Publié le vendredi 12 juillet 2002 | http://prison.rezo.net/1985-1999-une-medecine-differente/ Un médecin des prisons en France : UNE MEDECINE DIFFERENTE L’exercice médical en milieu carcéral est-il différent de l’exercice libéral ou hospitalier ? Sans aucun doute la réponse est " OUI " ; et cela pour de multiples raisons . Non qu’il existat plusieurs façons d’exercer ; encore moins que la population pénale fut médicalement une " sous-population " , indigne de la qualité des soins due à la population libre . Mais la Médecine Pénitentiaire est confrontée à de lourdes contraintes , et la population pénale comporte sa spécificité propre dans les domaines épidémiologique , psychiatrique , culturel , social , médico-légal , etc... La première particularité , et non la moindre , de la Médecine en milieu carcéral , est l’absence de libre choix du Médecin par le Patient . L’incarcération entraîne la perte d’un grand nombre de libertés , tout en garantissant certains droits , dont le droit à la santé . Mais les détenus n’ont pas le choix du Médecin ; celui-ci apparaît ainsi comme " commis d’office " ; ce qui n’enlève rien à sa responsabilité professionnelle , bien au contraire ! . . . Mais cela change bien des choses dans la relation Médecin-Malade . N’ayant pas choisi son Médecin , le détenu a naturellement tendance à considérer celui qui lui est imposé comme un représentant de l’Administration Pénitentiaire , celle-ci étant elle-même au service de l’Appareil Judiciaire ( mais , n’en va-t-il pas de même pour les grandes Administrations : Mines , S.N.C.F. , Poste , Armée etc..., dans lesquelles les Médecins sont à la fois juges et parties , toutes fonctions confondues : aptitude au travail , responsabilité de l’employeur , éducation pour la santé , campagnes de prévention , soins aux assujettis et à leurs ayant-droits ? . . .) . Il s’en suit une inévitable réaction de défiance , souvent majorée par des revendications sinistrosiques et des tentatives de manipulations opportunistes . Autre spécificité , la pathologie carcérale . C’est un lieu commun de dire que la population pénale est un concentré de l’exclusion , de la marginalité , du mal des banlieues . Lieu commun d’évoquer la drogue . . . Elle est omniprésente . Dehors , bien sûr ; mais aussi intra muros . . . Elle s’infiltre . . . Comment ? comme toutes les poudres ! . . . Elle alimente toutes les pressions , tous les rackets , toutes les violences . Chaque consultation peut masquer une demande toxicomaniaque , une déviation thérapeutique , soit pour l’usage de l’intéressé lui-même , soit , et c’est fréquent , pour un co-détenu exerçant un racket . Chacune de nos prescriptions doit être pensée dans ce sens . D’autre part , la vie carcérale est par elle-même fortement pathogène , agissant comme un miroir grossissant , quand ce n’est comme un révélateur , de la pathologie en milieu libre . Difficultés auxquelles il faut bien souvent ajouter l’obstacle de la langue ( 1/4 à 1/3 des détenus ne comprennent pas ou comprennent mal le Français ) . Il faudrait également parler du Secret Médical , qui , malheureusement , dans ce milieu clos qu’est la Prison , prend trop souvent des allures de secret de Polichinelle . . . Docteur Philippe DEHARVENGT Source : Les souverains |