Publié le jeudi 14 avril 2005 | http://prison.rezo.net/conclusions-et-propositions-de/ 8. Conclusions et propositions de recommandations A. Problèmes identifiés A.1. Aspects généraux a) Implication des personnels de santé pénitentiaires dans la démarche du détenu Quoiqu’il en soit, il semble essentiel de proposer une nourriture adéquate aux détenus, même en cas de jeûne volontaire. L’institution pénitentiaire ou le service médical peut également être amené à proposer des suppléments spécifiques (p.ex. vitamines) au détenu. Ceci peut être indiqué pour éviter certaines complications dramatiques comme l’encéphalopathie de Wernicke, mais peut également être demandé par le détenu. Témoins et partenaire-cible peuvent, en présence de ce type de traitements, se demander si le détenu n’a pas ainsi la possibilité d’optimaliser le déroulement de son jeûne et par conséquent de bénéficier du concours indirect des personnels de santé. Le principe de bienfaisance guidera en général la prise en charge médicale, le risque de collusion apparente passant au second plan. Les services médicaux doivent toutefois veiller à servir les besoins de santé du détenu ; notamment, il faut éviter d’une part que le détenu dispose sans restriction des ressources du service médical et mène son jeûne « à la carte », d’autre part qu’il semble bénéficier de traitements de faveur en raison de son jeûne. Quant au rôle que le médecin et l’équipe soignante doit jouer dans le conflit opposant le jeûneur au partenaire-cible, il semble que celui de médiateur neutre soit le plus adéquat. La neutralité implique la confiance que la patient peut avoir en son médecin, assuré du respect du secret médical, d’être informé de son état de santé et des risques encourus, de pouvoir accéder à son dossier. La neutralité implique en outre la confiance que tant le patient jeûneur que le partenaire-cible peuvent avoir dans le médecin, qui se gardera de prendre parti pour l’un ou pour l’autre. Ceci ne signifie pas que, outre le conflit à l’origine du jeûne de protestation, le médecin ne reste pas l’avocat et le protecteur des intérêts de son patient. La situation décrite par Kalk [91] en Afrique du Sud illustre bien cette dualité, dans un contexte où les patients étaient victimes d’une part de traitements inhumains et d’autre part d’un système judiciaire arbitraire et inéquitable. Il semble évident que Kalk et ses collègues ne souhaitent le décès des patient suite au jeûne pas plus qu’ils approuveraient tout acte délictueux reproché. En revanche, ils ont refusé de se faire les complices d’un système répressif et irrespectueux des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, défendant les intérêts de leurs patients lorsque par exemple ceux-ci étaient menottés à leur lits, se voyaient imposer la présence de policiers lors des consultations ou encore s’il devaient quitter l’hôpital pour poursuivre une détention de durée indéterminée en l’absence de toute inculpation. La distinction, parfois délicate à établir, se situe entre lutter pour le respect des droits du patient et s’impliquer en faveur des revendications du jeûneur ne concernant pas spécifiquement la relation médecin-patient. Toutefois, même si la situation conflictuelle décrite en Afrique du Sud en 1991 est relativement tranchée, le corps médical se doit de refuser toute situation inacceptable, au bénéfice des patients, même dans des systèmes pénitentiaires proposant de meilleures conditions de détention [92]. b) Prévention du jeûne de protestation Il est généralement admis qu’il n’est pas acceptable d’exercer des pressions pour faire cesser un jeûne de protestation. En revanche, on peut se demander dans quelle mesure la survenue d’un jeûne de protestation pourrait être prévenue. Des campagnes de sensibilisation pourraient chercher à décourager les candidats potentiels, en dépeignant le jeûne de protestation comme une méthode vouée à l’échec et pénible pour le détenu. Au contraire, cette publicité est susceptible d’avoir l’effet inverse, de susciter des vocations en poussant certains détenus au défi de contredire de telles affirmations. Quoi qu’il en soit, le jeûne de protestation n’est pas mieux étudié que bien d’autres maladies en terme de prévention. Il convient cependant de souligner que le jeûne de protestation est, en premier lieu, un mode de revendication et non une maladie. Il faut tenir compte du rôle de soupape qu’il peut avoir, permettant au détenu de s’exprimer, de manière extrême, dans un univers qui le réprime. Tous les détenus ne recourent pas au jeûne pour protester ; certains s’y spécialisent, en raison d’une personnalité plus revendicatrice, avec un taux de récidive important (de 10 à 35% d’après les données genevoises). On relève d’ailleurs que le jeûne de protestation, outre la revendication qui l’anime, s’accompagne de certains bénéfices secondaires. Ces avantages sont susceptibles de favoriser les récidives. Ainsi, le jeûne suscite l’attention des autres détenus, du service médical, du partenaire-cible ; il permet de rompre la monotonie de l’incarcération, avec parfois même un transfert au Quartier cellulaire hospitalier ; en outre, la culpabilité associée à l’incarcération est projetée sur autrui, le détenu prenant le rôle de victime. c) Conséquences psychologiques Notons encore que les conséquences psychologiques du jeûne de protestation sont souvent mentionnées mais qu’il n’est pas systématiquement proposé un suivi psychologique du détenu qui a interrompu un jeûne. d) Définitions et diagnostic Le jeûne de protestation étant un problème de santé qui a pour origine un comportement volontaire, on peut s’attendre à ce que l’expression des motivations par le jeûneur et leur identification par les témoins (service médical) soient prioritaires et aisés. Or, l’étude de Casile sur la prison des Baumettes et les données genevoises montrent la difficulté et le manque de rigueur dans l’identification des motivations (15% de motifs indéterminées chez Casile). Les motivations sont parfois inconnues en raison de problèmes méthodologiques (p.ex. il s’agit d’études rétrospectives sur dossier, et les motivations n’ont pas été consignées au dossier) ; dans d’autres cas, le jeûneur n’a pas de motivations claires. Ces cas ne correspondent plus vraiment à la définition du jeûne de protestation. Malgré tout, il y a peu d’intérêt à en faire une catégorie à part (jeûnes volontaires sans motivation claire). Quant à la prise en charge médicale de tels cas, on peut être tenté de restreindre la liberté de choix de tels individus. Toutefois, la capacité de discernement sous-entend une compréhension, par la personne concernée, des conséquences des ses actes mais pas forcément de pouvoir justifier ses choix de manière cohérente. Lors de la collecte de données épidémiologique sur le jeûne dans les institutions pénitentiaires genevoises, le diagnostic de jeûne de protestation a été posé de manière très large. Il se base principalement sur l’expression d’une souffrance par un détenu, à travers un refus volontaire de s’alimenter. La revendication est souvent présente mais pas essentielle pour prendre en considération la démarche. Le risque vital réel doit être toujours évalué avec sérieux ; l’absence de risque important ne signifie toutefois pas que le cas doive être négligé. Le diagnostic a une double utilité : 1. identifier les patients nécessitant une prise en charge médicale en raison d’une certaine souffrance psychologique et 2. identifier les patients présentant un risque vital somatique et nécessitant une prise en charge peut-être différente. Comme pour la plupart des pathologies, le jeûne de protestation correspond à un continuum, allant de la simple menace d’effectuer un jeûne jusqu’à une protestation résolue et clairement motivée se traduisant par un jeûne strictement mené et précisément défini dans ses modalités, avec, entre ces deux extrêmes, une très grande diversité tant au niveau des motifs que de la détermination du détenu et des modalités du jeûne. e) Cadre légal L’évaluation somatique et psychique du détenu en début de jeûne, ainsi que de sa capacité de discernement, peuvent être retenus dans la prise en charge habituelle. En revanche, pour tenir le détenu « continuellement sous observation » selon les termes du Ministère public, il faudrait pour le moins le faire admettre au Quartier Cellulaire Hospitalier dès le début de son jeûne. Il semble raisonnable que, dans la plupart des cas, un détenu effectuant un jeûne de protestation ne soit initialement pas reçu en consultation plus d’une fois par semaine, d’autant que l’accès au service médical est garanti en tout temps, à la demande de tout détenu. Ces directives recommandent encore que « si l’autorité compétente arrive à la conclusion que le discernement est compromis, sur la base du certificat médical, le détenu sera alors nourri de force (artificiellement) ». D’une part, il n’apparaît pas clairement qui est « l’autorité compétente » et de ce fait si la décision de réalimenter revient au médecin ou au partenaire-cible. D’autre part, ces directives ne tiennent plus compte des possibilités de directives anticipées, inscrites dans la loi plus tardivement, qui rendraient illégale une nutrition de force. f) Hospitalisation L’hospitalisation peut intervenir bien sûr en cas de complication médicale et/ou de baisse de l’état général rendant impraticable la prise en charge ambulatoire au sein d’un centre de détention, ou encore pour entamer une réalimentation. De façon plus inhabituelle d’un point de vue médical, l’hospitalisation lors d’un jeûne de protestation peut avoir pour rôle d’isoler le patient et/ou faciliter les négociations. Enfin, comme nous l’avons vu, elle peut être entreprise sur ordre judiciaire, p.ex. aux Pays-Bas et en Espagne. A.2. Contribution des Déclarations internationales et nationales Le jeûne de protestation est un des parents pauvres de la littérature médicale. Les données physiopathologiques sont tirées de modèles inadaptés (famines, régimes pour obèses), l’expérimentation est inexistante, pour des raisons éthiques évidentes. Les données épidémiologiques sont rarement publiées lorsqu’elles existent et les comparaisons sont donc difficiles. Les aspects médico-légaux sont prépondérants dans la littérature, mais s’inscrivent dans des contextes très variables d’un pays à l’autre. Enfin, le rôle du médecin est très différent suivant que le jeûneur est un détenu ou un citoyen libre ; la littérature médicale est encore plus pauvre dans ce dernier cas. Toutefois, malgré le manque de données précises, des recommandations relatives à la prise en charge des jeûnes de protestation ont été proposées, tant au niveau international (Déclarations de l’AMM) que national (p.ex. recommandation de la JWF). Ces recommandations prennent notamment en compte les aspects éthiques et médico-légaux. En effet, ceux-ci peuvent être abordés de manière générale et en partie d’un point de vue théorique, sur la base d’autres modèles reconnus et similaires quant aux principes adoptés (principes éthiques, droits des citoyens et des patients, relation médecin-patient, responsabilité des médecins). A.3. Aspects que les Déclarations n’abordent pas 117 a) Aspects physiopathologiques Les aspects physiopathologiques sont mal connus. De ce fait, les paramètres permettant d’évaluer le risque de complications ou l’indication à une hospitalisation, ainsi que la fréquence à laquelle doivent s’opérer les consultations de suivi clinique et les examens paracliniques, ne sont soit pas abordés, soit déterminés sur une base scientifique empirique. De plus, la majorité des pathologies ayant des conséquences physiques graves suivent un cours plutôt indépendant de la volonté du patient. Dans le cas du jeûne de protestation, le fait que l’évolution puisse être dramatiquement influencée, dans un sens ou l’autre, par la volonté du patient rend les seuls critères biologiques insuffisants. Du point de vue physiopathologique, de nombreux auteurs s’accordent pour distinguer le jeûne volontaire de la carence alimentaire et de la famine. Toutefois, la variation observée dans les modalités des jeûnes de protestation rend difficile l’établissement d’un modèle physiopathologique unique. Le sujet est de toute manière peu étudié. Il en est de même des schémas de réalimentation qui sont aussi variés que peu validés sur le plan scientifique. Le bon sens semble prévaloir, l’accent étant mis sur l’hydratation et les apports vitaminiques, puis une réalimentation progressive lorsque la collaboration du patient est complète, permettant la remise en fonction du tube digestif, et menant enfin à un régime hypercalorique afin de compenser la perte pondérale. b) Droits du patient Les aspects relatifs aux droits du patient ont été clairement précisés dans la loi cantonale genevoise K 1-80 de 1987 (voir Annexe A.3.). Certains des articles relèvent d’une signification particulièrement importante dans le cas des détenus : le partenaire-cible ne peut contraindre le détenu à révéler le contenu de son dossier (art.2, al.4), qui est protégé par le secret médical (art.2 al.2) 118 . Le concours d’un médecin extérieur est possible (art.3), mais seulement pour collaborer à l’information du patient. Une telle intervention est bien sûr plus difficile dans la pratique en milieu pénitentiaire. Si la loi autorisait les détenus à être traités par un médecin extérieur, ceci aurait demandé une adaptation du mode de fonctionnement actuel des institutions pénitentiaires. L’art.5 protège le patient de traitements contre sa volonté, sous réserve des traitements d’office. Un tel article rend théoriquement possible d’introduire un nouvel article de loi qui rendrait obligatoire la réalimentation en cas de jeûne de protestation, au même titre que le traitement d’autres maladies (p.ex. tuberculose), pour autant que l’on puisse invoquer des arguments relatifs à la sécurité de la société. La situation politique et judiciaire à Genève laisse toutefois supposer qu’une telle modification de la loi serait difficile à faire accepter. En effet, le jeûne de protestation représente avant tout une atteinte à la santé, voire à la vie, de la personne concernée, mais ne constitue par une menace pour la santé et/ou la sécurité publiques dans le contexte sociopolitique actuel à Genève. Cette même loi K 1-80 donne une valeur légale à des directives anticipées venant du patient (art.5 al.3) et le médecin se doit de l’assister dans cette démarche (art.9 al.2). Ces articles de lois sont relativement innovateurs du point de vue médico-légal, introduisant la possibilité d’établir des directives anticipées et la protection de telles directives écrites par la loi. Le texte de loi actuel ne permet toutefois pas explicitement de dire si la possibilité de directives anticipées devrait être systématiquement présentée au patient dans tous les cas de jeûne de protestation. L’art.7 al.1 pose probablement les problèmes pratiques les plus courants dans son application ; il ne concerne toutefois que les patients hospitalisés, c’est-à-dire séjournant au Quartier Cellulaire Hospitalier. B. Analyse comparative de la prise en charge des jeûnes de protestation 119 Les différences qui existent entre les législations nationales et les différentes interprétations des principes éthiques et déontologiques entraînent une hétérogénéité importante dans la prise en charge des jeûnes de protestation d’un pays ou même d’une région à une autre, en particulier en médecine pénitentiaire. Les sondages effectués auprès de responsables de services médicaux auprès d’institutions pénitentiaires en Europe confirme cette appréciation. Dans les institutions pénitentiaires en Espagne, la prise ne charge des jeûnes de protestation est régie par des protocoles, imposant un suivi très régulier des patients. En raison de la situation politique, les personnels de santé espagnols sont confrontés tant à des détenus revendiquant pour des intérêts personnels qu’à des cas à motivation politique. Le choix fait par les institutions politiques et judiciaires est de subordonner les décisions médicales de réalimentation aux institutions judiciaires, qui sont souvent le partenaire-cible. Les médecins peuvent se retrouver dans une situation très inconfortable, devant d’une part intervenir contre le gré du patient et éventuellement le leur, étant d’autre part soumis aux éventuelles représailles des sympathisants des détenus jeûneurs. Les possibilités du patient de refuser un traitement, notamment par le biais de directives anticipées, ne correspondent pas aux objectifs proposés dans les Déclarations de l’AMM et le manuel de la JWF. La prise en charge des jeûnes de protestation dans les institutions pénitentiaires en France est en pratique définie par les médecins responsables des services médicaux. Pour des raisons culturelles ainsi qu’en raison de la jurisprudence relative à loi sur l’assistance à personne en danger, la rédaction de directives anticipées par les détenus est inhabituelle et leur respect impossible en cas de survenue de complications graves du jeûne. En Grande-Bretagne, la prise en charge des jeûnes de protestation n’est pas non plus régie par des lignes directrices à un niveau national. La décision éventuelle de réalimenter un jeûneur revient au corps médical, quoiqu’en pratique celui-ci renonce à toute intervention contre le gré du patient, en particulier en cas de conflit d’ordre politique. Aux Pays-Bas, les services médicaux pénitentiaires ont choisi de suivre les recommandations du manuel de la JWF, et de ce fait disposent de lignes directrices relativement précises. L’attitude adoptée cherche à assurer un déroulement le plus facile des jeûnes de protestation. En effet, si le détenu reste pleinement responsable de sa démarche, il est non seulement clairement informé des risques du jeûne mais également de ses droits (p.ex. accès à un médecin de confiance, respect des directives anticipées). On peut se demander si une assistance neutre mais active des jeûneurs, avec un encadrement rassurant et facilitant ne pourrait avoir pour effet sournois d’augmenter l’incidence des jeûnes de protestation ou leur gravité, ou encore d’entraîner une collusion des personnels de santé avec les jeûneurs, interférant de façon délétère dans la résolution du conflit. L’expérience actuelle semble montrer des résultats satisfaisants mais des données épidémiologiques précises manquent pour apporter effectivement une réponse à ces questions. En Suisse, on note une certaine liberté d’action des services médicaux, avec l’accès à quelques documents spécifiques au jeune de protestation et à la situation genevoise. Les conditions de détention sont probablement relativement confortables et on dénombre peu de cas sévères. C. Caractéristiques épidémiologiques du jeûne de protestation L’un des objectifs du présent travail était de mesurer certaines caractéristiques épidémiologiques du jeûne de protestation 120 . Celles ci sont présentées en détail au chapitre 7 et discutées au point 7.F. Cette étude met en évidence que le jeûne de protestation est un problème de santé relativement fréquent en médecine pénitentiaire, puisqu’il représente entre 1 et 3 % de la charge de travail d’un médecin ayant la responsabilité de détenus. D. Propositions D.1. Recommandations pour la prise en charge de détenus menant un jeûne de protestation a) Objectifs L’existence d’éventuelles lignes directrices a été fréquemment abordée dans le présent travail. Outre la tendance actuelle à développer des guides de pratique médicale (« guidelines »), de préférence fondés sur des preuves, afin d’améliorer la prise en charge de diverses affections médicales, des lignes directrices sont d’autant plus utiles dans le cas du jeûne de protestation que celui-ci est, comme nous l’avons vu, peu abordé dans la littérature médicale, et ce presque exclusivement dans des articles isolés. De plus, la prépondérance des aspects médico-légaux rend d’autant plus essentiel l’accès à des directives précises et spécifiques à chaque pays, voire à chaque institution. Il n’est pas possible de proposer une prise en charge « uniformisée » des détenus entreprenant un jeûne de protestation, tant les motivations et les situations rencontrées en médecine pénitentiaire sont diverses. En revanche, certains aspects, notamment d’ordre médico-légal, doivent être toujours pris en considération. Reprenant les objectifs initialement fixés 121 , les données collectées sur le jeûne de protestation permettent de proposer des recommandations adaptées à une prise en charge médicale adéquate. Les recommandations formulées par d’autres institutions ainsi que l’avis des personnels de santé en Suisse fournissent la base de ces recommandations. En revanche, il n’a pas été tenu compte de l’attitude des différents partenaires-cibles possibles, celle-ci n’ayant pas été étudiée. b) Références utilisées Les résultats du sondage effectué auprès des personnels de santé des institutions pénitentiaires en Suisse renseignent principalement quant à la possibilité d’une attitude coercitive dans la prise en charge médicale et l’attitude adoptée face à des directives anticipées lors de la décision de réanimer. Les résultats révèlent qu’une majorité des répondants excluent toute coercition afin de faire cesser le jeûne de protestation. On note que le terme coercition comprenait clairement dans le questionnaire le simple refus de certains médicaments en cas de jeûne. Il semble important de rappeler cette attitude de principe dans des directives de prise en charge. En effet, confronté à un cas réel, il pourra sembler beaucoup plus difficile de ne pas faire indirectement ou involontairement pression sur le détenu pour qu’il renonce à son jeûne, tant le risque d’apparition de complications médicales chez une personne initialement en bonne santé est insupportable pour le personnel médical et soignant. La décision de réanimer en dépit de la volonté du patient est retenue par la majorité des répondants. Etant donné que la législation cantonale genevoise impose toutefois de respecter les directives anticipées écrites par les patients, il serait dès lors utile d’utiliser un tel document pour préciser la volonté du jeûneur dans les situations à risque (p.ex. proposer systématiquement aux patients menant encore un jeûne de protestation de rédiger des directives anticipées au moment de leur admission au Quartier Cellulaire Hospitalier). Dans les autres cas, le plus probablement des situations urgentes non anticipées, la décision de réanimer reviendrait au médecin responsable. Les directives anticipées sont un élément clef de la prise en charge d’un jeûne de protestation, susceptible de jouer un rôle fondamental suivant l’évolution de certains cas. Il semble indispensable de ce fait d’informer clairement le patient jeûneur que le médecin a l’obligation légale de respecter des directives anticipées. En effet, si des directives anticipées sont systématiquement sollicitées et le cas échéant respectées par le médecin, au terme de la loi, et que le patient jeûneur ne le réalise pas, faute d’une information adéquate, les intérêts présumés du patient risquent de ne plus correspondre à ses désirs réels, ayant sous-estimé l’importance des directives qu’il aurait laissées avant de perdre la capacité de revenir sur celles-ci ; une telle situation est contraire au sens de la loi, qui a pour but de protéger les intérêts du patient. c) Recommandations Les recommandations proposées pour la prise en charge des jeûnes de protestation dans les institutions pénitentiaires genevoises figurent dans l’annexe B (chap. 11.B.1), à laquelle nous vous proposons de vous référer à présent. Ces recommandations concernent principalement la prise en charge de jeûnes de protestation individuels dans les institutions pénitentiaires genevoises. Pour la prise en charge des participants à un jeûne collectif, on pourra se référer aux recommandations proposées dans la thèse de F. Deshusses [48], en tenant compte des particularités relatives à la prise en charge de citoyens libres. d) Commentaires sur l’adaptation des références utilisées Parce qu’il n’existe pas de données précises dans la littérature médicale, il semble raisonnable d’examiner les jeûneurs au moins une fois par semaine (plutôt que quotidiennement), étant bien sûr admis que, à la demande du jeûneur et/ou si son état le nécessite, les consultations peuvent se faire à une fréquence plus élevée. La capacité de discernement doit être évaluée dans chaque cas de jeûne, comme le recommande la Déclaration de Malte de l’AMM. Elle le sera au moins à l’annonce de chaque jeûne et réévaluée régulièrement en fonction de l’évolution du patient concerné. L’appréciation de la capacité de discernement par le médecin doit être systématiquement reportée dans le dossier médical. Les recommandations de la JWF et la Déclaration de Malte de l’AMM sont en opposition à propos du secret professionnel qui s’applique pour les directives anticipées. L’AMM indique seulement que les directives du patient sont également protégées par le secret médical (art. 3. des dites directives). La JWF en revanche précise que les directives anticipées sont susceptibles d’être rendues publiques (paragraphe 10.). Ceci permet de préciser qu’une évolution défavorable sur le plan de la santé est le résultat de la volonté du jeûneur, et non une complication imprévisible, un échec de traitements administrés ou une négligence médicale, ayant ainsi pour objectif de donner toute sa valeur à la démarche du jeûneur qui apparaît comme un acteur responsable. Cette dernière approche a notre préférence. Le fonctionnement actuel du service médical à la prison de Champ-Dollon, défini selon la législation cantonale genevoise, ne permet pas l’intervention d’un médecin de confiance. Toutefois, compte tenu de l’indépendance administrative du service médical vis à vis des autorités judiciaires et pénitentiaires, ainsi que de la possibilité du détenu de choisir entre les différents médecins du service médical, la garantie d’une prise en charge médicale adéquate est assurée. Ceci d’autant plus que le service est placé sous la responsabilité de l’IUML, dont la vocation universitaire offre à ses collaborateurs/trices la possibilité de bénéficier d’une formation optimale et d’un encadrement adapté dans le domaine spécialisé que représente la médecine pénitentiaire. La visite du médecin traitant habituel est par ailleurs possible. D.2. Propositions pour des recherches ultérieures a) Attitude des partenaires-cibles Dans l’objectif D), nous nous proposions de tenir compte, dans la préparation des recommandations relatives à la prise en charge des jeûnes de protestation, de l’attitude des différents partenaires-cibles, précisée au moyen d’un questionnaire. Il n’a pas été possible en fait de déterminer clairement qui sont les partenaires-cibles, ou d’identifier une population privilégiée en particulier. Selon Troisier [93], le jeûne de protestation « est le refus par un sujet non malade mental, des aliments dans un but de protestation ou de revendication, soit contre le régime pénitentiaire, soit contre l’autorité judiciaire le plus souvent ». C’est effectivement ce qui ressort de l’étude des cas à Genève. Pourtant, on ne sait si Troisier fonde son affirmation sur des données épidémiologiques ou sur son expérience personnelle. Quant à nous, il n’a pas été possible d’identifier précisément le partenaire-cible dans chaque cas. Une alternative aurait été d’adresser un questionnaire aux juges d’instruction ; celle-ci n’a pas été retenue en pratique, car on peut douter qu’ils soient réellement les partenaires-cibles privilégiés, et de ce fait que leur attitude soit représentative. b) Tenue des dossiers La collecte de données épidémiologiques dans les institutions pénitentiaires genevoises a permis d’établir un certain profil du jeûne de protestation en milieu carcéral. Nombre de données sont toutefois incomplètes, principalement en raison de la disparité dans la tenue des dossiers médicaux. Il s’agit bien sûr d’un problème inhérent à une recherche rétrospective. Toutefois, non seulement dans la perspective de recherches et d’analyses rétrospectives futures mais aussi afin d’assurer une cohérence dans la prise en charge des patients en jeûne, une tenue plus stricte de certains éléments des dossiers médicaux serait utile et nécessaire. Les éléments suivants en particulier devraient pouvoir systématiquement figurer dans tout dossier médical de jeûneur : date de la consultation, médecin du jour, motif de consultation, poids lors de la première consultation, et en cas de jeûne de protestation poids à chaque consultation, évaluation de la prise alimentaire (solide et liquide), motifs de protestation et partenaire-cible impliqué, éléments cliniques en relation avec le jeûne, prise habituelle ou occasionnelle de médicaments et drogues, complications d’éventuelles comorbidités. c) Prise en charge fondée sur des preuves Nous avons vu que les recommandations émises ici ou par d’autres auteurs ont un fondement empirique. On ne dispose pas de données scientifiques dans la littérature. A l’avenir, il serait très utile de pouvoir suivre de façon rigoureuse l’évolution dans chaque cas de jeûne de protestation et de comparer l’effet des différentes attitudes possibles (voir 4.C.1.b)(2)) de la part du personnel de santé. En outre, il apparaîtrait quels risques sont encourus si des attitudes différentes sont adoptées, en cas de défaut de logique au sein d’un service de santé pénitentiaire. Cela reviendrait à mener, de préférence, une étude contrôlée dans une population de détenus menant un jeûne de protestation. Toutefois, de telles études sont relativement difficiles en médecine pénitentiaire. En effet, il faut tenir compte des effectifs souvent faibles des populations de cas à disposition. Une étude multicentrique permettrait d’augmenter les effectifs étudiés ; toutefois, la comparaison entre différents services médicaux nationaux ou entre les services médicaux de pays différents présenterait des biais évidents de sélection et des populations de cas difficilement comparables. De plus, de telles études présentent des problèmes éthiques importants. Il serait entre autres difficile d’admettre des prises en charges différentes au sein d’une même institution (risque de critiques, de contradictions, aspects de la prise en charge non modifiables car régis par la législation, etc.). A défaut de données fondées sur des preuves, il nous semble raisonnable pour l’instant d’adopter empiriquement un rôle de médiateur actif dans la prise en charge des jeûnes de protestation en médecine pénitentiaire. |