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"Le droit à l’intimité en détention" par Mickael Faure (1999)

Publié le vendredi 12 juillet 2002 | http://prison.rezo.net/le-droit-a-l-intimite-en-detention/

DANS les pays développés, les conditions de vie des détenus laissent largement à désirer. Quand la vie privée - accès à l’hygiène, correspondance, visites familiales... - est déjà soumise à contrôle et à restrictions, la sexualité demeure un tabou. A l’aune des expériences réalisées dans différents pays, et à l’incitation d’instances internationales de défense des droits humains, il semblerait qu’en France le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire, après de longues hésitations, s’ouvrent à l’amélioration du respect de l’intimité des personnes incarcérées.

L’implantation d’« unité de visites familiales » (UVF) dans certaines prisons françaises semblait devenir l’arlésienne de l’administration pénitentiaire. Or, le 1er décembre 1998, la presse a annoncé l’implantation d’UVF, à titre expérimental, sur trois sites. Imaginé il y a près de quinze ans, annoncé le 4 décembre 1997, mais jamais mis en oeuvre, le projet pourrait donc prochainement sortir des cartons. Les UVF seraient de petits appartements composés de deux chambres - l’une pour le couple, l’autre pour les enfants - , d’un coin repas et de sanitaires. Ces espaces privatifs, exempts de surveillance, seraient accessibles à des personnes condamnées à de longues peines. Selon l’administration, ils pourraient concerner de 8 000 à 15 000 détenus.
Ce projet a été précédé de plusieurs initiatives au cours des deux dernières décennies. En 1984, un local était aménagé, à titre expérimental, au centre de détention de Casabianda, en Corse. Un an plus tard, M. Robert Badinter, alors garde des sceaux, commandait un rapport à la commission architecture-prison, présidée par Mme Myriam Ezratty, directrice de l’administration pénitentiaire. La commission invita à la réalisation d’espaces permettant aux détenus d’y recevoir leurs familles hors de la surveillance du personnel pénitentiaire. En 1986, la construction de tels espaces était réalisée dans les centres de détention de Mauzac et de Val-de-Reuil. Cependant, le projet fut abandonné en raison de l’opposition du directeur de l’administration pénitentiaire (AP) de l’époque.

En 1989, le rapport de M. Gilbert Bonnemaison invita à nouveau à « réfléchir, en concertation avec le personnel pénitentiaire, au maintien dans les établissements consacrés aux longues peines des relations affectives et sexuelles des détenus  [1] ». En 1992, le rapport du groupe de travail de l’AP insista en ce sens et, en juin 1995, un autre rapport du groupe de travail prit position en faveur de la création des unités de visites familiales. C’est ce projet qui refait surface. La France pourrait rejoindre ainsi différents pays européens où existent de tels dispositifs sous formes diverses.

L’Espagne pratique un dispositif de « vis-à-vis » où des visites, d’une durée limitée entre une heure trente et trois heures, se déroulent dans une pièce composée d’un lit et d’un sanitaire. D’après les autorités pénitentiaires, le seul critère d’accès aux « vis-à- vis » intimes est la stabilité du couple, marié ou non. Au centre pénitentiaire de Valdemoro, à Madrid, les détenus ont droit à une visite intime par mois. Les préservatifs, selon la direction, sont distribués régulièrement et sont également disponibles dans les parloirs privés. Les couples homosexuels auraient également accès à ces parloirs, ainsi que les couples dont les deux partenaires sont en détention. Une prison pour les couples détenus existe, une prison mixte pour jeunes est à l’étude.

La France, lanterne rouge
AU Québec, les visites familiales privées ont lieu dans un pavillon dit mobil home, situé hors de la détention mais sur site pénitentiaire. Tous les deux mois, des personnes détenues condamnées à une peine supérieure à deux ans peuvent recevoir leurs proches à raison d’une durée de deux à soixante-douze heures. Le dispositif avait été introduit à titre expérimental, de 1980 à 1983, dans sept établissements dont un établissement féminin. A la suite d’une évaluation de cette expérience, qui se révéla satisfaisante tant pour les personnes détenues et leurs proches que pour les personnels de surveillance, elle fut étendue à 42 établissements. Ainsi, en 1995, on recense 90 unités de visites familiales, dont 5 500 détenus bénéficient chaque année.
Au Danemark, depuis 1982, des visites conjugales hebdomadaires d’une durée d’une heure trente sont possibles dans différents établissements. En Ecosse, certains établissements autorisent la sortie non surveillée du détenu et du visiteur pendant quatre heures. La Finlande et la Norvège ont opté, quant à elles, pour le congé conjugal. La Suède reconnaît également la possibilité de visites familiales depuis fort longtemps. Les Pays-Bas ont introduit la possibilité de visites sans surveillance dans des locaux spéciaux ainsi que dans les cellules des détenus. La République de Moldavie a choisi le système des hôtels pénitentiaires implantés dans un secteur de l’établissement, où la personne détenue peut séjourner pendant plusieurs jours avec sa famille.

Selon une récente enquête menée à l’initiative de l’Observatoire international des prisons [2], on peut noter que dans un nombre non négligeable de pays les visites, quelle que soit la manière dont elles sont organisées, durent non pas quelques heures, mais plusieurs jours, voire plusieurs nuits. C’est le cas de la Lituanie (pour les condamnés), de la République tchèque (quarante-huit heures d’affilée), de l’Ukraine (de quatre heures à trois jours par mois). En Allemagne, il est clairement indiqué que des visites totalement privatives existent dans certains établissements pour conjoints et familles dans des appartements.

La France fait donc figure de lanterne rouge en la matière, alors que la Commission européenne des droits de l’homme a souligné à plusieurs reprises « qu’il est essentiel au respect de la vie familiale que l’administration pénitentiaire aide le détenu à maintenir un contact avec sa famille proche », et n’a de cesse de rappeler que la vie sexuelle ressortit de l’intégrité physique et morale de la personne. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe incitent les quarante Etats membres à une amélioration des conditions de visite pour les conjoints et leurs enfants.

Reconnaître un droit à l’intimité en prison, c’est s’autoriser enfin à franchir le tabou de la sexualité. M. Jacques Lesage de La Haye, après avoir passé plus de onze années en détention, fut l’un des premiers à évoquer la question en consacrant à ce sujet un ouvrage au titre évocateur : La Guillotine du sexe [3]. Pour cet auteur, « la frustration sexuelle n’est pas la privation de liberté. C’est la castration pure et simple de l’être humain ». De même, M. Serge Livrozet, ex-détenu, faisait la remarque suivante en 1978 : « La force de l’habitude, du pouvoir, de la répression et des textes est parvenue à occulter en nous, prisonniers et ex-prisonniers, l’idée élémentaire que l’activité sexuelle est indissociable de la vie humaine, de la vie tout court. Les réducteurs de têtes et d’aspirations sont parvenus à tuer en nous le désir du désir  [4] . »

Lorsque M. Alain Monnereau, ex-détenu, publie en 1986 une enquête intitulée La Castration pénitentiaire [5], l’administration française commence à se pencher sur le sujet, mais piétine face aux syndicats du personnel de surveillance, partagés sur la question bien qu’ouverts à la concertation. De son côté, le Syndicat de la magistrature (SM) a manifesté lors des premières déclarations du garde des sceaux son « approbation » à l’idée d’UVF.

Pour l’heure, aucun fondement juridique ne vient asseoir l’interdiction pour un détenu d’avoir des relations sexuelles en prison. La réforme du régime pénitentiaire disciplinaire du 2 avril 1996 précise cependant que « constitue une faute du deuxième degré le fait pour un détenu d’imposer à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur ». L’OIP a eu connaissance du cas d’un détenu qui s’est vu infliger une sanction de quinze jours d’isolement et de deux mois de suppression de visite après s’être livré à des attouchements sexuels avec sa compagne lors d’un parloir. Des personnes relatent régulièrement l’humiliation subie en raison du regard inévitablement inquisiteur des personnels de surveillance lors des parloirs [6].

Dans la pratique, des relations sexuelles ont lieu en détention dans des conditions déplorables pour tous [7]. Jusqu’à présent, le déni était de rigueur en la matière [8]. Or se libérer de ce tabou est une condition préalable pour une prévention efficace de la transmission du virus du sida [9]. C’est aussi une nécessité pour développer un discours de prévention des abus sexuels en détention.

Mais la vie privée englobe de nombreuses autres dimensions. En maison d’arrêt, dans des cellules de neuf mètres carrés occupées par deux ou trois personnes, les sanitaires sont dépourvus de dispositifs de séparation. Cet état de fait est dégradant et humiliant. En République tchèque, en Slovaquie, en Slovénie, en Pologne, en Autriche, en Lituanie ainsi que dans d’autres pays de l’Occident, les sanitaires sont à l’abri du regard des tiers, et la plupart des pays européens s’orientent vers la mise en place de dispositifs de séparation. Concernant l’hygiène, on note que très peu d’Etats ont installé des douches dans les cellules.

Par ailleurs, la personne détenue subit des fouilles à corps pour raison de sécurité (article D 275 du code de procédure pénale). Dans la plupart des pays européens, le personnel de surveillance se livre à la fouille intégrale. Certains pays pratiquent la fouille médicale, donc des cavités (Angleterre, Bulgarie, Danemark, Hongrie, Irlande). Nombreux sont les pays où les visiteurs sont fouillés. Certains de ces pays indiquent qu’ils se limitent aux sacs et vêtements - Hongrie et Pays- Bas -, d’autres qu’ils n’admettent la fouille que par palpation. Toutefois, le 12 octobre 1997, à Châteaudun, l’épouse d’un détenu s’est vue infliger une fouille « strip- tease » par des surveillants de l’établissement : elle a dû ôter son chemisier et son soutien-gorge sous prétexte que le détecteur de métaux du centre de détention sonnait.

Surinflation carcérale
AUTRE domaine touchant à la vie privée de la personne détenue : le respect du secret de la correspondance. Le tribunal administratif de Versailles, par un jugement du 10 octobre 1997, a estimé que le fait d’avoir ouvert de manière réitérée des courriers adressés par son avocat à un détenu de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy constituait une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat vis-à-vis du détenu. De nombreux pays européens excluent la lecture des correspondances avec les autorités ou les avocats. Quant à la possibilité pour les détenus de téléphoner, la plupart des pays européens l’autorisent, bien que dans des conditions variables. Si la pratique française en la matière paraît correcte, elle n’est pas inscrite dans le droit et exclut toujours les détenus en maison d’arrêt [10]. Un nombre non négligeable de pays permettent de recevoir des appels de l’extérieur - ce qui est prohibé en France.
La création d’unités de visites familiales en France constituerait indéniablement un progrès. Cependant, on peut s’interroger sur la portée expérimentale effective de trois sites seulement, choisis selon des critères encore inconnus, sur les 187 établissements pénitentiaires existants. De plus, la mise en oeuvre de ce projet semble être uniquement destinée aux établissements pour peines - centrales et centres de détention - et non aux personnes prévenues ou détenues en maison d’arrêt [11]. La surpopulation carcérale est évoquée comme un obstacle à l’extension des UVF en maisons d’arrêt. Or on observe, ces dernières années, un allongement de la durée des peines qui est en partie la cause de la « surinflation » carcérale. Les démographes Annie Kinsey et Pierre Tournier ont pourtant démontré que plus la durée des peines était élevée, plus le taux de récidive l’était également [12]. Autrement dit, la prison ne remplit pas le rôle qu’elle affirme jouer. Au contraire, elle aggrave les risques préexistants.

Or comment prétendre réinsérer une personne qui a été détenue si on sape son noyau socio-affectif, base de toute réinsertion élargie  [13] ? Le droit à l’intimité en détention est aussi celui des personnes proches des personnes détenues : compagnes, compagnons, enfants, parents, ami(e)s... Derrière les 57 093 détenus [14], ce sont plusieurs centaines de milliers de personnes qui sont directement concernées.

MICHAEL FAURE.

Source : Le Monde Diplomatique

[1] « La modernisation du service public pénitentiaire », 1989, non publié mais disponible en photocopies (« littérature grise ») à la Documentation française

[2] Réalisée par Martine Herzog-Evans (maître de conférences à Paris-X), en collaboration avec Pierre Tournier (expert au Conseil de l’Europe)

[3] Jacques Lesage de La Haye, La Guillotine du sexe, Robert Laffont, Paris, 1978 ; troisième édition, Editions de l’Atelier, Paris, 1998

[4] Cf. Christophe Soulié, La Liberté sur parole, Analis, Bordeaux, 1995

[5] Cf. Alain Monnereau, La Castration pénitentiaire, Lumière et justice, Paris, 1986

[6] Voir Antoinette Chauvenet, Georges Benguigui et Françoise Orlic, Le Monde des surveillants de prison, PUF, Paris, 1994

[7] Voir Daniel Welzer-Lang, Lilian Mathieu, Michaël Faure, Sexualités et violences en prison, Arléa/Observatoire international des prisons, Lyon, 1996

[8] M. Abdelhamid Hakkar, détenu à la maison centrale de Clairvaux, a été sanctionné d’une peine de dix jours de cellule disciplinaire avec sursis pour avoir porté à la signature de ses codétenus une pétition de l’Observatoire international des prisons « pour le droit à l’intimité en détention »

[9] Le taux de séropositivité en détention reste trois à quatre fois plus élevé que celui observé dans la population générale. Lire Prévention et traitement du sida dans les prisons d’Europe, décembre 1995, document édité par l’Observatoire international des prisons

[10] Observatoire international des prisons, Le Guide du prisonnier, L’Atelier/OIP, Paris, novembre 1996

[11] On distingue, d’une part, les maisons d’arrêt, où sont retenus les prévenus (la majorité de la population carcérale est en détention provisoire) et les personnes dont le reliquat de peine est inférieur à un an et, d’autre part, les maisons centrales, où sont affectés les condamnés à de longues peines. Certaines personnes demeurent détenues en maison d’arrêt jusqu’à cinq ans et quelquefois sans même être jugées. Les centres de détention accueillent les personnes dont les peines arrivent à leur terme et sont chargés de préparer la resocialisation

[12] Annie Kinsey, Pierre Tournier, « Libération sans retour ? », ministère de la justice, octobre 1994

[13] Voir Louis Perego, Retour à la case prison, Editions ouvrières, Paris, 1990, et Claude Lucas, Suerte, l’exclusion volontaire, Plon/Terre humaine, Paris, 1996

[14] Selon les chiffres de l’administration pénitentiaire au 1er mai 1998