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Plainte en "diffamation publique contre une administration publique" contre l’Envolée

Publié le vendredi 18 novembre 2005 | http://prison.rezo.net/plainte-en-diffamation-publique/

LE JOURNAL L’ENVOLÉE EST CITÉ A COMPARAITRE DEVANT LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE BEAUVAIS (60) LE 7 DÉCEMBRE 2005 A 13H30 POUR « DIFFAMATION PUBLIQUE ENVERS UNE ADMINISTRATION PUBLIQUE ».

Plainte portée par l’administration pénitentiaire.

UN EXEMPLE CONCRET DE PRESSE CENSURÉE DANS LES PRISONS FRANÇAISES

Conférence de presse, mercredi 30 novembre à 10 heures
Espace Louise Michel, 42 rue des Cascades, 75020 Paris
Métro Pyrénée

L’ENVOLÉE... QU’EST CE QUE C’EST ?
L’Envolée est un journal trimestriel, né en juin 2001 qui compte à présent 15 numéros. Il a environ 500 abonnés, dont 300 à l’intérieur des prisons.

L’Envolée se veut un porte-voix au service des muets sociaux : les prisonniers à qui l’on a ôté toute possibilité d’expression, leurs familles et proches souvent emmurés dans la culpabilité, l’impuissance et les difficultés tant pécuniaires qu’affectives. L’ensemble des numéros sont largement constitués de textes de dessins> de courriers venant de l’intérieur et abordant aussi bien les thèmes de la longueur des peines, l’isolement carcéral, les projets de nouvelles constructions que la logique sécuritaire, le travail, les relations avec l’extérieur... Voilà ce qui semble être inacceptable aux yeux du ministère de la justice.

UNE CENSURE A PEINE DEGUISEE

L’article D444 du Code de procédure pénale, stipule dans un premier paragraphe que « les détenus doivent pouvoir se procurer les journaux de leur choix n’ayant pas fait l’objet d’une saisie dans les trois derniers mois ». Mais il est nuancé par un second alinéa qui permet de légaliser à peu près n’importe quelle décision particulière : « Seul le garde des Sceaux peut retenir (à la demande des chefs d’établissement) les publications, et ce seulement si elles contiennent des menaces précises contre la sécurité des personnes ou celles des établissements pénitentiaires. » Cette volonté de façade de protéger la circulation de la presse à l’intérieur des prisons en la soumettant à un cadre strict est de fait immédiatement démentie par une précision qui donne tout pouvoir au chef d’établissement, le laissant libre d’apprécier l’opportunité de donner telle ou telle publication à tel ou tel prisonnier. En réalité, il apparaît que le ministre de la Justice reproche essentiellement au journal

L’Envolée ses propos libres sur l’univers carcéral et les difficultés auxquelles sont malheureusement confrontés les détenus.

Dans L’Envolée on ne trouve aucune information non publique, aucune menace, aucun outrage ou insulte nominative, et d’ailleurs, à ce jour, nous n’avons fait l’objet d’aucune plainte des pouvoirs publics qui serait susceptible d’entraîner une interdiction de notre journal. Mais, en revanche nous considérons, avec bon nombre de prisonniers, que l’AP porte une part de responsabilité dans les cas d’automutilation et de suicide et que certains décès en prison demeurent suspects. Oui, pour nous l’isolement est une forme légale de torture et le fait qu’elle soit légale ne retire rien à son atrocité. Oui, les fouilles à corps sont aussi humiliantes qu’inutiles. Oui, la longueur des peines font des prisons des mouroirs où les individus sont détruits lentement mais sûrement... L’Administration pénitentiaire se montre là comme un pouvoir autoritaire qui ne souffre aucune contradiction, qui pose comme postulat qu’elle a toujours raison et qu’on doit lui faire « confiance » de façon aveugle et absolue. Toute forme de critique est pour elle une porte ouverte à l’insécurité. Quand, en 2000, les sénateurs rendaient un rapport public présentant la prison comme « la honte de la République », à notre connaissance aucune plainte, aucune note interne n’est venue empêcher la diffusion des propos des parlementaires. Mais la période que nous vivons, centrée sur le tout- sécuritaire, donnant pleins pouvoirs aux forces répressives et proposant comme solution aux débats sur le sens de la peine la construction de 11000 places supplémentaires de détention, n’est pas propice aux initiatives comme les nôtres qui tentent de mettre un peu de lumière sur les exactions commises en toute impunité derrière les murs et qui refusent de se laisser berner par les promesses vides d’un monde où l’argent est devenu le principal rapport social.

D’autre part, les articles de L’Envolée ne sont pas des appels aveugles à la violence : ils sont toujours des analyses fondées sur des témoignages précis et vérifiés, des informations qui sont le fruit de recherches, de rencontres, de débats. Loin de nous l’idée que nous pourrions, de l’extérieur, inciter quelque mouvement que ce soit à l’intérieur : nous n’avons pas pour habitude de considérer les prisonniers comme des irresponsables incapables de penser par eux-mêmes. Nous sommes simplement conscients de l’évidence que tous les moyens sont développés par l’AP à la fois pour empêcher toute organisation et faire taire tout ce qui pourrait entacher l’exercice de son plein pouvoir. En fait, c’est l’existence même d’un outil mis au service de ceux qu’on prive de tout, y compris de la possibilité de s’exprimer, qui dérange le ministère de la Justice. Et pour empêcher notre existence il n’hésite pas à employer des moyens frisant l’illégalité afin de masquer une censure pure et simple qui revient à mettre en vigueur le délit d’opinion.
 
Ce procès risque fort d’être le premier d’une longue liste : le texte ici incriminé dénonce la violence des fouilles ministérielles, et l’administration pénitentiaire a déjà fait savoir qu’elle portait plainte pour les numéros suivants à propos de la dénonciation des quartiers d’isolement, des violences des Eris (brigades de surveillants cagoulés qui interviennent en prison), un « suicide » dénoncée par une famile qui a porté plainte contre X, dysfonctionnements comptables dans certaines maisons centrales. Tous ces faits ont par ailleurs été relevés soit par la CNDS (Commission nationale de la déontologie de la sécurité) en 2004, par le Comité européen contre la torture en 2005. C’est pourquoi nous considérons cette succession de plaintes comme une volonté de nous voir disparaitre.

LE TEXTE DE LA PLAINTE

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BEAUVAIS
Boulevard Saint Jean 60000 BEAUVAIS
PARQUET Service Audiencement
BEAUVAIS, le 15 SEPTEMBRE 2005
Affaire OS/103722 audience du 29/09/2005 FOND
(A rappeler dans toute correspondance)

à 13H30 1 ERE CHAMBRE IERE AUDIENCE AU
RENVOYEE LE 07/12/2005

J’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir citer à comparaître à l’audience du Tribunal de Grande Instance de BEAUVAIS, 1ère CHAMBRE, le 29 DECEMBRE 2005, à 13H30, 20 BD ST JEAN 60000 BEAUVAIS

Mme LEDU Denise
Résidence Saint jean, Ferdinand Buisson 60210 GRANDVILLIERS
né(e) le 17/08/1938 à 49007 ANGERS
NATIONALITE : FRANCAISE
appt 17 Rue
pour être jugé(e) comme prévenu(e)
 
370- D’avoir à Marseille, Paris, en tous cas sur le territoire national, en décembre 2003, et en tout cas depuis un temps non prescrit, en tant que Directeur de la publication, allégué ou imputé des faits portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une administration publique, en l’espèce celle de l’administration pénitentiaire en ayant publié, vendu, distribué, mis en vente, exposé dans un lieu public, un écrit dans la revue "Envolée", N°10, datée de Décembre 2003, à la page 1, de l’article intitulé "mesdames, Messieurs "commençant par les mots "Depuis quelques années" et se terminant par les mots "sur les doigts Un prisonnier" et plus particulièrement des passages suivants :
- "Depuis quelques années, les gardiens de prison exercent des misères et plus particulièrement au QI et au QD. Des fouilles à répétition : ils saccagent les cellules en détériorant le matériel des détenus. Lors des parloirs à la remise des sacs de linge, mes matons procèdent à la fouille. Des détenus ont pu s’apercevoir que leur linge a été piétiné et des crachats y ont été déposés (...) ."
- Lors des fouilles de cellules à la maison d’arrêt de Fresnes, une milice de surveillants casse, renverse les aliments à terre, piétine les affaires et celà arrive quotidiennement".
- "Durant les fouilles, notamment à Bois d’Arcy alors qu’ils sont cagoulés, des coups pleuvent, ils profitent de ce qu’ils leur ont donné "cette cagoule". ..." -"Je souhaiterais qu’ils réfléchissent un peu car ce n’est pas ton voisin de palier qui te défonce la gueule au mitard !!! qui te prive de liberté, qui te dit de te baisser, de tousser, qui te parle comme à une merde !!! c’est les matons", Faits constitutifs du délit de diffamation publique envers une administration publique par, écrit., en l’espèce le Ministère de la Justice et plus particulièrement l’administration pénitentiaire.

faits prévus par ART. 30, ART. 23 AL. 1, ART. 29 AL. 1, ART. 42 LOI DU 29/07/1881 ; ART. 28 LOI 51-18 DU 05/01/1951 et réprimés par ART. 30 LOI DU 29/07/1881
 
371 D’avoir à Marseille, Paris, en tous cas sur le territoire national, en décembre 2003, et en tout cas depuis un temps non prescrit, en tant que Directeur de la publication, allégué ou imputé des faits portant atteinte à l’honneur ou à la considération des personnels de l’administration pénitentiaire, plus particulièrement des surveillants des Maisons d’arrêt de Bois d’Arcy et de Fresnes personnes dépositaires de 1’autorité publique ou chargé d’une mission de service publique en ayant publié, vendu, distribué, mis en vente, exposé dans un lieu public, un écrit dans la revue "Envolée", N°10, datée de Décembre 2003, à la page 1, de l’article intitulé "mesdames, Messieurs "commençant par les mots "Depuis quelques années" et se terminant par les mots "sur les doigts Un prisonnier" et plus particulièrement des passages suivants :
 - "Depuis quelques années, les gardiens de prison exercent des misères et plus particulièrement au QI et au QD. Des fouilles à répétition : ils saccagent les cellules en détériorant le matériel des détenus. Lors des parloirs à la remise des sacs de linge, mes matons procèdent à la fouille. Des détenus ont pu s’apercevoir que leur linge a été piétiné et des crachats y ont été déposés (...) ."
 - Lors des fouilles de cellules à la maison d’arrêt de Fresnes, une milice de surveillants casse, renverse les aliments à terre, piétine les affaires et celà arrive quotidiennement".
 - "Durant les fouilles, notamment à Bois d’Arcy alors qu’ils sont cagoulés, des coups pleuvent, ils profitent de ce qu’ils leur ont donné "cette cagoule". ..." -"Je souhaiterais qu’ils réfléchissent un peu car ce n’est pas ton voisin de palier qui te défonce la gueule au mitard !!! qui te prive de liberté, qui te dit de te baisser, de tousser, qui te parle comme à une merde !!! c’est les matons", Faits constitutifs de diffamation publique envers un fonctionnaire public par écrit
faits prévus par ART. 31 AL. 1, ART. 23 AL. 1, ART. 29 AL. 1, ART. 42 LOI DU 29/07/1881 et réprimés par ART. 31 AL. 1, ART. 30 LOI DU 29/07/1881
LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQIJE

AJOUT : DERNIERE PAGE DE L’ENVOLEE N°15
POUR EN FINIR AVEC LA CRITIQUE, L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE PORTE PLAINTE POUR DIFFAMATION

Après trois années d’aveuglement et 15 numéros, la justice veut enfin, nous faire ouvrir les yeux. L’administration pénitentiaire (AP) assigne L’Envolée en justice pour "diffamation envers une administration publique". En clair, nous ne disons que des bêtises et des grossièretés dans nos imprimés : ce journal doit disparaître.
En fait tout va bien et personne ne nous a rien dit. Tout ce temps passé à fabriquer un journal indépendant, à le publier, à le distribuer pour rien : il n’y avait que des conneries dedans ! Ben merde, heureusement la justice va y remettre bon ordre ! Une bonne grosse amende pour racheter l’honneur des personnels de surveillances et pan, une bonne dose de plomb dans l’aile du papillon... Puisqu’il n’a pas suffi de faire pression sur l’imprimeur, sur les prisonniers et prisonnières, d’empêcher la diffusion à l’intérieur des geôles, il faut bien régler ça d’une manière ou d’une autre.

Ça les gratte au mauvais endroit cette tentative d’organisation que constitue l’Envolée. Ça les démange de voir persister ce projet d’effritement des murs, avec des mots, des réflexions, des échanges. Ça les défrise de voir que nous lions dans nos colonnes la question sociale avec la diffusion des pratiques sécuritaires, l’omniprésence de la Loi et sa conséquence : la prison.
Ce serait un mensonge de croire que la prison provoque une mort lente et douloureuse ?
Les surveillantEs ne commettent jamais d’exaction, l’isolement est distribué avec parcimonie aux détenuEs qui souhaitent méditer sur leurs crimes, forcément odieux. Heureu sement que l’État, en son infinie sagesse, a mis à disposition des citoyenNEs fautives des lieux de repli et d’isolement. Le service public pénitentiaire ne mérite pas qu’on l’analyse, qu’on décortique son rôle social et surtout pas de la part de ses usagerEs forcéEs.
Les prisonniers et prisonnières qui nous écrivent, mentiraient honteusement ? Leurs gentilles surveillantEs ont alors bien raison de censurer leur courrier et, bien heureusement, les directeurs de prison les empêchent de lire ce tissu de mensonge qu’est l’Envolée.
Seul le premier numéro bénéficiant de l’effet de surprise a pu parvenir jusqu’à ses destinataires. Qu’ont-ils à faire d’un journal où s’exprimer ? Ils et elles n’en n’ont nul besoin. Si la loi (deo gracias) leur nie tout droit à l’organisation associative ou syndicale, ce n’est pas pour rien. Alors pouvoir lire un journal, écrire dedans qui plus est, vous n’y pensez pas. Prisonniers, prisonnières, amiEs de l’extérieur cessez donc d’alléguer des faits qui portent atteinte à la glorieuse administration pénitentiaire qui par son action de tous les jours contribue à rendre les séjours en prison agréables (séjours de plus en plus longs, la preuve que l’on s’y plaît, et d’ailleurs on y revient).
 Depuis sa création, la prison suscite des critiques, ça n’est pas une raison pour continuer de déverser nos mensonges orduriers sur ces joyaux de la république que sont les prisons françaises. Depuis les années 70, le Groupe d’information prison (GIP) et par la suite le Comité d’action des prisonniers (CAP) ont tenté de rendre le monde carcéral plus visible et questionné les causes et la pertinence de son existence. Aujourd’hui une telle action serait devenue diffamatoire ? Un journal comme l’Envolée n’aurait aucun intérêt de continuer cette critique, ainsi d’ailleurs que tous les autres journaux, fanzines, émissions de radio qui, par ignorance ou par bêtise, croient encore à l’importance de mener cette critique. Pourquoi remettre en cause l’enfermement quand chaque jour, des résultats probants nous assurent de l’utilité de la prison. Les centaines de prisonniers et prisonnières libéréEs, en sont la preuve "vivante". Ils et elles pètent la forme, sont pleins de vie, ont une envie
 folle de participer, à leur mesure, par un travail de merde payé des miettes, à la bonne marche de la société. La prison c’est bon mangez en.
 Alors quoi, si la détention n’est que la privation de la liberté et rien d’autre, pourquoi l’AP s’acharne-t-elle tant à faire taire ses pensionnaires ? Auraient-ils des choses à dire qui seraient susceptibles de porter atteinte à son image sans être de la diffamation ? Serait-elle prête à voir défiler a la barre des prisonnierEs ou d’ex-taulards venant témoigner de leurs conditions de détention ? L’accusation qui nous est faite de tenir des propos mensongers pourrait-elle résister devant ces témoignages ? Bien sûr, il faut qu’en plus de tout le reste les prévenuEs et condamnéEs arrêtent de penser, de s’exprimer, de s’organiser.
 Parce que nous ne croyons pas que les personnels pénitentiaires sont des Bisounours, parce que nous ne croyons pas qu’un autre monde soit possible tant que subsisteront ces lieux de supplices poussés à leurs raffinements, véritables peines d’élimination. Cette censure toute démocratique et légale nous encourage à continuer, à diffuser toujours plus largement les critiques de dedans et de dehors sur la noirceur des geôles et des villes sous surveillance.

L’Envolée
Le journal http://lejournalenvolee.free.fr/