VI - Perspectives...
La place de la prison dans la ville : l’avis de la Commission
En préambule, nous voulons préciser qu’il nous paraît fondamental, au moment où il est question de construire un nouvel établissement en remplacement (?) des maisons d’arrêt Saint Paul et Saint Joseph, que les décideurs tirent les enseignements des expériences antérieures et intègrent les découvertes récentes de la pénologie.
Alors qu’aujourd’hui, les cahiers des charges sont basés sur le tout sécuritaire et la surveillance, il nous semble indispensable, avant toute décision, de réunir un groupe de réflexion et de travail composé d’élus et de représentants des usagers, des associations et des organisations professionnelles.
La prison dans la ville :
La place de la prison est au coeur de la ville, de ses bruits, de ses odeurs, de ses moyens de communication.
La prison a une fonction : elle doit être visible, lisible et accessible.
Les prisons excentrées ne correspondent qu’à la préoccupation constante de nos sociétés actuelles de rejeter au loin ce qui gène.
Cet éloignement ne prend nullement en compte les besoins réels de tous les intervenants. En effet, magistrats, surveillants, avocats, familles, visiteurs, médecins, travailleurs sociaux, ..., perdent un temps considérable en déplacements. De plus, des transports de justice trop longs sont une entrave au bon déroulement de la justice pénale.
La prison doit aussi être d’un accès facile pour la société civile appelée à y intervenir.
La pression foncière, argument régulièrement utilisé pour éloigner les établissements pénitentiaires, devrait plutôt être une raison pour reconsidérer la réelle utilité de la détention, souvent appréciée un peu vite comme la seule solution. Pourtant, dans de nombreuses situations, une alternative est possible et même éminemment souhaitable (petite primo-délinquance, sans papiers, etc.).
Pourquoi envisager la construction d’un établissement de 700 places et non pas celle de plusieurs plus petits, chacun ayant une fonction précise : mineurs, maison d’arrêt, accueil de nuit pour permettre une réinsertion par le travail, et rendre plus facile la mise en place des nécessaires et efficaces dispositifs de semi-liberté.
En effet, il n’est pas souhaitable de profiter de la construction d’un nouvel établissement pour augmenter les capacités d’accueil. Il faut au contraire saisir l’occasion pour mener une véritable réflexion sur la nécessité de la détention, et les meilleures façons de prévenir la récidive et de préparer la réinsertion.
On sait que le système architectural influence les comportements. Les détenus et le personnel pénitentiaire insistent plus sur la nécessité de liens, de rapports humains à l’intérieur des établissements, que sur le confort. On sait aussi que l’enfermement fait baisser l’acuité des sens.
Il serait donc essentiel de tenir compte de ces données pour la nouvelle construction.
En ce qui concerne les mineurs, la détention doit absolument rester l’exception, strictement justifiée par la nécessité de protection de l’individu ou de la société.
Il faut impérativement avoir une autre approche de la détention dont on sait qu’elle conduit presque systématiquement à la récidive, et redonner à la Protection Judiciaire de la Jeunesse les moyens et les possibilités d’exercer complètement sa mission.
A Lyon, aujourd’hui, il serait indispensable de tenir compte de la loi et des locaux. Ainsi, à St Paul, il ne faudrait pas accueillir plus de 14 mineurs, puisqu’il n’y a que 14 cellules.
Préconisations :
• une prison au coeur de la ville,
• une prison visible, lisible et accessible,
• une prison de dimension humaine,
• une architecture au service des utilisateurs.
... et Conclusion
Comment conclure sur de simples “ Regards et Réflexions ” ?
Comment finaliser des paroles citoyennes en essayant d’élaborer une conclusion qui puisse à la fois résumer et ouvrir sur l’avenir ?
Peut-être s’agirait-il avant tout de rappeler le sens de cette démarche :
Il semble nécessaire d’insister sur le fait que la Commission est composée de citoyens qui, à travers leurs impressions, leurs analyses, leur regards, ont tenté d’apporter leur contribution à la réflexion sur la question des prisons.
Nullement experte, ni même spécialiste, il fallait un témoignage citoyen sur les prisons de Lyon.
Il fallait qu’à notre manière nous puissions enlever quelques pierres à l’édifice carcéral afin, et nous l’espérons tous, qu’il soit un peu plus transparent.
Il fallait enfin que les prisons de Lyon puisse être pensées et analysées par des esprits objectifs, non soumis à la tentation de l’expertise, mais plus simplement aux “ Regards et Réflexions ” citoyens.
Parfois il faut peut-être mieux se pencher vers l’inconnu sans idée préconçue, justement pour mieux assister à la manifestation naïve d’une vérité ; exempte de certitude, à l’abri de la pression de la mode, à l’ombre de ce qui passe...
Regarder le dedans du dehors est souvent plus instructif qu’essayer d’analyser le dedans par le dedans.
D’une façon naturelle, chaque membre de la Commission s’est impliqué dans cette découverte de l’univers carcéral, trouvant spontanément son espace d’expression.
La machine démocratique était en marche, il ne s’agissait plus que d’ajuster, de régler, de huiler les rouages citoyens.
La prison semble hostile à toute forme de questionnements qui pourrait de près ou de loin la remettre en cause.
C’est pourquoi il est important qu’une parole citoyenne s’exprime librement, et par là même resituer la prison au sein d’un véritable débat de société.
Il ne s’agit pas de juger l’Administration Pénitentiaire sur ce qu’elle est, ni même sur ce qu’elle devrait être. Bien au contraire, il s’agirait plutôt de lui montrer l’étendue qui la sépare du citoyen qui ose un jour se préoccuper de ce qu’il ne connaît que par ouï-dire.
L’Administration Pénitentiaire est victime de son propre fonctionnement qui rend difficile toute initiative, toute tentative de nouveauté, d’originalité.
L’Administration Pénitentiaire ne se résume pas à la seule prison.
Répondre aux problèmes des conditions d’incarcération par la création de nouveaux établissements serait le signe d’un repli sur une fonction première, qui est loin d’être unique au regard de réalités sociales nouvelles.
Il faut impérativement qu’elle parvienne à trouver d’autres issues, en particulier en s’ouvrant résolument vers l’existant alternatif.
En cela, elle signifiera son implication au coeur de la ville, et l’établissement de nouveaux liens citoyens.
Le 5 juillet 2000, le rapport de la Commission d’enquête sur la situation dans les prisons sera rendu public.
Jean-Michel BEZAT (le Monde du 25/6/2000) rapporte l’apostrophe de l’un des directeurs de prison aux députés : « Dites bien dans votre rapport que la prison est l’affaire de tous les citoyens ».