Publié le lundi 8 juillet 2002 | http://prison.rezo.net/2001-cnt-la-fin-du-travail/ Dossier de presse sur le travail en prison La fin du travail obligatoire en prison : La loi du 22 juin 1987 supprime le travail obligatoire en prison et dans le même temps elle autorise et aménage le recours au secteur privé pour la conception, la construction (1), quelques aspects du fonctionnement et l’aménagement des établissements pénitentiaires. Toutes les fonctions, à l’exception de la direction, de la surveillance et du greffe peuvent être confiées au secteur privé. L’offre de travail et le classement au travail sont en quelques sortes la pierre angulaire en milieu carcéral, tant pour la population pénale pour laquelle il conditionne la possibilité d’accéder aux biens de première nécessité, que pour les responsables de la détention aux yeux desquels une population occupée est aussi une population moins dangereuse et moins difficile à gérer. Dans ce cadre l’administration pénitentiaire a mis en chantier deux plans visant à réguler le travail en prison : - PACTE I (Plan d’Action pour la Croissance du Travail et de l’Emploi en milieu pénitentiaire)(2) dont l’objectif était de développer le nombre d’emploi en prison. - PACTE II (Plan d’Amélioration des Conditions de Travail et d’Emploi)(3) dont les objectifs sont : procurer une activité rémunérée à tout détenu qui en fait la demande, améliorer la cohérence des dispositifs d’insertion professionnelle, rapprocher le travail pénitentiaire du droit commun. Mais l’administration pénitentiaire va plutôt chercher une main d’œuvre plus flexible et plus soumise, notamment les détenus des centres pour peines plutôt que ceux des maisons d’arrêts. La population carcérale qui cumule des " handicaps " (âge avancé, mauvaise santé, délits stigmatisés(4), illettrisme...) est prioritairement choisie pour travailler dans les centres de détention par le personnel de surveillance. À l’opposé les toxicomanes (30 % des entrants en prison) considérés comme " caractériels et pas assidus au travail " sont écartés du travail pénitentiaire. De même les populations étrangères, plus particulièrement les 3 types " ethnoculturels "(5) (détenus originaires d’Afrique du Nord, d’Afrique noire et les gens du voyage) subissent un rejet caractérisé(6). De plus, l’offre de travail ne correspond pas à la demande de travail, sans parler du caractère intermittent du travail effectué. Sur la réinsertion et la formation, il y a une sélection préalable à l’entrée et une longue liste d’attente (la plupart des formations ne comprennent qu’une quinzaine de places)(7). Les jeunes sont favorisés à l’inverse des femmes qui ont rarement le choix entre plusieurs formations. De même les indigents ou illettrés ont rarement un avis favorable de la commission de classement(8). Avec l’allongement des peines, les détenus ayant accès à la formation les cumulent sans que pour autant elles aient de lien entre elles et qu’elles leur assurent la reconnaissance d’une qualification à l’extérieur. Les conditions de travail en détention : " L’organisation, les méthodes et les rémunérations du travail doivent se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieures afin notamment de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre "(9). En réalité un détenu en France ne signe pas de contrat de travail(10) ni avec son employeur ni avec l’État. N’étant pas soumis au régime général du travail, les détenus ne bénéficient pas du droit d’association, de syndicalisation, d’accès aux congés payés, du chômage, d’arrêts maladie et autres minima sociaux. Il existe trois formes de travail en détention : - Le travail au Service Général (SG) : Les articles D.103 et D.105 du code de procédure pénale qui permettent au chef d’établissement, à partir des repérages effectués dans l’établissement lors des audiences des arrivants, d’organiser le travail des détenus classés(11) pour l’entretien de l’établissement (cuisine, distribution des plats, ménage, bibliothèque, gros œuvres...). Sous ce régime, les détenus sont employés directement par l’administration qui les rémunère sur ses crédits budgétaires. En novembre 1999 l’Administration Pénitentiaire évaluait la rémunération mensuelle(12) nette par poste de travail à 740 francs. Ce travail concerne environ 6 700 détenus(13). Son travail étant quotidien et sa présence obligatoire, un détenu ne peut pas se permettre de tomber malade sous peine de perdre son poste. - Le travail à la Régie Industrielle des Établissements Pénitentiaires (RIEP) ou travail en production : PACTE I et PACTE II s’adressent principalement au travail en concession, mais aussi à la RIEP. L’article D.103 du Code de Procédure Pénale prévoit cette forme de travail dans laquelle, aux termes d’une convention passée entre la direction d’un établissement et le Service de l’Emploi Pénitentiaire (SEP), sont organisés des services de sous-traitance industrielles et tertiaires, notamment dans les établissements pour peine. La RIEP fut créée en 1959 et détient aujourd’hui une quarantaine d’unités de production réparties sur 22 sites. Ce type de travail évite l’automatisation des tâches à accomplir afin de pouvoir employer un maximum de détenus. C’est elle qui gère entre autre l’atelier de confection des uniformes pénitentiaire à Arles. Jusqu’ici ces procédés de fabrication moyennement productifs étaient dû au fait que l’Administration elle-même était le donneur d’ordre, répondant ainsi à l’orientation fixée par PACTE I, privilégiant le nombre de détenus occupés. Désormais, les donneurs d’ordres étant de plus en plus issus du secteur privé, il faut à l’Administration revoir ses orientations notamment en matière de rentabilité et de recherche d’employeurs au travers de PACTE II. La rémunération moyenne mensuelle par poste était évaluée par l’administration en novembre 1999 à 2487 francs(14), et concerne près de 1 300 détenus. - Le travail en concession : Il correspond aux emplois offerts par des entreprises privées qui délocalisent une partie de leur travail, en général le plus manuel et le moins qualifié. Il y a des concessions permanentes, d’autres temporaires, pour répondre à une surcharge de travail. Le contrat de concession de main d’œuvre est conclu par le directeur de l’établissement(15) lorsque la durée de la concession est inférieure à trois mois, ou si l’effectif concerné est égal ou inférieur à cinq personnes. Au delà, c’est le directeur régional qui s’en occupe pour une durée déterminée ou indéterminée. Le travail est effectué en atelier et parfois en cellule. L’Administration pénitentiaire recherche alors principalement des sociétés composées de moins de 9 ou 49 salariés afin de permettre à celles-ci de ne pas augmenter officiellement leur effectif et de voir apparaître ainsi un Comité d’entreprise comme le prévoit la législation du travail. Avec la mise en place du " programme 13 000 " (16)visant à faire construire 25 nouveaux établissements de peine, dont 21 seront gérés de façon mixte(17), l’État a offert la possibilité aux entreprises privées (Dumez, Siges filiale de la Sodexho, Gecep, Gepsa) d’organiser le travail, mais aussi de nombreux services tels que(18) : la restauration, la santé(19), la formation, l’entretien et la maintenance... Aujourd’hui se poursuit cette politique de construction et de rénovation avec la mise en place du " programme 4 000 ", dont la première tranche devait être achevée en 2 000 pour la construction de 2 maisons d’arrêt et d’un centre de détention(20) dont les travaux sont confiés à l’architecte Guy Autran(21). Dans le régime de la concession, l’administration pénitentiaire conclut avec une entreprise un contrat par lequel sont fixées les conditions relatives à l’effectif des détenus employés, au montant des rémunérations et aux conditions de travail(22) et de sécurité. Notons à ce propos que l’administration pénitentiaire ne fait pas payer l’utilisation de ses locaux, ni la surveillance de ceux-ci aux entreprises. De plus, les entreprises sont exonérées de charges sociales. Les salaires sont avancés et versés aux personnes détenues, par l’administration pénitentiaire qui les facture aux concessionnaires. Les détenus doivent être informés des tarifs de la rémunération. Ceux-ci ont comme référence le Salaire Minimum de l’Administration Pénitentiaire (SMAP), salaire horaire de référence pour la rémunération de chaque atelier en concession. En 1999, le taux horaire minimum en maison d’arrêt était de 17,34 francs et en centre de détention de 18,78 francs(23), salaire indexé sur le SMIC(24). En 1999 l’Administration pénitentiaire évaluait la rémunération moyenne mensuelle nette par poste à 2162 francs pour 10 300 détenus dont 2 700 liés au " programme 13 000 ". Les réalités d’un salaire : Sur la rémunération brute, l’administration prélève des frais d’entretien, ceux-ci peuvent représenter jusqu’à 30 % de celle-ci, sans dépasser dix francs par jour de présence, à l’exception des prisonniers qui travaillent pour le Service Général. Suite à cette première ponction, le revenu est versé au détenu sur un compte nominatif réparti en trois parts : 10 % consacrés au pécule de libération, 10 % destinés à l’indemnisation des parties civiles et créancier d’aliments, et 80 % constituant la part disponible du détenu pour " cantiner "(25). Le salaire horaire est subjectif, puisque de facto les détenus ne sont pas payés à l’heure, mais bien à la pièce, amenant la rémunération mensuelle réelle à une fourchette moyenne comprise en 1 300 et 1 900 francs. Plusieurs enquêtes notent que dans certains cas, des détenus, compte tenu du faible volume de travail offert par l’entreprise, gagnaient entre 5 et 10 francs par heure(26). Le travail en détention est de plus en plus intermittent au cours des mois, jusqu’à connaître des périodes creuses. Durant ces moments de non-activités (comme l’été) les détenus ne sont ni payés, ni indemnisés. Une exception existe pour le placement à l’extérieur(27), sans surveillance ou en semi-liberté, où les détenus peuvent bénéficier d’un contrat de travail, généralement par le biais d’un Contrat Emploi Solidarité. Les rémunérations sont versées directement par l’employeur sur un compte extérieur, et les détenus sont dispensés de la constitution du pécule de libération. Conclusion La fin du travail obligatoire en prison et l’ouverture aux entreprises privées, sous couvert d’une évolution de la législation en matière de détention permet de répondre à des besoins de maintien de l’ordre interne en occupant le quotidien des détenus, influant sur la durée de leur détention (remise de peine pour bon comportement, libération anticipée ou semi-liberté pour stage de réinsertion et de probation...). Rappelons que l’article 225-13 du code de procédure pénale précise que " le fait d’obtenir d’une personne en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, la fourniture de service non rétribué ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli est punie de 2 ans d’emprisonnement et de 500 00 francs d’amende ". Les entreprises qui décident de s’investir dans le milieu carcéral en tirent deux types de bénéfices : - un avantage financier, environ 3 à 5% du chiffre d’affaire de l’établissement. La SIGES filiale de la SODEXHO, perçoit 255 francs par jour et par détenu qu’elle gère, divisés en deux parties : 120 francs versés directement par le prisonnier (cantine) et 135 francs versés par l’Administration pénitentiaire(28). On comprend que ces entreprises souhaitent augmenter leurs parts d’investissement dans les prisons. - un bénéfice médiatique, l’entreprise bénéficiant ainsi d’une image citoyenne soucieuse de la réinsertion des détenus(29). Nous exigeons l’application immédiate et sans restriction du droit du travail pour les personnes en détention. Mais aussi la mise en place des minima sociaux en prison.
(1)Pour la construction, nous retrouvons les groupes Lyonnaise des Eaux, Vivendi et Dumez qui au regard des accords passés avec l’État devaient construire en 6 ans vingt et une prisons. (2)Circulaire de la direction de l’administration pénitentiaire courant pour la période 1997-1999. (3)Circulaire de la direction de l’administration pénitentiaire courant pour la période 2000-2003. (4)Violeur, pédophile... (5)Terminologie courante chez les surveillants, qui notent que les asiatiques " travaillent mieux, plus vite, c’est génétique ". Extrait du rapport final : La recherche " pauvreté en prison " d’Anne-Marie Marchetti réalisée pour le Ministère de la Justice, février 1995, convention 9305065002107501. (6)Cette remarque se vérifie beaucoup plus en province qu’à Paris. (7)Près de 2 800 personnes sont en formation. (8)Elle est composée du directeur du centre de détention, le responsable du travail, des ateliers, le chef de détention, le responsable local de formation des détenus, le responsable local de l’emploi et un représentant du Service Pénitentiaire pour l’Insertion et la Probation. (9)Décret numéro 72-852 du 12 septembre 1972. (10)Article 720 du code de procédure pénale, alinéa 3 : " Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail ". (11)Notamment ceux qui en ont le plus besoin, indigents et illettrés. (12)À raison de 25 heures par semaine. (13)D’après les statistiques officielles du Ministère de la Justice, on compte à l’heure actuelle environ 52 000 détenus dans les prisons françaises. (14)La réalité semble plus proche d’un revenu inférieur à 2 000 francs. En 1995, un responsable du Centre pénitentiaire de la direction régionale de Paris chargé de la RIEP affirmait que les détenus se " contentaient de peu au niveau des salaires : 1 000 à 2 000 francs ". Durant la même période on a relevé le cas d’un détenu Guinéen qui a montré ses fiches de salaires sur 3 mois : 210 francs, 62 francs, 205 francs (salaire mensuel à raison de 25 heures de travail théorique hebdomadaire). Cité dans Anne-Marie Marchetti, op. cit. p. 34. (15)La personne détenue étant privée de ses droits, elle n’a pas la possibilité de signer un contrat. (16)22 juin 1987. (17)Aix en Provence, Grasse, Salon de Provence, Tarascon, Villeneuve les Maguelone, Osny, Bapaume, Longuenesse, Maubeuge, Aiton, Villeneuve sur Saône, Joux la Ville, Neuvic, Châteauroux, Châteaudun, Uzerche, Argentan, Nanterre, Bois d’Arcy, Chartres et Villenauxe la Grande. (18)Le projet initial d’Albin Chalendon prévoyait 25 000 nouvelles places dont la gestion privée concernait aussi les domaines de la surveillance et du greffe. Ce projet a été rejeté par le Conseil constitutionnel pour " manque d’égalité de traitement ". (19)Depuis la loi du 18 janvier 1994. (20)Seysses (Haute-Garonne), Sequedin (Nord) et Pontet (Vaucluse). (21)La deuxième tranche prévue pour 2 002 prévoit une maison d’arrêt à Chauconin-Neufmontiers (Seine et Marne) et deux centres de détention à Liancourt (Oise) et La Farlède (Var). D’autres tranches restent à venir dont La Réunion et Lyon, tandis que Toulouse et Avignon doivent fermer. (22)Dans un rapport interne du 23 décembre 1993, les responsables de la Maison d’arrêt de la direction régionale de Paris, signalent de nombreux manquements à la législation sur le travail la sécurité et l’hygiène comme : le stockage de produits augmentant les risques d’incendie, le manque d’extincteurs en service, le personnel d’encadrement insuffisant, les problèmes de rémunération... (23)Le SMIC horaire brut au 1er janvier de la même année est de 40,22 francs. (24)Circulaire NOR :JUSE9840090C du 20 novembre 1998. (25)" Surpayer " les biens de première nécessité, d’hygiène et de loisirs. (26)Anne-Marie Marchetti, op. cit. p. 41. Rapport de la commission parlementaire et rapport de la commission d’enquête du Sénat. (27)Le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation prévoit ce placement trois mois avant la fin de la peine auprès d’une association ou d’une entreprise. (28)De plus l’Administration pénitentiaire paye une indemnisation aux entreprises, proportionnelle au taux de surpopulation. (29)L’éloignement des centres liés au " programme 13 000 " est un problème pour les familles en visite, et pose le problème des soins pour les détenus, soins non assurés par les concessionnaires. Site source : CNT |