; en outre, l’accès à de telles données serait susceptible de modifier la vision du médecin sur son patient et donc potentiellement sa prise en charge médicale. Dans cette perspective, il semble préférable que le médecin ne dispose pas du dossier judiciaire, mais qu’en revanche il obtienne du patient lui-même certains renseignements concernant sa situation judiciaire, dans le seul but d’évaluer sa capacité de discernement, et de mieux saisir le contexte et le sens de la démarche de son patient. Dans les institutions genevoises, un dossier médical et un dossier infirmier sont tenus pour chaque patient. L’accès aux données sensibles contenues dans ces dossiers est restreint afin de protéger les droits du patient. En revanche, sauf contre-indication thérapeutique, un détenu peut avoir accès à son dossier médical, conformément entre autre à la CPT du Conseil de l’Europe [2] ainsi qu’à la loi cantonale K 1-80. La rigueur avec laquelle les patients sont suivis et les cas pathologiques identifiés permet de retrouver de manière fiable les différents cas, que ce soit pour le suivi du patient, des suites légales ou un but de recherche. i) Examen de santé approfondi dès le début du jeûne et suivi clinique, vérification quotidienne de la poursuite du jeûne et des souhaits du patient en matière de traitement, inscription au dossier La Déclaration de Malte recommande que le patient effectuant un jeûne de protestation soit soumis à un examen de santé approfondi, dès le début du jeûne. En outre, le médecin doit vérifier quotidiennement la volonté du patient de continuer ou non son jeûne. Dans les institutions genevoises, si tout refus alimentaire est signalé et consigné dès qu’il est suspecté ou annoncé, la prise en charge médicale n’est, en général, pas entreprise dès l’annonce d’un jeûne de protestation ; un délai d’un ou deux jours est en général admis. Ceci permet au service médical de ne pas être sollicité par le moindre effet d’annonce, souvent sans suite ; de plus, en ne donnant pas une attention immédiate au jeûne, le service médical évite de renforcer une motivation de départ peut-être fragile. De même, le suivi du patient (y compris la vérification de la volonté du détenu de poursuivre le jeûne) se fait en général une ou deux fois par semaine. De ce fait, la recommandation de la Déclaration de Malte n’est pas suivie avec la rigueur proposée, du moins en début de jeûne, soulignant le caractère progressif du risque dans la prise en charge du jeûne de protestation. Il faut ici rappeler qu’en pratique un grand nombre de jeûnes de protestation sont interrompus au cours de la première semaine et ne revêtent donc pas les critères de gravité tels qu’ils sont présentés dans la Déclaration de Malte. j) Confidentialité et information de la famille Au titre de la confidentialité, le médecin ne communiquera des renseignements sur son patient que si celui-ci le délie formellement du secret médical. Une telle communication permet à l’autorité et/ou aux témoins de savoir si le jeûneur présente des complications de son jeûne ou des comorbidités, et d’évaluer la rapidité d’évolution du jeûne. Bien que l’évolution naturelle d’un jeûne présente des variations selon les situations individuelles, un tel certificat permet de se faire une certaine idée de la détermination réelle du jeûneur, en fonction de l’aggravation progressive de l’état de santé objectivée. Lorsque le médecin rédige un certificat médical, il doit également décider avec le patient s’il mentionnera les dispositions convenues concernant les traitements auxquels le patient consent en cas de complication grave. La publicité de directives anticipées oblige le partenaire-cible à se déterminer plus tôt dans le déroulement du jeûne (avant l’apparition de complications) sur l’attitude qu’il adoptera en cas de complications graves ; de même, il peut alors rendre publiques ses propres intentions, renvoyant la balle dans le camp du jeûneur. Un tel échange d’informations et de dispositions accroît la pression sur les protagonistes, en les obligeant à répondre précocement à des questions essentielles ; le conflit tend alors à se radicaliser ou, au contraire, à se résoudre. D’après la Déclaration de Malte, les choix de traitements, présents et à venir, doivent rester au secret dans les notes du médecin [31]. En revanche, la Johannes Wier Foundation (JWF) recommande que des directives anticipées soient, avec l’accord préalable du patient, communiquées publiquement, afin de faire connaître les raisons de non-intervention en cas de complications médicales et donc les risques réellement encourus par le jeûneur. Dans les institutions pénitentiaires genevoises, toute personne peut demander des renseignements sur l’état de santé d’un patient. Le médecin fournira alors un certificat médical, en tachant de répondre aux attentes du mandant. Toutefois, il ne remettra un tel document qu’après avoir obtenu l’accord de l’intéressé quant à la transmission d’informations médicales, en raison de l’obligation de confidentialité du médecin vis-à-vis de son patient 69 . Celui-ci est en droit d’accepter ou de refuser sans donner d’explication qu’un tel certificat soit remis. La personne à l’origine de la demande de renseignements pourra bien sûr tirer ses propres interprétations de la situation en cas de refus du patient (p.ex. état de santé rassurant, manque de légitimité des revendications). S’il s’agit du juge, il pourra en outre ordonner une expertise ; celle-ci revêt un caractère contraignant, le détenu devant se présenter devant un expert. Mais là encore, le détenu peut refuser l’accès à son dossier médical et s’abstenir de répondre aux questions de l’expert. D’après Restellini, il est du « devoir médical » de rédiger des bulletins de santé successifs vu le danger encouru par le patient [4]. Dans l’intérêt du patient lui-même, le médecin doit donc chercher à convaincre son patient de le délier du secret médical. Concernant la famille du patient, il est clair que celui-ci est seul apte à consentir ou refuser les interventions médicales 70 , et qu’il décide en outre quelles informations il voudra communiquer à ses proches. En revanche, en cas de perte de la capacité de discernement (p.ex. coma secondaire au jeûne), le médecin pourra informer les proches de la situation et des traitements entrepris 71 , ceci dans l’intérêt prépondérant du patient et sans heurter sa volonté préalablement exprimée. Toutefois, même dans ce cas, les proches ne conservent qu’un rôle subsidiaire, les décisions d’ordre médical revenant juridiquement au médecin [77]. k) Proposition de soins adéquats La détention implique la perte de certains droits du citoyen ainsi qu’un accès limité à certains types de structures et de lieux publics. L’accessibilité des détenus à un réseau de soins est toutefois essentiel au respect des Droits de l’homme [78] (principe d’équivalence des soins). Ce réseau de soins doit être adéquat, ce qui signifie qu’il doit offrir aux détenus les mêmes possibilités de prise en charge que pour les citoyens libres, et de plus qu’il soit adapté aux besoins spécifiques de la population carcérale (p.ex. compétence et formation des personnels de santé pénitentiaires dans les domaines de la toxicodépendance, le soutien psychologique ou encore la prise en charge de détenu effectuant un jeûne de protestation). Comme cela a été dit plus haut, les institutions genevoises tachent d’offrir, à travers le service médical à la prison de Champ-Dollon et le QCH, un prise en charge ambulatoire et hospitalière identique à celle disponible pour un citoyen libre et de plus adaptée aux spécificités de la médecine pénitentiaire. l) Absence de pression exercée pour amener le patient à interrompre son jeûne. La cessation du jeûne n’est pas une condition pour recevoir un traitement. Protection contre la coercition - isolement protecteur La coercition est l’exercice d’une contrainte sur un individu, dans le but de limiter sa liberté de choix et d’action. S’il semble par principe évident de protéger un patient de toute coercition, ce n’est pas si simple en pratique. Le jeûneur menant une action potentiellement dommageable à sa santé, il est ainsi plus difficile de définir ce qui correspond à une forme de coercition. Le jeûne de protestation crée une situation ambiguë et délicate, en particulier pour le médecin et le service médical. En effet, toute action ou attitude visant à faire cesser le jeûne pourrait être interprétée comme une entrave à la liberté d’expression du détenu et donc une forme de coercition, quand bien même ceci serait fait dans son intérêt (protection de la santé du jeûneur). En fait, deux droits fondamentaux entrent en conflit : le droit de consentir à ou refuser un traitement médical, et la liberté d’expression. Les codétenus sont également susceptibles d’exercer des pressions sur le jeûneur, que ce soit pour le soutenir ou le faire céder. C’est pour éviter l’un comme l’autre et rendre le détenu plus autonome dans ses choix qu’un isolement protecteur est proposé par certains, en particulier par l’AMM. Toutefois, l’isolement est mal vécu par certains détenus ; il peut même parfois s’agir du motif initial du jeûne (isolement dans un quartier cellulaire de haute sécurité 72 , mise au cachot comme forme de punition). En revanche, dans certains cas de surpopulation carcérale, il pourra être difficile d’isoler le jeûneur. Il est même concevable qu’un pseudo-jeûne* de protestation serve de prétexte pour l’obtention d’un privilège de ce genre ; d’autres pathologies sont parfois simulées ou exagérées afin d’échapper à des conditions de vie ou de détention pénibles, bien qu’il soit en général impossible de prouver une simulation et que le milieu médical répugne le plus souvent à manifester de telles suspicions 73 . Que ce soit dans les établissements pénitentiaires à Genève ou ailleurs, il semble difficile en pratique de mettre efficacement un détenu à l’abri des codétenus et de toute forme de coercition. Les cas de violence physique, fréquents en milieu carcéral, en sont un exemple. Des détenus préfèrent résoudre entre eux leurs différents plutôt que de faire appel à la protection des services de sécurité pénitentiaires. Toutefois les mesures d’isolement protecteur semblent être la manière la plus efficace de protéger le patient. Dans les institutions pénitentiaires genevoises, elles sont en général accordées sur demande raisonnable du détenu, sans qu’il s’agisse d’une obligation pour le détenu ; toutefois, le Service médical préfère qu’un détenu jeûneur soit en cellule avec d’autres détenus pour faciliter au contraire son alimentation secrète ; le but implicite est de protéger la santé du patient détenu. Cette attitude est également décrite en Grande Bretagne par le Dr Brown [voir Annexe C.2.c)]. Cela est dans l’intérêt du patient puisqu’il peut ainsi mettre un terme à son jeûne de manière plus prolongée et discrète, et avec moins de risque de complications médicales graves. On peut toutefois se demander s’il ne s’agit pas d’une forme de coercition ; en effet, le but visé est l’interruption du jeûne, il n’est pas explicite dans la relation médecin-patient, et le jeûneur est soumis à la tentation répétée de se nourrir, sous l’oeil des codétenus. Delaite propose au contraire d’isoler le jeûneur dans le but avoué d’éviter le soutien des codétenus ou du moins la présence d’un témoin, même silencieux [11]. Le but visé est de ne pas renforcer la conviction du jeûneur ; c’est dans un sens une autre méthode affaiblissant la volonté du patient. D’autant que les personnes susceptibles de faire renoncer le patient (famille et amis) peuvent exercer une influence, dans un sens comme un autre, lors des parloirs ; comment ensuite opérer le tri parmi les visites, en particulier s’il s’agit de militants venant soutenir un jeûneur politique. En France, une technique de l’administration pénitentiaire consistant à isoler le détenu afin d’empêcher tout ravitaillement clandestin semble avoir été utilisée pour fait céder les jeûnes de protestation simulés [5, ] ; ceci comporte le risque de défier le détenu et d’encourager une attitude contestataire en lui accordant officiellement un statut particulier [28]. Une autre attitude coercitive consiste à proposer du lait plutôt que de l’eau au jeûneur, l’obligeant ainsi à s’alimenter, pour autant qu’il n’entreprenne pas alors un jeûne absolu (grève de la soif) [28]. L’alimentation n’est pas le seul point délicat. Certains détenus reçoivent des traitements avant de commencer un jeûne, et leur interruption ou adaptation peut parfois s’avérer nécessaire pour des raisons médicales. Les contre-indications peuvent être relatives et la limite fixée de manière subjective voire arbitraire. A titre d’exemple, les sédatifs sont souvent interrompus lors de jeûnes de protestation, sous le prétexte de pouvoir mieux évaluer l’état de conscience du patient et d’éviter des intoxications en cas d’insuffisance rénale. Pourtant, il est certain que ces médicaments peuvent être un appui pour le sommeil du jeûneur dans une période de stress ; d’autre part, un grand nombre de détenus ont l’habitude de prendre des sédatifs, certains présentant déjà une accoutumance de longue durée. Sans que l’on puisse parler de coercition explicite, en refusant la prescription de sédatifs le médecin tend à amoindrir la résistance du jeûneur, ou du moins à ne pas lui faciliter la tâche. De ce fait, ce devrait être une décision médicale dont l’indication est posée indépendamment du contexte. Pourtant, dans certains cas, les infirmières du service médical semblent considérer qu’il s’agit d’une règle à appliquer systématiquement et dès le début du jeûne 74 . Dans le cas particulier des patients toxicomanes qui font un jeûne de protestation, ce qui arrive occasionnellement, il semble fort improbable qu’ils puissent mener un quelconque jeûne sans méthadone, anxiolytiques ou sédatifs. En outre, certains médicaments sont en revanche prescrits et choisis pour des raisons parfois proches d’une certaine forme d’entrave volontaire à la poursuite du jeûne 75 . m) Liste de recommandations à l’intention de l’équipe médicale n) Tenue de statistiques sur les jeûnes de protestation Les Déclarations de l’AMM n’abordent pas la tenue de statistiques. Celles-ci permettent de documenter la prise en charge générale des jeûnes de protestation et le fonctionnement académique des services médicaux, plutôt que la prise en charge d’un détenu en particulier. La tenue de statistiques et la description systématique des situations de jeûnes de protestation prises en charge par le service médical pénitentiaire présente toutefois l’avantage d’assurer une cohérence dans la gestion médicale des patients détenus. A Genève, il n’existait jusqu’à présent pas de données statistiques relatives au jeûne de protestation. Les données étudiées dans le présent travail sont présentées au chapitre 7. C. Comparaison de la prise en charge des jeûnes de protestation à Genève et dans certains pays d’Europe, ainsi qu’au CICR C.1. Objectifs de la comparaison Comme nous l’avons vu, les lignes directrices concernant la prise en charge des jeûnes de protestation en Suisse sont assez restreintes et la liberté d’action à l’échelon local (services judiciaires et sanitaires des prisons au niveau cantonal) est assez grande. Par ailleurs, il n’existe pas de système d’échange d’informations régulier et organisé entre les IUML, au niveau international, du moins pas sur des thèmes précis de médecine pénitentiaire ; les échanges se font lors de congrès réunissant des membres de plusieurs instituts ou lors de visites ponctuelles d’institutions médicales pénitentiaires ; l’Association Suisse de Médecine Légale permet des échanges réguliers, mais les neuf dixièmes des activités concernent les activités techniques et de laboratoire, plutôt que les questions éthiques. Les IUML ne sont d’ailleurs pas toujours impliqués au premier plan dans la problématique du jeûne de protestation et ce sont souvent les médecins responsables de services de santé dans les pénitenciers qui doivent eux-mêmes définir l’attitude à suivre. On peut encore citer la Conférence suisse du personnel soignant pénitentiaire qui permet aux personnels de santé de partager leur expérience sur le terrain. La prise en charge des jeûnes de protestation est, jusque dans la période suivant la deuxième guerre mondiale, relativement difficile à définir d’un pays à l’autre, jusqu’à ce que la multiplication des cas de jeûnes de protestation suscite une réflexion sur ce sujet. On a ainsi vu des attitudes divergentes apparaître. Ainsi, en septembre 1975, la délégation autrichienne auprès du 5ème congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des détenus défend l’idée que « la nutrition forcée ne peut être considérée comme un traitement dégradant et inhumain » du fait qu’ « au cours de la grève de la faim des changements prennent place dans le métabolisme qui peuvent influencer la sphère mentale » et que « dans cette situation il est douteux que la volonté de l’individu puisse être encore respectée » [36]. Le Code Pénal belge, dans son art. 422bis, stipule que « sera puni d’une peine d’emprisonnement [...] et/ou d’une amende [...] celui qui s’abstient de venir en aide ou de procurer une aide à une personne exposée à un péril grave [...] ». L’Ordre des Médecins belge précise toutefois à cet égard que « on doit comprendre par les mots « porter assistance », aider le prisonnier moralement ou physiquement en respectant sa volonté. » Il ajoute que le médecin « doit l’aider physiquement s’il devient inconscient, incapable d’exprimer sa volonté » [14]. C’est dans la même période qu’est adoptée la Déclaration de Tokyo (voir 6.A.1.b) l’interprétation qu’en donne à l’époque l’AMM). La Déclaration de Malte et le manuel de la JWF, plus récents, marquent une évolution dans le respect des droits du patient. C.2. Choix des pays de comparaison Les pays choisis se trouvent tous en Europe. Il faut noter que, d’un pays à l’autre, il existe de fortes différences dans le système judiciaire, les populations carcérales et les moyens d’expression à disposition des détenus. Afin de faciliter les comparaisons et de mettre en évidence d’éventuelles divergences d’autant plus intéressantes, les pays comparés ont été sélectionnés empiriquement sur la base d’une littérature plus importante concernant la prise en charge des jeûnes de protestation et d’attitudes relativement contrastées. Il s’agit de l’Espagne, de la France, de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas. En outre, une comparaison a été également faite avec le CICR. La prise en charge des jeûnes dans ces pays, d’après les données de la littérature à disposition, est décrite dans ses grandes lignes dans les paragraphes suivants. Elle n’est plus forcément d’actualité, les lignes directrices pouvant s’être modifiées en tenant compte de l’expérience acquise. Une mise à jour par questionnaire de la situation actuelle dans ces pays permet de répondre dans une certaine mesure à cette incertitude (voir 6.C.3.). a) Espagne L’Espagne a été confrontée avec les jeûnes de protestation de membres du GRAPO, notamment en 1990. Les autorités ont prôné le devoir d’intervention de l’Etat, avançant que celui-ci à la responsabilité absolue des personnes à sa charge. La nutrition forcée des jeûneurs a été entreprise précocement, alors qu’ils étaient encore capables de discernement, amenuisant d’autant la portée de leur action mais rendant également l’intervention de l’Etat plus critiquable. Les médecins des services de santé pénitentiaire étaient obligés de réalimenter les détenus jeûneurs par décision de justice. Ceux qui furent impliqués dans la nutrition forcée des terroristes ont subi des menaces de la part du GRAPO. L’un de ces médecins 76 a d’ailleurs été assassiné en représailles à l’attitude interventionniste de l’Etat. La nutrition de force, en particulier avant la perte de conscience, a toutefois suscité de vif débats dans la presse, de la part du gouvernement, des juges de vigilancia penitenciaria, des médecins ou encore des avocats, et a nécessité des décisions de justice répétées, à un échelon local. En dépit des mesures prises, certains détenus sont mort des suites de leur jeûne. Il est intéressant de noter que le Code de déontologie du Conseil général des médecins en Espagne fait référence au jeûne de protestation 77 . De manière générale, il semble que même les médecins opposés à l’alimentation de force d’un détenu conscient et capable de discernement admettent que des mesures de réanimation soit entreprises en cas de complications médicales graves, en dépit d’éventuelles directives anticipées 78 . b) France La France, plaçant la liberté individuelle au premier plan, n’a pas exercé de contrainte sur les détenus menant un jeûne ; toutefois, le devoir d’assistance à personne en danger, tel que la loi le définit, impose au médecin d’intervenir en cas de perte de la capacité de discernement, y compris lorsque survient un coma attendu dans l’évolution naturelle du jeûne. Une évolution récente vers un plus grand respect de la liberté du détenu de manière générale semble avoir influencé la prise en charge actuelle des jeûnes de protestation. c) Grande-Bretagne Cette politique de non intervention doublée d’une inflexibilité sur les revendications en raison des enjeux politiques, est restée dans la mémoire collective et l’histoire de l’Irlande du Nord suite aux décès successifs de 10 détenus indépendantistes irlandais. d) Pays-Bas Aux Pays-Bas, un jeûne de protestation collectif mené par un groupe de 180 requérants d’asile vietnamiens en 1991 a suscité une réflexion approfondie sur la prise en charge de ces patients [37]. Un séminaire organisé par la Royal Dutch Medical Association et la Johannes Wier Foundation pour la santé et le droits de l’homme a permis la rédaction du manuel de la JWF [42]. Ce manuel implique une attitude de non-intervention, mais les Pays-Bas n’ont pas connu de crise semblable à celle du conflit irlandais. e) Suisse (institutions pénitentiaires genevoises) L’attitude adoptée en Suisse et à Genève est décrite plus haut. De manière générale, la Suisse a une tradition politique de consensus, cherchant à éviter les situations de crise, et offre un certain niveau de confort dans les centres de détention et des moyens de recours à la disposition des détenus. f) CICR L’attitude adoptée par le Comité International de la Croix Rouge (CICR) est intéressante en ce qu’il s’agit d’un organisme fréquemment impliqué dans la prise en charge de détenus, ainsi que de jeûnes de protestation en raison des situations politiques et économiques difficiles et variées dans lesquelles le Comité est appelé à intervenir. De plus, il s’agit d’un service indépendant de toute autorité pénitentiaire ou politique nationale, et qui est de ce fait encore plus sollicité à jouer également un rôle de témoin ou de médiateur neutre dans le conflit. C.3. Questionnaire a) Personnes de référence France : Dr D. Scotto di Fasano, médecin au Centre pénitentiaire de Marseille - Les Baumettes, Ministère de la Justice Pays-Bas : Dr Th. J. Hans de Man, Inspecteur médical des soins de santé pénitentiaires, Ministère de la Justice. Espagne : Dr Julián Espinosa, Secrétaire d’Etat aux affaires pénitentiaires, Ministère de la Justice et de l’Intérieur. Grande-Bretagne : Dr P. E. Brown, ancien médecin de prison, expert auprès du Conseil de coopération en pénologie du Conseil de l’Europe. CICR : La position du CICR se base sur les directives officielles [79] et des entrevues avec le Dr H. Reyes, médecin auprès de la Division médicale de cette institution. Suisse : La prise en charge décrite est celle pratiquée dans les institutions pénitentiaires genevoises, déterminée d’après les notes de service, une revue de cas et les informations fournies par les médecin responsables du service médical à la prison de Champ-Dollon et du QCH à Genève en 1996 81 . Les réponses des différents responsables interrogés sont rendues telles quelles, traduites en français le cas échéant. Une synthèse a été faite des réponse à chaque question. Les réponses rapportées font référence à la situation en 1996. (1) Règles orientant la prise en charge des jeûnes de protestation - existence d’une liste de recommandations Pays-Bas : La prise en charge des jeûnes de protestation dans les institutions pénitentiaires aux Pays-Bas est orientée par la publication de la Johannes Wier Foundation ([42], texte en Annexe B. ; n.d.l.a.. T. Hans de Mann commence par quelques remarques sur la publication de la Johannes Wier Foundation pour l’adapter à la situation dans les prisons et maisons d’arrêt (remand houses). Il a envoyé ces remarques à tous les services médicaux des prisons, maisons d’arrêt et institutions pour mineurs : certains grévistes de la faim réclament d’être examinés et conseillés par ce qu’on appelle un « médecin de confiance », mais ne sont pas capables d’en nommer un ; dans ces cas, le médecin de la prison peut suggérer qu’à sa demande un autre médecin de prison, rattaché à une autre prison ou maison d’arrêt, joue le rôle de « médecin de confiance » pour le patient. En dernier lieu, c’est au jeûneur de décider s’il ou elle accepte ce médecin de « deuxième opinion ». Tout examen et/ou consultation par un médecin qui n’est pas employé par le Ministère de la Justice tombe sous la responsabilité du directeur de la prison et nécessite l’avis du médecin de la prison et de l’Inspecteur des Services de Santé pénitentiaire au Ministère de la Justice. L’admission à l’Hôpital pénitentiaire de Scheveningen peut être effectué sans la permission du détenu menant un jeûne de protestation (contrairement à l’admission dans un hôpital civil qui nécessite toujours la permission du patient). La raison en est que l’Hôpital pénitentiaire a le statut légal d’un maison d’arrêt ; ainsi le transfert est une mesure d’ordre pénitentiaire, qui peut être entreprise contre la volonté du patient (mais jamais aux dépends de sa santé). Le modèle de déclaration de non intervention (chapitre VI de la publication de la JWF) ne s’applique pas pleinement à la situation pénitentiaire. Ainsi, un détenu n’a jamais le droit de réclamer l’admission dans un hôpital civil, et n’a pas le droit de refuser l’admission à l’Hôpital pénitentiaire de Scheveningen pour les raisons susmentionnées. Espagne : En Espagne, la grève de la faim en prison oblige l’équipe médicale de la prison à suivre un protocole voir Annexe C.2.c) qui comprend l’information du patient concernant les risques que comporte la grève de la faim et des investigations médicales auxquelles il va être soumis, afin qu’il puisse donner son consentement. Grande-Bretagne : Le jeûne de protestation est considéré comme un trouble du comportement spécifique avec l’intention d’exercer une pression sur l’Autorité pénitentiaire, afin d’obtenir quelque chose auquel le prisonnier considère, de son point de vue, avoir droit. Cette état est clairement distinct de troubles alimentaires pathologiques tels que l’anorexie mentale, la boulimie, la dépression psychotique, la démence, les états paranoïdes schizophrènes, ou tout autre trouble physiologique organique. Lorsque aucun de ces états pathologiques n’est présent, que l’examen clinique est sans particularité et qu’un avis spécialisé confirme cet état de fait, la procédure initiale consiste à entreprendre une discussion approfondie avec le prisonnier, signalant en termes précis les effets secondaires possibles du jeûne sur la santé. (Le jeûneur) devrait être averti qu’il lui sera proposé des repas de son choix, aux horaires habituels et que le personnel de santé n’exercera aucune pression, qu’il prenne ou non ces repas. S’il refuse, la nourriture est remportée de sa cellule et il lui est toujours laissé sans restriction des réserves d’eau ou d’autres boissons de son choix. Il est parfois approprié de placer le prisonnier dans une petite unité carcérale, si possible d’environ cinq lits où il aura la compagnie d’autres patients. On notera que la « pression exercée par les pairs » est souvent très efficace et, de toute manière, s’il lui est offert de petites quantités de nourriture par ses codétenus, il est admis que le personnel médical « ferme les yeux » sur cette situation, préférant privilégier la protection de la santé du jeûneur. Dans ces conditions, bien des jeûneurs ont été quasiment dans l’impossibilité de poursuivre leur refus alimentaire. Chaque fois que de la nourriture ou des boissons sont prises, ce fait doit être pris en note par le personnel médical. Le médecin devrait expliquer à son patient que, afin d’apprécier le rythme auquel la dégradation physique progresse, il est essentiel, avec son consentement éclairé, de suivre quotidiennement la baisse de son état général. L’évaluation nécessaire comprend la mesure quotidienne du poids, de la température, du pouls, de la fréquence respiratoire et de la pression artérielle, ainsi que la prise alimentaire et liquidienne déclarée, s’il en est, et comparée au bilan urinaire. Une évaluation périodique des fonctions rénale, hépatique et hématologique devrait être effectuée, avec le consentement du patient, ainsi qu’un status urinaire quotidien, recherchant en particulier la présence de corps cétoniques. La signification de valeurs anormales devrait être expliquée au patient et son accord obtenu pour permettre au médecin de décrire intégralement l’évolution de l’état de santé du patient à l’autorité pénitentiaire. Ceci ne signifie pas que l’équipe médicale doive à un moment ou un autre s’impliquer dans le conflit entre le patient et les autorités. Le patient a le droit de lire, et d’obtenir des copies, de tout certificat médical effectué par le médecin. CICR : Stroun, dans un article publié en 1990 [3], aborde les différents aspects relatifs au jeûne de protestation en milieu carcéral et décrit entre autres la prise en charge par le CICR. Il replace le rôle du médecin en général dans le contexte particulier du jeûne de protestation, et donne les directives suivantes : revoir le diagnostic différentiel du jeûne de protestation, identifier d’éventuelles pressions exercées sur le patient, information et responsabilisation du patient, entretiens de suivi réguliers, clarification des désirs du patient en matière de soins en cas de complications médicales. Dans le cadre spécifique des activités du CICR, le rôle du médecin n’est pas de se substituer au système médical en place mais de surveiller son fonctionnement et proposer son expertise. L’intervention du CICR peut être sollicitée par l’une des parties en conflit, mais celle-ci ne doit pas apparaître comme un appui unilatéral à l’une d’entre elles, ni même jouer le rôle d’intermédiaire. Son seul rôle visera au respect des droits fondamentaux des détenus : droit de refuser de s’alimenter sans risquer des mesures de rétorsion ou l’alimentation forcée, accès aux services de santé et à une information objective. Suisse : Il n’existe pas de liste de recommandations officielles. La prise en charge médicale est définie par le médecin responsable du service médical pénitentiaire au niveau local. Synthèse : L’étude des institutions pénitentiaires dans les pays étudiés montre une grande variation dans la définition des recommandations orientant la prise en charge des jeûnes de protestation. Celles-ci sont standardisées au niveau national en Espagne et aux Pays-Bas, alors qu’en France, en Grande Bretagne et en Suisse la prise en charge est orientée par les recommandations du médecin responsable du service médical pénitentiaire local, en tenant compte du cadre fixé par le règlement pénitentiaire et la législation nationale. (2) Indépendance du médecin responsable concernant les décisions d’ordre médical France : La décision de suivi du gréviste est d’ordre exclusivement médicale . Pays-Bas : Comme dit précédemment, le transfert vers l’Hôpital pénitentiaire (mais seulement cette décision) peut intervenir sans la permission du détenu menant un jeûne de protestation. Ainsi, le médecin responsable n’est pas toujours pleinement indépendant dans sa prise de décisions d’ordre médical. L’alimentation de force n’est jamais autorisée, excepté dans les cas où le jeûneur est psychotique, compte tenu des résultats de l’examen psychiatrique. Espagne : Le médecin prend toujours les décisions, et décide des mesures à adopter, entre autres le transfert initial à l’infirmerie de la prison, pour un meilleur contrôle et suivi, et éventuellement, le transfert dans un hôpital ou la prescription d’une alimentation forcée. Ces décisions doivent être communiquées au Juge de Vigilance qui, s’il n’est pas d’accord avec la décision du médecin, peut également exiger de son propre chef le transfert dans un hôpital ou le début de l’alimentation forcée. Grande-Bretagne : L’application de toute procédure sur le patient par l’autorité pénitentiaire, un organe légal ou gouvernemental, ou la famille du patient n’est tolérée que si le patient, pour quelque raison que ce soit, y compris la perte de conscience, est incapable d’exprimer une volonté contraire. S’il a déjà clairement établi, par écrit, et en présence de témoins, qu’aucune mesure de réanimation ne doit être entreprise et qu’au moment de cette manifestation de volonté il était capable de discernement, il est admis que le médecin, avec l’appui d’un avis spécialisé, décide de laisser l’évolution du patient suivre son cours naturel, conformément à la volonté du patient jeûneur concerné. Il y a, dans ces cas, un devoir du médecin d’informer les autorités pénitentiaires de l’existence d’un risque vital grave. Le médecin conserve cependant toute indépendance dans ses décisions d’ordre médical. CICR : Le CICR est une institution indépendante. Il est toutefois avant tout un intermédiaire neutre et souvent n’intervient que pour visiter en qualité d’expert et non pour décider des traitements à appliquer. Suisse : Le médecin est indépendant dans les décisions d’ordre médical. Le service médical ne dépend pas hiérarchiquement du même département administratif que l’autorité pénitentiaire. Synthèse : Dans tous les pays étudiés, l’indépendance professionnelle du médecin responsable apparaît comme essentielle. Le médecin est toutefois subordonné à l’autorité judiciaire pour les questions de transfert vers certaines structures hospitalières en Espagne et aux Pays-Bas, ainsi que lorsque intervient une décision de nutrition forcée en Espagne. En cas de perte de la capacité de discernement et en l’absence de directives claires de la part du patient, l’avis de l’autorité pénitentiaire ou judiciaire, ou encore des proches du patient, est évoqué, sans que sa valeur légale soit claire ; on admet toutefois dans une telle situation que les principes éthiques et de déontologie amènent dans tous les cas le médecin responsable à intervenir pour maintenir la vie, même en cas de demande contraire de la part de l’autorité ou des proches. France : On considère l’individu gréviste comme un individu libre quant à son choix de traitement médical ; seules les contingences d’ordre vital donnent au médecin la seule initiative du traitement. Pays-Bas : Se basant sur la publication de la Johannes Wier Foundation, (le médecin responsable des services médicaux pénitentiaires) ne permet en aucun cas qu’un médecin, un membre du personnel infirmier ou un fonctionnaire du pénitencier nourrisse de force un détenu menant un jeûne de protestation, attendu que la personne concernée a exprimé de manière claire et indiscutable que sa volonté est de ne pas être alimenté. La détérioration physique est une conséquence biologique du refus alimentaire. Il est donc du devoir du médecin d’expliquer à son patient régulièrement ce qui se passe, de jour en jour, et de lui expliquer les conséquences ultimes. Espagne : En Espagne, il n’est pas possible d’adopter une position personnelle sur les questions découlant de la grève de la faim, car il existe une Sentence du tribunal constitutionnel qui oblige à prendre toutes les mesures qui sont nécessaires, y compris l’alimentation forcée, en cas de risque pour la vie du gréviste. Ledit tribunal considère que la vie est un bien fondamental, qu’il faut préserver au dépens du droit à la liberté du sujet. Grande-Bretagne : L’alimentation forcée n’est jamais indiquée au début d’un jeûne de protestation ni en cas de détérioration physique. Si le patient perd conscience, il est possible de le réalimenter, pour autant qu’il n’ait pas spécifiquement refusé de telles mesures alors qu’il était conscient et capable de discernement. CICR : Le CICR aura plutôt pour rôle de dénoncer des traitements contre la volonté d’un individu, en distinguant bien entre alimentation artificielle avec le consentement du patient et alimentation forcée (distinction tout aussi importante pour le partenaire-cible). Reyes souligne l’impact d’une réalimentation sur la volonté d’un jeûneur, toute la difficulté de recommencer à jeûner après avoir survécu à un premier jeûne. On ne pourrait ainsi proposer de réalimenter artificiellement en dépit de sa volonté précédemment annoncée, un jeûneur qui perd sa capacité de discernement suite au jeûne, en admettant de ne plus intervenir en cas de poursuite du jeûne après une première réalimentation. Suisse : La nutrition contre le gré d’un patient capable de discernement n’est légalement pas permise. En revanche, en cas de perte de la capacité de discernement suite aux complications du jeûne, le médecin responsable prend la décision de le réanimer ou non 82 . Synthèse : En Grande Bretagne et aux Pays-Bas, si le détenu est considéré comme sain d’esprit et a clairement demandé à ne pas être nourri de force, cette décision sera respectée. En Espagne et en France, pour des raisons légales, la réalimentation peut intervenir contre le gré du jeûneur en cas de coma. En Espagne seulement, l’alimentation de force est admise chez un détenu conscient. En Suisse, le médecin est totalement indépendant dans une décision de réalimentation (à l’exclusion de l’alimentation forcée chez un individu conscient). Dans tous les pays étudiés, le détenu est obligatoirement et régulièrement informé de l’évolution et des conséquences prévisibles du jeûne pour sa santé. (4) Possibilité de poursuites légales pour un médecin qui s’abstiendrait de traiter un jeûneur de protestation au nom du droit à refuser un traitement France : [De tels] articles de loi sont toujours en vigueur. Le refus du médecin peut aboutir à des poursuites. Pays-Bas : Tout citoyen a l’obligation d’offrir son aide à toute personne en danger. Mais la jurisprudence hollandaise considère en général plus grave de ne pas répondre à la volonté exprimée par un patient de ne pas âtre aidé ou traité, qu’il s’agisse d’un jeûne de protestation ou d’un autre patient. Espagne : Le droit du patient de refuser le traitement, que la loi espagnole admet, ne peut être appliqué en cas de grève de la faim à partir du moment où il existe un risque pour la vie du sujet, compte tenu de la Sentence susmentionnée. Par conséquent, le médecin a le devoir de l’assister contre sa volonté. Le Règlement pénitentiaire récemment approuvé dit dans son article 210 : « Assistance obligatoire en cas d’urgence vitale : le traitement médicosanitaire sera mené à terme toujours avec le consentement informé du patient. Seulement lorsqu’il existe un danger imminent pour la vie de celui-ci, il sera possible d’imposer un traitement contre la volonté de l’intéressé, pour autant que l’intervention médicale soit strictement nécessaire pour essayer de sauver la vie du patient et sans manquer de solliciter l’autorisation judiciaire correspondante si cela s’avère nécessaire. » Grande-Bretagne : Pour autant que le patient n’ait pas présenté de trouble mental avant et au cours du jeûne de protestation, la loi britannique ne menace pas un médecin qui aurait adhéré aux principes susmentionnés. Toutefois, il serait sage d’envisager une hospitalisation afin d’offrir des soins éventuellement meilleurs que ceux qui sont disponibles à la prison. CICR : Cette situation ne concerne pas les médecins délégués du CICR. En ce qui concerne la rédaction de directives anticipées, Reyes la voit principalement comme une décharge pour le médecin responsable du jeûneur. Il en retient l’usage selon le contexte, en particulier s’il s’agit d’un mode de manifestation antérieure de volonté couramment utilisé dans le pays concerné. Suisse : Le médecin n’est pas sujet à des poursuites en cas de décès, pour autant que l’absence de soins corresponde à la volonté exprimée par le patient. Outre l’indépendance du service médical vis-à-vis de la hiérarchie pénitentiaire et judiciaire, il n’y a pas en Suisse de responsabilité légale de l’état à assurer la survie du détenu à sa charge, contrairement aux Etats-Unis ou à l’Espagne. Synthèse : On distingue d’une part la situation prévalant en Espagne et en France, où un médecin refusant de réalimenter un détenu dans un coma secondaire au jeûne volontaire, est passible de poursuites judiciaires. D’autre part en Grande Bretagne, aux Pays-Bas et en Suisse, vu l’indépendance professionnelle du médecin, celui-ci n’encourt aucune poursuite s’il refuse de réalimenter un détenu, pour autant que celui-ci ait clairement indiqué que telle serait sa volonté. France : Examens somatiques et bilans biologiques réguliers (ionogramme, R.A., glycémie), contrôle du poids et de la tension artérielle humérale (TAH), contrôles ECG, éventuellement examens ophtalmologique et neurologique. Pays-Bas : Les examens cliniques et paracliniques de suivi habituels sont ceux proposés dans la publication du JWF voir Annexe B., sous la responsabilité du médecin de la prison. Espagne : Dès le moment où commence une grève de la faim, le médecin doit remplir le protocole joint voir Annexe C.2.c.. Il intervient obligatoirement lorsque l’équipe estime qu’il existe un risque pour la vie du sujet. Grande-Bretagne : La pratique courante consiste, avec l’accord du patient, à suivre de près l’évolution clinique et paraclinique, et de mettre à jour quotidiennement le dossier médical. CICR : Le bilan et le suivi clinique et paraclinique sont choisis et proposés par le médecin en fonction de chaque situation Suisse : Le patient est suivi régulièrement du point de vue clinique. Les examens paracliniques sont effectués en fonction de l’évolution médicale du patient. Synthèse : En Espagne et aux Pays-Bas, le suivi clinique et les examens nécessaires au bilan initial et au suivi sont standardisés selon des protocoles. Le bilan décrit en France correspond en fait à la pratique courante à la prison-hôpital des Baumettes. En Grande-Bretagne, en Suisse et au CICR, la fréquence des consultations et les examens paracliniques sont déterminés individuellement par le médecin responsable du jeûneur. France : Si une anomalie fonctionnelle survient, le patient est adressé à l’hôpital. Toute perte de poids supérieure à 10 % du poids initial nécessite son hospitalisation. Pays-Bas : A l’évidence, les autorités pénitentiaires préfèrent éviter que le décès d’un jeûneur ait lieu dans le cadre de la prison. Mais c’est principalement l’avis du médecin responsable selon lequel l’institution prenant en charge le détenu n’est plus capable d’offrir une prise en charge physique et mentale adéquate, qui décide de l’hospitalisation. Espagne : Les paramètres suivant sont susceptibles de poser l’indication à une hospitalisation : perte de poids, apparition de signes cliniques de déshydratation et perte en protéines, anomalies paracliniques et complications médicales imprévues, principalement cardiaque, rénale ou cérébrale. Grande-Bretagne : Les motifs d’hospitalisation son mentionnés ci-dessus, et il faut insister sur le fait que la disponibilité des soins pour un patient gravement malade peut être plus appropriée dans un hôpital général à l’extérieur de la prison. CICR : Le médecin délégué du CICR propose une hospitalisation le plus souvent pour des motifs contextuels (p.ex. isolement demandé par le jeûneur). Le médecin délégué du CICR pourra aussi proposer une hospitalisation en fonction de l’évolution de l’état général du jeûneur, en particulier s’il a le sentiment que le médecin du pénitencier en charge du jeûneur apprécie mal la situation. Une prise en charge médicale précoce est proposée en cas de facteurs de risque (p.ex. cardiopathie, ulcère gastrique) et, le cas échéant, le médecin délégué déconseille au détenu de poursuivre un jeûne vu le risque d’évolution rapide, se fondant sur une plus faible efficacité du jeûne de protestation comme méthode de revendication. En revanche, en l’absence de facteur de risque, Reyes suggère de ne pas hospitaliser avant les trois premières semaines d’évolution. Suisse : Le transfert d’un jeûneur de la prison de Champ-Dollon au QCH est décidé lors de l’apparition de complications médicales, rendant la prise en charge difficile au service médical. Dans certains cas, l’hospitalisation servira de porte de sortie honorable à l’arrêt d’un jeûne, sous prétexte de mieux conduire la réalimentation, ou encore d’une protection du jeûneur vis à vis de tiers (codétenus, partenaire-cible). Synthèse : De manière générale, l’indication à l’hospitalisation est posée lorsque l’état du détenu ne permet plus de lui proposer des soins adéquats pour son état de santé. Dans certains cas, une demande d’isolement protecteur de la part du détenu ou encore le fait qu’un jeûneur accepte des soins ou une réalimentation posera l’indication à une hospitalisation, plutôt que l’état général du détenu. France : Pas de chiffre [à disposition] 83 . Pays-Bas : Tout événement correspondant à un refus alimentaire a été annoncé à l’Inspecteur des services médicaux des prisons, quelle que soit la sévérité observée, de 1986 à 1993 voir Annexe C2.e). Vu la grande variation des chiffres et de leur signification, il est apparu que ces chiffres ne permettaient pas de tirer de conclusion et leur collecte a par la suite été interrompue. Espagne : Des statistiques existent mais elles ne nous ont pas été transmises. Grande-Bretagne : En ce qui concerne les statistiques sur les jeûnes de protestation en Grande Bretagne, P. E. Brown ne dispose pas actuellement de données récentes. L’évidence est que les décès suite à un jeûne de protestation sont très rares. CICR : Pas de données précises disponibles. Suisse : Pas de statistique à disposition 84 . France : Le concept de testament biologique est connu mais non utilisé vu la prépondérance du devoir d’assistance en cas de perte de conscience. Il n’y a pas non plus de médecin de confiance au sens où l’entend la JWF ; il existe une possibilité de mandater un expert en cas de désaccord sur l’avis médical, mais non la possibilité d’un suivi médical par un médecin extérieur. Pays-Bas : Une statistique globale (nombre de cas) a été tenue pendant quelques années mais interrompue (car considérée sans intérêt en raison de l’absence de conclusions à tirer de l’enregistrement statistique). Espagne : Tous les cas sont difficiles pour les personnels de santé s’ils doivent intervenir contre la volonté du sujet. En plus, le jeûne de protestation est encouragé par des membres des groupes politiques armés, qui divulguent les données personnelles des médecins qui interviennent, dans le but de les intimider. Dans un cas, ils ont assassiné un médecin de l’hôpital de Zaragoza. Grande-Bretagne : Le cas le plus sérieux de jeûne de protestation dont P. E. Brown ait eu la responsabilité a perdu plus de 50 % de son poids initial. Il a requis et obtenu une révision judiciaire de son cas et, à cette époque, les directives mentionnées plus haut concernant la prise en charge de tels cas étaient clairement acceptées par le juge. Le patient réalisa qu’un avis légal était sollicité et, ayant pris conscience qu’aucune manoeuvre de réanimation ne serait entreprise sans son accord, il interrompit immédiatement son jeûne et prit de la nourriture. Il est intéressant de signaler que, quelques mois plus tard, on posait chez lui le diagnostic d’état dépressif majeur, ce qui motiva un transfert dans un hôpital psychiatrique externe. Ce cas illustre la difficulté considérable que rencontrent parfois des psychiatres compétents pour distinguer le refus alimentaire du prisonnier manipulateur, souvent psychopathe, de ceux qui sont d’emblée cliniquement déprimés. La frontière peut être mince et la prise en charge de tels individus dépend largement du consensus exprimé par plusieurs psychiatres. Mis à part les intentions initiales du jeûneur, les modifications physiologiques et biochimiques qui s’installent au fur et à mesure du jeûne, en eux-mêmes, favorisent une instabilité mentale, des attitudes irréalistes, une tendance paranoïaque et un comportement anarchique, aboutissant à un état dépressif majeur nécessitant un traitement psychiatrique urgent. Bien des jeûneurs nécessitent en l’occurrence une évaluation selon les articles 47 et 48 du Mental Act (1983) et sont transférés dans un hôpital psychiatrique externe où une alimentation forcée peut être entreprise. Il faut toutefois tenir compte du fait que même des patients souffrant de pathologies psychiatriques clairement diagnostiquées ont des droits et que ce n’est qu’en cas de situation menaçant la vie qu’une intervention médicale, telle une réhydratation, est nécessaire ; dans ces situations, l’administration de ces traitements est régie par le droit commun. Les très rares cas qui demeurent totalement capables de discernement et meurent d’inanition ne peuvent être soumis à un traitement forcé. Comme mentionné précédemment, ces cas meurent habituellement dans un hôpital externe où les soins sont souvent de qualité supérieure à celle du système sanitaire pénitentiaire. Dans l’expérience de P. E. Brown, ces cas ont habituellement une base politique manifeste et le statut de martyr pourrait bien jouer un rôle essentiel dans les motivations du patient. CICR : Reyes rappelle l’importance des pressions exercées par le groupe de soutien dans les cas de grévistes irlandais et turcs. Reyes signale le cas de détenus dans le Caucase réalimentés contre leur volonté supposée, et admettant être satisfaits d’être vivants. Il rapporte le cas d’un détenu uruguayen, menant un jeûne de protestation alors qu’il était victime d’un cancer métastatique. L’altération de son état général par le cancer mettait en doute son jeûne ; ceci l’a amené à accepter des repas pour montrer que la maladie ne l’empêchait pas de manger et prouver par la même la véracité de son jeûne. Dans tous les pays concernés, le principe éthique de bienfaisance pour une intervention dans l’intérêt présumé du patient semble admis ; son interprétation dans le cas ambigu où survient une complication médicale sévère pourtant assumée par le patient, diverge d’un pays à l’autre, principalement en rapport avec l’obligation légale de porter assistance. L’indépendance professionnelle du médecin dans les décisions d’ordre médical semble également un principe essentiel et clairement reconnu. Il existe toutefois deux exceptions, outre le cadre fixé par la législation nationale, où le médecin responsable doit se plier à une décision du pouvoir judiciaire. En Espagne, la décision d’entreprendre une nutrition forcée chez un patient capable de discernement peut être imposée par le juge. En Espagne ainsi qu’aux Pays-Bas, la décision d’un transfert du patient du service médical pénitentiaire vers l’hôpital peut également être imposée par le juge. Le Tableau 3 reprend les différents concepts abordés individuellement dans le paragraphe 6.B.2. Le cas échéant, il résume la position de chacun des pays étudiés (v indique une adoption sans réserve du concept, x indique que ce concept n’est pas adopté ou seulement sous certaines réserves). D. Sondage auprès des personnels de santé sur des aspects éthiques de la prise en charge du jeûne de protestation D.1. But du sondage Nous avons cherché à connaître ce qui se fait au niveau local en Suisse sur la base de la position des personnels de santé responsables de détenus par rapport à certains dilemmes éthiques et certains aspects de la prise en charge non régis par la loi. A titre d’exemple nous avons demandé s’il faut donner la prépondérance au devoir de traiter pour sauver la vie ou au droit du patient de refuser un traitement. En effet, dans la mesure où le devoir d’assistance n’implique pas, en Suisse, de porter secours contre le gré de quelqu’un, ce sont les personnels de santé qui doivent décider s’il est dans l’intérêt supposé d’un patient de le réanimer en cas de complications médicales liées à son jeûne. Une autre question délicate est de déterminer si l’attitude des personnels de santé mène à une certaine forme de coercition. Notamment, la modification des traitements reçus par un détenu qui entreprend un jeûne de protestation peut rendre le jeûne plus difficile et amener le jeûneur à renoncer à son action. D.2. Méthode et analyse statistique Les informations ont été obtenues sur la base d’un questionnaire qui figure en annexe (Annexe C.). Il a été adressé en plusieurs exemplaires aux responsables de services de santé dans des établissements pénitentiaires suisses, en leur demandant d’y répondre et d’en remettre les exemplaires supplémentaires à leurs collaborateurs (notamment médecins et infirmiers). La liste des médecins responsables a été constituée sur la base de la liste des membres de la Conférence suisse de médecine légale. Une enveloppe-réponse affranchie à forfait et préadressée était jointe, afin de faciliter la participation. Des analyses de sous-groupes ont été effectuées sur la base des groupes suivants : Origine romande ou alémanique, profession, expérience (exposition à des cas de jeûne de protestation). Les groupes ont été comparés au moyen du test de Chi carré (x2), calculé par les fonctions statistiques du logiciel Microsoft Excel (x). Une différence dans les résultats est considérée statistiquement significative lorsque p<0.05. D.3. Résultats Les réponses proviennent pour 80% de médecins (n=53), 17% d’infirmier(e)s (n=11) et 3% de gardiens (n=2). Les questionnaires étaient anonymes. Il est toutefois intéressant de noter que 30% de tous les sondés ont spontanément indiqué leur nom, avec une prédominance en Suisse alémanique (41%) par rapport à la Suisse romande (12%) (p=0.012). Le taux de signatures spontanées chez les différentes professions (18% chez les infirmières, 34%chez les médecins et 0% chez les gardiens) montre également des différences significatives (p=0.017). Sur l’ensemble des répondants, 23% n’avaient jamais eu affaire à un cas de jeûne de protestation. Les personnes interrogées avaient une plus grande expérience en Suisse romande (8 % de personnes sans expérience) qu’en Suisse alémanique (32%) (p=0.026). L’ensemble des répondants estimait leur casuistique à 5.4 cas en moyenne (95% IC 85 3.92-6.88), soit 7.9 en Suisse romande et 4.0 en Suisse alémanique. Pour ceux qui avaient déjà pris en charge des cas de jeûne de protestation, ils estimaient leur casuistique à 7.0 cas en moyenne, soit 8.6 en Suisse romande et 5.7 en Suisse alémanique. En réponse à la question sur le secours à personne en danger, 58% des répondants estiment qu’il est dans l’intérêt du patient de le réanimer si sa vie est menacée par des complications de son jeûne en dépit de ses dernières volontés, tandis que 29% estiment qu’il faut respecter la volonté exprimée par le patient au risque de le voir décéder ; 14% des répondant n’ont pas pu trancher cette question délicate par une réponse claire. Les Romands et les personnels ayant déjà eu l’expérience de cas de jeûne donnent encore plus facilement la priorité au maintien de la vie du patient qu’à son droit de refuser un traitement, mais la différence n’est pas statistiquement significative. De plus, il est difficile de distinguer si ces deux caractéristiques influencent de manière indépendante les réponses puisque les Romands ont également plus d’expérience en moyenne. Par ailleurs, les infirmiers et gardiens sont plus favorables à une réanimation en dépit de la volonté exprimée par le patient (p=0.030). Une majorité (74%) des répondants exclut toute forme de coercition dans leur pratique, tandis que 20% admettent que l’interruption du jeûne pourrait être une condition pour l’administration de certains médicaments ou traitements. Les personnels de santé qui s’étaient exprimés pour le respect des droits du patient à refuser un traitement admettent plus facilement que l’interruption du jeûne soit la condition pour l’administration de certains traitements (p=0.033). Il n’y a pas de différence significative entre les autres sous-groupes. L’ensemble des résultats figurent dans le Tableau 4. D.4. Discussion Ce sondage donne un aperçu relativement équilibré et représentatif de l’opinion des médecins des services médicaux des centres de détention en Suisse. En revanche, la participation des infirmiers et plus encore des gardiens est très inégale et globalement faible ; il faut toutefois indiquer que lorsqu’il a été demandé aux médecins responsables de remettre des exemplaires du questionnaire aux collaborateurs, il n’a pas été précisé s’il s’agissait de toutes les personnes impliquées dans la prise en charge des détenus ou seulement des médecins. Il est intéressant de constater qu’un seul médecin a eu l’initiative de transmettre le questionnaire à des gardiens, si l’on s’en tient aux questionnaires retournés. L’expérience pratique en matière de jeûnes est plus importante en Suisse romande qu’en Suisse alémanique. Nous pouvons émettre diverses hypothèses : les détenus francophones seraient culturellement plus revendicateurs et entreprennent dès lors plus facilement des jeûnes de protestation ; les conditions de détention et le déroulement de la justice fourniraient plus de motifs de revendication en Suisse romande ; les personnels de santé romands surévalueraient leur expérience dans le domaine du jeûne de protestation ; la prise en charge des jeûnes en Suisse alémanique serait plus susceptible de dissuader les détenus de faire appel à ce mode de revendication ; les médecins en Suisse alémanique auraient globalement moins d’expérience en médecine pénitentiaire, p. ex. pour des raison d’organisation et de durée des engagements. Douze des 13 infirmier(e)s et gardiens consultés ont déjà eu à faire à des cas de jeûne de protestation, tandis qu’un quart des médecins n’avaient jamais été confrontés à ce problème. Nous pouvons émettre les hypothèses suivantes : les infirmiers et gardiens travaillent souvent de manière plus prolongée dans un service donné (en tout cas en comparaison avec des médecins-assistants), et comme les jeûnes de protestation sont relativement fréquents, il serait logique qu’ils y aient été déjà confrontés ; toutefois nous ne connaissons pas la position hiérarchique des médecins (directeur médical, chef de clinique, médecin-assistant) et il est probable que la plupart des médecins ayant répondu au questionnaire travaillent régulièrement en médecine pénitentiaire. Il est fort probable que le recrutement des participants ait été faussé parce que le questionnaire aurait été transmis par le médecin responsable à ceux qui avaient de l’expérience, et les infirmiers et gardiens sans expérience n’auraient pas été sollicités ou intéressés de participer. Si l’on compare l’incidence du jeûne de protestation mise en évidence par l’étude de la situation à la prison de Champ-Dollon (voir chapitre 7 sur l’épidémiologie du jeûne de protestation à Genève) et l’expérience en matière de jeûne de protestation rapportée par les personnels de santé sondés en Suisse, le nombre de cas rencontrés dans la pratique quotidienne des personnels de santé semble faible par rapport à la fréquence des cas relevée à Genève. Il est probable que les cas de jeûne de protestation ne durant que peu de jours ne sont pas retenus, ceux-ci n’étant soit pas signalés au médecin lorsqu’ils sont très brefs, ou oubliés et sous-estimés en raison de leur brièveté et de l’absence de complication médicale significative, ou encore sont considérés comme des pseudo-jeûnes de protestation. La question sur la priorité à donner à la survie du patient par rapport à son droit de refuser un traitement a suscité un certain nombre de réponses intermédiaires, ce qui se comprend par la complexité du dilemme éthique, probablement accentuée par le manque d’expérience de cas suffisamment graves pour soulever réellement ce genre de question. Les deux tiers de ceux qui ont répondu à la question s’expriment en faveur d’une réanimation du jeûneur en cas de complication (même si celui-ci avait exprimé un souhait contraire). Les différences signalées entre les sous-groupes, pour autant qu’elles soient avérées, peuvent s’expliquer par des différences d’attitude d’origine culturelle ainsi que par l’expérience préalable, la confrontation à des cas réels rendant plus difficile le fait d’accepter de ne pas intervenir en cas de complication médicale vitale. Si la plupart des participants n’admettent pas que le détenu soit victime de coercition de leur part, certains commentent : « oui, nous suivons les recommandations de l’AMM (pas de coercition) mais nous rediscutons l’indication de certains médicaments selon l’atteinte somatique (risque de surdosage) ». De même, ce sont paradoxalement les personnels de santé les plus disposés à respecter les droits d’un patient de refuser un traitement qui sont également les plus susceptibles d’exercer une forme de coercition en refusant certains traitements en cas de jeûne de protestation. Cette attitude semble acceptable en ce qui concerne certains médicaments lorsqu’il existe un risque de trouble de la conscience et de la fonction rénale ; la question reste de savoir si le refus d’administrer certains traitements non vitaux s’accompagne du secret espoir de voir céder le jeûneur. La majorité des répondants étant favorable à la réanimation de leur patient potentiel, nous pouvons supposer que leur objectif thérapeutique dans la prise en charge d’un jeûneur de protestation est de voir le jeûne s’interrompre avant toute complication, bien qu’ils ne puissent en général pas intervenir dans le conflit pour permettre également que les revendications du détenu trouvent satisfaction. Si cet objectif semble légitime compte tenu de la fonction habituelle d’un médecin ou d’un infirmier, il peut être difficile de l’atteindre sans faire indirectement pression sur le jeûneur. E. Conclusions Dans le cadre de directives très générales du Ministère public, la prise en charge des jeûnes de protestation dans les institutions pénitentiaires genevoises se définit sur la base des recommandations des responsables médicaux locaux. Une étude de la prise en charge des jeûnes de protestation dans quelques pays européens ne révèle pas d’élément nouveau significatif et correspond aux informations que donnait la littérature sur le sujet. Les grandes différences entre les pays étudiés traduisent des réalités politiques, historiques et culturelles très diverses. Elles sont résumées dans le Tableau 5. Deux axes principaux se dégagent des différences constatées. Le premier concerne les libertés dont le détenu jouit vis-à-vis de l’autorité. A un bout du spectre se trouvent les pays où la responsabilité de l’autorité et, de ce fait, son pouvoir sur le détenu sont maximaux, telle que l’Espagne ; à l’autre, les pays où la responsabilité et donc l’autonomie du détenu sont prépondérants. Un second axe est celui du soutien que le médecin apporte au détenu, ou plus exactement l’interprétation des intérêts du patient. A un extrême, se situent les pays où le corps médical privilégie la santé et la survie du patient, dans l’idée de passer un cap difficile ; à l’autre, ceux où le droit du patient à l’autonomie et à la revendication est valorisé, tels que les Pays-Bas. Dans le premier cas, on tend à penser qu’il est plus adéquat de tenter de répondre aux demandes spontanées de la part du patient plutôt que d’induire une attitude déterminée par une sollicitation de la volonté du patient, p.ex. en demandant systématiquement que soient remplis des formulaires de non-intervention et autres directives anticipées ; dans l’autre cas, on considère que les droits des détenus sont d’une part limités et d’autre part méconnus de ceux-ci, et justifient donc une sollicitation et une information actives. La prise en charge des jeûnes de protestation dans les institutions pénitentiaires genevoises suit globalement les Déclarations de l’AMM. Les principes éthiques de bienfaisance et d’autonomie sont admis. Les médecins responsables de détenus exercent leur profession de manière indépendante de l’autorité en charge des détenus. Les détenus sont clairement informés des risques encourus, et la démarche diagnostique comprenant une évaluation de la capacité de discernement est de règle. En revanche, les détenus n’ont qu’un accès limité à un médecin de confiance. Les dispositions prises par les détenus quant aux traitements des complications du jeûne, même en cas de coma, sont respectées et les modifications récentes de certains droits cantonaux donnent une légitimité aux directives anticipées. Les détenus bénéficient d’un bilan médical initial et d’un suivi clinique régulier qui est adapté à l’évolution et à la gravité du cas ; des soins adéquats sont proposés. En revanche, les motivations et les désirs du jeûneur ne sont pas vérifiés quotidiennement mais lors des contrôles cliniques en général hebdomadaires, du moins tant que le jeûneur n’est pas hospitalisé. Les détenus ne sont pas victimes de coercition manifeste, et un isolement protecteur est en général offert à ceux qui le désirent. Toutefois, un certain doute subsiste quant à l’administration restrictive de certains traitements et sur l’influence qu’à sur la pratique quotidienne le désir des médecins de voir le jeûne s’interrompre. |