Cyril est sorti du quartier d’isolement suite au viol en réunion de la loi par l’administration pénitentiaire et sa cousine la justice... qui se sont plantées dans les délais autorisés et prévus. L’avocate qui s’occupe de ce dossier a gagné devant le tribunal administratif. De mon côté, j’ai mis la pression à coups de courriers et autres coups de gueule dont un chez le juge par avocat interposé, en l’occurrence Lumbroso qui s’occupe du dossier de Fresnes. Le juge a accepté de transférer à la Santé Cyril qui a « réintégré » la détention « classique », mais la direction régionale des prisons a mis une telle pression sur celle de la santé qu’au bout de quatre jours il a été transféré à nouveau à Fleury. Après le goulag du bâtiment D5 pendant des mois, c’est maintenant dans une cave du bâtiment D1 qu’il végète... C’est vraiment un fonctionnement totalement inhumain qui continue de se mettre en place : du coercitif pur jus comme l’aiment les états totalitaires, avec une banalisation des brimades de la part de l’AP que notre inertie tend à labelliser. Si ne nous réagissons pas, il nous sera quasiment impossible de faire marche arrière et le chancre de la répression distillera ses métastases sur chacun d’entre nous à la moindre petite prise de position. Il n’y a qu’à observer les conditions, la façon dont sont traitées les familles se rendant au parloir : elles ne sont pas à l’abri de la vindicte de certains matons. La preuve, c’est la lettre de Christine et les fouilles répétées que j’ai subies à la prison de Luynes et pour lesquelles une plainte a été déposée. Je rappelle que Christophe, mon fils aîné, a une mesure hygiaphone depuis plus d’un an, donc nous n’avons plus aucun contact physique.
Encore une fois, si nous ne disons rien, ce sont nos mères, nos sœurs, nos proches qui seront susceptibles d’être fouillés, humiliés, piétinés à l’entrée ou à la sortie des parloirs dans l’indifférence la plus totale. Chaque jour les conditions de détention se détériorent un peu plus ; tous et toutes subissent l’assujettissement, les brimades, les coups de certains matons qui, sous couvert du tsunami sécuritaire, surfent sur une vague de violence et d’amertume engendrée par un courant continu de frustrations permanentes ; le tout auréolé d’un sentiment de toute puissance.
Du coup, des équipes de bourreaux encagoulés dans la plus pure tradition de cette honteuse profession attrapent des détenus à plusieurs, les bloquent, leur écartent les fesses dans le meilleur des cas ou leur introduisent un doigt ganté dans l’anus dans le pire ; avec en prime des coups dans le seul but d’humilier.
La garantie suprême de leur totale impunité, c’est le silence de leurs victimes qui subissent une forme d’intégrisme inhérent au microcosme de la prison pour tout ce qui touche à la virilité ; donc neuf mecs sur dix n’en parlent pas, envahis par la honte, se faisant ainsi les complices passifs de leurs bourreaux. L’essence même de la torture, quelle que soit sa forme est de faire souffrir de façon intolérable.
Elle prend ici toute son ampleur. La dénoncer c’est la refuser.
Merde ! La France n’est-elle pas le pays des droits de l’homme... riche ?
Ceux qui ne disent rien acceptent que la prison remplisse son rôle de vampire, enlevant toute envie de rébellion, de vie aux incarcérés de tout poil, les laissant exsangues de la moindre velléité. Ils continueront de cocher les jours et les semaines sur leur programme télé à base de : « il me reste 1825 journaux télévisés, 26 saisons de Friends et 80 Envoyé spécial à tirer. C’est chaud ! » Refuser la torture morale et physique c’est aussi affirmer qu’on est vivant et droit dans ses baskets.
Ne surtout pas se laisser submerger par les plus bas instincts des deux camps qui se réveillent à la moindre petite frustration ; envie de soumettre pour les premiers, désir de vengeance pour les seconds, petite bouée dérisoire flottant sur l’océan infini de la peine dont l’horizon et l’espoir ont été bannis.
Dehors c’est kif-kif, la répression s’est totalement banalisée et dans les quartiers ou les banlieues, les jeunes se sont habitués au contrôle musclé de leur identité, flash-ball à la main, aux plaquages au sol, rangers dans le dos, à la moindre petite vanne ou critique remettant en cause l’intérêt d’une telle violence. « Citoyens, dormez tranquilles, la police veille sur vos écoles, vos halls d’entrée et vos voitures ! »
Pour ma part, je refuse de subir sans me battre, et le seul moyen sans violence que j’ai trouvé et qui s’avère au bout du compte efficace, c’est de les battre sur leur propre terrain, avec leurs propres armes : les plaintes et les procès au moindre débordements de l’AP. Personnellement, ça me sert ; moi qui était réfractaire et hermétique à ce genre de procédé, j’y ai recours au moindre accroc. À plusieurs, effet boule de neige garanti ! Je sais que d’aucun vont se dire in petto en lisant ces lignes : « elle est mignonne, elle, avec sa paperasserie administrative, si elle espère changer le système à coup de plaintes, elle rêve ! » Je leur répondrai : « non, je ne rêve plus et toutes mes illusions se sont envolées depuis longtemps, mais au moins je fais quelque chose, je laisse des preuves de leur incompétence. Ne rien faire, c’est facile, voire puéril, parce que regarder les matchs et le film sur canal le premier samedi du mois, ça va un moment. Ne rien dire c’est accepter d’avoir les deux genoux à terre et la tête baissée et ça, je le refuse cash ! Quand aux « j’vais les caner, j’vais les défoncer en sortant » et autres douceurs du même acabit, elles restent du domaine du pur fantasme ; ça se saurait, sinon ? !
Alors entre autres, je me suis pointée le 1er décembre à l’Assemblée nationale pour le débat autour du thème ironique « les prisons en France, un grand chantier pour la république », première rencontre parlementaire sur le sujet. J’étais invitée par le groupe Miallet. Il y avait plus de 200 personnes : plein d’intervenants dont un tas de députés, des représentants d’association intervenants en prison ainsi que les syndicats de surveillants.
Le secrétaire général de l’UFAP (syndicat majoritaire) prêchait pour sa paroisse en dénonçant la promiscuité, la surpopulation, etc. Dans un accès de volubilité, il a proféré la phrase suivante : « une fois, j’ai mis une gifle à un détenu parce que je n’avais pas d’autre solution. »
J’ai levé la main pour que l’hôtesse m’amène le micro : « Monsieur Grandcolas, quand vous avez giflé le détenu dont vous venez de parler, quelle aurait été votre réaction si lui, n’ayant aucune solution, vous avait rendu votre gifle ? » Déstabilisé, il s’est justifié pendant dix minutes et à la fin, cette gifle avait pour but de sauver le « pauvre » détenu qui se serait probablement tué...
J’ai repris la parole après l’intervention de Jean-Louis Terra, psychiatre, auteur en 2003 d’un rapport sur le suicide en prison et nommé par Perben pour la prévention de celui-ci. Il a expliqué les différentes manières de se foutre en l’air, dont la télé et les doigts dans la prise comme arme de destruction massive et personnelle. « Monsieur Terra, comment envisagez-vous de prévenir le suicide chez cette nouvelle génération de détenus, incarcérés dans des conditions effroyables, broyés par un système inhumain qui les coupe du monde en les plaçant dans un isolement aussi total que glacial ? Avec le grand retour de l’hygiaphone pour les briser un peu plus, ceux qui ne se mettront pas les doigts dans les prises chercheront à s’extirper de leur cercueil avec télé sans autre moyen que la violence, dans un accès de désespoir total ou de survie forcenée. Une génération qui préfère mourir sous les balles des flics plutôt que de crever à petit feu et que certains sociologues appellent suicide cops. » Il a salué mon courage, mais n’a apporté aucun élément de réponse. Quand Perben s’est pointé et qu’il s’est mis à raconter n’importe quoi, je me suis levée dans un silence de plomb et j’ai claqué la porte. J’étais incapable d’une autre prise de parole, submergée par la rage, je me serais fait alpaguer pour outrage ! Mais j’ai au moins pu placer que mes fils n’étaient pas des suicidaires devant plus de 200 personnes, histoire d’éviter qu’on les retrouve pendus ou les doigts dans la prise contre leur plein gré !!! Voilà ma façon de me battre. Je laisse à d’autres amis de l’Envolée le soin de développer le débat politique s’ils ont une ouverture et à la société celui de se remettre en question sur le fait que la pauvreté est le premier chef d’inculpation, tous pays confondus. Au milieu de toute cette chienlit chaque individu luttant pour sa dignité ou celle de ses proches est comme une étoile filante éclairant notre route à tous. Plus il y aura d’étoiles, moins nous aurons peur de l’obscurité qui règne dans l’enceinte concentrationnaire de nos taules et autres prétoires des cours de justice... vaillance et pugnacité.
Force et détermination.
Catherine
Paru dans L’Envolée n° 13 - 63, rue de Saint-Mandé - 93100 Montreuil