Publié le samedi 18 juin 2005 | http://prison.rezo.net/0-etat-des-lieux/ Etat des lieux Dr Joseph Minervini - Psychiatre - PH temps partiel Responsable du dispositif des Soins Psychiatriques à l’UCSA de la Maison d’Arrêt de Besançon Tél 03 81 52 12 80 E mail jminervini@chu-besancon.fr Le titre de ma communication d’aujourd’hui est certainement trop ambitieux. En effet, je n’ai pas la prétention de faire un bilan qui se voudrait exhaustif de situation de la psychiatrie en prison. La bibliographie tend à s’étoffer et je vous y renvoie. Je ne veux que souligner un certain nombre d’éléments, de problèmes rencontrés au travers de ma pratique depuis ma prise de fonction il y a un peu plus de cinq ans à la Maison d’Arrêt de Besançon. PREAMBULE Ce qui m’intéresse surtout, c’est de pouvoir nous rencontrer aujourd’hui et de débattre de notre pratique singulière de soignants en prison. DEVELOPPEMENT J’y vois plusieurs raisons : L’insuffisance des moyens, même si de nouveaux SMPR ont été créés ces dernières années (je crois que le dernier est celui de Chalon-en-Champagne) L’inadéquation des locaux : condition indispensable à un travail de qualité L’inflation considérable et inquiétante des détenus souffrant de troubles psychiques (e vais développer ce sujet, mais vous êtes bien au courant) puisque les statistiques évoquent un taux de troubles mentaux de l’ordre de 40 % parmi la population pénale, 30 % des détenus souffriraient de troubles de la personnalité de type état limite, 10 % de psychose. Cette inflation inquiétante de la population de malades mentaux en détention est certainement liée à la réforme du code pénal avec la suppression de l’article 64 remplacé par l’article 122-1 et 2 qui a fait évoluer le taux d’irresponsabilité pénale en relation avec une pathologie mentale de 17 % au début des années 80, à 0.17 % en 1997. Paradoxalement, la présence de troubles psychiatriques se traduit souvent par un alourdissement de la peine. Les difficultés, lorsque nous sommes amenés à user de l’article b-398 du code de Procédure Pénale, concernant les détenus souffrant de troubles psychiques et pour lesquels leur état est incompatible avec la détention et le recours alors obligatoire à l’Hospitalisation d’Office dans les Centres Hospitaliers Spécialisés. A Besançon, en 1999, j’ai fait 4 demandes d’Hospitalisation d’Office ; l’année dernière, j’ai dû en demander 14, ce qui m’a valu quelques soucis avec nos Collègues Hospitaliers dans la mesure où ces patients détenus sont bien souvent mal vécus par les structures de soins extra-pénales du fait de la perception de leur dangerosité (tous ne sont pas dangereux), du fait de leur nouvelle mission de surveillance mal vécue (les équipes soignantes assumant alors un r6le de “maton”), les difficultés inhérentes à toute prise en charge sous la contrainte d’un patient qui ne peut donner son consentement, du fait de la féminisation des équipes soignantes. J’ai été ainsi l’objet de projections et le témoin d’un certain nombre de choses comme : “vous travaillez en prison, vous pouvez soigner vos malades en prison”, d’allées et venues incessantes de patients de la prison à l’hôpital avec un retour à la case départ et de nouvelles hospitalisations, d’hospitalisations certainement trop brèves avec mise en place d’un traitement neuroleptique lourd et un renvoi prématuré en détention d’un patient ingérable et ne pouvant bénéficier de tous les soins d’une structure extra-pénale-, Deux rencontres avec les équipes soignantes du CHS et les autorités judiciaires et pénitentiaires n’ont finalement pas abouti puisqu’à mon avis, il n’y a pas d’évolution possible sans volonté politique de changer les choses. Tout au plus, peut-on souligner des expériences originales comme à Auxerre et à Nice où la création inter-sectorielle de petites unités pour malades hospitalisés en Hospitalisation d’Office permet avec des moyens suffisants en locaux et en personnel, de gérer ces patients difficiles, rejetés, et certainement mal traités du fait de l’insuffisance il est vrai des moyens dont disposent nos Collègues des structures hospitalières extra-pénales. PELE-MELE Je vais vous livrer pêle-mêle quelques réflexions. La tentation est grande de condamner et d’enfermer les personnes souffrant de troubles psychiques puisque les Psychiatres travaillent en prison. Il s’agit bien évidemment d’une grande régression alors que Pinel a libéré les condamnés de leurs fers et que les Hôpitaux Psychiatriques ont ouvert leurs portes sur la Société. Tendance à psychiatriser les situations qui ne relèvent pas du soin : vous avez tous eu affaire à des demandes de l’Administration Pénitentiaire concernant des détenus qui leur posaient un problème. Il ne s’agissait que d’un conflit détenu-Administration Pénitentiaire ou d’un non respect de règlement qui ne relève pas de la Psychiatrie. L’usage du psychotrope est à bannir bien évidemment en dehors d’une situation de souffrance psychique de notre patient. La pratique du soin en détention nous confronte à des sujets privés de liberté encadrés par une Administration Pénitentiaire toute puissante, omniprésente. Il ne faut pas oublier que nous travaillons dans leurs murs et que nous devons en tout cas (c’est mon obsession) sans cesse nous poser la question de la demande du soin : est-ce que c’est un détenu qui l’exprime face à une souffrance réelle, est-ce qu’il s’agit d’une volonté tacitement affichée de psychiatriser une situation conflictuelle ? Il me semble nécessaire dans toute pratique pénitentiaire du soin de se poser sans cesse la question du respect strict de notre déontologie et je vous renverrai pour cela aux recommandations de l’Ordre des Médecins qui datent d’il y o quelques années déjà et du Conseil de l’Europe sur la pratique du soin en détention. En effet, un risque est toujours présent de voir les équipes se "pénitentiariser” et de sortir de leur râle de soignant, et devenir des nouveaux juges ou des agents du maintien de l’ordre en détention pervertis par un système répressif. Si une évolution de ce type existait, il faudrait ainsi, me semble-t-il, remettre en question sa pratique en détention sous peine de vendre son âme au diable. Je voulais soulever ces quelques éléments. CONCLUSION En conclusion et pour être plutôt optimiste, il me semble important de préciser quand même qu’il est possible grâce à la volonté des soignants travaillant dans le cadre de dispositifs de soins psychiatriques de faire un travail de qualité en détention avec des missions importantes comme : le dépistage des pathologies mentales et leur prise en charge, la mise en place de suivi psychothérapique en particulier à destination de la population pénale la plus fréquente, je veux dire celle des délinquants sexuels puisque 25 % de la population pénale en France concerne des auteurs de délits et de crimes sexuels, d’assurer un suivi post-pénal, de mettre en place des actions de dépistage des pathologies addictives et de leur prise en charge en relation avec les intervenants associatifs (Centre d’Hygiène Alimentaire, Centre de Soins aux Toxicomanes...). de leur prise en charge en relation avec les intervenants associatifs (Centre d’Hygiène Alimentaire, Centre de Soins aux Toxicomanes...) Le travail en milieu carcéral nécessite des efforts de nos Administrations de Santé, efforts en terme de formation. Collaboration nécessaire avec les équipes somatiques, ce qui n’est pas toujours facile à mettre en place, et je n’en dirai pas plus. Au terme de cette brève communication, il me semble nécessaire de pouvoir échanger sur nos pratiques respectives, sur les particularités de soins en milieu pénitentiaire et sur les difficultés que nous rencontrons. Ainsi, nous pourrons espérer travailler davantage en réseau. Source : Site psy désir |