Publié le dimanche 4 septembre 2005 | http://prison.rezo.net/2004-jericho-no188-mars/ Édito « Je n’ai que l’idée que je me fais de moi, Plus de 60 000 personnes incarcérées pour environ 48 000 places, des conditions de détention inacceptables dans certaines maisons d’arrêt, des articles de presse qui ça et là s’en émeuvent, un rapport du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) qui dénonce « la France carcérale », un état des lieux réalisé par l’ANVP et qui pose un certain nombre de questions quant à la capacité d’analyse de l’acteur sur le terrain, telle est la situation ! Une association telle que l’ANVP a pour but d’aider et de fédérer ses membres mais elle existe essentiellement pour aider les personnes incarcérées à vivre et à construire autant que faire se peut, un projet de vie, dans un contexte très spécifique. C’est une tâche difficile ! D’abord, parce que dans beaucoup trop d’établissements, le nombre de visiteurs, par rapport au nombre des personnes incarcérées, est très insuffisant. Ensuite, parce que la proportion des personnels d’insertion et de probation est dérisoire par rapport à l’ensemble des personnels pénitentiaires. Ces derniers ne sont que 1 949 alors que les personnels de surveillance atteignent le chiffre de 22 358. D’autre part, le contact quotidien avec la souffrance peut entraîner une certaine banalisation voire une certaine résignation. De même, l’ignorance du milieu carcéral, de son fonctionnement et de ses dysfonctionnements, voire de ses absurdités ne peut que nuire à la compréhension de situations particulières. En effet, le visiteur est d’abord confronté à des histoires de vie singulières. Le projet d’une éventuelle réinsertion ne peut venir que de la personne concernée, compte tenu de son parcours et du travail effectué sur elle-même. Il ne peut pas être la simple application d’un « programme » bien qu’il s’exerce dans des contextes plus ou moins favorables, qui dépendent également d’une volonté politique. Cette démarche ne peut naître dans la solitude et être le fait de la seule personne. Elle requiert une médiation, celle du visiteur. Cela suppose des visiteurs compétents, bien formés à L’ANVP, par l’intermédiaire de ses correspondants, a souhaité établir un état des lieux qui puisse lui permettre d’agir et de réagir aux difficultés rencontrées sur le terrain tant par les visiteurs de prison que par les personnes détenues. Le rôle de l’association n’est-il pas de développer tous les moyens d’information possible pour en faire bénéficier ses membres ? L’ANVP compte aujourd’hui 126 correspondants. 92 questionnaires sur 126 nous ont été retournés complètement ou partiellement remplis : saluons dans tous les cas l’effort de nos correspondants. Nous souhaitions d’abord connaître le nombre de visiteurs dans chaque établissement, en rapport avec la population carcérale. Force est de constater, une fois de plus, que les visiteurs ne sont pas assez nombreux et que la proportion entre détenus et visiteurs est véritablement insuffisante dans certains établissements (1 visiteur pour 216 personnes incarcérées à Villeneuve les Maguelonne, 1 pour 153 à Tarascon, parmi d’autres...). Il nous faut donc faire, en amont, un effort de recrutement et d’abord d’information autour de nous. En aval, les détenus doivent être mieux informés de la possibilité de bénéficier de l’accompagnement d’un visiteur. En ce qui concerne les conditions de détention, en particulier celles concernant les personnes ayant commis des délits sexuels, nous avons été étonnés de constater qu’apparemment aucun problème spécifique n’est soulevé. Certains établissements (39 sur les 90 représentés dans notre enquête) ont pris des mesures spécifiques : création de quartier, étage réservé, regroupement par cellule et promenades séparées. La vie de l’établissement et la participation des visiteurs à ses différentes activités, association socioculturelle, ainsi qu’aux différentes commissions. Cette participation est satisfaisante dans l’ensemble. Les jours de visite accordés aux visiteurs restent problématiques dans certains établissements où elles ne se font que le matin ou l’après-midi (9 établissements). Dans 6 établissements les visites ne sont permises qu’un, deux ou trois jours seulement par semaine. D’autre part, dans 43 établissements, il n’est pas possible d’intervenir le samedi, ce qui est préjudiciable aux visiteurs en activité professionnelle. Si l’accueil des familles est assez bien organisé, grâce aux associations et aux foyers, la possibilité d’hébergement reste très limitée. Nous comptions beaucoup sur les souhaits et suggestions, sans parler des projets des visiteurs de prison et de leur correspondant. Les questionnaires sont muets dans ce domaine et nous ne pouvons que le déplorer. En dehors de quelques problèmes locaux, la satisfaction semble générale, ce qui est bien mais laisse quelque peu sceptique. On ne peut pas s’empêcher de penser qu’au fond cela révèle peut-être une certaine indifférence. On peut également s’étonner que pour 36 établissements, aucune formation à l’écoute ne soit mise en place et que pour 56 des cas, il n’y ait aucun groupe de parole. Ces constatations nous donnent l’occasion Par ailleurs, nous ne pouvons pas accompagner, comme il se doit, les personnes qui nous sont confiées sans tenir compte du milieu dans lequel elles évoluent et vivent. Il ne s’agit pas d’ajouter par une désapprobation du système « de la peine à la peine », « de la colère à la colère », il s’agit avant tout de favoriser une parole, d’offrir une écoute, qui tiennent compte du quotidien des personnes et de leurs difficultés. Alors seulement, les difficultés dites et en quelque sorte maîtrisées grâce au langage, on peut ouvrir le champ de tous les possibles. L’ANVP RAPPELLE SES CONVICTIONS C’est par la prévention que réside la diminution de la délinquance. Construire de nouvelles prisons n’est pas la solution. De plus, nombre de délits de relèvent pas de la prison, notamment ceux qui ont pour origine l’extrême pauvreté, les toxicomanies, les troubles mentaux, ainsi que les incivilités. Malgré les avancées du rapport Warsmann, dont on peut se féliciter (recours au TIG, au bracelet électronique, mesures de semi-liberté...), il convient de réfléchir à d’autres alternatives et possibilités de réparation. L’ANVP appelle de ses voeux un véritable programme d’accompagnement social qui soit pour la société un gage d’insertion et de sécurité. La population carcérale est constituée, pour plus de 50 %, de personnes ayant moins de trente ans, l’enjeu social est considérable ! L’ANVP s’inquiète par ailleurs de toutes les décisions qui tendraient, sans véritables réflexions préalables sur les remises de peine, à prolonger la peine du temps de ces mêmes remises par des contrôles judiciaires. L’ANVP considère que le recours aux libérations conditionnelles, aujourd’hui trop restreintes et favorisant pourtant la diminution de la récidive, doit être largement utilisé. Elle rappelle que le risque zéro n’existe pas et que seules des politiques de prévention en amont et d’aménagements de peine en aval peuvent être les véritables garants de la sécurité publique. De la même manière, la prise en compte légitime de victimes ne peut pas permettre que l’on prenne des mesures d’exception, à l’égard de certaines catégories de délits et de crimes, lesquelles seraient discriminatoires et contraires aux principes généraux et universels qui président à l’élaboration L’ANVP considère qu’il serait inique de revenir sur la loi sur la suspension de peine pour raisons médicales. Cette loi, déjà appliquée avec une grande parcimonie, est susceptible d’être modifiée par un amendement qui tendrait à la vider de sa substance sur le prétexte de « risque grave de renouvellement de l’infraction », risque bien improbable. L’ANVP dénonce les longues peines et les périodes de sûreté, lesquelles sont des « morts lentes » qui ne permettent ni une individualisation de la peine, ni à la personne condamnée une réflexion sur son histoire et sur son délit. Ces peines découragent tout projet d’avenir et de réparation. L’ANVP considère que la prison, si elle ne peut être évitée, doit permettre aux personnes incarcérées de maintenir et d’entretenir des liens familiaux et sociaux. Elle doit être un lieu où la personne détenue peut, dans son intérêt et celui de la société, élaborer un projet de vie. La personne incarcérée doit être considérée dans toutes ses dimensions, physique, intellectuelle et affective. A ce titre, elle doit pouvoir bénéficier de parloirs de vie familiale privée, non surveillés, qui respectent l’intimité des personnes et la dignité des personnels. Sans méconnaître la complexité du problème, l’ANVP souhaite que tous les moyens soient donnés à l’administration pénitentiaire afin qu’elle puisse mettre en place les mesures d’accompagnement susceptibles de prévenir les suicides en détention. La présence de bénévoles, comme celle des visiteurs de prison, qui permettent aux personnes détenues de s’exprimer et d’exister, en dehors de tout enjeu judiciaire et administratif, est un des moyens que l’institution peut se donner pour diminuer ce risque. HOMMAGE À MONIQUE CALOT REMISE DE MÉDAILLE Monsieur le Préfet, mes chers amis, Je vous remercie de l’hommage que vous venez de nous rendre. En y réfléchissant, je ne crois pas qu’il faille traiter à la légère l’honneur qui nous est fait aujourd’hui. Remercions donc, comme il convient, très généreusement le ministère pour cette reconnaissance. Au fond nous n’avons guère l’occasion de nous congratuler car les difficultés qui sont les nôtres sur le terrain nous obligent constamment à beaucoup de modestie. En effet, que de contorsions et de trocs relationnels ne devons-nous pas faire au fil des mois et des semaines pour être tolérés et reconnus. Que cette reconnaissance s’exprime par cet honneur et par votre présence, Monsieur le Préfet, nous touche assurément et je vous en remercie personnellement très chaleureusement. De là à conclure que nous devenons indispensables, que les services sociaux sont perdus sans cette présence qui est la nôtre auprès des personnes détenues, il y a un grand pas à franchir mais quelle tentation ! Soyez rassuré, Monsieur le Préfet, cela ne va pas nous monter à la tête, la Mais j’ai moi aussi un cadeau à vous faire. C’est un texte du 4 juillet 1946, de l’un de vos prédécesseurs, le Préfet Amor, à qui l’on doit comme on le sait, la création des services sociaux en prison. Monsieur Amor nous écrivait alors combien nous étions nécessaires à l’effort commun de réinsertion des personnes détenues tout en nous rappelant assez fortement à nos devoirs de soumission à cette nouvelle autorité. Vous ne serez pas sans remarquer combien nous sommes restés fidèles à ces principes sans pour autant jamais trop nous soumettre, nous glissant ici ou là souvent avec habilité à travers les mailles du filet pour faire avancer tel ou tel cas, ce qui ne nous empêche pas de nous préoccuper de cette institution qu’est la prison, laquelle reste plus que jamais, et vous ne m’en voudrez pas de le dire, une entreprise qui gère la misère humaine. Cette misère humaine, cette dépendance, toutes ces indigences, nous les voyons simplement avec des regards d’hommes et de citoyens. On nous taxe d’humanisme bon enfant non sans parfois quelque condescendance. Mais qui dira que dans une société individualiste, de plus en plus complexe, qui laisse sur le bord de la route les plus démunis, il n’est pas nécessaire de créer des liens, de restaurer une solidarité humaine et citoyenne entre toutes les personnes. On naît homme, on devient humain, mais, comme le disent les philosophes, qui échoue à le devenir n’en est pas moins homme pour autant. Qu’on le veuille ou non, ce lien ne peut être que personnel et libre de tout enjeu. C’est là notre raison d’être. Dans la querelle de l’inné et de l’acquis, les visiteurs de prison sont bien convaincus que toute personne est susceptible d’évoluer, de prendre conscience de ses actes, de faire un retour sur elle même, de se réparer afin de réparer, si cela se peut, ce qui peut encore l’être dans la compréhension de la souffrance infligée à autrui. Mais, ne nous y trompons pas, on ne grandit jamais seul. Il faut des échanges et des repères vivants, attentifs et responsables. On ne cesse aujourd’hui d’opposer les victimes aux coupables. Je doute que la société ait grand chose à gagner dans ce manichéisme réducteur. Nous comprenons bien sûr la souffrance des victimes, mais nous sommes aussi peut-être les rares à savoir, et c’est pourquoi il faut le dire, que les coupables sont aussi des victimes : victimes d’histoires de vie cassées, victimes de ruptures des liens affectifs, victimes de la misère, de l’ignorance et de l’inculture. Ce sont sans doute là des données sociologiques qui, dans une société technologique se voulant performante, ont de moins en moins de place ou sont délibérément ignorées. Nous sommes là pour le rappeler ! « L’humanité n’est pas d’abord une performance, qui dépendrait de ses réussites ; c’est une donnée qui se reconnaît jusque dans ses échecs », comme le dit très bien André Comte-Sponville. Monsieur le Préfet, mes chers amis, je vous remercie pour votre écoute. LETTRE DU PRÉFET AMOR DU 4 JUILLET 1946 Le Directeur de l’administration pénitentiaire A Mmes les visiteuses et MM. Les visiteurs des prisons L’aide précieuse que vous apportez à mon administration dans le domaine si vaste des détenus, s’impose tous les jours à mon attention, tant par le nombre croissant des personnes de bonne volonté qui m’offrent leur concours, que par le zèle qui vous anime et dont j’ai constamment l’écho. Je sais avec quelle assiduité vous visitez les détenus confiés à votre intérêt, comment la plupart d’entre vous, ne se bornant pas à ces contacts, par eux-mêmes déjà très bienfaisants, s’ingénient à préparer le retour du détenu dans la vie libre, souvent même continuent au-delà de la libération à suivre le libéré pour le conseiller et le guider. Toutes ces activités méritent mon approbation et je ne saurais trop vous engager à les poursuivre et à les développer dans le cadre général du règlement du 18 12-1945 qui constitue désormais votre charte. Les dispositions de ce règlement qui avait d’ailleurs préalablement l’assentiment des Présidents et Secrétaires Généraux de vos Organismes, ont été scrupuleusement respectés au cours de ce dernier semestre et je ne puis que m’en féliciter. Il est cependant un point sur lequel il me paraît utile d’attirer votre attention, il s’agit de la nécessaire collaboration avec l’Assistante Sociale de l’établissement. Vous savez mieux que quiconque combien la présence permanente ou quasi permanente d’une assistante dans les établissements pénitentiaires constitue un progrès sensible dans le domaine du secours humain que la Société doit aux individus même les plus déchus. Vous avez senti combien devenait indispensable, au fur et à mesure que votre nombre grandissait, l’existence d’une sorte de bureau central du service social, reliant vos activités diverses, groupant les efforts de tous, éclairant les bonnes volontés inhabiles des nouveaux membres, facilitant vos démarches en les rassemblant. Toutefois, pour que cette liaison permanente développe pleinement ses heureux effets, il importe que vous ne manquiez pas de prendre des contacts fréquents et étroits avec les assistantes. Non seulement il est dans l’intérêt commun que vous les rencontriez au cours de vos visites à la prison, mais il est aussi nécessaire que vous les teniez au courant des grandes lignes de votre activité, afin qu’elles soient en mesure de vous signaler par exemple le mécanisme selon lequel une difficulté analogue a reçu une solution ou le cas d’un détenu attirant sur lui l’intérêt de plusieurs visiteurs à la fois. Dans un domaine où se rencontrent tant de pièges et tant d’écueils, vous admettrez certainement avec moi que nul n’a intérêt à s’ isoler des autres et que c’est de l’effort collectif qu’on peut et qu’on doit espérer ces succès où vous cherchez à travers tant de déceptions fréquentes, la seule et si réconfortante récompense de vos magnifiques efforts. Je suis, en conséquence, persuadé que vous voudrez bien, ainsi que je vous le demande instamment, vous prêter à la réussite de cette oeuvre de coopération et de coordination qui marquera une étape nouvelle dans l’organisation définitive de nos entreprises sociales communes. Le Directeur de l’Administration Pénitentiaire, AMOR. CONGRÈS DE L’ANVP LE GENEPI Le GENEPI est l’une des plus anciennes associations étudiantes. Il a été créé en 1976 sur une initiative du ministère de la Justice, faisant suite aux L’objectif de l’association est de « collaborer à l’effort public en faveur de la réinsertion sociale des personnes incarcérées par le développement de contacts directs entre les étudiants de l’enseignement supérieur et le monde pénitentiaire » (article 3 des statuts). Un point fondamental de la charte du GENEPI - signée, en plus de son acte d’engagement, par chaque étudiant génépiste - souligne que ses membres n’ont pas à se préoccuper du passé pénal des détenus qu’ils seront amenés à rencontrer. La politique d’intervention du GENEPI est axée sur deux points fondamentaux. D’autre part, le GENEPI se préoccupe de l’information et de la sensibilisation du public dans le but d’une « amélioration du contexte économique, social et psychologique de la réinsertion des personnes Pour finir, nous pouvons noter avec intérêt qu’en 1996 le GENEPI a été à l’origine d’une enquête, à l’échelle du territoire français, sur les « connaissances et représentations des Français sur la prison », créant et diffusant 2 000 questionnaires. Ce travail a été réalisé en collaboration Agenda : Merci à Amélie Trappler (Chargée de communication), pour sa disponibilité. BIBLIOGRAPHIE Lire aussi les autres dossiers de ce journal : [1] M. Didier Lallement a été nommé Préfet de Saône et Loire. M. Patrice Molle, Préfet, ancien Directeur des Ressources humaines à la Mairie de Paris, lui a succédé [2] À l’époque, Conseiller Technique à la Présidence de la République
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