Publié le mardi 4 octobre 2005 | http://prison.rezo.net/voila-deux-mois-que-j-ai-quitte-le/ Réflexion Voilà deux mois que j’ai quitté le monde du silence ; non, ce n’est pas de la grande bleue dont je parle, mais de ce monde où le silence est maître, le silence sur ce qui se passe, silence sur la vie, sur les souffrances, sur les dérapages, silence dans la vie, dans les cœurs, dans les corps. Deux mois que j’ai franchi ces grilles opressantes, ces grilles dont on ne parle plus tant elles ont pénétré nos corps. Deux mois que j’ai quitté ce monde rempli d’âmes, d’hommes, qui errent sans but, sans passion, sans repère, sans amour, en fait sans vie. Ou de vie construite de toutes pièces ; quelques-uns encore tentent de s’accrocher, à une carte postale, une photo jaunies, signe sans doute qu’ils ont existé. J’ai rêvé cet instant, sans doute comme bien d’autres, bien des fois je me suis dit : « Ce jour-là, je m’arrêterai au bord de la route et je hurlerai de toutes mes forces afin d’évacuer ces silences, ces souffrances, ces heures, ces jours, ces nuits, ces années. » Voilà deux mois et rien. Aucun cri ; j’ai quitté le monde du silence la veille de la fête de la musique, depuis c’est le bruit, la course, les choses à faire ou à défaire, les rendez-vous, les dates impératives ; enfin la vie ... J’ai retrouvé l’odeur du pain tout chaud devant la boulangerie, celle du thym dans la garigue ; je sais apprécier cet instant où les lapins détallent sur le sentier, où la libellule près de la mare se pose sur un jonc. Je sais savourer le spectacle grandiose de la nature à l’aube ou au crépuscule, par une belle journée d’été. Je sais saisir les fragances délicates du parfum des femmes, voluptueuses effluves. Je peux à nouveau ressentir sous mes doigts le délicat velours d’un pétale de rose. Mais aujourd’hui, c’est le silence ; pas de cri au fond du cœur, ni au fond du corps. Heureux ... Oui, d’en être sorti, mais la vie, celle dont j’ai rêvé, cette vie qui m’a permis de tenir tant d’années, cette liberté ... La liberté dont nous parle Moustaki, cette liberté que j’ai si longtemps cherchée, si longtemps chérie ; pas de cri. Le silence, comme si cette liberté n’était pas encore arrivée. Seuls changements, le mur devant lequel je mange est un peu plus loin, j’ai mes clés et je décachette mes enveloppes. Pourtant tout le monde est près de moi, amis, familles. De quoi est-ce que je me plains ? Devrais-je d’ailleurs me plaindre, alors que bien d’autres sortent sans rien, sans personne ? Mais que faire devant ce silence, où dois-je chercher ce cri, ce cri qui sera le signe de ma délivrance ? Mais y-a-t-il délivrance ? J’ai passé les grilles un matin de printemps ; de ce côté-ci la cour est plus grande et les grilles plus discrètes ; mais la surveillance est toujours là : caméras de contrôle dans les couloirs (les rues), radars dans les grandes coursives. De ce côté-ci, on se met à penser que les murs n’existent pas. Bien d’autres sont sortis, bien d’autres ont retrouvé la vie, il faut laisser le temps au temps ; alors je repense à cette phrase de Stanley Kubrik : « Tout a été fait, il faut juste essayer de faire mieux. » Délie
|