Publié le mardi 22 novembre 2005 | http://prison.rezo.net/iv-article-12/ Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants Article 12 : Comme nous l’avons déjà soulevé lors de nos observations préalables au rapport périodique de la France en 1998, l’expérience acquise par l’ACAT à travers ses différents suivis souligne l’inertie des organes chargés d’enquêter lorsque sont révélés des faits de violences illégitimes par les forces de l’ordre. L’impératif recommandé par cet article 12 n’est pas pleinement réalisé tant par les autorités judiciaires chargées d’enquêter que par les organes internes d’inspection, créant une certaine impunité de fait [1]. Les inquiétudes émises et les recommandations faites à la France sur cette question par le Comité des droits de l’homme en 1997 ou par le Comité contre la torture en 1998 sont toujours d’actualité. De plus, comme l’énonce à juste titre le CPT la crédibilité de la prohibition de la torture et des autres formes de mauvais traitements est mise à mal chaque fois qu’une enquête n’est pas diligentée à la suite d’allégations de violences policières et chaque fois que les agents publics responsables de telles infractions ne sont pas tenus de répondre de leurs actes [2]. 1. LA DEFAILLANCE DES AUTORITES JUDICIAIRES CHARGEES D’ENQUETER Certes en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale, les OPJ sont tenus de signaler tout crime ou tout délit au procureur de la République. Mais trop souvent l’esprit de corps très fort au sein des forces de l’ordre conduit à ce que les agents se solidarisent pouvant aller jusqu’à couvrir les actes illégaux de leurs collègues. Il est donc primordial de rappeler constamment que ce genre d’attitude est condamnable et que toute personne qui sait ou a connaissance de violences exercées par un collègue engage sa responsabilité. 1.A Des doutes sur l’impartialité du procureur de la République Selon les dispositions de l’article 21 du Code de procédure pénale, le principe d’opportunité des poursuites permet au procureur de choisir s’il y a lieu de poursuivre ou non une affaire même si l’infraction est établie matériellement et juridiquement. Sans remettre en cause entièrement ce principe qui demeure un principe en phase avec la réalité, on peut mettre en doute l’impartialité de ce pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit d’affaires relatant des violences policières. Sans avoir accès aux chiffres de classement sans suite, il est tout de même possible d’affirmer, en se référant à de nombreuses sources informelles, qu’une bonne majorité d’affaires de violences policières est classée sans suite. Selon des estimations récentes, 80% des plaintes déposées par des parties civiles se sont conclues par un non-lieu [5]. Plusieurs raisons peuvent être avancées : Dans le rapport Violences policières en zone d’attente de mars 2003, l’ANAFE relate de nombreux témoignages de violences graves en zone d’attente, en centre de rétention et lors de renvois forcés en 2001, elle constate par la suite, en date de 2003, qu’une seule action pénale a aujourd’hui vu le jour, qui a été engagée à l’initiative du procureur de la République une heure après les faits, en raison de la dénonciation effectuée par les pairs de l’auteur des brutalités en cause [7]. 1.B Des procédures anormalement longues Au stade des poursuites, la majorité des procureurs de la République ne s’empressent pas d’engager des actions si la plainte de la victime est contredite par les témoignages des policiers en cause. Ils devraient veiller à ne pas accorder systématiquement un crédit absolu à la parole des forces de l’ordre et les témoignages des victimes de violences policières devraient d’avantage être pris en compte. Au stade de l’instruction aussi, les procédures pour des violences policières sont très longues : • L’affaire Aïssa Ihich a aussi révélé la lenteur et le manque d’impartialité des procédures. En 1991, Mr Ihich, âgé de 18 ans, est mort en garde à vue d’une crise d’asthme après avoir été roué de coups par des policiers. Ce n’est seulement qu’en mars 2001, soit 10 ans après les faits, que les deux policiers ont été condamnés à 10 mois de prison avec sursis par le Tribunal correctionnel de Versailles. En 2002, la Cour d’appel de Versailles a confirmé leur condamnation mais leurs peines ont été réduites à 8 mois avec sursis. Les fonctionnaires ont ainsi pu bénéficier d’une amnistie et poursuivre leur carrière dans la police. 2. L’INACTION DES AUTORITES HIERARCHIQUES ET DES ORGANES INTERNES D’INSPECTION POUR MENER DES ENQUETES PROMPTES ET IMPARTIALES Les enquêtes administratives sont confiées soit aux responsables hiérarchiques soit aux organes d’inspection du corps mis en cause. 2.A L’inertie flagrante de l’IGPN et de l’IGS De leur propre initiative ou sur la dénonciation d’une personne, les services du corps de l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) ouvrent des enquêtes sur l’allégation de violences policières. Elles donnent lieu à toutes vérifications utiles, auditions, témoignages, constations sur place. Seulement, on constate que l’administration interne de la police ne fait que peu ou pas d’enquêtes sur les plaintes concernant les mauvais traitements et sanctionne peu si les faits sont avérés. Les chiffres témoignent de cette inertie des organes d’inspection : Certes, il faut relever qu’aujourd’hui les victimes s’adressent plus systématiquement à l’IGPN et l’IGS ce qui augmente le nombres de plaintes. Mais comme le souligne le rapport d’activité 2002-2004 de la commission Citoyens-Justice-Police [9], les plaintes déposées auprès de l’IGS ou de l’IGPN sont en général classées sans suite. Dans la majorité des cas, l’IGPN/IGS ne retiennent pas le caractère illégitime des faits qui lui ont été soumis. La légitime défense [10] est souvent invoquée, le recours à la force ayant été absolument nécessaire compte tenu des circonstances de fait. C’est le cas de l’affaire Ali Saoud. En novembre 1998, trois policiers ont tué ce jeune tunisien en état de dépression nerveuse en l’étouffant par écrasement. L’IGPN, saisie de cette affaire, a conclu à de la légitime défense et a rendu difficile l’accès au dossier interne demandé par la famille. La famille a d’ailleurs porté plainte auprès de la CEDH pour le manque d’impartialité de l’enquête. Dans beaucoup de cas, les fonctionnaires de police, auteurs des violences, portent plainte pour outrage et rébellion à agent [11] ce qui peut pencher en leur faveur. Pour remédier à un tel manque d’indépendance et à une telle inertie, le CPT a recommandé la mise en place d’un certain nombre de garanties procédurales à respecter : Olivier Cyran, journaliste, constate que les extraits du greffe des tribunaux suffisent à démontrer la disparité des traitements juridiques quand des jeunes prennent de la prison ferme pour outrage ou rébellion à agent alors que des policiers bénéficient d’une certaine impunité. De l’autre côté : L’augmentation statistique des poursuites pour outrage et rébellion aux forces de l’ordre suggère que « la haine des flics » est proportionnelle à leur impunité [12]. 2.B L’inertie des organes internes pour enquêter en prison Comme nous l’avons cité plus haut lors de l’étude de la surveillance de l’emprisonnement, les mécanismes de contrôle existants présentent des lacunes et peu d’enquêtes sont diligentées lorsque des violences sont commises par des surveillants. Les deux instances de contrôle interne (Inspection générale des services judiciaires et Inspection des services pénitentiaires) lavent le linge sale en famille, en toute confidentialité, avec généralement pour conséquences des sanctions disciplinaires et une absence de poursuites pénales contre les agents en cause [13]. L’affaire de l’intervention violente au quartier des mineurs de Chambéry [14] en juillet 2003 en est la preuve. Deux détenus ont été gravement violentés par deux surveillants et par le chef d’établissement. L’inspection, prévenue le jour même, s’est juste contentée de conseiller au chef d’établissement de suivre un module de formation à la « gestion des crises ». Ce constat nous prouve encore la nécessité d’un contrôle extérieur et permanent des prisons afin de s’assurer du traitement correct des détenus..., permettre le traitement des différends, source de tensions, et instaurer l’indispensable transparence dans ce monde clos. Pour être efficace, ce contrôle doit avoir une indépendance par rapport au pouvoir politique et à l’administration pénitentiaire, ainsi qu’une objectivité reconnue par tous [16]. 3. UN RECOURS LIMITE A LA COMMISSION NATIONALE DE DEONTOLOGIE DE LA SECURITE (CNDS) La CNDS [17] permet un recours utile aux citoyens, au service d’une transparence accrue des services de sécurité. Néanmoins, le fait que sa saisine nécessite l’intermédiaire d’un parlementaire limite le nombre de saisines et, a minima, les retarde. La CNDS est souvent saisie par les victimes déçues du non-aboutissement de leur plainte déposée au commissariat, à l’IGPN/IGS ou bien au Parquet. Mais cette saisine se révèle restreinte et les pouvoirs de la Commission se révèlent très restreints face à une telle mission. 3.A Une saisine trop restreinte La saisine de la CNDS [18] n’est possible que par l’intermédiaire d’un parlementaire, du 1er ministre ou du Défenseur des enfants (Loi du 18 mars 2003). Cette procédure présente plusieurs inconvénients : 3.B Faiblesse de ses ressources La CNDS dispose de prérogatives considérables en matière d’enquête [19]. Elle peut : Alors qu’elle connaît une intensification de son activité, son budget de fonctionnement se voit considérablement diminué [20]. 3.C Difficultés de relais avec le procureur de la République La CNDS a l’obligation de transmettre ses conclusions au procureur de la République, mais celui-ci ne demeure pas lié par ces conclusions. [1] Dans un rapport publié en 1998, Amnesty International dénonçait l’impunité de fait dont jouissent, en France, les auteurs de violences policières. [2] 14ème rapport général d’activités du CPT, p.11 [3] Rapport de la commission d’enquête chargée par l’Assemblée Nationale sur la situation dans les prisons françaises, 28 juin 2000, p.84 [4] op.cit., p.12 [5] Chiffres cités dans le Monde, 9 septembre 2004 [6] op.cit., p12 [7] Violences policières en zone d’attente, mars 2003, ANAFE, p.12 [8] Affaire A.Selmouni contre France, 11 décembre 1997, requête n°25803/94 [9] La commission Citoyens-Justice-Police a été mise en place en juillet 2002 composée de la Ligue des droits de l’homme, du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature. Son étude de 2002-2004 s’est penchée sur les rapports entre les citoyens et les forces de l’ordre, sur le contrôle et le traitement de ces rapports par l’institution judiciaire [10] Article 122-5 du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf si il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte » [11] Article 433-5 et 433-6 du Code pénal [12] « Violences policières impunies », O.Cyran, Manière de voir, Le Monde diplomatique, octobre 2004, p.30 [13] « Contrôler les prisons ? », P. Marest, in Dedans-Dehors, septembre 1999, p.9 [14] « intervention violente au quartier des mineurs de Chambéry », F. Carlier, in Dedans-Dehors, décembre 2004 [15] « Lenteur et défaillances de l’ISP », F. Carlier, in Dedans-Dehors, décembre 2004, p.7 [16] Rapport de la commission Canivet, « L’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires », La Documentation française, 2000, p.205 et suivantes [17] Loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 (modifiée par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure) [18] Article 4 de la loi n°2000-494 du 6 juin 2000 [19] Article 5 et 6 de la loi n°2000-494 du 6 juin 2000 [20] CNDS, rapport 2003, Ed. La documentation française, p.20 [21] op cit, p 18 |