Publié le mardi 26 avril 2005 | http://prison.rezo.net/3-etat-des-lieux-des-projets-d/ 2. Etat des lieux des projets d’animation en centre de détention Après avoir étudié la complexité organisationnelle de l’administration pénitentiaire, nous sommes en mesure de comprendre pourquoi les actions culturelles en milieu pénitentiaire sont si difficiles à mettre en place. Le point de départ de la politique commune entre le Ministère de Culture et celui de la Justice étant un paradoxe entre politique sécuritaire renforcée et ouverture des établissements vers l’extérieur, le constat d’échec de démocratisation de la culture en prison semble alors plus évident. Mais des acteurs sont présents pour tenter de pallier à ce manque d’interaction et ils essayent de faire vivre la culture en prison. Des ateliers et des actions sont menés mais les perspectives sont floues. L’administration pénitentiaire les considère t-elle comme des agents de développement culturel et social ou bien les conçoient-elles dans un seul but occupationnel et récréatif ? 2.1 L’accès à la culture : un droit fondamental L’accès à la culture et à l’instruction est un droit fondamental déclaré dans l’article 27 de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 [1], ce qui prouve que les activités artistiques et culturelles en milieu pénitentiaire sont régies par des lois. De plus, dans le protocole d’ accord de 1986, des exigences concernant cette introduction de la culture dans les établissements ont été éditées. 2.1.1 Qu’est ce que la culture ? D’un point de vue sociologique, la culture est l’ensemble des valeurs, des normes et des pratiques qui sont acquises et partagées par un ensemble d’individus et qui constitue le fondement des liens sociétaux. Cette définition laisse donc supposer que la culture n’existe que si il y a des interactions solidaires, civiques ou sociales entre un individu et le milieu dans lequel il vit. C’est pourquoi, aborder la question de la culture en prison est difficile. Les personnes incarcérées sont exclues de toute vie civique et politique, ce qui restreint alors les composantes culturelles. La rupture du lien social va avoir des conséquences sur l’organisation individuelle et sociétale du sujet. Du point de vue social, la personne en rupture ne perçoit plus l’impact des règles de conduites, la société n’a plus de contrôle sur elle. Du point de vue individuel, la perte de repères et de normes engendre un déséquilibre personnel. N’ayant plus de règles, l’individu ne peut pas construire un projet, il est désorienté et démoralisé. Cette définition quelque peu complexe de la culture nous amène à dire que les détenus en centres de détention sont des personnes en totale rupture sociale, tant au niveau physique que psychologique. Les conditions de vie des personnes en cellule créent un choc traumatique car tous les repères disparaissent. Le premier bouleversement tient à l’espace de vie dont dispose un détenu. La promiscuité l’oblige à porter un autre regard sur lui et sur son corps, ce qui génère de l’inquiétude et une remise en question du moi. Le milieu carcéral entraîne des changements sensoriels et affectifs tels, que tout le rythme biologique est affecté. C’est pourquoi, face à leur impuissance, les détenus opèrent à une focalisation sur l’extérieur. 2.1.2 Les enjeux de la culture en milieu carcéral Parler de l’accès à la culture en centre de détention, c’est envisager une rencontre entre la population carcérale et les professionnels de la culture dans un atelier d’activités artistiques et culturelles. A noter que dans le vocabulaire pénitentiaire, nous utiliserons le terme d’activités socioculturelles plutôt que celui d’activités artistiques et culturelles. Cette distinction lexicale s’explique par le fait que les intervenants culturels s’inscrivent dans une approche à tendance sociale très prononcée. Les activités constituent pour les détenus un temps de parole et d’échange mais celles-ci ont pour fonction première de leur occuper l’esprit, les mains et de renouer avec la réflexion et la compréhension. Comme nous l’avons vu précédemment, l’imaginaire et le monde de démences gagnent vite l’esprit d’une personne incarcérée, c’est pourquoi, il faut lutter contre cela en réactivant le système de pensées au travers d’approches thématiques propres à chaque atelier. Antonio Gramsci [2], définissait la culture comme "une organisation, une discipline du véritable moi intérieur. Une prise de possession de sa personnalité, elle est la conquête d’une conscience supérieure grâce à laquelle chacun comprend sa propre fonction dans sa vie". D’après les témoignages de certains détenus, la culture est un outil de reconstruction. En remplissant son esprit de nouvelles connaissances, ils tentent de donner du sens à la raison d’être dans ce lieu et à la raison d’avoir commis l’acte. Mais la culture n’a pas valeur d’échappatoire, le détenu doit se réparer et ne doit pas se voiler la face. La culture au travers des activités socioculturelles est une solution pour apporter un mieux être et une revalorisation sociale aux détenus. A long terme, elle facilitera la procédure de réintégration et de réinsertion sociale. Mais, l’approche culturelle et artistique en milieu carcéral est plus compliquée et pose aussi des problèmes d’ordre affectif et organisationnel. 2.2 Les activités artistiques et culturelles en milieu carcéral Après avoir vu le cadre juridique et les nécessités de mettre en place des activités artistiques et culturelles, il reste à expliquer le rôle des intervenants culturels dans ce milieu singulier qu’est le monde carcéral. Les interactions entre les différents acteurs sont fastidieuses et répondent à une structuration des actions particulière qui ne facilite pas le travail des agents. 2.2.1 Les intervenants culturels dans le système carcéral Ne faisant partie ni de l’administration pénitentiaire, ni du Ministère de la Justice, les intervenants culturels constituent des repères pour les détenus et symbolisent pour eux le monde extérieur. Ce statut est difficile à assumer et les rôles sont confus. Les relations sont parfois difficiles à vivre et les intervenants se retrouvent face à des problématiques de stigmatisation et de relation individuelle. Ce sont des médiateurs de savoirs et de pratiques spécifiques. Les intervenants culturels sont souvent considérés comme étant une passerelle, un passage entre deux mondes : la société civile et la "micro société carcérale". On peut distinguer quatre types d’acteurs : les intervenants culturels en milieu pénitentiaire (les Conseillers d’Insertion et de Probation), le personnel dépendant de l’état (les chargés de mission des DRAC), les acteurs extérieurs salariés du milieu associatif (intermittents du spectacles, techniciens) et les bénévoles. Ces protagonistes vont œuvrer pour renforcer et étendre les activités socioculturelles au sein des centres pour peines. 2.2.2 La mise en place des projets artistiques et culturels dans les établissements pénitentiaires Les projets d’activités socioculturelles en prison peuvent prendre des formes très diverses même si certains sont couramment utilisés, comme les projets de lecture et d’écriture. Cependant, faire des ateliers de vidéo ou d’expression corporelle est insuffisant et si les intervenants culturels s’arrêtent à cela, ils s’inscrivent dans une démarche d’animation occupationnelle. Le théâtre et l’image ne sont pas des fins en soi si elles ne bénéficient pas d’une reconnaissance extérieure. Le but de ces ateliers est aussi de montrer ce qui se passe à l’intérieur des centres de détention aux personnes de l’extérieur. Des évènements tentent de remplir ce rôle. Par exemple, la compétition de cours métrages présentée à la maison d’arrêt d’Amiens lors des festivals de cinéma. Cette manifestation a pour but de récompenser le meilleur cours-métrage réalisé en détention dans le cadre d’ateliers vidéo. Lors du colloque, intitulé "Création et prison"qui s’est déroulé en septembre 1993 à La Villette à Paris, Jean Jacques Roulland [4] faisait un bilan de son atelier vidéo et présenté le film réalisé par les détenus. A ce propos et concernant la reconnaissance des personnes extérieures à la prison vis à vis des activités, il disait : "Plus on entrera dans la prison pour parler des choses qui ne sont pas celles de la prison, plus vite on avancera" [5]. Les activités artistiques et culturelles peuvent comme nous venons de le voir aboutir à des projets enrichissants qui peuvent sur le long terme et avec un suivi régulier aboutir à des réinsertions sociales positives, mais les intervenants culturels sont confrontés à de nombreuses difficultés. Les contraintes de réalisation apparaissent à tous les niveaux, que ce soit du point de vue psychologique et social ou organisationnel et politique. 2.3 Le système de contraintes qui fixe les limites de l’activité culturelle en milieu carcéral 2.3.1 Les contraintes d’ordre psychologique et social En effet, si l’on s’intéresse à l’approche psychologique des activités socioculturelles, on constate que les détenus ne sont pas toujours favorables à la mise en place d’ateliers. Compte tenu du mode de fonctionnement des centres de détention français, ils n’ont plus de responsabilités, perdent progressivement la motivation pour faire les choses et se réfugient dans l’enfermement et la solitude. C’est pourquoi, les intervenants culturels se heurtent à cette lassitude et cet assistanat qui les freinent dans l’avancée des activités. De plus, les activités socioculturelles constituent un enjeu de pouvoir au sein du monde carcéral. De par l’inégal développement de la culture dans les établissements pénitentiaires français, les ateliers peuvent faire l’objet de convoitise et de jalousie. Ceux qui ont le privilège de s’y investir sont considérés comme des détenus à statut supérieur. Le pouvoir de quelques individus à posséder des capacités que les autres non pas, que l’on appelle le pouvoir d’expert, va créer des tensions et des relations conflictuelles. Dans cet espace de violence, encore faut-il le rappeler, la possession de quelque pouvoir quelqu’il soit engendre des émeutes et des bagarres. Aux difficultés précitées, s’ajoute le problème de l’égalité entre les personnes incarcérées. Certains détenus développent un sentiment de supériorité lorsqu’ils se découvrent des capacités artistiques notables. Le détenu qui est reconnu comme un individu différent des autres car il est doué dans telle ou telle activité, à l’intérieur du microcosme carcéral, va augmenter son estime de soi. Cependant, lorsqu’il va ressortir, il va perdre toute la reconnaissance et la confiance qu’il avait acquise pendant sa détention et il redeviendra un individu parmi tant d’autres. C’est ce que l’on appelle l’aspect leurre en psychologie. Les intervenants culturels sont donc confrontés à des problématiques d’ordre psychologique et social lorsqu’ils s’adressent aux détenus. Ce public a des besoins particuliers auxquels il faut savoir répondre tout en sachant adapter les interventions. Néanmoins, d’autres difficultés d’ordre organisationnel et politique freinent le travail des intervenants. 2.3.2 Les contraintes d’ordre organisationnel et politique Malgré les accords passés entre les différents ministères qui stipulent que les moyens nécessaires au développement de la culture seront attribués, la réalité est différente. Consécutive de la polarisation culture/sécurité, les budgets accordés par l’Etat au Ministère de la Justice sont inégalement répartis et le financement des activités artistiques ne constitue pas une priorité. Suite à cette analyse du système de contraintes qui parasite les actions socioculturelles au sein des centres de détention, il est nécessaire de sortir d’une organisation indépendante qui se développe au sein du monde carcéral. Il semble que l’administration pénitentiaire s’essouffle dans son fonctionnement. De nouveaux projets doivent émerger afin d’ouvrir les portes des établissements pour peines et faire fusionner les projets entre le monde carcéral et la société civile. 2.3.3 Nécessité d’ouvrir sur l’environnement Pour élaborer et mettre en place un projet d’actions culturelles en milieu carcéral, nous avons vu que les partenariats entre les collectivités territoriales, les acteurs de l’action sociale et culturelle locale et les intervenants culturels sont indispensables. Ils constituent les piliers de la politique de démocratisation et d’intégration puisque ce n’est qu’en associant toutes les instances que les projets pourront aboutir. Néanmoins, les faits réels mettent au jour des insuffisances tant au niveau personnel qu’institutionnel. Les collectivités sont réticentes à l’idée de s’investir dans des actions en milieu carcéral. La prison fait peur et la perception que s’en fait la société civile est inexacte. La médiatisation d’une image médiocre et l’accentuation de faits tels que les trafics de drogue et les violences carcérales, contribuent à entretenir ce climat de méfiance. Si l’on s’en tient aux données statistiques du Ministère de la Justice, la délinquance classique est quasi minoritaire et les condamnés pour crime de sang sont peu nombreux. D’après les études, la population carcérale se compose dans sa majorité de toxicomanes, de délinquants sexuels, d’étrangers en situation irrégulière et de malades mentaux. Paradoxalement, même si la prison est une institution très fermée, tout le monde la connaît dès le plus jeune âge. A savoir que les médias transmettent une certaine image de cette institution que l’on s’accorde à respecter. Habituellement, l’homme se construit des opinions à partir de faits réels et de ses propres connaissances acquises, or, pour ce qui est du milieu carcéral, l’opinion se construit à partir d’une idée préconçue, véhiculée par les médias, et ne se fonde pas sur des faits réels et vécus. En ne donnant que des informations négatives sur les détenus et leurs comportements, l’opinion publique se permet de croire à celles-ci, sans se soucier de la légitimité des propos qu’elle entend. C’est ce que les psychologues appellent la prophétie auto réalisatrice, qui consiste à influencer les comportements des personnes en leur faisant croire des choses erronées. Les ateliers d’activités socioculturelles sont toujours à prendre en compte selon deux points de vue, à savoir la fonction de réinsertion et de lien entre le dedans et le dehors et le côté plus négatif qui met en évidence des risques en terme de privilège, de pouvoir et d’inégalité d’accès. Aujourd’hui, les intervenants culturels sont partager entre développer des actions qui apportent aux détenus une image plus positive d’eux mêmes mais ils prennent alors le risque de tout voir s’effondrer dès la sortie, car cette reconnaissance n’existera plus dans la société civile ; ou, ne rien proposer de trop valorisant, c’est à dire se contenter d’activités purement occupationnelles et récréatives qui n’ont pour seul effet que de combler le vide intérieur et ne développent en rien les capacités créatrices des détenus. Suite à cette étude générale de l’administration pénitentiaire et de son fonctionnement ainsi que de la mise en place des activités socioculturelles et des contraintes auxquelles sont confrontés les intervenants culturels en milieu carcéral, nous constatons une carence. La répartition des tâches concernant les projets d’animation est structurée au niveau national et des autres territoires mais au sein même des établissements pénitentiaires, aucune répartition n’est faite. Les Conseillers d’Insertion et de Probation doivent s’occuper de trouver des partenaires, de gérer les négociations avec les chargés de mission des DRAC et enfin de monter et réaliser les activités artistiques et culturelles. Je propose, par conséquent, de m’interroger sur la nécessité d’intégrer, au sein des établissements pour peine, des animateurs socioculturels qui seraient les coordinateurs de projets socio-éducatifs préparant à la réinsertion des personnes incarcérées. [1] "Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent", article 27 de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 [2] Philosophe italien [3] Metteur en scène et auteur du manifeste "Pour une éthique de l’art en prison"(14 décembre 2002) [4] Chef du service socio-éducatif de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis [5] P 70 |