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Proposition de résolution sénatoriale du 10 mars 2005 sur l’échange d’informations sur les condamnations pénales et à l’effet de celles-ci dans l’Union européenne

Publié le mardi 17 janvier 2006 | http://prison.rezo.net/proposition-de-resolution/

N° 241
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005
Annexe au procès-verbal de la séance du 10 mars 2005

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

présentée au nom de la délégation pour l’Union européenne (1), en application de l’article 73 bis du Règlement, sur le Livre blanc relatif à l’échange d’informations sur les condamnations pénales et à l’effet de celles-ci dans l’Union européenne (E 2821),
Par M. Pierre FAUCHON
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Yannick Bodin, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, André Dulait, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Melot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Turk, Serge Vinçon.

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Union européenne -
EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La création d’un registre européen des condamnations est aujourd’hui une priorité de l’espace judiciaire européen.
Les lacunes en matière de circulation de l’information sur les antécédents judiciaires des personnes ont été récemment illustrées par plusieurs affaires de pédophilie.
Pour autant, l’idée d’un casier judiciaire européen peut revêtir différentes formes. Faut-il simplement améliorer l’échange d’informations sur les condamnations judiciaires entre les États membres ? Peut-on également envisager une mise en réseau des casiers judiciaires nationaux ? Faut-il au contraire privilégier la création d’un fichier centralisé au niveau européen ?
Ce chantier est d’ores et déjà ouvert, puisque le Sénat est saisi, en application de l’article 88-4 de la Constitution, d’un Livre blanc de la Commission, qui propose un programme d’action ambitieux pour faciliter les échanges d’informations sur les condamnations pénales entre les États membres.
Parallèlement, la France et l’Allemagne, rejointes par l’Espagne et la Belgique, ont créé un groupe de travail chargé de préparer une interconnexion de leurs casiers judiciaires nationaux. La mise en réseau des casiers judiciaires de ces pays devrait être opérationnelle cette année et d’autres partenaires pourraient se joindre à cette initiative, qui s’apparente à une sorte de « coopération renforcée ».
1. La situation actuelle
Actuellement, la communication d’antécédents judiciaires entre les États membres repose principalement sur les dispositions de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, conclue dans le cadre du Conseil de l’Europe. Cette convention prévoit deux types d’échanges d’avis de condamnation :

  • d’une part, chaque État donne avis aux autres États, au moins une fois par an, des condamnations pénales prononcées sur son territoire à l’encontre de leurs ressortissants. Cela permet à ces États d’enregistrer les condamnations dans leurs propres casiers judiciaires, sous réserve de la compatibilité de celles-ci avec leurs propres concepts juridiques (équivalence d’une infraction, etc.) ;
  • d’autre part, tout État requis doit communiquer, sur demande d’un État requérant « pour les besoins d’une enquête pénale », les extraits de casier judiciaire concernant toute personne dénommée. Dans les autres cas (demande d’avis de condamnation hors le cas d’une procédure pénale, notamment au profit d’autorités administratives ou de particuliers, y compris la personne concernée) la convention prévoit qu’il est donné suite à la demande « dans les conditions prévues par la législation, les règlements ou la pratique de la partie requise ».
    En pratique, ces échanges d’informations fonctionnent de manière imparfaite. Selon la Commission, on constate trois dysfonctionnements :
  • en premier lieu, certains Etats n’enregistrent pas du tout dans leur propre casier judiciaire les condamnations prononcées dans d’autres États membres à l’encontre de leurs ressortissants ;
  • en deuxième lieu, le mécanisme issu de la convention de 1959 pour obtenir les antécédents judiciaires d’une personne dans un autre État membre fonctionne mal. Ainsi, en 2002, la France aurait adressé seulement 8 demandes d’extraits de casier judiciaire à l’Allemagne pour environ 424 condamnations prononcées à l’encontre de ressortissants allemands. En conséquence, il est très fréquent, selon la Commission, que les autorités judiciaires d’un État prononcent des peines à l’encontre de ressortissants d’autres États membres en totale méconnaissance des condamnations éventuellement prononcées dans ces États ;
  • en dernier lieu, les informations en provenance d’autres États membres ne sont pas toujours comprises par les autorités judiciaires de l’Etat requérant, en raison notamment des problèmes de traduction, ainsi que de l’hétérogénéité des systèmes juridiques. Ainsi, on estime que plus de 40 % des éléments figurant dans un casier judiciaire allemand qui fait l’objet d’une transmission au casier judiciaire français ne sont pas reproduits dans ce dernier.
    2. Le Livre blanc de la Commission
    Dans son Livre blanc, la Commission européenne préconise le recours à une solution intermédiaire entre la constitution d’un casier judiciaire européen et la mise en réseau des casiers judiciaires nationaux.
    Cette solution nécessiterait deux étapes.
    a) Dans une première phase, la Commission préconise la mise en place d’un index européen des personnes ayant déjà fait l’objet de condamnations, afin de permettre de repérer rapidement le ou les États membres dans lesquels la personne a déjà été condamnée.
    Cet index reprendrait uniquement les éléments permettant d’identifier la personne (le nom, le prénom, le lieu et la date de naissance, la nationalité, etc.) et l’État membre dans lequel elle a déjà été condamnée. Il ne porterait pas sur le contenu et la forme de la condamnation. En interrogeant l’index, un État membre pourra savoir automatiquement si la personne a déjà fait l’objet d’une condamnation et dans quel État. Il pourra ensuite s’adresser directement à cet État pour obtenir le descriptif de la condamnation.
    Au terme d’une première étude de faisabilité technique, la Commission envisage de déposer prochainement une proposition de décision relative à la mise en place de cet index européen. Sa création implique, selon la Commission, l’adoption au niveau de l’Union d’une définition commune de la notion de condamnation pénale.
    b) Dans une deuxième phase, afin d’accélérer encore la circulation des informations et de garantir que ces informations seront immédiatement compréhensibles et utilisables par tous, la Commission propose l’élaboration d’un « format européen standardisé ». Celui-ci devrait notamment permettre d’intégrer des informations relatives à la personne faisant l’objet de la décision, à la forme de la décision, aux faits ayant donné lieu à la décision et au contenu de celle-ci. Pour la Commission, « chacune de ces données devrait faire l’objet d’une définition précise et, si possible, être codifiée, afin de faciliter la traduction ».
    3. L’objet de la proposition de résolution
    a) Encourager la mise en place rapide d’un « format européen standardisé »pour les informations extraites des casiers judiciaires.
    b) Soutenir la proposition de la Commission européenne de créer un « index européen des personnes ayant déjà fait l’objet de condamnations pénales.
    La création d’un « index européen des personnes ayant déjà fait l’objet de condamnations pénales » présenterait deux mérites importants par rapport au dispositif existant de la convention de 1959, qui a montré ses limites, et au projet quadripartite d’interconnexion des casiers judiciaires nationaux :
  • d’une part, la création de cet index serait de nature à résoudre le problème des ressortissants de pays tiers ou de personnes dont la nationalité est inconnue. En effet, pour ces personnes, il est nécessaire actuellement d’interroger les casiers des 24 autres États membres pour savoir si elles ont déjà fait l’objet de condamnations au sein de l’Union.
  • d’autre part, la création de cet index permettrait de mieux connaître les antécédents judiciaires d’une personne. Actuellement, la convention de 1959 repose sur une centralisation des condamnations dans l’État membre de nationalité. Cela signifie que les condamnations étrangères enregistrées suivent le régime juridique de l’État membre de nationalité. Or, il n’est pas toujours pertinent de prendre pour référence l’État de nationalité, mais il peut être parfois utile de s’adresser directement à l’Etat de condamnation.
    Afin de ne pas surcharger la mise en place de cet index, il pourrait être utile de limiter son champ aux infractions d’une certaine gravité.
    c) Demander à la Commission européenne d’étudier la faisabilité d’un casier judiciaire européen catégoriel pour certaines infractions transnationales comme le terrorisme, la fraude au budget communautaire, le blanchiment de l’argent sale ou la traite des êtres humains.
    Pour certaines infractions transnationales, tels que le terrorisme international, la traite des êtres humains, le blanchiment de l’argent sale ou la fraude au budget communautaire, il serait utile de disposer d’un fichier central pour éviter d’interroger systématiquement les casiers judiciaires des 24 autres États membres.
    Tout ceci n’enlève rien au grand mérite du projet quadripartite d’interconnexion des casiers judiciaires, lancé entre la France, l’Allemagne, l’Espagne et la Belgique. Ce projet devrait, en effet, pouvoir faire l’objet à terme d’une généralisation à l’ensemble des vingt-cinq États membres.
    En réalité, pour votre délégation pour l’Union européenne, il n’y a pas véritablement d’incompatibilité entre la mise en réseau des casiers judiciaires de ces pays et le projet de la Commission de créer un « index européen des personnes ayant déjà fait l’objet de condamnations », puisque les deux démarches sont complémentaires et qu’elles vont dans le même sens.
    Pour ces raisons, la délégation pour l’Union européenne a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :

    PROPOSITION DE RÉSOLUTION

    Le Sénat,
    Vu l’article 88-4 de la Constitution,
    Vu le Livre blanc relatif à l’échange d’informations sur les condamnations pénales et à l’effet de celles-ci dans l’Union européenne (texte E 2821),
    Invite le Gouvernement à :
  • encourager la mise en place rapide d’un « format européen standardisé » pour les informations extraites des casiers judiciaires ;
  • approuver la création d’un index européen des personnes ayant fait l’objet de condamnations, limité aux infractions d’une certaine gravité ;
  • demander à la Commission européenne de lancer une étude sur la faisabilité d’un casier judiciaire européen catégoriel pour certaines infractions transnationales, comme le terrorisme, la fraude au budget communautaire, le blanchiment de l’argent sale ou la traite des êtres humains.