Publié le lundi 7 novembre 2005 | http://prison.rezo.net/00-note-de-synthese,7333/ NOTE DE SYNTHÈSE En 1991, lors de l’examen du projet de loi portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes, le Sénat avait, à l’occasion de la discussion de la section intitulée « Atteintes involontaires à l’intégrité de la personne », adopté un amendement faisant de la transmission du virus du sida une infraction. En effet, d’après cet amendement, « toute personne consciente et avertie » qui aurait « provoqué la dissémination d’une maladie transmissible épidémique » par un « comportement imprudent ou négligent » aurait été passible d’un emprisonnement de trois ans et d’une amende. Cette disposition a ensuite été supprimée par l’Assemblée nationale. Le 4 janvier 2005, la cour d’appel de Colmar a rendu un arrêt qui a relancé le débat sur la pénalisation de la transmission du virus du sida par voie sexuelle. Elle a en effet confirmé un jugement du 28 juin 2004 du tribunal correctionnel de Strasbourg, qui avait condamné à une peine de prison de six ans pour avoir « administré une substance nuisible ayant entraîné une infirmité permanente » un homme qui, se sachant séropositif, avait tenu ses partenaires dans l’ignorance de son état et avait transmis le virus à deux femmes. Cette décision revêt une importance particulière compte tenu, d’une part, de la position du Conseil national du sida et, d’autre part, du petit nombre de décisions judiciaires portant sur la transmission du virus du sida par voie sexuelle. Depuis le début des années 90, le Conseil national du sida a fait de la notion de responsabilisation partagée, selon laquelle « les deux partenaires partagent les risques et leurs conséquences », le fondement de toute politique de prévention. Pour le Conseil national du sida, « il est de la plus haute importance que la responsabilisation partagée soit prise en compte dans les procédures judiciaires relative à la transmission du VIH lors d’une relation sexuelle ». Par ailleurs, depuis l’apparition de la maladie, des plaintes pour transmission du virus du sida par voie sexuelle ont certes été déposées, mais peu sont allées à leur terme, notamment à cause de la qualification d’empoisonnement sur laquelle elles se fondaient. En effet, la Cour de cassation refuse cette qualification lorsque la volonté de tuer n’est pas avérée. Toutefois, avant la cour d’appel de Colmar, celle de Rouen avait, le 22 septembre 1999, déjà condamné pour administration de substances nuisibles l’auteur d’une contamination par le virus du sida à la suite de rapports sexuels non protégés. L’arrêt de la cour d’appel de Colmar conduit à s’interroger sur les règles adoptées à l’étranger. La présente étude analyse donc comment plusieurs pays européens, l’Allemagne, l’Angleterre et le pays de Galles, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Italie, les Pays-Bas, la Suède, la Suisse, ainsi que le Canada et les États-Unis considèrent la transmission du sida par voie sexuelle sur le plan pénal. Le cas particulier de la transmission du virus à la suite d’un viol n’a pas été analysé. Bien que la jurisprudence soit relativement peu abondante, en particulier en Europe, il est possible d’établir une nette distinction entre plusieurs groupes de pays : - le Danemark et la moitié des États américains ont érigé la transmission du virus du sida en infraction spécifique ; - l’Autriche, la Suisse et quelques États américains recourent aux dispositions pénales sur la propagation des maladies contagieuses pour punir la transmission du virus du sida par voie sexuelle ; - ailleurs, ce sont les dispositions pénales générales sur les voies de fait qui sont mises en oeuvre. 1) Le Danemark et la moitié des États américains ont érigé la transmission du virus du sida en infraction spécifique Au Danemark, depuis 2001, prendre le risque de transmettre à autrui certaines affections constitue une infraction spécifique, punissable d’une peine de prison dont la durée maximale est de huit années. Actuellement, le sida est la seule maladie à laquelle la disposition s’applique. Celle-ci sanctionne non seulement la transmission du virus, mais aussi l’exposition au risque de transmission. De même, plus de vingt États américains ont - selon des modalités très diverses - érigé en infraction spécifique la transmission du virus du sida ainsi que l’exposition au risque de transmission. 2) L’Autriche, la Suisse et quelques États américains recourent aux dispositions pénales sur la propagation des maladies contagieuses pour punir la transmission du virus du sida par voie sexuelle En Autriche et en Suisse, la transmission du virus du sida par voie sexuelle peut tomber sous le coup des dispositions du code pénal relatives aux lésions corporelles, en particulier lorsque la personne séropositive à l’origine de la contamination de son partenaire connaissait sa situation. Toutefois, comme le lien de causalité entre les relations sexuelles et la contamination peut être difficile à prouver, les tribunaux recourent également aux dispositions pénales sur la propagation des maladies dangereuses. En Suisse, ces dispositions sont applicables seulement en cas de transmission effective de la maladie. En revanche, en Autriche, elles visent tous les actes susceptibles d’entraîner la propagation de la maladie et sont donc applicables également en l’absence de contamination. De la même façon, six États américains pénalisent la transmission du sida par voie sexuelle, voire la simple exposition au risque de transmission, par le biais de leurs dispositions sur la diffusion des maladies sexuellement transmissibles. 3) Ailleurs, les dispositions pénales générales sur les voies de fait sont mises en oeuvre de façon plus ou moins fréquente a) L’application des dispositions pénales générales sur les voies de fait... Ailleurs, c’est-à-dire en Allemagne, en Angleterre et au pays de Galles, en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas, en Suède, au Canada, ainsi que dans les autres États américains, la transmission du virus du sida par voie sexuelle est punie par le biais des dispositions pénales générales. Elle est le plus souvent considérée comme une voie de fait. Cependant, la jurisprudence est établie de façon plus ou moins ferme selon les pays, notamment parce que la juridiction suprême n’a pas toujours eu l’occasion de se prononcer. Ainsi, en Allemagne, une personne séropositive qui transmet le virus du sida alors qu’elle s’en savait porteuse tombe sous le coup de l’article du code pénal relatif aux lésions corporelles dangereuses, à moins qu’elle n’ait fait le nécessaire pour éviter la contamination ou qu’elle n’ait prévenu son partenaire de sa séropositivité. De même, en Angleterre et au pays de Galles, quelques condamnations ont été prononcées. Toutes se fondent sur la même disposition législative : l’article de la loi de 1861 sur les voies de fait relatif aux lésions corporelles involontaires. Deux affaires ayant été portées devant la Cour d’appel, les tribunaux de niveau inférieur sont liés par la position de cette dernière, qui considère l’acceptation explicite du risque de contamination comme une cause d’exonération de la responsabilité pénale. En Suède, le chapitre du code pénal sur les atteintes à la vie et à la santé d’une personne précise que transmettre une maladie et exposer autrui au risque de contamination constituent respectivement une forme de voie de fait et de mise en danger de la vie ou de l’intégrité corporelle. Ces dispositions permettent de sanctionner non seulement la transmission du sida par voie sexuelle, mais aussi l’exposition au risque de transmission. Depuis 1998, la Cour suprême du Canada estime que toute personne séropositive a l’obligation de divulguer sa séropositivité avant de s’adonner à une activité sexuelle qui comporte un risque important de contamination, mais elle n’a pas défini les activités comportant un tel risque. En 2003, elle a étendu l’obligation de divulgation aux personnes qui ont des doutes sur leur séropositivité. Aux États-Unis, les États qui ne considèrent la transmission du sida ni comme une infraction spécifique ni comme une infraction à la législation sur les maladies sexuellement transmissibles punissent les auteurs de contamination par le biais des dispositions pénales générales sur les voies de fait, voire sur l’homicide en cas de décès. Aux Pays-Bas, malgré l’existence d’un article du code pénal selon lequel la transmission d’une maladie incurable constitue une forme de lésions corporelles graves, le ministère public n’engage que rarement des poursuites. Par ailleurs, au début de l’année 2005, la juridiction suprême néerlandaise a, dans une affaire où les relations sexuelles n’avaient pas entraîné de contamination, estimé que les poursuites pour tentative de lésions corporelles n’étaient pas fondées, compte tenu de la faiblesse des risques de transmission du virus. Quelques semaines plus tard, le ministre de la justice adressait à la seconde chambre du Parlement une note dans laquelle il soulignait le caractère superflu de toute législation spécifique sur la transmission du virus du sida. En revanche, la situation est moins claire en Belgique et en Italie. En Belgique, aucune poursuite pénale ne semble avoir été engagée pour transmission du sida par voie sexuelle. Interrogé par un député, le ministre de la justice a indiqué le 4 mai 2004 que les dispositions du code pénal sur les lésions corporelles lui semblaient devoir s’appliquer. En Italie, la Cour de cassation, qui a eu l’occasion, en 2001, de se prononcer sur la transmission du sida par voie sexuelle, a alors indiqué qu’il ne fallait pas écarter a priori l’idée d’introduire dans le code pénal une nouvelle infraction consistant à transmettre à autrui le virus du sida. b) ... est plus ou moins fréquente Si l’on excepte la Suède, où une trentaine de condamnations ont été prononcées au cours des quinze dernières années, la jurisprudence est peu abondante dans les pays européens. Elle l’est davantage en Amérique du Nord. |