V - Les relations de la prison avec la Cité
1. Le rôle de la Commission de Surveillance
Les modalités de contrôle externe, celles exercées par les autorités administratives et judiciaires de droit commun “s’avèrent insuffisantes au regard des réalités pénitentiaires” et la commission de surveillance “s’avère être une réunion plutôt formelle”.
Madame Elisabeth Guigou, Garde des Sceaux.
Le fonctionnement de la commission de surveillance des prisons de Lyon illustre les carences de ceux qui sont chargés de veiller au respect des droits et libertés.
Cette commission, selon l’article D 180 du Code de Procédure Pénale, est présidée par le Préfet et comprend :
• le président du Tribunal de grande instance
• le procureur de la République,
• le juge de l’application des peines,
• un juge d’instruction,
• un juge des enfants,
• le bâtonnier de l’Ordre des avocats,
• le maire,
• un membre du conseil général élu par ses collègues,
• le directeur départemental du travail,
• l’inspecteur d’académie,
• le président de la chambre de commerce,
• le président de la chambre des métiers,
• le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales,
• le directeur départemental de la protection judiciaire de la jeunesse,
• le directeur départemental de la jeunesse et des sports,
• le commandant du groupement de gendarmerie du département,
• le directeur départemental de la sécurité publique.
Chacune de ces personnes peut se faire représenter.
La commission comprend enfin un représentant des oeuvres d’assistance aux détenus, trois à six personnes appartenant à des oeuvres sociales.
Cet article D 180 précise : “Le chef d’établissement et les membres du personnel, les visiteurs agréés, les personnels socio-éducatifs, ainsi que les aumôniers attachés à l’établissement ne peuvent faire partie de la commission”.
Dans la réalité, cette commission ne se réunit qu’une fois par an, prend connaissance d’un rapport du directeur de l’établissement diffusé en début de réunion, discute brièvement de ce rapport, puis sombre dans l’inertie jusqu’à la réunion suivante.
Non seulement le chef d’établissement est présent, ce qui se conçoit pour l’examen de certains dysfonctionnements, mais c’est lui qui, plus que le préfet, anime la réunion.
Les représentants du Barreau de Lyon ont, à diverses reprises, demandé le respect de l’article D 180 en ce qui concerne :
• la présence du chef d’établissement,
• que la commission ne s’en tienne pas à cette réunion annuelle et rituelle, mais qu’elle effectue en cours d’année des visites inopinées, notamment des quartiers disciplinaires,
• qu’elle soit tenue informée du résultat des enquêtes effectuées à la suite d’incidents graves ou suicides,
• que les détenus soient informés au préalable de la visite de la commission de façon à pouvoir s’entretenir individuellement avec certains de ses membres.
Sur la présence du chef d’établissement, le procureur de la République et le Préfet ont considéré que l’article D 180 n’avait pas à être respecté, car il fallait privilégier le partenariat.
Il est à noter que la diffusion du rapport annuel élaboré par la direction se fait quelques jours avant la réunion et non plus au début de celle-ci. Le bilan est affligeant et confirme que de l’intérieur il est pratiquement impossible d’améliorer le contrôle.
Cette inertie est sans doute à l’origine de l’amendement voté par les députés et les sénateurs leur donnant la possibilité de pénétrer dans les prisons de leur département.
Mais cette intrusion parlementaire ne suffit pas. Un organisme indépendant doit être mis en place, composé de représentants de la société civile, et chargé d’effectué un contrôle permanent. C’est le sens de la mission que Mme Guigou a confié à M. Canivet, premier président de la Cour de Cassation.
Le 6 mars dernier, M. Canivet rendait publique sa proposition qui pourrait inspirer une véritable politique pénitentiaire. Il demande le vote d’un texte affirmant les droits du détenu et l’instauration d’un contrôle indépendant, chargé de l’application de la loi derrière les murs.
Il est urgent d’avoir le courage politique de la mettre en oeuvre.
2. Le rapport de la direction
Le rapport de la Direction de l’Administration Pénitentiaire sur les prisons de Lyon, établi le 28 mars 2000 pour la Commission de Surveillance, amène quelques questions de la part du lecteur :
Pourquoi, alors que le taux d’absentéisme du personnel généralement reconnu est de 16 %, le taux moyen sur le quartier Perrache s’élève à 25,5 % en 1999 ?
Le nombre de prévenus et condamnés (hommes et femmes) est le plus important dans la tranche d’âge 21-30 ans. Faut-il y voir un problème de société autour de l’insertion sociale des jeunes ?
Le tableau de la gestion des incidents pendant l’année 1999 dans la maison d’arrêt de Lyon fait ressortir un nombre de décès par suicide additionné aux tentatives de suicide élevé (39) par rapport au nombre de décès par mort naturelle (2). Comment comprendre ce dramatique état de fait ?
Le rapport indique que dans le quartier des mineurs les 14 cellules sont équipées pour recevoir un ou deux détenus. Cette situation est-elle conforme à la loi ?
La partie du rapport qui traite du quartier des mineurs donne une vision idyllique. Pourtant, il est mentionné qu’une salle de classe mériterait un rafraîchissement (sic) et qu’un poste d’enseignant n’est pas remplacé. Pourquoi ce décalage avec la réalité ?
En outre le paragraphe concluant cette partie du rapport met en exergue les lacunes de l’administration pénitentiaire en ce qui concerne les mineurs :
“Le plus gros problème qui se pose est celui du sureffectif. Compte tenu des profils décrits plus haut, tant qu’un autre quartier pour mineurs n’aura pas été ouvert, je suis convaincu que nous aurons de plus en plus de difficultés à prendre en charge de façon efficace (sur le plan pédagogique, éducatif ou parfois simplement personnel) des jeunes qui par ailleurs sont de plus en plus demandeurs auprès des adultes mais auxquels les adultes ne peuvent pas donner autant de temps qu’ils le souhaiteraient, du fait même de leur trop grand nombre. Il me semble que c’est l’un des moyens privilégiés à mettre en oeuvre sinon pour faciliter la réinsertion du moins pour améliorer et faciliter la prise en charge” (Conclusion du bilan de l’année 1999 fait par M. Richard, concernant le quartier des mineurs).
Humeur
Un règlement intérieur classé "secret défense" ?
Lorsque la prison a quelque chose à cacher, elle le fait savoir.
A notre demande de recevoir un exemplaire du règlement intérieur, nous obtenons une première réponse : "Il est en cours de réécriture, donc non disponible". Quinze jours plus tard, nous présentons une nouvelle demande : "Il n’est pas terminé, de plus il faut en faire une demande par écrit et par la voie hiérarchique".
Nous ne formulerons pas de troisième demande et resterons sur nos interrogations :
? Une prison peut-elle fonctionner sans règlement intérieur ?
? Si ce règlement existe et ne peut être divulgué, quelles clauses indicibles peut-il bien contenir ?
Le silence est l’ennemi de la vérité.