Publié le dimanche 28 août 2005 | http://prison.rezo.net/les-suicides-en-prison-prevenir/ LES SUICIDES EN MILIEU CARCÉRAL : PRÉVENIR ? Dr Philippe Carrière, médecin psychiatre, chef de service à l’hôpital de St Brieuc et consultant à la Maison d’arrêt de St Brieuc. La sursuicidité Diverses approches statistiques tentent d’affiner la connaissance du phénomène ; ainsi peut-on différencier les hommes et les femmes, les prévenus et les condamnés, les crimes et les délits, les maisons d’arrêt et les établissements pour peine, les français et les étrangers, les tranches d’âge... Il peut sembler possible de contester le taux global des suicides (rapporté à la population moyenne incarcérée) et de préférer rapporter le nombre de suicides au nombre total d’admissions en prison pendant l’année ; la différence soulignerait le risque de suicide pour les courtes peines (moins d’un an), dans une « clientèle » au profil social et pénitentiaire peut être particulier. « le nombre de suicides est, en France, 6 à 7 fois plus élevé en prison On retiendra que le nombre de suicides est, en France, 6 à 7 fois plus élevé en prison qu’en milieu libre ; dans tous les pays occidentaux d’ailleurs on note une telle sursuicidité : on se suicide 4 à 11 fois plus en milieu pénitentiaire que dans la population générale. La prévention des suicides en milieu pénitentiaire devrait donc conduire à prendre en compte d’une part les risques liés au milieu de vie carcérale et, d’autre part, ceux qui sont liés aux caractéristiques des personnalités incarcérées. « 10 à 15% des suicides enregistrés ont eu lieu au quartier disciplinaire » Un milieu suicidogène Une population à risque Il est donc parfois difficile de différencier nettement les facteurs de risques qui relèvent de l’individu incarcéré et ceux qui sont liés au milieu carcéral ; bien plus, en matière de suicide les risques s’ajoutent : un toxicomane en souffrance par manque de drogue, peut entrer soudainement en prison après 96 heures de garde à vue, dans des locaux peu avenants ; il a les vêtements qu’il portait lors de l’arrestation, quelles que soient les catastrophes physiologiques qui ont pu survenir... ; il est démuni d’argent, et donc de tabac, il ne sait pas si son amie est prévenue... ; avec un peu de chance, il verra le médecin « demain, ou lundi »... Un profil psychopathologique « le profil type des personnalités à risques de suicide n’est pas le plus souvent celui des troubles mentaux » Ces personnalités agissent par « passage à l’acte », selon l’état affectif de l’instant ; le ressenti immédiat conduit à la décharge par l’acte, sans prendre le temps de penser l’émotion. « Docteur, je voudrais quelque « Prévention du suicide des personnes détenues » « Rapport Terra : la limite paraît être le côté ingénu, un peu candide, d’une personne qui ne connaît pas le milieu pénitentiaire » Il propose un certain nombre de recommandations, pertinentes souvent, redondantes parfois avec les textes préexistants ; enfin certaines amènent des réserves, souvent liées, pensons-nous, à la méconnaissance des conditions de travail (du personnel sanitaire notamment) en milieu carcéral. Il nous semble que manque à ce texte une réflexion minimum sur l’articulation entre le soin et la peine. Il n’est pas fait mention de ce problème ; or, cette question n’est pas neutre en matière de suicide : ainsi la place des soignants à l’égard des décisions de placement en QD, les propositions sur une documentation partagée, l’usage éventuel de cellules sécurisées, etc., tout ceci suppose une réflexion éthique pour soutenir les décisions pratiques choisies. La prison n’est pas un hôpital, et les soignants doivent rester dans leur rôle spécifique. On ne peut que regretter la disparition de toute la réflexion de grande qualité menée par le COS (comité d’orientation stratégique) en 2002 sur le sens de la peine et la politique pénitentiaire. L’instrumentalisation de la psychiatrie pour autre chose que le soin est une tentation constante des services publics, en prison comme dans le champ de l’ordre public en général ; depuis 1838, toutes les discussions sur les lois qui régissent l’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie (les « internements ») en témoignent. Or il s’agit bien d’un problème éthique : il pourrait y avoir modification du sens de la psychiatrie en prison. Ainsi revient la suggestion habituelle de l’examen psychiatrique systématique avant une mise au QD ou en isolement. C’est une mesure qui peut sembler de simple « bon sens » à qui ne travaille pas en milieu pénitentiaire ; mais, outre la critique de « participer à la répression », c’est une mesure qui change la donne : qui est en effet alors le demandeur de soins ? Certes, une offre de soins n’est pas toujours passive ; elle peut aller au devant d’une demande explicite et la rendre possible ; mais quand elle ne se fait plus du tout avec l’accord du patient, sans l’horizon d’une demande possible et d’une alliance thérapeutique qui se construit, on peut arriver à un effet pervers, en disqualifiant à l’avance le soignant mis en porte à faux avec le patient potentiel. Remarquons qu’à l’extérieur ce sont des experts qui interviennent au nom de la justice et ce n’est pas le rôle du médecin traitant ; par ailleurs, que se passerat-il si le psychiatre refuse le placement au QD ? et qui prendra le risque d’autoriser « l’exécution de la sanction » si des menaces de suicides sont proférées ? Le projet de cellules sécurisées (sur le modèle des chambres d’isolement hospitalière) est ambigu : sont-elles pénitentiaires ou sanitaires ? le fait d’y être placé est-il déjà dans la sanction ? Plusieurs recommandations semblent surtout valables pour les équipes soignantes des établissements importants (sièges des SMPR notamment) ; mais il reste que 150 établissements sur 187 n’ont que des moyens assez hétérogènes, quelques vacations hebdomadaires de psychiatres et psychologues, parfois un infirmier spécialisé... Alors quelles seront les suites données concrètement à ce nouveau rapport ? Son destin sera-t-il le même que celui du rapport de 1996, dont les recommandations ne sont pas encore toutes appliquées ? Y aura-t-il une vraie volonté de changement, malgré le rouleau compresseur sécuritaire qui paraît laminer les quelques améliorations des conditions de vie carcérale entrevus ces dernières années ? D’ores et déjà c’est à un feu de paille médiatique que l’on a assisté : le jour qui suivit la sortie du « rapport Terra » fut le jour de la « Commission Stasi »... Le voile a tout recouvert !! Dossier sur le suicide en Prison, merci au Dr Philippe Carrière pour son article complet sur le suicide, au Dr Philippe Griguère (Association pour la Promotion de la Médecine en Milieu Pénitentiaire.) Source : Jéricho n°188, Mars 2004, ANVP [1] sans doute plus de 130 en 2003 [2] d’autres éléments confirment cette « sélection » dans la population générale (quant au rapport au corps, à la filiation, etc.) : mariage plus précoce que les hommes du même groupe d’âge, nombre d’enfants plus élevés,etc... |