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Un an après, quelles applications ?

Colloque d’ODU tenu à Paris le 7 avril 2001

Compte rendu de la table ronde sur l’application de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 dans la prison.

Par Georgia Bechlivanou

Cette loi, qui vise l’amélioration des relations entre les citoyens et l’administration, notamment lors de la communication des documents administratifs et la prise des décisions individuelles, n’a attiré l’attention sur son application en prison que dans cette dernière branche. Plus précisément sur l’obligation de l’administration de garantir le contradictoire et les droits de la défense lors des décisions individuelles qui, conformément à la loi n°79-587 du 11 juillet 1979, doivent être motivées. Cette obligation prévue par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 consiste en la possibilité donnée à l’administré de présenter préalablement à la prise d’une décision ses observations par écrit ou oralement, et à se faire assister par un avocat ou un mandataire de son choix.

Après l’opposition de l’administration pénitentiaire à l’application de cette garantie en prison, celle-ci s’y applique depuis le 1er novembre 2000 suite à l’avis du Conseil d’Etat du 3 octobre 2000 selon lequel rien ne s’oppose à l’application de cette loi en prison. Mais, elle ne s’applique pour l’instant que de manière partielle et dérogatoire. Partielle, parce que la circulaire du 31 octobre 2000 prise pour son application en prison ne vise que les décisions disciplinaires (à savoir celles prises au prétoire) laissant de côté toutes les autres y compris celles qui, selon une note de l’administration pénitentiaire datée du 18 octobre 2000, devraient faire partie des décisions concernées par cette loi. Dérogatoire, parce que la circulaire contient une série d’aménagements qui, au fond, constituent de véritables dérogations à l’article 24 de la loi du 12 avril 2000.

Les intervenants à la table ronde ont tour à tour relevé les difficultés et les critiques soulevées par l’application de cette partie de la loi en prison.

- Madame Isabelle GORCE, représentant l’administration pénitentiaire, tout en se réjouissant des taux de satisfaction des demandes d’assistance par un avocat déjà enregistrés, a attiré l’attention sur des difficultés matérielles pour l’application correcte de cette loi, des difficultés notamment de financement des frais d’avocats. La circulaire autorise l’exclusion de l’aide juridictionnelle laissant la prise en charge des frais par les Conseils départementaux d’accès au droit. L’administration pénitentiaire envisagerait de contribuer au financement de ces Conseils.

- Madame Sophie HUMBERT, avocate et représentant l’OIP, a souligné les difficultés rencontrées par des avocats à exercer correctement leur métier au prétoire. Dépossédés de leurs outils de travail, notamment de moyens de défense pour contester les faits et leur appréciation (ne serait-ce que par une contre-enquête et l’interrogation des témoins), ils en sont réduits à faire acte de présence. Même la décision de leur donner la parole, en ce qui concerne le moment et la durée, est laissée à l’appréciation du directeur de la prison.

- Madame Georgia BECHLIVANOU, chercheuse en droit, spécialisée en droit pénitentiaire et droits de l’homme, a, quant à elle, émis un grand nombre de critiques qu’attire l’application de cette loi en prison.

Les critiques qu’attire la circulaire du 31 octobre 2000.

En premier lieu, le problème de légalité que soulève le fait que la circulaire prévoit de véritables restrictions à la loi. Parce que seule une loi peut restreindre l’exercice des droits fondamentaux. Et parce que cette circulaire constitue une dérogation à la lettre même de la loi du 12 avril 2000 qui prévoit expressément que son application devrait avoir lieu sur décret pris en conseil d’Etat (art. 24).

En second lieu, l’ampleur des restrictions autorisées par cette circulaire.
- Ces restrictions limitent, d’une part, le champ d’application du droit à un avocat, y compris devant le prétoire. Fondées sur l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, qui permet l’inapplication de ce droit pour trois motifs (1° en cas d’urgence ou des circonstances exceptionnelles, 2° lorsque sa mise en oeuvre serait de nature à compromettre l’ordre public ou la conduite des relations internationales, 3° aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière), la circulaire permet d’étendre la portée de ces motifs. En l’occurrence, elle permet de faire une interprétation large des motifs d’urgence et d’ordre public. Elle range dans ces deux motifs : les incidents graves au sens de l’article D. 280 du Code de procédure pénale ; les raisons rendant urgente la réunion de la Commission de discipline ; et les raisons autorisant le recours à la mise en prévention au quartier disciplinaire (art. D 250-3 du Code de procédure pénale). A cela s’ajoute, l’autorisation expresse donnée aux directeurs des prisons de recourir à d’autres moyens d’ordre et de sécurité échappant au champ d’application de cette loi, en l’occurrence, à l’isolement, aux transfèrements et à la cellule préventive.
- Les restrictions instituées par la circulaire limitent, d’autre part, la possibilité de recours à des mandataires en instituant un processus spécial pour leur désignation. Alors que la loi ne prévoit aucune formalité particulière, cette circulaire exige la mise en place des listes des mandataires agréés par les directeurs régionaux fondées sur des critères visant à exclure nombre des personnes et à retirer facilement l’agrément pour des motifs de manquement aux règles relatives à la sécurité et au bon ordre de la prison.

Les critiques qu’attire la loi même du 12 avril 2000.

Même si elle était appliquée au prétoire sans aucune dérogation, elle est inadéquate pour des procès disciplinaires. Car elle est largement insuffisante pour combler les lacunes que présente la procédure disciplinaire au regard des garanties requises par le procès équitable au sens européen, en l’occurrence au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. De tels procès étant, depuis l’arrêt Campbell et Fell (28 juin 1984, Série A, n°80), susceptibles de tomber dans la matière pénale, les pays européens ont, à long terme, intérêt à réformer les procédures disciplinaires pour les rendre conformes au procès équitable. Or, présenter des observations et se faire assisté par un avocat constituent seulement deux garanties sur l’ensemble de celles requises par le procès équitable. Un tel procès requiert, d’une part, le respect des garanties de procédure. Celles-ci comprennent, entre autres, la présomption d’innocence, la notification détaillée, et traduite si nécessaire, de l’accusation, l’égalité des armes de la défense et un véritable débat contradictoire, la motivation et la publication de la décision. Le procès équitable requiert, d’autre part, le respect des garanties d’indépendance et d’impartialité du tribunal. Or la Commission de discipline, constituée du directeur de la prison (ou son délégué) et de deux surveillants qui sont désignés par le directeur et n’ont qu’une voix consultative, ne peut nullement passer pour un tribunal. Le directeur, qui est en fait le seul juge, concentre en ses mains les trois pouvoirs : judiciaire, exécutif mais aussi législatif dès lors qu’il élabore le règlement intérieur des prisons. Il est donc appelé à juger lui-même des infractions commises par des personnes qui se trouvent dans un rapport de dépendance à des règles qu’il a élaboré lui-même, et à choisir la sanction dans une liste des sanctions établie séparément à celle des infractions. Or si l’on tient compte que la Cour européenne des droits de l’homme estime que même les apparences d’indépendance et d’impartialité du tribunal sont importantes pour garantir le sentiment de la justice, nous sommes très loin du compte.

Il faut donc réformer l’ensemble du procès disciplinaire en prison par une loi spécialement votée à cette fin. Le droit doit entrer en prison par la grande porte et non par une petite fenêtre entre-ouverte pour sauver la face de la légalité et de la justice.

- Enfin pour Ban public, réagissant notamment à la sanction du "mitard" (quartier discplinaire), la plus grave des sanctions disciplinaires (et très longue en droit français où elle peut atteindre 45 jours alors que dans d’autres pays elle est limité à 10 jours), aucune réforme ne suffit pour protéger le détenu contre les abus et les atteintes à sa dignité. Il faut supprimer cette sanction en attendant l’abolition du système carcéral.