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(2004) Jéricho n°188 - Mars

Publié le dimanche 4 septembre 2005 | http://prison.rezo.net/2004-jericho-no188-mars/

Édito

« Je n’ai que l’idée que je me fais de moi,
pour me soutenir sur les murs du néant. »
Henry de Montherlant

Plus de 60 000 personnes incarcérées pour environ 48 000 places, des conditions de détention inacceptables dans certaines maisons d’arrêt, des articles de presse qui ça et là s’en émeuvent, un rapport du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) qui dénonce « la France carcérale », un état des lieux réalisé par l’ANVP et qui pose un certain nombre de questions quant à la capacité d’analyse de l’acteur sur le terrain, telle est la situation !

Une association telle que l’ANVP a pour but d’aider et de fédérer ses membres mais elle existe essentiellement pour aider les personnes incarcérées à vivre et à construire autant que faire se peut, un projet de vie, dans un contexte très spécifique. C’est une tâche difficile !

D’abord, parce que dans beaucoup trop d’établissements, le nombre de visiteurs, par rapport au nombre des personnes incarcérées, est très insuffisant. Ensuite, parce que la proportion des personnels d’insertion et de probation est dérisoire par rapport à l’ensemble des personnels pénitentiaires. Ces derniers ne sont que 1 949 alors que les personnels de surveillance atteignent le chiffre de 22 358. D’autre part, le contact quotidien avec la souffrance peut entraîner une certaine banalisation voire une certaine résignation. De même, l’ignorance du milieu carcéral, de son fonctionnement et de ses dysfonctionnements, voire de ses absurdités ne peut que nuire à la compréhension de situations particulières.

En effet, le visiteur est d’abord confronté à des histoires de vie singulières. Le projet d’une éventuelle réinsertion ne peut venir que de la personne concernée, compte tenu de son parcours et du travail effectué sur elle-même. Il ne peut pas être la simple application d’un « programme » bien qu’il s’exerce dans des contextes plus ou moins favorables, qui dépendent également d’une volonté politique. Cette démarche ne peut naître dans la solitude et être le fait de la seule personne. Elle requiert une médiation, celle du visiteur. Cela suppose des visiteurs compétents, bien formés à
l’écoute, respectueux de la déontologie, informés sur l’environnement carcéral et les risques de la vie en détention notamment celui du suicide. Il se doivent ainsi d’être des visiteurs de prison crédibles et reconnus de l’administration pénitentiaire. Il est nécessaire qu’ils soient solidaires les uns des autres car, quelles que soient leurs différences, ils « regardent dans la même direction ».
L’année 2003 fut, dit-on, l’année de la « sécurité », 2004 est supposée être celle de l’insertion. Rappelons une fois de plus que le rôle des visiteurs est unique et essentiel (...) dans un lieu où exister en tant que personne est des plus difficiles.
Liliane Chenain
Présidente

Etat des lieux 2003
Nos correspondants enquêtent...
La quête d’informations est un moyen indispensable pour agir en connaissance de cause. Bien connaître le terrain dans lequel nous sommes amenés à intervenir, en l’occurrence les établissements pénitentiaires, nous permet de saisir l’ensemble des situations que nous pouvons rencontrer et d’avoir ainsi une vision globale du milieu dans lequel nous intervenons. Cela doit nous aider à maîtriser et à résoudre les difficultés rencontrées sur le terrain.

L’ANVP, par l’intermédiaire de ses correspondants, a souhaité établir un état des lieux qui puisse lui permettre d’agir et de réagir aux difficultés rencontrées sur le terrain tant par les visiteurs de prison que par les personnes détenues. Le rôle de l’association n’est-il pas de développer tous les moyens d’information possible pour en faire bénéficier ses membres ?
Des problèmes sont survenus dans le rythme d’élaboration de Jéricho et de La Lettre. Ils sont résolus aujourd’hui et notre site Internet est désormais accessible. Nul doute qu’en 2004, l’information sera assurée de manière régulière, efficace et satisfaisante pour tous.

L’ANVP compte aujourd’hui 126 correspondants. 92 questionnaires sur 126 nous ont été retournés complètement ou partiellement remplis : saluons dans tous les cas l’effort de nos correspondants.

Nous souhaitions d’abord connaître le nombre de visiteurs dans chaque établissement, en rapport avec la population carcérale. Force est de constater, une fois de plus, que les visiteurs ne sont pas assez nombreux et que la proportion entre détenus et visiteurs est véritablement insuffisante dans certains établissements (1 visiteur pour 216 personnes incarcérées à Villeneuve les Maguelonne, 1 pour 153 à Tarascon, parmi d’autres...). Il nous faut donc faire, en amont, un effort de recrutement et d’abord d’information autour de nous. En aval, les détenus doivent être mieux informés de la possibilité de bénéficier de l’accompagnement d’un visiteur. En ce qui concerne les conditions de détention, en particulier celles concernant les personnes ayant commis des délits sexuels, nous avons été étonnés de constater qu’apparemment aucun problème spécifique n’est soulevé. Certains établissements (39 sur les 90 représentés dans notre enquête) ont pris des mesures spécifiques : création de quartier, étage réservé, regroupement par cellule et promenades séparées.
Dans un tout autre domaine, le prix de la cantine, le nombre de douches, l’existence de formations professionnelles, les offres de travail, les activités possibles... ces conditions, variables selon les établissements -sans être entièrement satisfaisantes- ne semblent pas révéler de problèmes
majeurs. Mais là encore, nous sommes persuadés que beaucoup reste à faire, notamment en ce qui concerne les problèmes de santé soulevés pa des attentes trop longues, les formations professionnelles trop limitées quant au choix, les offres de travail trop peu nombreuses. Enfin, que dire de la loi du silence concernant le caïdat et l’exploitation des plus faibles par les plus forts ?

La vie de l’établissement et la participation des visiteurs à ses différentes activités, association socioculturelle, ainsi qu’aux différentes commissions. Cette participation est satisfaisante dans l’ensemble. Les jours de visite accordés aux visiteurs restent problématiques dans certains établissements où elles ne se font que le matin ou l’après-midi (9 établissements). Dans 6 établissements les visites ne sont permises qu’un, deux ou trois jours seulement par semaine. D’autre part, dans 43 établissements, il n’est pas possible d’intervenir le samedi, ce qui est préjudiciable aux visiteurs en activité professionnelle.

Si l’accueil des familles est assez bien organisé, grâce aux associations et aux foyers, la possibilité d’hébergement reste très limitée.

Nous comptions beaucoup sur les souhaits et suggestions, sans parler des projets des visiteurs de prison et de leur correspondant. Les questionnaires sont muets dans ce domaine et nous ne pouvons que le déplorer.

En dehors de quelques problèmes locaux, la satisfaction semble générale, ce qui est bien mais laisse quelque peu sceptique. On ne peut pas s’empêcher de penser qu’au fond cela révèle peut-être une certaine indifférence.

On peut également s’étonner que pour 36 établissements, aucune formation à l’écoute ne soit mise en place et que pour 56 des cas, il n’y ait aucun groupe de parole. Ces constatations nous donnent l’occasion
de rappeler qu’un visiteur, surtout membre d’une association ne doit pas
rester isolé. Il doit se tenir informé, garder l’esprit critique vis-à-vis du milieu dans lequel il se trouve et exprimer ses problèmes et ses suggestions. C’est sans aucun doute ce que les questionnaires auraient dû indiquer. L’accompagnement des personnes détenues s’inscrit évidemment dans un rapport individuel et personnel mais gardons-nous de nous croire tout puissants, capables de tout entendre et de tout comprendre. Nous avons besoin des autres, nous aussi, pour pouvoir garder la bonne distance et enrichir la qualité de notre écoute.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas accompagner, comme il se doit, les personnes qui nous sont confiées sans tenir compte du milieu dans lequel elles évoluent et vivent. Il ne s’agit pas d’ajouter par une désapprobation du système « de la peine à la peine », « de la colère à la colère », il s’agit avant tout de favoriser une parole, d’offrir une écoute, qui tiennent compte du quotidien des personnes et de leurs difficultés. Alors seulement, les difficultés dites et en quelque sorte maîtrisées grâce au langage, on peut ouvrir le champ de tous les possibles.
Liliane Chenain

L’ANVP RAPPELLE SES CONVICTIONS
C’est à l’occasion des nombreux débats sur la réforme judiciaire et de la journée nationale prison (du 29 novembre dernier) que l’ANVP a réafirmé ses convictions. L’ensemble des députés et des sénateurs ont été les principaux destinataires du texte suivant. La personne humaine n’est jamais réductible à ses actes. La privation de liberté doit être considérée comme dernier recours. L’ANVP interpelle les pouvoirs publics afin que la dignité et les droits de l’homme soient respectés, en prison comme ailleurs. La surpopulation que connaissent certaines maisons d’arrêt et qui peut aller jusqu’à 200% de leur capacité d’accueil (Bayonne, Draguignan, Loos-les-Lille, Lyon, Toulon...) est actuellement incompatible avec ces valeurs et contraire à l’individualisation de la peine.

C’est par la prévention que réside la diminution de la délinquance. Construire de nouvelles prisons n’est pas la solution. De plus, nombre de délits de relèvent pas de la prison, notamment ceux qui ont pour origine l’extrême pauvreté, les toxicomanies, les troubles mentaux, ainsi que les incivilités. Malgré les avancées du rapport Warsmann, dont on peut se féliciter (recours au TIG, au bracelet électronique, mesures de semi-liberté...), il convient de réfléchir à d’autres alternatives et possibilités de réparation.
Les missions de l’administration pénitentiaire sont la garde et la réinsertion. L’ANVP ne peut que déplorer les efforts consacrés à la sécurité au détriment des mesures d’accompagnement : un conseiller d’insertion et de probation pour cent personnes détenues, un surveillant pour quarante personnes. La prison étant le lieu où se concentrent de grandes pauvretés et une indigence marquée, il convient de faire en sorte que celle-ci ne soit pas un facteur supplémentaire d’inégalité entraînant en détention des pratiques de chantage et de subordination. Ces pauvretés ne doivent pas être des obstacles majeurs aux politiques d’insertion. L’ANVP regrette également le manque de moyens, voire leur diminution, dans les domaines des formations professionnelles, culturelles et artistiques.

L’ANVP appelle de ses voeux un véritable programme d’accompagnement social qui soit pour la société un gage d’insertion et de sécurité. La population carcérale est constituée, pour plus de 50 %, de personnes ayant moins de trente ans, l’enjeu social est considérable !

L’ANVP s’inquiète par ailleurs de toutes les décisions qui tendraient, sans véritables réflexions préalables sur les remises de peine, à prolonger la peine du temps de ces mêmes remises par des contrôles judiciaires.
Si la peine privative de liberté doit être corrective et avoir du sens, elle doit
avoir un commencement et une fin clairement définis.

L’ANVP considère que le recours aux libérations conditionnelles, aujourd’hui trop restreintes et favorisant pourtant la diminution de la récidive, doit être largement utilisé. Elle rappelle que le risque zéro n’existe pas et que seules des politiques de prévention en amont et d’aménagements de peine en aval peuvent être les véritables garants de la sécurité publique.

De la même manière, la prise en compte légitime de victimes ne peut pas permettre que l’on prenne des mesures d’exception, à l’égard de certaines catégories de délits et de crimes, lesquelles seraient discriminatoires et contraires aux principes généraux et universels qui président à l’élaboration
de la loi dans tout État démocratique. Compte-tenu de l’histoire individuelle des personnes ayant commis des délits sexuels, la plupart de ces délits s’inscrivant dans des conduites de reproduction de maltraitance, l’ANVP considère que ces personnes doivent avoir la possibilité de suivre un traitement thérapeutique. Elle ne peut que regretter le manque d’accompagnements individuels, le nombre insuffisant de psychiatres et de
psychologues. L’ANVP attire également l’attention des autorités sur les conditions de détention de ces personnes qui, malgré les efforts de certains personnels, vivent au sein des établissements des situations de terreur provoquées par leurs codétenus, situations incompatibles avec un véritable retour sur elles-mêmes et sur leur délit. L’ANVP souhaite que l’administration pénitentiaire ait une réflexion approfondie sur cette question.

L’ANVP considère qu’il serait inique de revenir sur la loi sur la suspension de peine pour raisons médicales. Cette loi, déjà appliquée avec une grande parcimonie, est susceptible d’être modifiée par un amendement qui tendrait à la vider de sa substance sur le prétexte de « risque grave de renouvellement de l’infraction », risque bien improbable.

L’ANVP dénonce les longues peines et les périodes de sûreté, lesquelles sont des « morts lentes » qui ne permettent ni une individualisation de la peine, ni à la personne condamnée une réflexion sur son histoire et sur son délit. Ces peines découragent tout projet d’avenir et de réparation.

L’ANVP considère que la prison, si elle ne peut être évitée, doit permettre aux personnes incarcérées de maintenir et d’entretenir des liens familiaux et sociaux. Elle doit être un lieu où la personne détenue peut, dans son intérêt et celui de la société, élaborer un projet de vie. La personne incarcérée doit être considérée dans toutes ses dimensions, physique, intellectuelle et affective. A ce titre, elle doit pouvoir bénéficier de parloirs de vie familiale privée, non surveillés, qui respectent l’intimité des personnes et la dignité des personnels.

Sans méconnaître la complexité du problème, l’ANVP souhaite que tous les moyens soient donnés à l’administration pénitentiaire afin qu’elle puisse mettre en place les mesures d’accompagnement susceptibles de prévenir les suicides en détention. La présence de bénévoles, comme celle des visiteurs de prison, qui permettent aux personnes détenues de s’exprimer et d’exister, en dehors de tout enjeu judiciaire et administratif, est un des moyens que l’institution peut se donner pour diminuer ce risque.

HOMMAGE À MONIQUE CALOT
Combien d’années de visite en prison ? Trente, bientôt quarante... Mais au
fond quelle importance... Ce qui compte le plus, n’est-ce pas de savoir toiletter nos idées au fil du temps et de nos expériences, de conserver au coeur par delà les difficultés de la vie, cette petite lumière qui illumine le regard, de garder au fond de soi, toujours présent, l’espoir en l’homme.
C’est tout cela que porte en elle Monique Calot avec modestie, courage et détermination.
Elle a accompli un long chemin avec l’ANVP, témoin discret et fidèle de son histoire et de son évolution. Qu’elle en soit très sincèrement remerciée.
Puissent de beaux matins continuer à éclairer sa route.
Liliane Chenain

REMISE DE MÉDAILLE
C’est à l’occasion de la réunion du Conseil d’administration du 10 janvier que, Liliane Chenain s’est vue remettre par M. Didier Lallement, Préfet, directeur de l’administration pénitentiaire [1] , au titre de Présidente de l’ANVP, les insignes de Chevalier dans l’Ordre national du Mérite. Après les éloges habituels et la remise de la médaille elle a, comme il se doit, remercié :

Monsieur le Préfet, mes chers amis,

Je vous remercie de l’hommage que vous venez de nous rendre. En y réfléchissant, je ne crois pas qu’il faille traiter à la légère l’honneur qui nous est fait aujourd’hui. Remercions donc, comme il convient, très généreusement le ministère pour cette reconnaissance.

Au fond nous n’avons guère l’occasion de nous congratuler car les difficultés qui sont les nôtres sur le terrain nous obligent constamment à beaucoup de modestie. En effet, que de contorsions et de trocs relationnels ne devons-nous pas faire au fil des mois et des semaines pour être tolérés et reconnus. Que cette reconnaissance s’exprime par cet honneur et par votre présence, Monsieur le Préfet, nous touche assurément et je vous en remercie personnellement très chaleureusement.

De là à conclure que nous devenons indispensables, que les services sociaux sont perdus sans cette présence qui est la nôtre auprès des personnes détenues, il y a un grand pas à franchir mais quelle tentation ! Soyez rassuré, Monsieur le Préfet, cela ne va pas nous monter à la tête, la
dure réalité des établissements nous ramène à une plus juste appréciation des choses.

Mais j’ai moi aussi un cadeau à vous faire. C’est un texte du 4 juillet 1946, de l’un de vos prédécesseurs, le Préfet Amor, à qui l’on doit comme on le sait, la création des services sociaux en prison. Monsieur Amor nous écrivait alors combien nous étions nécessaires à l’effort commun de réinsertion des personnes détenues tout en nous rappelant assez fortement à nos devoirs de soumission à cette nouvelle autorité.

Vous ne serez pas sans remarquer combien nous sommes restés fidèles à ces principes sans pour autant jamais trop nous soumettre, nous glissant ici ou là souvent avec habilité à travers les mailles du filet pour faire avancer tel ou tel cas, ce qui ne nous empêche pas de nous préoccuper de cette institution qu’est la prison, laquelle reste plus que jamais, et vous ne m’en voudrez pas de le dire, une entreprise qui gère la misère humaine. Cette misère humaine, cette dépendance, toutes ces indigences, nous les voyons simplement avec des regards d’hommes et de citoyens. On nous taxe d’humanisme bon enfant non sans parfois quelque condescendance. Mais qui dira que dans une société individualiste, de plus en plus complexe, qui laisse sur le bord de la route les plus démunis, il n’est pas nécessaire de créer des liens, de restaurer une solidarité humaine et citoyenne entre toutes les personnes. On naît homme, on devient humain, mais, comme le disent les philosophes, qui échoue à le devenir n’en est pas moins homme pour autant. Qu’on le veuille ou non, ce lien ne peut être que personnel et libre de tout enjeu. C’est là notre raison d’être. Dans la querelle de l’inné et de l’acquis, les visiteurs de prison sont bien convaincus que toute personne est susceptible d’évoluer, de prendre conscience de ses actes, de faire un retour sur elle même, de se réparer afin de réparer, si cela se peut, ce qui peut encore l’être dans la compréhension de la souffrance infligée à autrui. Mais, ne nous y trompons pas, on ne grandit jamais seul. Il faut des échanges et des repères vivants, attentifs et responsables.

On ne cesse aujourd’hui d’opposer les victimes aux coupables. Je doute que la société ait grand chose à gagner dans ce manichéisme réducteur. Nous comprenons bien sûr la souffrance des victimes, mais nous sommes aussi peut-être les rares à savoir, et c’est pourquoi il faut le dire, que les coupables sont aussi des victimes : victimes d’histoires de vie cassées, victimes de ruptures des liens affectifs, victimes de la misère, de l’ignorance et de l’inculture. Ce sont sans doute là des données sociologiques qui, dans une société technologique se voulant performante, ont de moins en moins de place ou sont délibérément ignorées. Nous sommes là pour le rappeler ! « L’humanité n’est pas d’abord une performance, qui dépendrait de ses réussites ; c’est une donnée qui se reconnaît jusque dans ses échecs », comme le dit très bien André Comte-Sponville.

Monsieur le Préfet, mes chers amis, je vous remercie pour votre écoute.

LETTRE DU PRÉFET AMOR DU 4 JUILLET 1946

Le Directeur de l’administration pénitentiaire

A Mmes les visiteuses et MM. Les visiteurs des prisons

L’aide précieuse que vous apportez à mon administration dans le domaine si vaste des détenus, s’impose tous les jours à mon attention, tant par le nombre croissant des personnes de bonne volonté qui m’offrent leur concours, que par le zèle qui vous anime et dont j’ai constamment l’écho.

Je sais avec quelle assiduité vous visitez les détenus confiés à votre intérêt, comment la plupart d’entre vous, ne se bornant pas à ces contacts, par eux-mêmes déjà très bienfaisants, s’ingénient à préparer le retour du détenu dans la vie libre, souvent même continuent au-delà de la libération à suivre le libéré pour le conseiller et le guider.

Toutes ces activités méritent mon approbation et je ne saurais trop vous engager à les poursuivre et à les développer dans le cadre général du règlement du 18 12-1945 qui constitue désormais votre charte.

Les dispositions de ce règlement qui avait d’ailleurs préalablement l’assentiment des Présidents et Secrétaires Généraux de vos Organismes, ont été scrupuleusement respectés au cours de ce dernier semestre et je ne puis que m’en féliciter. Il est cependant un point sur lequel il me paraît utile d’attirer votre attention, il s’agit de la nécessaire collaboration avec l’Assistante Sociale de l’établissement.

Vous savez mieux que quiconque combien la présence permanente ou quasi permanente d’une assistante dans les établissements pénitentiaires constitue un progrès sensible dans le domaine du secours humain que la Société doit aux individus même les plus déchus. Vous avez senti combien devenait indispensable, au fur et à mesure que votre nombre grandissait, l’existence d’une sorte de bureau central du service social, reliant vos activités diverses, groupant les efforts de tous, éclairant les bonnes volontés inhabiles des nouveaux membres, facilitant vos démarches en les rassemblant.

Toutefois, pour que cette liaison permanente développe pleinement ses heureux effets, il importe que vous ne manquiez pas de prendre des contacts fréquents et étroits avec les assistantes. Non seulement il est dans l’intérêt commun que vous les rencontriez au cours de vos visites à la prison, mais il est aussi nécessaire que vous les teniez au courant des grandes lignes de votre activité, afin qu’elles soient en mesure de vous signaler par exemple le mécanisme selon lequel une difficulté analogue a reçu une solution ou le cas d’un détenu attirant sur lui l’intérêt de plusieurs visiteurs à la fois.

Dans un domaine où se rencontrent tant de pièges et tant d’écueils, vous admettrez certainement avec moi que nul n’a intérêt à s’ isoler des autres et que c’est de l’effort collectif qu’on peut et qu’on doit espérer ces succès où vous cherchez à travers tant de déceptions fréquentes, la seule et si réconfortante récompense de vos magnifiques efforts.

Je suis, en conséquence, persuadé que vous voudrez bien, ainsi que je vous le demande instamment, vous prêter à la réussite de cette oeuvre de coopération et de coordination qui marquera une étape nouvelle dans l’organisation définitive de nos entreprises sociales communes.

Le Directeur de l’Administration Pénitentiaire, AMOR.

CONGRÈS DE L’ANVP
Congrès national à Chartres
Le congrès annuel de l’association se tient cette année à Chartres les 26, 27 et 28 mars 2004.
Une assemblée générale extraordinaire doit permettre à l’association de se doter de nouveaux statuts et règlement intérieur plus en conformité avec la réalité de son action et de celle de ses membres.

Le thème du colloque est « Histoires de vie : prison et résilience ».
Nombre de personnes que nous accompagnons en tant que visiteurs de prison nous font le récit de leur vie cassée dès la petite enfance. Parfois, nous avons même l’impression que leur destin est tracé, inéluctable, comme dans les tragédies grecques. Nous savons toutefois que si nous ne sommes pas responsables de notre naissance et du milieu social auquel nous appartenons, nous sommes assurément responsables de ce que nous en faisons. Y a-t-il un rapport entre certains traumatismes de l’enfance et les conduites déviantes ? Le docteur Renaud de Beaurepaire, psychiatre hospitalier à l’hôpital Paul Guiraud de Villejuif tentera de nous apporter quelques éléments de réponse. Devant des sanctions souvent lourdes, des années de prison qui s’accumulent, que faire de ce fardeau même quand cette sanction fait sens. Ne risque-t-elle pas de faire partie, elle aussi, d’un destin, d’un enchaînement qu’on ne comprend pas toujours et qu’on ne maîtrise pas ? Et dans ce cas, comment faire preuve de « résilience », c’est-à-dire comment faire appel à ce mécanisme de défense qui permet de gérer ses échecs et de « rebondir » ?
Comment l’individu trouve-t-il en lui les ressources et le ressort nécessaires pour surmonter des circonstances défavorables ? Y a-t-il des facteurs qui permettent à cette résilience de s’exercer ? Est-elle le résultat d’une interaction entre la personnalité et le milieu ? Bref, comment la faire naître et l’encourager sans se substituer à la personne ?

LE GENEPI
Groupement Étudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées Association loi 1901 à but non lucratif, sans affiliation politique ni religieuse, le GENEPI regroupe 850 étudiants bénévoles intervenant dans près d’une soixantaine d’établissements pénitentiaires en France. Son action touche environ 5 000 détenus.

Le GENEPI est l’une des plus anciennes associations étudiantes. Il a été créé en 1976 sur une initiative du ministère de la Justice, faisant suite aux
importantes émeutes dans les prisons au début des années soixante-dix. L’ouverture des établissements pénitentiaires à des intervenants extérieurs s’imposait et les étudiants - des grandes écoles d’abord, puis de l’Université -, sollicités par M. Stoléru [2], y ont eu leur place. Le GENEPI acquiert son autonomie par rapport au ministère de la Justice en 1981.
Chaque année universitaire voit arriver de nouveaux bénévoles étudiant dans des disciplines variées. Ils ont l’obligation de suivre cinq séances de formation. Les membres du bureau, eux aussi renouvelés chaque année, ont le statut particulier de volontaires civils.

L’objectif de l’association est de « collaborer à l’effort public en faveur de la réinsertion sociale des personnes incarcérées par le développement de contacts directs entre les étudiants de l’enseignement supérieur et le monde pénitentiaire » (article 3 des statuts).

Un point fondamental de la charte du GENEPI - signée, en plus de son acte d’engagement, par chaque étudiant génépiste - souligne que ses membres n’ont pas à se préoccuper du passé pénal des détenus qu’ils seront amenés à rencontrer.

La politique d’intervention du GENEPI est axée sur deux points fondamentaux.
D’une part, il souhaite décloisonner le monde pénitentiaire en permettant l’accès au savoir des personnes détenues. Sans pour autant se substituer à l’action de l’Éducation Nationale dans les établissements pénitentiaires, les activités du GENEPI en prison consistent à 80% dans la dispense de cours aux personnes détenues. Ces cours concernent autant la lutte contre l’illettrisme, l’enseignement général (mathématiques, français, physique, langues étrangères, soutien scolaire...) que l’enseignement supérieur
(droit, philosophie, économie...) ou encore les formations pratiques (aide à la recherche d’emploi, informatique, code de la route...).
Dans un désir de plus grande ouverture, les membres du GENEPI se tournent aussi, de plus en plus, vers la proposition d’activités socioculturelles. Elles prennent la forme d’ateliers à l’année ou durant les vacances scolaires (revues de presse, théâtre, danse, musique, arts plastiques, jeux éducatifs, échecs...). Elles peuvent aussi être plus ponctuelles (rencontres sportives, spectacles, expositions...). L’objectif est de toucher davantage de détenus et de favoriser l’échange, l’expression et la créativité.

D’autre part, le GENEPI se préoccupe de l’information et de la sensibilisation du public dans le but d’une « amélioration du contexte économique, social et psychologique de la réinsertion des personnes
incarcérées » (art. 4 de ses statuts), luttant contre les sentiments de peur et de rejet trop souvent constatés à l’égard des sortants de prison.
Dans ce cadre, le GENEPI intervient dans les collèges et lycées (plus de 5 000 élèves ont été touchés en 2002/2003) ainsi qu’auprès du grand public. Il organise des conférences, des débats publics, des projections de films, des événements artistiques, des lectures de textes de détenus, etc.

Pour finir, nous pouvons noter avec intérêt qu’en 1996 le GENEPI a été à l’origine d’une enquête, à l’échelle du territoire français, sur les « connaissances et représentations des Français sur la prison », créant et diffusant 2 000 questionnaires. Ce travail a été réalisé en collaboration
avec Michel Tournier, de l’Association Française de Criminologie.
Le GENEPI a présenté cette étude en décembre 2003 au Conseil de l’Europe. Ce dernier a émis le désir d’élargir l’enquête à l’ensemble du territoire européen. Mais il semblerait que cette forme de militantisme
estudiantin dans les prisons soit une spécificité française. Aucune autre
association susceptible d’être le pendant du GENEPI ne semble en effet exister en Europe.
Catherine Heyden

Agenda :
Mars-avril 2004 : Actions d’Information et de Sensibilisation du Public, partout en France.
Journée de clôture le 24 avril à Paris, sur le thème de la rencontre
entre des oeuvres de détenus et celles de jeunes artistes ou d’élèves de collèges et lycées.
À lire :
• Revue : La Lettre de GENEPI
• À l’ombre du savoir : connaissance et représentations des Français sur la prison. Étude réalisée par le GENEPI en collaboration avec le Service de
la communication, des études et des relations internationales de la direction de l’administration pénitentiaire. Paris,
Ministère de la Justice/Direction de l’Administration Pénitentiaire, (1996), coll. « Travaux et Documents », n° 52.
GENEPI
4/14 rue Ferrus
75014 Paris.
01 45 88 37 00
genepi@genepi.fr
www.genepi.asso.fr

Merci à Amélie Trappler (Chargée de communication), pour sa disponibilité.

BIBLIOGRAPHIE
Visiter un lieu de détention en France : guide pratique, publié par l’APT (Association pour la Prévention de la Torture) et l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture), paru en septembre 2003.
La surveillance des lieux privatifs de liberté à travers des visites régulières et inopinées constitue un des moyens les plus efficaces de prévenir la torture et les mauvais traitements à l’encontre des personnes privées de leur liberté. Véritable mode d’emploi des visites dans les lieux de détention, ce guide est plus particulièrement destiné aux parlementaires, aux personnes faisant partie d’une commission de contrôle, et, d’une manière plus générale, à toute personne se rendant dans un lieu privatif de liberté.
Après une présentation du cadre général de la privation de liberté et des contrôles des conditions de détention, les bases concernant la méthodologie et le suivi d’une visite sont posées. Enfin, l’ouvrage dresse une liste détaillée de l’examen des conditions de détention (traitement, mesures de protection, conditions matérielles, régimes et activités, services médicaux, personnel pénitentiaire, détention par la police et par la gendarmerie, zones d’attente et centres de détention). S’y trouvent confrontées les normes internationales et les normes nationales, étayées de points de repères.

Le droit des peines

des magistrats Gérard Lorho et Pierre Pélissier, paru en juin 2003 chez L’Harmattan, coll. « La Justice au quotidien ».
Mettre une peine à exécution est un rôle dévolu au procureur de la République. Au sens juridique, la mise à exécution d’une peine s’assimile à la signature par laquelle le procureur de la République authentifie la peine prononcée et qui va en déclencher l’exécution matérielle par les services compétents. Mais c’est aussi un ensemble de vérifications, de démarches, de contrôles avant cette signature. C’est encore l’inscription au casier judiciaire de l’intéressé de la condamnation prononcée ou la mise à exécution de mesures de nature à garantir l’exécution de la peine (mandats d’arrêt, ordre d’incarcération immédiate). C’est enfin la gestion de « l’après-peine ». Ce guide juridique examine toutes les étapes de la mise à exécution des peines, depuis leur prononcé par le tribunal jusqu’à la réhabilitation. Il est un outil important pour tous ceux qui veulent mieux comprendre ce processus.

Lire aussi les autres dossiers de ce journal :
• Témoignage : Droit de visite exceptionnel 
• Conditions de détention
Dossier sur la Prévention du suicide
• « Les suicides en milieu carcéral : prévenir ? » du Dr Philippe Carrière
• La prévention du suicide
• Quelques chiffres
• Ailleurs en Europe 

[1] M. Didier Lallement a été nommé Préfet de Saône et Loire. M. Patrice Molle, Préfet, ancien Directeur des Ressources humaines à la Mairie de Paris, lui a succédé

[2] À l’époque, Conseiller Technique à la Présidence de la République

 
En visitant notre site Internet, vous pourrez télécharger ces documents :
• Jericho n°188 (intégral), (PDF - 334.4 ko)