Plus de 500 personnes séropositives seraient enfermées dans les prisons françaises. Et si la loi est censée les soigner, l’accès aux soins reste théorique. Dif ?culté pour voir un médecin, visites à l’hôpital entravé et escorté, secret médical bafoué : le quotidien est un cauchemar. On est un détenu avant d’être un malade... et avant d’être un homme ?
L’ACCÈS AUX SOINS EN PRISON
Logique sécuritaire contre logique médicale
Assurer aux détenus une qualité et une continuité de soins équivalents à ceux offerts à l’ensemble de la population », c’est ce que stipule la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale. Cette loi est incontestablement une avancée. Elle a permis d’installer des unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) dans les prisons sous la responsabilité de l’hôpital public de proximité. Chaque détenu est depuis couvert par l’assurance-maladie et doit être soigné comme à l’extérieur. Mais la réalité est encore très loin de la théorie. La surpopulation carcérale actuelle - la France comptait, au 1er juillet 2004, 64 813 détenus pour 49 595 places [1] - remet en cause les acquisitions
de la loi et la logique sécuritaire passe toujours avant les questions médicales.
Personne ne connaît l’état de santé des prisonniers en France. La dernière grande enquête sur la santé des entrants est parue en 1999 sur des données de 1997 [2]. Une enquête épidémiologique VIH/VHC doit paraître chaque année, la dernière date de 2003 [3]. Elle livre un chiffre brut : 512 personnes séropositives seraient en prison le jour de l’enquête, en juin 2003. Qui sont-ils ? Quels traitements prennent-ils ? Quelles sont les 139 prisons qui ont donné leurs chiffres sur les 188 existantes ? Autant de questions sans réponses. Serge Lastennet, de la commission « prison » d’Act up, rappelle que les chiffres de l’étude européenne menée par l’Observatoire régional de santé de Provence-Alpes-Côte d’Azur, en 1998, étaient quatre fois supérieurs à ceux du gouvernement.
La réalité est d’autant plus ?oue que, dans la plupart des prisons, un test de dépistage est proposé à l’entrée mais aucun n’est effectué en cours de détention.
Les centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG), théoriquement rattachés à chaque prison, sont rares ; certains ont même disparu [4]. Les UCSA sont tenues de proposer un test de dépistage à tout nouvel
arrivant mais les associations dénoncent l’instant choisi : le choc de l’incarcération est tel que la santé est la dernière préoccupation des entrants. Les refus restent élevés même si la majorité accepte le test. A la prison de Villepinte (Seine-Saint-Denis), 30 % des entrants ne sont pas dépistés, parmi eux, des migrants, des personnes qui se disent hors de risques, des détenus venant d’autres prisons qui assurent avoir été déjà testés. Ces personnes auront peu de chances d’avoir accès au dépistage plus tard. Débordées par la surpopulation (Villepinte compte par exemple 840 détenus pour 587 places) les UCSA ne font face qu’à l’urgence et proposent très rarement d’autres tests en cours de détention. La peur de la discrimination - extrêmement présente en prison - explique les refus. Certains préfèrent ne pas connaître leur statut sérologique. D’autant plus que le quotidien d’une personne malade en prison est un vrai cauchemar.
Le secret médical est un « secret de polichinelle ».
A Villepinte, le personnel de l’UCSA s’est aperçu que les détenus étaient petit à petit regroupés selon leur pathologie, preuve ?agrante qu’il n’est pas respecté par l’administration pénitentiaire. Certains médecins eux-mêmes violent ce principe.
L’accès au médecin
« Après un léger infarctus, un prisonnier est resté quinze jours sans voir de médecin. Il était contestataire et le surveillant a estimé qu’il s’agissait d’un nouvel acte d’opposition. Résultat : une pathologie bénigne si la personne avait pu accéder aux soins rapidement, a nécessité une opération lourde et des médicaments à vie. Ce n’est pas au surveillant de juger de la situation médicale ! », s’indigne Charlotte Paradis de l’association Ban public [5]. Pour éviter l’ingérence du surveillant, dans la plupart des prisons, la demande d’une visite médicale doit être écrite et placée dans une boîte aux lettres à destination de l’UCSA, à charge ensuite aux in ?rmières de classer les demandes selon l’urgence. Reste que les étrangers et les personnes illettrées - une part importante de la population carcérale - sont exclus de ce système lorsqu’ils n’osent pas demander à leur codétenu ou au surveillant de rédiger la lettre pour eux. De plus, ce système ne répond pas à l’urgence médicale. Dans la journée, en semaine, les détenus peuvent faire appel à l’UCSA, la nuit et le week-end la plupart des établissements n’ont aucun service médical. Lorsqu’il y a un problème, ils ont en principe un signal pour alerter le surveillant : petit drapeau à baisser ou appel par interphone. « A Brest, la prison est équipée de ce dernier système mais il était en panne depuis plus d’un an lorsqu’il y a eu une agression la nuit. Les codétenus ont dû faire brûler du papier aux fenêtres pour être vus du mirador qui a prévenu le surveillant. La nuit, il n’y a que quatre surveillants pour plus de 300 détenus », rapporte François Bès, permanent à l’Observatoire international des prisons (cf. interview p. 11). Lorsque le surveillant est prévenu, il ne peut accéder directement aux cellules car il n’a pas les clés. Il doit juger de la situation puis, s’il l’estime nécessaire, faire intervenir son supérieur qui lui a les clés de la cellule et décide d’appeler le 15. « C’est un vrai scandale », s’insurge Ludovic Levasseur, médecin responsable de l’UCSA à la maison d’arrêt de Villepinte. Il ajoute : « Le 15 refuse de se déplacer en dehors des urgences vitales. Lorsque la vie du détenu n’est pas en danger, il envoie une ambulance pour une extraction vers les urgences hospitalières mais dans ce cas il faut que les surveillants accompagnent le détenu. La question de la sécurité à l’intérieur de la prison se pose alors que les effectifs de nuit sont réduits. »
La logique sécuritaire
Le manque de moyens, les problèmes d’effectifs - les budgets sont alloués selon les capacités of ?cielles des prisons - posent de nombreux problèmes notamment lors des extractions vers les hôpitaux. La politique des UCSA devait être l’entrée du maximum de spécialités en prison pour éviter le recours à des hospitalisations. Or, les spécialistes manquent à l’appel. Ludovic Levasseur demande depuis longtemps un appareillage radiographique pour détecter les fractures, sa radio défectueuse lui permet à peine de maintenir le dépistage de la tuberculose. Résultat : des extractions plus nombreuses vers l’hôpital de proximité avec une escorte. Là encore, le manque d’effectifs pose problème et de nombreuses extractions sont annulées faute d’escorte. Ainsi, les retards de soins sont habituels en prison.
Lorsqu’elle a lieu, l’extraction est souvent très mal vécue par le détenu : dif ?cile d’entrer à l’hôpital, entravé et menotté, entouré d’hommes armés. « Nous connaissons un détenu cardiaque qui refuse les visites à l’hôpital car il ne veut plus vivre l’humiliation d’être vu entravé même si cela signi ?e qu’il n’a plus de suivi médical », rapporte Serge Lastennet. La grève des soins est parfois la seule arme que les détenus utilisent pour faire valoir leurs droits.
Pierre-André Franceschi est séropositif depuis vingt ans. Détenu à la prison de Clairvaux (Aube), il refuse tout traitement dans l’attente d’un transfert plus proche de sa mère, à Marseille. Déplacé à de multiples reprises, il juge inutile de se soigner tant qu’il ne pourra béné ?cier d’un suivi régulier car un transfert est souvent synonyme de rupture de soins... Une exigence dif ?cile à obtenir car avant d’être un malade, le prisonnier reste avant tout un détenu pour l’administration pénitentiaire.
Un détenu avant d’être un malade
Il [Jean-Michel Treuvey] se taillait régulièrement les veines pour que l’administration pénitentiaire applique les directives médicales : une douche quotidienne, au lieu des trois hebdomadaires prévues, en raison des sueurs provoquées par les traitements ; un régime hypercalorique, de l’eau minérale pour ses problèmes de reins. [6] Si l’accès au traitement est acquis tout le reste est à construire. Une visite spécialisée est organisée dans certaines prisons mais les détenus la refusent souvent car le jour et l’heure du « docteur Sida » est connue de tous et ceux qui s’y rendent sont immédiatement catalogués. Dif ?cile de garder sa séropositivité secrète en prison : impossible de cacher la prise d’un traitement lorsque vous êtes plusieurs en cellule en raison de la surpopulation, lorsque les médicaments sont délivrés dans des sachets plastiques transparents avec les noms visibles. Le secret médical est un « secret de polichinelle ».
A Villepinte, le personnel de l’UCSA s’est aperçu que les détenus étaient petit à petit regroupés selon leur pathologie, preuve ?agrante que le secret médical n’est pas respecté par l’administration pénitentiaire. Certains médecins eux-mêmes violent ce principe : « A force de travailler en prison, ils ?nissent par ressembler aux murs et à accepter le principe intolérable du secret partagé avec l’administration pénitentiaire », remarque Véronique Vasseur, ancien médecin chef à la prison de la Santé (Paris). Travailler en confrontation permanente avec la logique sécuritaire de l’administration pénitentiaire n’est pas simple. Parfois le médecin cède sur certains terrains comme les visites aux quartiers disciplinaires ou aux quartiers d’isolement. « En principe, le médecin est tenu d’y passer une fois par semaine. Mais pour ouvrir une cellule du quartier disciplinaire, il faut la présence de deux surveillants dont un gradé. Si le gradé n’est pas disponible, la visite médicale n’a pas lieu. Dans les quartiers d’isolement, c’est pire encore, [...] il faut plus de surveillants encore pour ouvrir la cellule », raconte Milko Paris de Ban public. L’accès aux soins de ces détenus dépend alors du rapport de force entre l’administration pénitentiaire et l’UCSA. Certains médecins responsables de l’unité de soins passent une sorte de pacte de non-agression avec la direction de la prison et ferment les yeux sur les violations aux règles médicales, d’autres considèrent que le malade est avant tout un détenu. Les derniers en ?n défendent le droit de tout malade aux soins et se battent pour que le serment d’Hippocrate reste la règle en prison. Une bataille de chaque instant alors que la prison, comme la société, est de plus en plus encline à une idéologie sécuritaire toute puissante.
Marianne Langlet
Source : Arcat sida