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Rapport du Commissaire européen aux Droits de l’Homme sur le respect effectif des droits de l’Homme en France (Alvaro Gil Robles, février 2006)

Publié le mercredi 15 février 2006 | http://prison.rezo.net/rapport-du-commissaire-europeen/


OFFICE OF THE COMMISSIONER
FOR HUMAN RIGHTS
___________________

BUREAU DU COMMISSAIRE
AUX DROITS DE L’HOMME 

Strasbourg, le 15 février 2006 
CommDH(2006)2 
Version originale

RAPPORT

DE M. ALVARO GIL-ROBLES,
COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME,

SUR LE RESPECT EFFECTIF
DES DROITS DE L’HOMME EN FRANCE

SUITE A SA VISITE DU 5 AU 21 SEPTEMBRE 2005

à l’attention du Comité des Ministres
 et de l’Assemblée Parlementaire

 
Tables des Matières

I. INTRODUCTION

II. REMARQUES GENERALES

III. LE FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE
1. Observations générales 
2. Les conditions de travail dans les tribunaux 
a. Problèmes matériels des locaux 
b. Personnel auxiliaire de justice au sein des tribunaux 
c. Problèmes de sécurité 
3. Le rôle de l’avocat 
a. La procédure de la garde à vue et la présence d’un avocat 
b. Interrogations relatives au statut de la profession d’avocat liées à l’adoption de la loi dite Perben II

IV. LE SYSTEME PENITENTIAIRE
1. Problèmes généraux liés au manque de financement
a. La surpopulation 
b. Les maisons d’arrêt et les établissements pour peine
c. Le coût de la vie
d. Nécessité de mettre en place une politique de réinsertion 
e. L’aide au maintien des liens familiaux
2. Procédure disciplinaire et placement en isolement 
a. Procédure disciplinaire 
b. Procédure de placement en isolement 
3. L’organisation des soins en prison 
a. Les maladies somatiques et les addictions 
b. Les maladies psychiatriques 
i. Aperçu du problème 
ii. Les Services Médico-Psychologiques Régionaux
iii. Le traitement des détenus à l’extérieur des établissements pénitentiaires

V. L’ACTION DES FORCES DE L’ORDRE 
1. Nécessité de l’application du principe de proportionnalité dans l’action des forces de l’ordre
2. Contrôle de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité 

VI. LA SITUATION DES ETRANGERS
1. Les zones d’attente
a. La procédure de maintien en zone d’attente 
b. Les conditions de maintien en zone d’attente
c. La demande d’asile à la frontière 
2. L’asile de droit commun et les demandeurs d’asile 
a. La réforme du droit d’asile 
b. La procédure devant l’OFPRA 
c. La Commission de Recours des Réfugiés 
d. Les droits sociaux réservés aux demandeurs d’asile
e. La liste des pays d’origine sûrs 
f. La procédure prioritaire 
g. Les déboutés du droit d’asile et l’accès à l’Aide Médicale d’Etat 
3. Les centres de rétention administrative 
a. La procédure de placement en centre de rétention administrative 
b. Les conditions de rétention 
c. La demande d’asile en centre de rétention administrative 
d. Le faible taux de reconduite à la frontière des retenus 
e. La présence d’enfants dans les centres de rétention
4. Allégations de violences lors des expulsions et des reconduites à la frontière
5. Les « charters »
 
VII. LA SITUATION PARTICULIERE DES MINEURS 
1. Les mineurs délinquants et le débat autour de l’âge de la responsabilité pénale
2. Les structures pour mineurs délinquants
a. Les centres éducatifs fermés 
b. Les quartiers pour mineurs dans les établissements pénitentiaires 
3. Les mineurs étrangers isolés 
4. Les jeunes errants 
 
VIII. LES PROBLEMES DE RACISME, D’ANTISEMITISME, DE XENOPHOBIE ET LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS
1. Les principales tendances 
a. La montée du racisme 
b. Les principales discriminations et leurs victimes 
2. Les moyens de lutte contre le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie et les discriminations 
a. La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie 
b. Les actions menées pour lutter contre les discriminations

IX. LES GENS DU VOYAGE ET LES ROMS
1. Les Gens du Voyage 
2. Les Roms 
 
X. LES GROUPES VULNERABLES 
1. Violences domestiques 
2. Traite des êtres humains 
3. Les personnes handicapées mentales et l’hospitalisation sous contrainte
 

I. INTRODUCTION

Conformément à l’article 3 e) de la Résolution (99) 50 du Comité des Ministres sur le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, j’ai accepté l’invitation du Ministre des Affaires Etrangères de la République française, M. Philippe Douste-Blazy, à effectuer une visite officielle du 5 au 21 septembre 2005. Je me suis rendu en France, accompagné de MM. Alexandre Guessel et John Dalhuisen, et de Mlle Aurélie Campana, tous trois membres de mon Bureau. Je souhaiterais d’emblée remercier les autorités françaises pour leur pleine collaboration et les moyens déployés en vue de l’organisation réussie de cette visite. Je voudrais à ce titre exprimer mes plus sincères remerciements à MmeAnnie-Claire Mari, agent du Ministère des Affaires Etrangères, pour son aide précieuse lors de la préparation de cette visite, de la mise en œuvre du programme, et tout au long de la visite au cours de laquelle elle m’a d’ailleurs accompagné. Je suis également très reconnaissant à M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, pour ses précieux conseils, son aide à la réalisation et finalement sa participation à plusieurs étapes de ce voyage.

Au cours de la visite, j’ai bénéficié de la totale coopération des autorités françaises qui ont accédé à l’ensemble de mes demandes relatives aux visites des lieux et des établissements. J’ai également eu la possibilité de partager mes impressions avec les hauts représentants de l’Etat. J’ai ainsi pu m’entretenir avec des membres du gouvernement - M. Nicolas Sarkozy, Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires Etrangères, M. Pascal Clément, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Mme Catherine Vautrin, Ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, que je remercie pour les discussions constructives que nous avons eues. Je regrette toutefois de ne pas avoir pu rencontrer M. Azouz Begag, Ministre délégué à la Promotion de l’Egalité des Chances, au cours des semaines qu’a duré ma visite officielle.

Cette visite m’a également donné l’opportunité de m’entretenir avec différents représentants du pouvoir judiciaire. Ma reconnaissance va en particulier à M. Renaud Denoix de Saint-Marc, Vice-Président du Conseil d’Etat, M. Bruno Cotte, Président de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, M. Régis de Gouttes, Premier avocat général à la Cour de Cassation de Paris, M. Yves Bot, Procureur Général près la Cour d’appel de Paris et M. Bestard, Procureur Général près de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, M. Jacques Beaume, Procureur de la République de Marseille. Je ne peux malheureusement pas citer ici tous mes interlocuteurs, mais leur exprime ma plus sincère gratitude pour leur disponibilité et la sincérité des vues échangées. Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec des représentants de plusieurs syndicats de la magistrature sur des sujets très divers.

J’ai été très heureux de recueillir des sentiments des représentants des barreaux de France quant à la situation actuelle des libertés publiques. Je voudrais en particulier remercier M. Jean-Marie Burguburu, Bâtonnier du barreau de Paris, MM. Thierry Wickers et Frank Natali, Président et Vice-Président de la Conférence des Bâtonniers, ainsi que M. Laurent Pettiti, Membre du Conseil de l’Ordre des avocats de Paris et Délégué du Bâtonnier pour les droits de l’Homme, pour le temps qu’ils m’ont consacré. Plus généralement, je remercie tous mes interlocuteurs, aussi bien magistrats qu’avocats, pour les précisions qu’ils m’ont fournies et les avis qu’ils m’ont transmis.

Dans toutes les régions et villes que j’ai traversées, Marseille, Aix-en-Provence, Avignon, Paris, la Normandie, Pau, Lannemezan, la Corse et les villes de Bastia et Strasbourg, j’ai rencontré les Préfets avec lesquels j’ai eu de fructueuses discussions : M. Christian Frémont, Préfet des Bouches du Rhône et de la région PACA, M. Jacques Barthélémy, Préfet de Seine-et-Marne, M. Pierre Mutz, Préfet de Police, M. Emmanuel Berthier, Préfet des Hautes Pyrénées, et M. Jean-Claude Faugère, Préfet du Bas-Rhin et de la région Alsace.

Je remercie également les responsables et les élus locaux qui m’ont fourni des informations complètes sur la situation locale. J’ai ainsi rencontré M. Allégrini, adjoint au Maire de Marseille, M. Shapira, adjoint au Maire de Paris et M. Grossman, Président de la Communauté Urbaine de Strasbourg.

J’exprime également ma reconnaissance aux directeurs des nombreux établissements que j’ai visités - centres pénitentiaires, centres de rétention pour étrangers, zones d’attente aéroportuaires...-, ainsi que les responsables des commissariats dans lesquels je me suis rendu.

Je voudrais exprimer ma profonde reconnaissance à Mme Josette Durrieu, Sénatrice des Hautes-Pyrénées, pour son aide inestimable dans la préparation et la réalisation de ma visite à Lannemezan au cours de laquelle elle m’a gentiment accompagné.

Cette visite très dense m’a permis de dialoguer avec des présidents d’autorités indépendantes, M. Schweitzer, Président de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité, et Mme Blandine Kriegel, Présidente du Haut Conseil à l’Intégration. Elle a également donné lieu à des échanges de vues très constructifs avec Mme Claude Brisset, Défenseure des Enfants, M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, et M. Doucin, Ambassadeur chargé des Droits de l’Homme. Je tiens tout particulièrement à saluer l’accueil qui m’a été réservé à la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (ci après « CNCDH »), et la richesse des débats échangés avec les représentants des ONG présents lors de la réunion. J’adresse tous mes plus sincères remerciements à son Président le Préfet Thoraval.

J’ai également rencontré M. Mohamed Boukry, Représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (ci-après « UNHCR ») en France, ainsi que des représentants de la société civile. Je voudrais souligner le rôle incontournable joué par les organisations non gouvernementales et les associations qui oeuvrent quotidiennement sur le terrain et qui m’ont énormément aidé durant la phase préparatoire de mon voyage, comme tout au long de la visite. Je remercie particulièrement Mme Hélène Gacon, Présidente de l’Anafé, M. Pierre Henry, Secrétaire général de « France Terre d’asile » et M. Laurent Giovannoni, Secrétaire général de la Cimade. Je ne pourrais malheureusement pas citer ici tous ceux qui nous ont aidé, mais je leur adresse toute ma sincère gratitude. La coopération amicale avec plusieurs de ces ONG m’a permis de visiter des lieux très différents, gérés par ces associations, et d’établir un véritable dialogue sur des sujets fondamentaux de droits de l’homme.

II. REMARQUES GENERALES

1. La France est l’un des pays fondateurs du Conseil de l’Europe. Elle a signé la Convention européenne de Droits de l’Homme en 1950 et l’a ratifiée le 3 mai 1974. En 1981, elle a reconnu le droit de recours individuel devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci-après « CEDH »). La France est également partie à la Charte sociale européenne ainsi qu’à la totalité des articles de la Charte sociale européenne révisée. Toutefois elle n’a toujours pas signé, ni ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et le Protocole 12 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (ci-après « la Convention »), ce qui est regrettable. De plus, si elle a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, le Protocole 14 à la Convention amendant le système de contrôle de la Convention, et le Protocole 13 relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, elle n’a pas ratifié ces instruments juridiques pourtant importants dans une perspective de lutte contre les violations des droits de l’homme. Je ne peux qu’inviter la France à réfléchir à la ratification prochaine de ces instruments.

2. La France, souvent considérée par un grand nombre d’Européens comme la Patrie de Droits de l’Homme, offre en effet un niveau élevé de protection des droits de l’homme. Elle possède une législation complète en la matière et assume un rôle important sur la scène internationale dans ce domaine. La France n’en reste pas moins traversée par des difficultés persistantes, voire récurrentes, ainsi que l’illustre le nombre important d’affaires portées devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Ces problèmes sont connus et reconnus par les principaux acteurs, au premier rang desquels les représentants du gouvernement. Je tiens à ce titre à souligner encore une fois la transparence qui a caractérisé ma visite et la collaboration sans faille de toutes les institutions à son organisation et à son déroulement. J’ai ainsi pu librement visiter tous les lieux que je souhaitais, y compris ceux qui sont considérés comme les plus sensibles.

3. L’image que la France véhicule dans le domaine des droits de l’homme tient également aux activités et aux engagements des ONG et des associations qui officient sur le terrain auprès des personnes les plus vulnérables. J’ai pu apprécier l’énorme travail fourni par ces ONG et combien leur investissement pour la cause des droits de l’homme contribue à la bonne réputation de la France en la matière. Elles sont également pleinement investies dans l’identification des problèmes. La production de nombreux rapports aide incontestablement à la mise en évidence des difficultés propres à la France et, plus généralement, à une prise de conscience. Comme je l’ai toujours souligné le rôle de la société civile est primordial. Il me semble d’autant plus important en France que l’Etat délègue depuis plusieurs décennies certaines de ses prérogatives à des associations ou ONG habilitées. Cela permet à n’en pas douter une grande richesse dans l’approche des problèmes et de leurs solutions. Toutefois, ces ONG et les actions sociales qu’elles mènent auprès des plus faibles et des plus démunis sont largement tributaires des financements publics. Dès lors, quand ces derniers diminuent, comme cela semble le cas actuellement, c’est tout un pan de l’action en faveur de la lutte pour le respect des droits de l’homme qui s’en trouve, si ce n’est menacé, du moins remis en question. Un premier décalage entre le discours et la pratique m’est apparu à ce niveau.

4. De plus, si la France possède une législation renforcée, ma visite m’a permis de soulever plusieurs problèmes. Toutefois, avant de revenir sur les principales difficultés que j’ai identifiées, je souhaiterais faire une remarque générale. Partout où je me suis rendu, j’ai noté que la mise en œuvre de la législation s’efface parfois devant l’appel à la tradition. Combien de fois n’ai-je pas entendu : « nous avons toujours fait comme cela », « c’est comme cela depuis longtemps », ou encore, « la situation n’évolue que très lentement ». Cette constatation est loin de relever d’une simple anecdote car elle pose un évident problème d’effectivité du respect des droits de l’homme. Je ne veux pas dire par là que les autorités françaises n’ont pas conscience des problèmes. Bien au contraire, comme je l’ai mentionné plus haut, les difficultés auxquelles la France est confrontée ne sont pas nouvelles et sont ordinairement connues des responsables politiques nationaux comme locaux.

5. Cependant, j’ai l’impression que la France ne se donne pas toujours les moyens suffisants pour mettre en œuvre un arsenal juridique relativement complet, qui offre un haut niveau de protection en matière de droits de l’homme. Il semble ainsi exister dans certains domaines un fossé qui peut s’avérer très large entre ce qu’annoncent les textes et la pratique. Cette remarque générale traverse le présent rapport qui aborde les principales insuffisances en matière de respect des droits de l’homme, et les grands défis auxquels la France doit faire face aujourd’hui.
 

III. LE FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE

1. Observations générales

6. Le fonctionnement de la justice est une question que je suis amené à étudier dans tous les Etats membres qu’il s’agisse des nouvelles démocraties ou d’Etats dont la tradition démocratique n’est plus à démontrer. La France n’a évidemment pas échappé à cette règle. Cette visite m’a donné une très bonne possibilité d’approcher la situation de la justice française, de mieux comprendre ses succès et d’évoquer avec mes interlocuteurs ses difficultés.

7. Je ne pense pas qu’il faille revenir sur les acquis de l’Etat français en matière de construction de l’Etat de droit. Personne n’a de doute sur la performance des textes législatifs français dont certains se situent au cœur même du concept des droits de l’homme. Je ne reviendrai pas ici sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 - texte fondateur en la matière, qui a influencé l’histoire de l’Europe. La grande tradition du droit et de la justice français se retrouve également dans ce texte législatif de première importance qu’est le Code civil de 1804.

8. Avant de présenter un certain nombre de réflexions quant aux problèmes de la justice décrits par différents représentants des corps juridiques, je voudrais faire une remarque générale qui m’a été présentée par la quasi-totalité de mes interlocuteurs. En effet, qu’il s’agisse de magistrats, d’avocats ou de représentants de l’exécutif, tous ont attiré mon attention sur une tendance apparemment très caractéristique de ces dernières décennies en France. A chaque fois que surgit un nouveau phénomène de société qui pose problème, le législateur tend à légiférer assez rapidement pour y réagir. Dès lors, il semble que depuis un certain temps le nombre de textes adoptés par le législateur affiche une constante croissance.

9. Il est évident que l’initiative d’adapter la législation à l’évolution de la société est nécessaire, mais dans le même temps, cela ne devrait pas prendre une dimension telle que les professionnels du droit, ainsi que les citoyens, n’arrivent plus à suivre ce processus. Or, selon nos nombreux interlocuteurs, il paraît que cela se produit de plus en plus. Lors de nos rencontres avec des représentants des Barreaux français la tendance actuelle a même été qualifiée de « prolifération législative ».

10. La même inquiétude nous a été exprimée par nos différents interlocuteurs de la magistrature. Durant une très intéressante rencontre au Tribunal de Grande Instance de Marseille, le Procureur de la République de la ville nous a fait savoir que la multiplication importante de textes législatifs, y compris en matière de procédure pénale, pose d’importants problèmes aux magistrats et aux avocats. Ainsi, pour reprendre ses propos, conséquemment à l’évolution très rapide de la procédure pénale, les magistrats se retrouvent actuellement de plus en plus souvent dans une situation dans laquelle ils sont obligés de consacrer largement plus de temps à l’examen des questions de forme plutôt qu’au traitement de fond des dossiers.

11. La multiplication de plus en plus rapide des textes législatifs risque de créer à terme un problème d’insécurité juridique car les professionnels du droit ne disposent plus d’un temps suffisant pour se préparer à l’entrée en vigueur de nouveaux textes. Ainsi, l’adoption récente de la « Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité », dite loi Perben II, a posé selon nos interlocuteurs un certain nombre de difficultés aux magistrats et aux avocats français.

12. En effet, il s’agit d’un texte important et très ambitieux dont les dispositions visent, entre autres, à permettre à la France de moderniser sa procédure pénale et à se mettre à jour avec certaines de ses obligations internationales. Ainsi, ce texte a retranscrit dans le droit français des dispositions relatives au mandat d’arrêt européen. Il permet encore à la France de se mettre en conformité avec les exigences de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en matière de procédure de jugement par contumace. Et ce ne sont que deux exemples parmi d’autres qui illustrent les apports importants de cette loi. En même temps, force est de constater que les 224 articles de la loi ont entraîné la modification de 350 des 934 articles du Code de procédure pénale et de 70 articles du Code pénal, ce qui constitue l’une des plus importantes réformes de la procédure pénale française. Or, une grande majorité de ces modifications est entrée en vigueur quasi-instantanément, c’est-à-dire 4 à 5 jours après la publication de la loi au Journal officiel, ce qui a provoqué de grandes difficultés pour des professionnels du droit. En effet, il est parfaitement compréhensible qu’il ne soit pas facile pour un magistrat ou un avocat d’assimiler une réforme si conséquente en si peu de temps.

13. C’est pourquoi je considère qu’il faut absolument être à l’écoute des juristes français lorsqu’ils demandent qu’une pause soit faite dans ce qu’ils nomment une « pluie législative », afin de leur laisser le temps d’assimiler les nouveaux textes. Dans ce contexte, je dois constater avoir observé la position très compréhensive du gouvernement français. En effet, lors de ma rencontre avec le Ministre de la Justice, M. Pascal Clément, celui-ci m’a affirmé parfaitement comprendre les préoccupations des professionnels du droit. Le Garde des Sceaux m’a informé que le gouvernement actuel avait décidé de procéder à une pause et de réduire le nombre de projets législatifs déposés devant le Parlement.

14. Par ailleurs, un certain nombre de mes interlocuteurs m’ont fait part d’autres réflexions encore plus poussées. Si d’un côté ils remarquent une tendance très présente à légiférer chaque fois qu’un problème est posé, aucun ne nie qu’une évolution de la procédure pénale n’ait été nécessaire. Dans ce contexte, j’ai entendu beaucoup de mes interlocuteurs regretter des changements assez hâtifs en la matière. L’exemple de la réforme du Code pénal en 1994 m’a souvent été cité. En effet, cette réforme a été bien préparée, en particulier par la Commission dite Badinter dont le travail a duré environ 10 ans pour aboutir à la rédaction d’un nouveau Code. Ce travail a également permis de bien préparer l’entrée en vigueur de ce nouveau texte qui s’est faite de manière échelonnée.

15. Dès lors, selon mes interlocuteurs, il serait probablement utile de réfléchir à l’utilité d’entamer une réflexion globale relative aux besoins et à l’avenir de la procédure pénale dans la France du XXIe siècle. Cette réflexion pourrait éventuellement aboutir à la rédaction d’un nouveau Code de procédure pénale et à la préparation de son entrée en vigueur de la manière la plus consensuelle qui soit.

16. Je voudrais maintenant faire un certain nombre de remarques ponctuelles relatives aux principales questions liées au fonctionnement de la justice en France que j’ai pu observer durant la visite.

2. Les conditions de travail dans les tribunaux

a. Problèmes matériels des locaux

17. Certains des problèmes que rencontrent les tribunaux français ne sont un secret pour personne. Ils font d’ailleurs l’objet d’une large discussion publique au sein de la société depuis assez longtemps déjà. Nous savons que les lenteurs de la justice française ont été à plusieurs reprises relevées par la Cour européenne des droits de l’homme , y compris récemment.

18. La surcharge des tribunaux n’est certainement pas le seul problème ; d’autres critiques ont également été formulées. C’est pourquoi j’ai tenu à me rendre dans les locaux des tribunaux pour pouvoir non seulement discuter avec les magistrats des principales difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leurs fonctions, mais également pour voir de mes propres yeux les principaux problèmes. J’ai ainsi visité les tribunaux de Grande Instance de Paris, de Marseille, de Bobigny et de Bastia, les Cours d’appel de Paris et d’Aix en Provence, sans oublier les très riches discussions que j’ai eues à la Cour de Cassation et au Conseil d’Etat.

19. Je suis très reconnaissant à tous ceux des magistrats et avocats qui ont accepté de me consacrer de leur temps, et de me faire part de leurs observations. Il s’agit avant tout de l’opinion de ceux qui connaissent le mieux les points forts et les faiblesses des juridictions françaises. Me trouvant au sein des tribunaux, j’ai souvent pu me rendre compte de la pertinence des remarques qui m’ont été présentées.

20. Il ne faut pas être fin connaisseur des juridictions pour constater le manque criant de moyens de la justice française. En effet, la grande majorité des locaux que j’ai visités se caractérise par leur étroitesse, voire leur caractère exigu. Il est évident que les tribunaux ne disposent pas d’un espace suffisant. D’ailleurs, ce n’est pas seulement le cas du Palais de Justice de Paris, ce magnifique édifice historique connu dans le monde entier qui n’arrive plus à contenir l’ensemble des juridictions qu’il accueille. Les bâtiments plus modernes, construits spécialement pour servir de tribunaux, tel le TGI de Bobigny, semblent également ne plus avoir suffisamment de places disponibles et être très à l’étroit dans des édifices pourtant récents. 

21. Ces difficultés ont des causes diverses, mais il me semble important d’en citer les principales. La quasi-totalité de mes interlocuteurs ont attiré mon attention sur un manque important de financement de la justice. J’ai été très impressionné d’entendre lors ma réunion avec des représentants des Barreaux et des syndicats de la magistrature une remarque à la fois ironique et amère à propos de l’effort budgétaire consacré à la justice. Une comparaison a été faite entre les moyens donnés à la justice et l’engagement pris dans les années 1980 d’allouer au moins 1% du budget total à la culture. Cet engagement a été suivi depuis, ce qui ne peut qu’être salué et soutenu. Parallèlement, il apparaît que le budget de la justice n’a jamais égalé ce niveau et reste en-deçà de 1%. Ce chiffre parle de lui-même et ses conséquences sont visibles à l’œil nu.

22. En effet, les locaux de certains tribunaux donnent l’impression d’être vétustes et d’appartenir à un autre temps. Les bureaux des magistrats que j’ai visités m’ont paru étroits, ne procurant pas à leur(s) occupant(s) l’espace dont ils auraient besoin. Or, il est évident que les bureaux de magistrats ne servent pas seulement à étudier les dossiers. Les magistrats y reçoivent des parties et y tiennent même certaines audiences.

23. Une situation particulièrement pénible existe au sein de certains endroits appelés « dépôts ». Les dépôts sont des zones sécurisées composées généralement de cellules individuelles et collectives recevant les personnes détenues dans des lieux de privation de liberté - commissariats ou établissements pénitentiaires - et qui sont transférées dans les tribunaux en vue d’audiences ou d’autres besoins procéduraux. La spécificité des dépôts, qui sont placés de jure sous l’autorité du juge comme tous les locaux se trouvant dans l’enceinte des tribunaux, mais de facto sous celle de la police qui s’occupe de la garde des détenus, a pour conséquence qu’aucune de ces deux autorités ne se sentirait, selon mes interlocuteurs, complètement investie de la responsabilité de ces endroits.

24. Dès lors, la situation matérielle de certains dépôts reste désastreuse et ne correspond en aucun cas aux besoins d’une société moderne. Afin d’étudier personnellement cette question, je me suis rendu dans le dépôt du Palais de justice de Paris et dans celui du TGI de Bobigny.

25. En ce qui concerne le dépôt du Palais de justice de Paris, il s’agit d’un très vieux bâtiment chargé d’histoire et l’endroit reflète les événements qui s’y sont passés au cours des siècles. Ceci étant dit, l’intérieur du dépôt de Paris continue de donner une image très peu flatteuse de la justice française. Au même endroit se trouve d’ailleurs le centre de rétention des étrangers en instance d’expulsion, qui m’a frappé par les images qu’il reflète, images d’un autre temps et d’une époque que toute personne civilisée pourrait croire révolue en France, j’y reviendrai plus loin dans le chapitre consacré aux étrangers. Le dépôt, qui jouxte le centre de rétention s’en différentie bien peu, même s’il paraît qu’il a subi récemment un certain nombre de travaux.

26. J’ai en outre visité le dépôt du tribunal de Bobigny. C’est avec une grande satisfaction que j’ai pu y constater que des travaux d’envergure sont en train d’y être entrepris. On peut d’ailleurs déjà entrevoir les premiers résultats : des cellules refaites à neuf, disposant de sanitaires dignes et d’une luminosité suffisante. Ces travaux ne sont pas encore terminés, mais je ne peux qu’encourager l’engagement des autorités à améliorer rapidement la situation dans les dépôts les plus problématiques de l’Hexagone. Dans ce contexte, je voudrais particulièrement attirer leur attention sur la situation du dépôt du TGI d’Evry qui m’a été décrite comme particulièrement difficile. Je n’ai malheureusement pas pu m’y rendre personnellement, mon programme étant très chargé, mais je n’ai aucune raison de douter de la description alarmante qui m’en a été faite par des magistrats et des avocats y travaillant quotidiennement.

27. Dès lors, il me semble que l’amélioration des locaux des juridictions, y compris des dépôts, devrait compter parmi les priorités de l’action gouvernementale.

b. Personnel auxiliaire de justice au sein des tribunaux

28. Deux grandes catégories d’auxiliaires de justice ont particulièrement retenu mon attention. Il s’agit, d’un côté, des greffiers et, de l’autre, des avocats. Je souhaiterais tout d’abord m’arrêter sur la situation des premiers, avant de consacrer le chapitre suivant à la profession d’avocat.

29. Il est évident qu’aucun tribunal, qu’aucun juge ne peut fonctionner sans l’aide des greffiers dont le rôle est tout à fait crucial, tant dans le rendu des décisions de justice que dans l’exécution des peines.

30. Lors de mes conversations avec des magistrats, mon attention a été attirée sur le manque chronique des moyens alloués aux greffes. Le nombre de greffiers au sein des tribunaux n’est pas toujours suffisant, et les postes vacants existants ne sont pas toujours pourvus. Cette situation résulte de plusieurs problèmes, au nombre desquels celui lié à la nature des concours d’entrée à l’école formant à la profession de greffier. Selon nos interlocuteurs, le fait que ce concours soit national complique la répartition des greffiers dans les tribunaux à l’issue de leur formation. En effet, toute personne diplômée doit se soumettre à une affectation qui risque de l’éloigner grandement de son domicile. Or, il ne s’agit pas d’une profession dont la rémunération peut être qualifiée d’élevée. Dès lors, des difficultés liées à un déménagement paraissent pour un grand nombre de personnes quasi-insurmontables, et provoquent des refus d’affectation.

31. Certains de nos interlocuteurs ont émis une proposition visant à améliorer la situation en la matière. Celle-ci consisterait à organiser les concours de greffiers au niveau régional et non plus national. Cela pourrait permettre de résoudre le problème de la vacance de certains postes disponibles dans cette profession, et améliorerait le fonctionnement des tribunaux. En effet, le nombre insuffisant de greffiers a pour conséquence directe un allongement des délais des procédures et prive les magistrats d’une aide nécessaire. Ainsi, et ce n’est qu’un des exemples qui nous a été donné, la délivrance des copies des dossiers devant être communiqués aux parties en procès prend parfois un temps réellement excessif, tout simplement parce que le personnel manque pour préparer des copies à la demande des avocats. Madame la Présidente du TGI de Marseille nous a expliqué que, depuis un certain temps, le tribunal essaie de sauvegarder les documents nécessaires en mode numérique, afin de minimiser le recours aux photocopieuses et de faciliter la reproduction des documents, surtout lorsque les affaires mettent en présence plusieurs prévenus et/ou plusieurs parties civiles. Nous avons été informés que le matériel adéquat a déjà été acquis à cette fin. Malheureusement, le manque de personnel prive le tribunal de la possibilité de procéder au scanning des dossiers et retarde donc la numérisation des documents, alors que le matériel coûteux reste inutilisé.

32. Il ne s’agit là que d’un exemple parmi ceux qui nous ont été donnés, mais il permet d’illustrer ce manque important de moyens techniques des tribunaux et je ne peux que rajouter ma voix à celle des professionnels de la justice qui demandent aux autorités plus de sensibilité et d’engagement en la matière.

33. En outre, un autre problème se trouvant à la base des lenteurs nous a été signalé par plusieurs interlocuteurs. Il s’agit de la carte géographique des juridictions qui aurait vieillie et ne tiendrait plus compte de l’évolution de la société française, en particulier de son évolution économique, démographique et sociale. Ainsi, il semble que les tribunaux de grande instance soient mal répartis : certaines des villes dans lesquelles il n’existe plus d’activité juridique pouvant justifier la présence d’un tribunal en bénéficient, alors que dans d’autres villes les tribunaux sont surchargés car l’évolution de la situation démographique de ces dernières décennies a complètement changé la donne. En même temps, les ressorts de certaines cours d’appel ne correspondraient plus aux frontières actuelles des régions économiques, ce qui complique le déroulement de la justice et provoque d’importantes lenteurs. Il me semble qu’il serait très souhaitable d’engager une réflexion générale sur l’ensemble de ces questions afin de pouvoir trouver des solutions appropriées et utiles.

c. Problèmes de sécurité

34. Un autre problème qui ne devrait pas être occulté m’a été présenté lors de mes conversations avec des magistrats. Il s’agit des problèmes de sécurité existant au sein des tribunaux en France. Il ne faudrait évidemment pas être trop alarmiste et prétendre que les agressions de magistrats augmentent, mais mes interlocuteurs m’ont exprimé des inquiétudes qui méritent d’être prises en compte par les autorités.

35. Les tribunaux de la République sont des lieux publics par excellence et leur ouverture au public constitue non seulement une tradition, mais également un principe faisant partie du bloc de constitutionnalité. Cette liberté d’accès doit à tout prix être conservée et défendue. D’ailleurs, c’est en grande partie à cause de l’impossibilité faite au public d’accéder aux audiences que les magistrats français ont refusé de siéger dans des tribunaux dits « délocalisés », comme cela a été le cas lors d’une tentative d’installer un tribunal au sein de la Zone d’attente de l’aéroport international de Roissy Charles de Gaulle (dit ZAPI 3). Je serai amené à traiter ce dossier plus loin dans le rapport, mais il me semble important d’en faire mention à ce stade car la position des magistrats français refusant toute atteinte au principe de publicité de débats est une preuve importante de leur haut degré de professionnalisme et de dévouement aux principes des droits de l’homme.

36. Parallèlement, j’ai été informé d’une détérioration du climat dans un certain nombre de régions faisant apparaître des tensions et même des violences au sein des tribunaux. Elles sont généralement dirigées à l’encontre des magistrats lors des audiences ou contre le personnel technique, à commencer par les greffiers.

37. Les magistrats ayant soulevé ce problème m’ont dressé une image inquiétante de certains comportements des justiciables qu’ils rencontrent de manière quasi-quotidienne. Selon eux, les citoyens respectent de moins en moins la justice et ses représentants ; les jugements appellent souvent des contestations et l’incompréhension des auteurs des faits incriminés qui ont du mal à reconnaître en quoi leur comportement était répréhensible. Dès lors, les peines prononcées provoquent parfois des réactions violentes pouvant être accompagnées de menaces envers les magistrats ou les victimes, voire des passages à l’acte. Ainsi, plusieurs jours avant le début de ma visite toute la France a été choquée par le terrible crime commis au sein d’un tribunal contre une greffière par une femme qui n’a pas apprécié la décision du tribunal rendue à son encontre et qui venait de lui être communiquée par la victime. Il s’agit d’actes intolérables.

38. Or, en général la présence policière n’est pas prévue à l’entrée des tribunaux ou dans les salles d’audiences, ce qui contribue malheureusement à l’existence d’un certain climat d’insécurité. D’ailleurs, il ne faut pas croire que les tribunaux correctionnels les plus touchés sont ceux qui se trouvent dans les banlieues sensibles. Selon mes interlocuteurs, les tribunaux ayant rencontré le plus de problèmes sont les tribunaux d’instance, traitant surtout des « petits » litiges de voisinage. D’habitude, les magistrats exerçant au sein de ces juridictions sont principalement des femmes ; certaines reçoivent des menaces et se sentent dans une totale insécurité, alors que les forces de l’ordre sont absentes de ces endroits considérés comme plutôt tranquilles. J’appelle le Ministère de la Justice et celui de l’Intérieur à parvenir à un accord visant à proposer des solutions pour sécuriser le déroulement des audiences, sans pour autant restreindre leur publicité. Il faudrait avant tout trouver un bon équilibre entre les besoins de sécurité et ceux de l’amélioration de l’accueil au sein des tribunaux.

3. Le rôle d’avocat

39. Parmi les questions les plus souvent soulevées lors de nos réunions avec des avocats, deux sujets ont suscité le plus de commentaires et d’interrogations. Le premier a trait au rôle de l’avocat lors de la garde à vue, le second concerne la situation délicate de la profession suite à l’adoption récente de la loi dite Perben II. Je voudrais consacrer quelques réflexions à chacun de ces sujets d’importance.

a. La procédure de la garde à vue et la présence d’un avocat

40. Tout au long de ma visite, lors de mes entretiens avec des avocats, magistrats, policiers ou des représentants de la société civile, les questions liées au déroulement de la procédure de garde à vue et au rôle de l’avocat durant celle-ci ont été soulevées avec insistance par la plupart de mes interlocuteurs. Les uns ont mentionné des avancées positives en la matière depuis ces dernières décennies ; d’autres ont pointé des insuffisances importantes et persistantes, surtout en ce qui concerne l’assistance d’un avocat lors de la garde à vue, et ont réclamé des réformes visant à modifier une situation qu’ils critiquent. Compte tenu de ce débat, il me semble important d’analyser au plus près cette procédure et d’y apporter un certain nombre de commentaires.

41. Cependant, avant d’entamer une réflexion spécifique sur la question, je voudrais exprimer mon grand étonnement en apprenant qu’actuellement le droit français prévoit 18 régimes différents de garde à vue. Etant juriste moi-même, je peux aisément comprendre les difficultés des professionnels du droit français, à commencer par les magistrats, à travailler sereinement dans des conditions si compliquées. Je comprends parfaitement que chaque nouveau régime a dû probablement être créé suite à une situation particulière, pour tenir compte des nécessités du moment. Mais à la vue d’une telle multiplication pouvant parfois induire en erreur les professionnels même les plus avertis, il me semble qu’il serait bon de se poser la question, comme je l’ai déjà dit plus haut, de savoir si le moment n’est pas venu d’engager une réflexion sur la réforme générale de la procédure pénale.

42. La garde à vue est une mesure de police en vertu de laquelle sont retenues, dans certains locaux non pénitentiaires et pour une durée limitée, variant en fonction des infractions qui peuvent leur être reprochées, les personnes qui, tout en n’étant ni prévenues ni inculpées, doivent rester à la disposition des autorités de police ou de gendarmerie pour les nécessités de l’enquête. En vertu de l’article 63 du Code de Procédure Pénale (ci-après le « CPP »), le délai du droit commun de la garde à vue est de 24 heures, pouvant être prolongé d’une autre période de 24 heures sur autorisation écrite du Procureur de la République. Toutefois, le législateur a prévu des situations particulières dans lesquelles le délai de la garde à vue peut dépasser les 48 heures, telles que prévues par le droit commun, et aller jusqu’à 96 heures pour des personnes suspectées d’avoir commis des crimes particulièrement graves, en particulier des infractions liées au trafic organisé de stupéfiants et au terrorisme. Lors de la rédaction de ce rapport, un projet de loi visant à étendre la garde à vue pour des crimes de nature terroriste de quatre à six jours a été adopté ; il n’est toutefois pas encore entré en vigueur.

43. Les droits accordés à toute personne gardée à vue sont définis par les articles 63-1, 63-2, 63-3, 63-4 et 77 du Code de Procédure Pénale. Ainsi, en vertu des dispositions de l’article 63-1 du CPP, toute personne placée en garde à vue est informée de ses droits, parmi lesquels les plus importants sont celui d’être avisé de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, celui d’être examiné par un médecin et celui de prévenir l’un des membres de sa famille de son placement en garde à vue. Il est évident que toutes ces dispositions correspondent aux normes européennes et la France les remplit entièrement.

44. En même temps, je note que le droit de garder le silence dont l’énonciation était rendu obligatoire par la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes a reculé dans le sens où même si ce droit subsiste, les policiers n’ont plus l’obligation, depuis les modifications apportées par la loi du 4 mars 2002, de notifier le droit au silence au gardé à vue. Dès lors, ce dernier ne peut l’utiliser que s’il en a connaissance ou s’il a été prévenu par son avocat. J’estime qu’il est fort dommageable que la loi française ait amorcé ce recul car il n’est jamais bon d’occulter des droits prévus par la législation. Le droit à garder le silence doit être pleinement rétabli et systématiquement énoncé soit oralement lors de l’interpellation, soit par écrit, au moyen d’une feuille de notification des droits qui serait remise à chaque personne arrêtée. Cela suppose également la modification de la loi de 2002.

45. Cela dit, le problème le plus difficile en la matière est, à mon avis, celui de la présence d’avocat. Selon des dispositions de l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale, dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le Bâtonnier.

46. L’avocat désigné ou commis d’office peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien. Il est en principe informé par l’officier de police judiciaire, ou sous le contrôle de celui-ci par un agent de police judiciaire, de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête.

47. A l’issue de l’entretien dont la durée ne peut excéder 30 minutes, l’avocat présente le cas échéant des observations écrites qui sont jointes à la procédure. L’avocat ne peut faire état de cet entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue. Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, la personne peut également demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la prolongation dans les conditions et selon les modalités prévues aux alinéas précédents. Toutefois, si l’infraction relève de qualifications particulièrement graves, l’avocat ne pourra intervenir qu’à l’issue d’un délai de 48 heures (crimes graves commis en bande organisée) ou de 72 heures pour le terrorisme et les stupéfiants.

48. Il est important de mentionner que la présence d’un avocat lors de la garde à vue, aujourd’hui acceptée par l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe et reconnue comme l’un des principaux droits de la défense par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme , n’a été introduite en droit français qu’assez récemment. En effet, ce n’est qu’en 1993 que la loi n° 93-2 du 4 janvier a instauré le droit pour toute personne gardée à vue de s’entretenir confidentiellement avec un avocat pendant 30 minutes, et ce dès le début de la garde à vue, sauf dans les cas de trafic de stupéfiants et de terrorisme, auquel cas l’entretien est reporté à l’issue de la 48ème heure de garde à vue. Selon mes interlocuteurs, la présence d’un avocat en garde à vue a pendant très longtemps fait l’objet d’une grande discussion au sein de la société française. Des représentants de la police se seraient à l’époque montrés très défavorables à un tel droit, prétextant non seulement de la nécessité de garder le secret lors des premiers instants de l’enquête, mais également se référant à une longue tradition en la matière.

49. Finalement, ce droit a été introduit, ce qui était indispensable. Je dois toutefois exprimer de fermes réserves quant à la possibilité laissée par le législateur français aux gardés à vue de refuser l’assistance d’un avocat. J’estime que l’aide d’un avocat est précieuse pour une personne qui se retrouve en difficulté et se sent souvent désorientée. De plus, il faut écarter la possibilité que des policiers puissent influencer le gardé à vue et l’incitent à refuser toute assistance d’un avocat, au motif que l’appel à un avocat serait un aveu de culpabilité.

50. Il est évident que ces arguments sont absurdes. D’ailleurs, un vrai délinquant connaît généralement très bien ses droits, et a moins besoin d’assistance juridique (même s’il la refuse rarement), qu’une personne se retrouvant pour la première fois en garde à vue. De toute manière, l’obligation incontournable d’être assisté par un avocat lèverait tous soupçons et serait donc très bénéfique pour toutes les parties en présence.

51. Je voudrais en outre consacrer quelques développements au rôle de l’avocat français lors de la garde à vue. Force est de constater qu’il est resté très limité car la présence d’avocat reste davantage formelle qu’active. En effet, l’avocat n’a pas accès au dossier et il n’a d’autres informations sur l’enquête que ce que la personne gardée à vue va pouvoir lui dire. Celle-ci n’a d’ailleurs pas davantage accès à son dossier et ne peut donc, en définitive, faire part à son avocat que des questions qui ont pu lui être posées. De plus, l’avocat ne peut intervenir qu’à la première heure et ne peut en aucune manière assister à l’interrogation. Il est appelé à informer son client de ses droits, peut donner des conseils sur la conduite à tenir, mais étant privé d’un accès au dossier établi au cours de la procédure, l’avocat ignore la réalité et le sérieux des charges qui pèsent sur la personne qu’il va rencontrer en garde à vue, ce qui lui laisse bien peu de moyens de remplir son rôle de conseil.

52. Beaucoup de mes interlocuteurs -qu’ils soient avocats ou non- se sont plaints d’une telle situation forcément réductrice. Certains parmi eux allant même jusqu’à affirmer que le rôle d’avocat en garde à vue n’était pas celui d’un conseil.

53. Il ne m’appartient pas de commenter ces remarques. Toutefois, je considère que toute société démocratique n’a rien à redouter de la présence d’avocats responsables et respectueux de la déontologie de leur profession lors du déroulement de la garde à vue. Bien au contraire, l’expérience d’un grand nombre d’Etats européens démontre que les policiers initialement assez réticents à la présence d’avocats en deviennent les plus fervents défenseurs une fois l’expérience entamée. En effet, à partir du moment où un avocat assiste aux interrogatoires, les policiers n’ont plus à craindre d’être injustement accusés de comportements violents et illégaux car l’avocat pourra toujours confirmer que les éventuelles accusations d’un client malhonnête sont infondées. En outre, il s’agit d’une bonne protection pour tout policier qui risque de perdre son sang-froid car la présence d’un avocat le protège d’une possible bavure.

54. Dès lors, j’estime qu’il est important que le législateur français entame une réflexion sur un élargissement du rôle de l’avocat en garde à vue. J’ai pu exposer mon opinion au Ministre de l’Intérieur et au Ministre de la Justice, qui sont les premiers concernés par cette question. Je comprends parfaitement qu’une tradition nationale, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une tradition en matière de procédure pénale, soit très tenace, mais je pense que le temps est venu pour que les choses évoluent. Je considère essentiel que les avocats voient leur rôle renforcé dans l’intérêt du respect des droits fondamentaux du gardé à vue, de par la reconnaissance du droit à assister leur client lors des interrogatoires qui ont lieu au cours de la garde à vue. Une telle pratique est très courante dans la plupart des pays européens (Espagne, Italie et Royaume-Uni, par exemple). Si toutefois une telle évolution paraissait trop radicale au législateur, il serait du moins important d’entamer une évolution dans cette direction. Ainsi, l’on pourrait commencer par accepter la présence de l’avocat lors de la signature par le gardé à vue de sa déposition, ce qui constituerait une garantie supplémentaire du respect de ses droits.

55. Je voudrais par ailleurs exprimer de fortes réserves quant à l’absence totale d’assistance d’avocat jusqu’à la 72ème heure lors des procédures liées au trafic de stupéfiants et au terrorisme. Je comprends parfaitement qu’il s’agit là d’accusations très lourdes pesant sur les personnes interpellées et nécessitant des délais plus importants que ceux nécessaires aux enquêtes de droit commun. En même temps, l’absence de toute assistance pendant 72 heures ne me paraît pas être appropriée, et ce d’autant plus qu’il s’agit de défendre nos valeurs démocratiques contre les ennemis de la démocratie et des droits de l’homme. Dès lors, le respect de nos principes me semble être plus nécessaire que jamais.

56. Je comprends tout à fait l’exigence de garder le secret sur l’enquête en cours afin de ne pas la faire échouer. J’estime qu’il existe des moyens pour concilier le respect de nos principes fondamentaux et l’exigence de protéger l’enquête. Ainsi, lors de ma rencontre à la Cour de Cassation, une idée a émergé pouvant constituer une solution de compromis. Mes interlocuteurs, d’éminents juristes français, ont accueilli avec intérêt et compréhension mes inquiétudes quant à l’absence trop longue de l’avocat lors de la garde à vue en matière de terrorisme, pour ne citer que celle-ci.

57. Ainsi, j’estime, suivant les critères européens, que l’accès à un avocat doit être garanti avant la 72ème heure. La garde à vue en matière de stupéfiant ou de terrorisme, comme dans tout autre domaine, ne devrait pas déroger au système général. Il en va d’ailleurs de l’affirmation de la supériorité de nos valeurs par rapport aux mensonges proférés par les extrémistes de toutes sortes, satisfaits de pouvoir se vanter de notre prétendue peur et du recul tout aussi prétendu de nos principes que provoquerait leur combat. Dès lors, je pense que la présence d’un avocat devrait être acceptée dès le début de la garde à vue et j’appelle donc les autorités françaises à considérer avec beaucoup d’attention cette évolution déjà effective dans un grand nombre de nos Etats membres.

58. Toutefois, je pourrais comprendre que dans certains cas il ne soit pas approprié de laisser la personne gardée à vue pour des faits faisant supposer sa participation à une entreprise terroriste ou à la grande criminalité faire appel à l’avocat de son choix, car le risque de faire échouer l’enquête serait trop important. Dès lors, l’avocat devrait être commis d’office pour le début de la garde à vue, à condition que par la suite la personne gardée à vue puisse évidemment faire appel à l’avocat de son choix (le plus tôt serait le mieux car loin de moi d’être un défenseur acharné de l’avocat d’office au détriment de l’avocat de son choix). Par ailleurs, comme il s’agit d’affaires d’une grande importance, il serait tout à fait compréhensible que les commis d’office soient choisis parmi les meilleurs du Barreau, et qu’en outre ce choix soit impartial. Dans ce contexte, j’ai particulièrement apprécié une proposition faite par l’un de mes illustres interlocuteurs consistant à proposer que, pour ce type d’affaires, les avocats soient commis parmi les 12 secrétaires de la Conférence de stage du Barreau de Paris (car c’est surtout à Paris que se déroulent les gardes à vue en matière de terrorisme). Il me semble qu’il s’agit d’une très bonne proposition pouvant satisfaire les exigences de sécurité et en même temps, faire avancer le respect des droits fondamentaux.

59. Je pense qu’il serait important que le législateur français progresse en la matière car la France risque de se faire épingler par la Cour Européenne des droits de l’homme qui a énoncé, dans son arrêt Murray c. Royaume Uni précité, que l’impossibilité d’accès à un avocat pendant les premières 48 heures constitue une violation de la Convention Européenne des droits de l’homme . Cette décision a depuis été confirmée par la Cour. Dès lors, il me semble que la France devrait se mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour.

60. La réforme de la présence d’un avocat lors de la garde à vue constitue, à mon avis, un besoin urgent en France, et j’appelle les autorités françaises à l’effectuer par la voie consensuelle après avoir consulté tous les corps intéressés et trouvé une solution satisfaisant aux exigences du respect des droits fondamentaux.

b. Interrogations relatives au statut de la profession d’avocat liées à l’adoption de la loi dite Perben II

61. Une autre question délicate m’a été exposée lors de mes entretiens avec des représentants des barreaux français. Mes interlocuteurs à Paris, aussi bien qu’à Marseille ou à Bastia, m’ont paru très inquiets quant aux conséquences pour la profession toute entière de certaines dispositions de la « Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité » précitée, dite loi Perben II.

62. Il s’agit avant tout de l’article 434-7-2 du Code Pénal . D’après mes interlocuteurs, le contenu de cet article pose d’importants problèmes pour la profession d’avocat. Une majorité le perçoit d’ailleurs comme une menace directe à l’encontre de l’exercice du droit de la défense, ou du moins comme une tentative de le limiter. En effet, son application stricte peut empêcher l’avocat d’une personne poursuivie de rencontrer un tiers pour préparer la défense de son client, s’il n’a pas la certitude que ce tiers n’est pas « susceptible » d’être, éventuellement et ultérieurement, mis en cause lui aussi par le juge d’instruction. Or, comment l’avocat pourrait-il préparer efficacement la défense de son client s’il ne peut pas rencontrer librement les proches de celui-ci et les membres de sa famille, qui sont pourtant les mieux à même de lui apporter des éléments de défense ? Il est évident que l’avocat ne peut pas agir efficacement s’il ne peut pas leur expliquer les raisons et le contenu de l’enquête sans risquer d’être lui-même poursuivi pour « révélation d’informations issues d’une enquête ou d’une instruction en cours », alors qu’agissant de bonne foi, il a des contacts avec des personnes dont il ne peut alors savoir qu’elles seront mises en cause ultérieurement par le magistrat instructeur. Dès lors, pour mes interlocuteurs obliger l’avocat à ne rien révéler à des tiers, sous peine de poursuites à son encontre, peut l’empêcher d’organiser librement la défense de son client.

63. Je trouve que les inquiétudes, en ce qui concerne la phase de l’instruction, exposées par des représentants des barreaux sont tout à fait compréhensibles. Il est évident qu’un avocat agissant de mauvaise foi et violant le secret de l’instruction et le secret professionnel, commet une double faute. Il enfreint la loi et les règles déontologiques de sa profession. Dans un tel cas, il peut et doit être puni. Mais lorsqu’il agit de bonne foi, en n’ayant aucune intention de commettre une infraction et en ne faisant qu’exercer sa profession du mieux possible, la loi doit en tenir compte.

64. Dès lors, cet article controversé devrait selon moi être modifié par le législateur afin de défendre l’exercice libre et entier de la profession d’avocat. L’on pourrait ainsi y inclure, afin d’en atténuer sa nature, une précision mentionnant que l’infraction en question n’est commise que dans le cadre d’une action intentionnelle d’un avocat. J’ai d’ailleurs exprimé mes doutes au Ministre de la Justice lors de notre conversation et il m’a confirmé être au courant du malaise existant en promettant d’entreprendre les démarches nécessaires pour résoudre ce problème. J’espère que cela sera fait aussi vite que possible pour rétablir la confiance dans les relations entre les avocats et les magistrats qui étaient les premiers à en souffrir.

 

IV. LE SYSTEME PENITENTIAIRE

65. La situation des personnes privées de liberté a attiré mon attention au cours de chacun de mes déplacements dans les Etats membres, et ce non pas parce que les détenus ont plus de droits que les autres. Je ne trouve en aucune manière que les droits des personnes emprisonnées doivent être plus respectés que ceux des citoyens ordinaires, même si dernièrement ce genre de critiques tend à constituer de plus en plus le leitmotiv de tous ceux qui sont prêts à accuser les droits de l’homme de tous les maux de la société. Je ne pense tout simplement pas que les personnes privées de liberté doivent être traitées moins bien que leurs concitoyens qui n’ont pas commis de fautes.

66. Dans le cadre de mes fonctions professionnelles, au Conseil de l’Europe comme ailleurs, j’ai été amené à visiter de nombreuses prisons, mais également à avoir de nombreuses conversations au sujet des lieux de détention et des conditions de vie en leur sein. J’ai été toujours surpris du peu de sensibilité de certains de mes interlocuteurs qui mettent en avant que la vie en prison ne doit pas être facile. Combien de fois ai-je entendu ce refrain bien reconnaissable dans toutes les langues, répétant que si la personne est en prison c’est qu’elle l’a bien mérité et qu’il faut qu’elle paie ses fautes de la plus dure des manières. Combien de fois m’a-t-on raconté des histoires sur les prisons où les conditions seraient plus confortables que dans les maisons de bon nombre de personnes peu aisées n’ayant jamais transgressé la loi. J’ai même entendu dire que les conditions dans les prisons s’apparentaient désormais à celles des bons hôtels du fait de la possibilité d’avoir la télévision en cellule.

67. De tels propos ne correspondent aucunement à la réalité. D’abord, la prison est une punition provenant de la société à l’égard d’une personne qui a transgressé ses lois. Mais ce n’est en aucun cas une vengeance de la société et ne doit pas le devenir. C’est aussi pourquoi je suis fermement opposé à la peine de mort qui relève de la vengeance et non de la punition. Le fait même de priver la personne de sa liberté, de lui interdire de disposer de ses actes et de sa liberté de mouvement constitue une punition suffisante et très dure. Dès lors, la volonté de certains de faire à tout prix en sorte que les conditions de détention soient dures ne peut s’expliquer que par la volonté de se venger de la personne déjà punie. Dans une société démocratique, de tels agissements n’ont pas lieu d’être. Bien au contraire, de lieu de punition une prison doit devenir celui de la réinsertion et non pas celui du durcissement et de la préparation à la récidive.

68. Durant ma visite en France, je me suis rendu dans sept établissements pénitentiaires. Ainsi, j’ai visité dans l’ordre chronologique : le centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille, celui du Pontet en Avignon, la maison d’arrêt de la Santé à Paris et celle de Fleury-Mérogis en région parisienne, les centres pénitentiaires de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées et de Casabianda en Corse, ainsi que la maison d’arrêt de l’Elsau à Strasbourg. J’ai en outre visité cinq commissariats de police, où j’ai consacré une attention particulière aux lieux de maintien des gardés à vue. Je voudrais avant tout renouveler mes remerciements aux autorités françaises pour avoir accédé à mes demandes de visite de ces établissements et pour la totale transparence dans laquelle se sont déroulées ces visites où j’ai pu non seulement rencontrer des prisonniers, mais également recevoir des explications de la part du personnel pénitentiaire dont je voudrais saluer ici le professionnalisme.

69. Mon impression générale reste assez mitigée. Ce qui frappe le plus est le problème de la surpopulation et le manque de moyens nécessaires au fonctionnement de la plupart des établissements visités. Je consacrerai un certain nombre de réflexions à ce problème très commun à la plupart de nos Etats membres, avant de traiter des sujets particuliers liés au problème des régimes spéciaux de détention et à la prise en charge des personnes souffrant de maladies, en particulier celles présentant des troubles psychiatriques.

1. Problèmes généraux liés au manque de financement

a. La surpopulation

70. Il est un fait général répertorié par tous nos interlocuteurs dans tous les établissements visités : les prisons françaises souffrent de surpopulation chronique depuis de nombreuses années. Ceci est surtout vrai pour les maisons d’arrêt dans lesquelles la population carcérale n’est pas limitée par un numerus clausus, comme cela est le cas dans les établissements pour peine. Dans la grande majorité des lieux visités, des plus anciens, tels que la prison de la Santé, aux plus récents, comme la prison du Pontet ouverte en 2003, le nombre de détenus dépassait le nombre de places initialement prévu pour ces établissements. Cela n’a pas été nié par nos interlocuteurs.

71. Ce douloureux constat est la conséquence des développements caractéristiques de la société française en ces dernières décennies. Il est avant tout lié à deux causes principales : l’augmentation du nombre de condamnations et des longueurs des peines d’un côté, et d’un autre, un manque de financement pour accompagner cette tendance, en construisant de nouveaux centres pénitentiaires pour non seulement élargir le nombre de places de détention, mais également améliorer leur qualité.

72. La tendance à l’augmentation du nombre de détenus continue à se renforcer. Selon les dernières statistiques fournies par les autorités françaises au 1er novembre 2005, 58 082 personnes étaient incarcérées en France, ce qui représente une augmentation de 1,6% par rapport au mois précédent (57 163 détenus) . En même temps, le nombre de places officiellement disponibles était de 51 195, ramenant le taux d’occupation moyen dans les établissements pénitentiaires à 113,5%. Les prévenus représentaient 20 676 personnes à cette même date, alors que l’on comptait 37 406 condamnés. La part de la population féminine oscillait aux alentours des 4%. Le nombre de mineurs détenus incarcérés était de 637, représentant 1,1% des personnes écrouées.
73. Ces chiffres témoignent d’eux mêmes des difficultés du secteur pénitentiaire en France. Ils montrent qu’un grand nombre d’établissements accueille plus de personnes qu’il ne peut en recevoir. En outre, dans beaucoup d’établissements, la situation est encore plus compliquée que celle présentée par les chiffres car il n’est pas commode et assez dangereux de raisonner à partir de la moyenne lorsqu’il s’agit des conditions de vie d’un grand nombre de personnes. Ainsi, selon des chiffres qui m’ont été présentés par des représentants des ONG, au moment de la visite, 125 établissements sur 185 accueillaient plus de prisonniers qu’ils n’avaient de places. Lorsque je me suis rendu à la prison de Fleury-Mérogis, j’ai été informé que son effectif général était de 3 390, tandis que la capacité théorique n’excède pas 3 160 places . Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres ; je ne peux malheureusement les citer dans leur totalité.

74. En effet, que veulent dire les chiffres précités ? Ils démontrent avant tout que cette prison héberge 230 détenus de plus qu’elle ne peut en accueillir. Ils signifient également que ces 230 personnes se trouvent dans des conditions différentes de celles prévues par la loi. Elles n’ont pas assez de place dans les cellules, leur accès aux activités, déjà assez limitées, risque d’être restreint. Bref, leur vie devient plus difficile encore car l’Etat ne parvient pas à leur procurer les conditions prévues par sa législation. Ces personnes sont ainsi doublement punies. Une telle situation est inacceptable en soi. En outre, elle risque de provoquer un effet contraire à celui recherché et visé par l’emprisonnement, comme je l’ai déjà noté. Cette tendance, au lieu de conduire vers la réinsertion pourrait endurcir la personne et provoquer sa révolte contre les règles de la société. Combien de fois n’ai-je pas entendu de la part de détenus rencontrés dans les prisons des propos choquants et dérangeants à la fois me demandant pourquoi l’Etat les punit et exige une réparation de leur part pour le non-respect de la loi, alors qu’il ne respecte pas lui-même certaines règles, en particulier celles relatives aux conditions de détention.

75. Et il est vrai que certaines scènes que j’ai pu observer lors de ma visite ont été très dures et choquantes. Elles résultent en grande partie des problèmes de surpopulation, qui privent un grand nombre de détenus de l’exercice de leurs droits élémentaires.

76. Ainsi, les cellules insalubres, les sanitaires en mauvais état, le nombre réglementé de douches que les prisonniers peuvent prendre par semaine, le linge et les couvertures médiocres nous ont été dénoncés sur la quasi-totalité de notre visite. Il m’a été difficile de recevoir des plaintes au début du XXIème siècle en France décrivant l’insuffisance du nombre de douches et l’impossibilité d’en prendre une quotidiennement, même en été à un moment où les températures sont souvent caniculaires. Le peu de mesures de protection contre la chaleur a été également évoqué à de nombreuses reprises. J’estime qu’il est important de trouver des moyens nécessaires pour améliorer la situation sans plus tarder.

77. Dans ce contexte, j’ai beaucoup entendu parler des problèmes de financement du secteur pénitentiaire. Lors de ma rencontre avec le Ministre de la Justice, il m’a confirmé que le gouvernement prend très au sérieux cette question et se fixe pour objectif d’améliorer la situation actuelle d’ici 3 ans. Il semble qu’un grand programme de réhabilitation soit en cours de réalisation ; il concerne l’état général des lieux de privation de liberté, même si les résultats principaux ne sont attendus que vers 2008.

78. J’ai pu apprécier les prémisses du changement lors de la visite de la nouvelle prison du Pontet en Avignon. Ses cellules plus spacieuses et mieux meublées, ses espaces de promenades plus humains, son terrain de football, enfin sa relative propreté montrent une nette différence avec ce que l’on peut observer à la Santé ou aux Baumettes. Il s’agit incontestablement d’une avancée ; d’autres sites sont en construction. En même temps, ce n’est pas pour autant que l’on peut se contenter de laisser en place de vieux établissements sans prendre des mesures d’urgence.

79. Ainsi, j’ai été choqué par les conditions de vie observées à la Santé ou aux Baumettes. Ces établissements m’ont semblé particulièrement démunis. Le maintien de détenus en leur sein me paraît être à la limite de l’acceptable, et à la limite de la dignité humaine. Lorsque j’en ai fait part au Ministre de la Justice, il m’a informé que le gouvernement prenait très au sérieux cette situation et que des efforts ont été entrepris depuis deux ans pour l’améliorer, surtout en ce qui concerne la prison des Baumettes à Marseille. Je ne peux que me réjouir de cette action et de l’annonce faite par le Garde des Sceaux au mois de novembre 2005 d’apporter un financement supplémentaire à la remise en état des prisons, et parmi elles, celle des Baumettes.

80. En outre, le manque de financement ne reste pas une affaire purement française car l’action européenne est également tombée sous les feux de la critique. Ce fut le cas, en particulier, lors de la visite de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. En effet, au milieu d’un des complexes de détention, nous avons aperçu un grand bâtiment. Le directeur de l’établissement nous a informés qu’il s’agissait d’un gymnase devant permettre aux détenus de se livrer à des activités sportives. Le gymnase a été construit il y a 8 ans grâce au financement européen. Or, les concepteurs de ce projet novateur auraient malheureusement omis de prévoir les entrées sécurisées pour ce bâtiment, ce qui a empêché sa mise en fonctionnement. Cette histoire aurait pu être amusante par son caractère grotesque, si elle n’avait pas été si triste. Il est quand même étonnant que les concepteurs d’un bâtiment destiné aux détenus n’aient pas pensé aux mesures de sécurité et que le maître de l’ouvrage ne l’ait pas contrôlé ! De plus, le fait que cette situation perdure depuis de longues années sans solution démontre le mauvais fonctionnement et les problèmes de suivi des investissements européens. J’en appelle aux responsables pour résoudre cette situation pénible et finalement rendre le gymnase à ses destinataires.

81. La surpopulation empêche donc de mettre en pratique une véritable politique pénitentiaire, de séparer les prévenus des condamnés, les mineurs des adultes. Elle ne permet pas la mise en œuvre d’un traitement social, psychologique..., ni d’une action spécifique à la situation de chaque détenu. Cela a un effet totalement négatif sur le principe de réinsertion. Si on ne peut pas faire un travail dans ce sens, on touche à la sécurité future, car la prison devient un dépôt et non un lieu où se prépare la réinsertion.

82. Dans le cadre des problèmes financiers des lieux de privation de liberté, j’aimerais soulever une autre question qui me paraît préoccupante. Il s’agit des cellules de garde à vue des commissariats. Même si ces établissements sont sous la responsabilité du Ministère de l’Intérieur, je voudrais dire ici avoir été choqué par l’état lamentable dans lequel se trouvent certains de ces endroits. Je sais qu’un important effort est actuellement mené par le Ministère pour les remettre en conformité avec les normes européennes. J’ai d’ailleurs pu le constater lors de ma visite du nouveau commissariat du XIème arrondissement de Paris.

83. Pourtant, j’ai été très étonné que dans un très grand nombre de commissariats visités, les gardés à vu dorment à même le sol, aucun matelas, aucun linge ne leur étant fournis. J’ai posé plusieurs fois des questions pour connaître les raisons d’une telle situation de misère. Je me suis retrouvé face à plusieurs réponses qui n’ont fait que rajouter à la confusion. Certains m’ont dit que ce n’était pas prévu par le règlement, d’autres que les matelas avaient été commandés mais tardaient à être livrés, d’autres encore que les matelas ne correspondaient pas aux dimensions des « lits » ou alors que ce n’était pas la peine de les fournir car ils étaient trop rapidement détériorés.

84. J’estime que la dignité humaine doit être respectée partout, y compris lorsqu’on est placé en garde à vue. La vision d’une personne dormant sur le béton à même le sol est inacceptable. J’appelle les autorités à résoudre ce problème et à uniformiser les pratiques. D’ailleurs la situation des cellules de garde à vue que j’ai pu apprécier lors de la visite du commissariat central de Strasbourg m’a démontré qu’il était tout à fait possible de trouver de bonnes solutions, même avec un faible financement.

85. Mais les problèmes de financement ne sont pas les seuls qui affectent la vie carcérale, d’autres difficultés s’y superposent, aggravant une situation déjà compliquée.

b. Les maisons d’arrêt et des établissements pour peine

86. Je voudrais m’arrêter ici sur un problème qui me paraît particulièrement inquiétant et qui provoque, à mon avis, un grand nombre de difficultés aussi bien pour les détenus que pour le personnel pénitentiaire. En France, comme dans la majorité de nos Etats membres, il existe deux types principaux d’établissements pénitentiaires, des maisons d’arrêt et des établissements pour peine. Une maison d’arrêt est un établissement où sont placées sans distinction les personnes en détention provisoire, celles détenues en vertu des décisions de condamnation non encore définitives mais exécutoires, les condamnés à des peines d’un an d’emprisonnement, ainsi que les condamnés à des peines de plus d’un an d’emprisonnement en attente de l’orientation et du transfert vers un établissement pour peine. Ces derniers sont destinés à l’accueil des personnes définitivement condamnées à des peines supérieures à un an d’emprisonnement.

87. Il existe d’importantes différences entre ces deux types d’établissement. Il s’agit avant tout d’une différence réglementaire liée à la particularité des régimes juridiques des personnes privées de liberté. En effet, les personnes faisant encore l’objet d’une enquête judiciaire se trouvent naturellement sous le coup de certaines restrictions bien compréhensibles. Elles sont, par exemple, soumises à une interdiction de téléphoner ou des limitations de visites. De telles restrictions n’ont plus lieu d’être après la fin de l’enquête, ce qui explique que les conditions de vie sont souvent meilleures au sein des établissements pour peine. En même temps, il est important de souligner qu’actuellement la séparation entre les deux types d’établissements reste souvent plus théorique que pratique. Parmi les lieux de détention visités, nombreux sont ceux qui appartenaient à la catégorie des établissements mixtes, c’est-à-dire incluant à la fois des détenus et des condamnés.

88. Il me semble qu’une telle situation est extrêmement négative car, outre un mélange plus que probable de populations carcérales, souvent très défavorable pour ceux qui entrent pour la première fois dans une prison, elle mène à l’impossibilité de l’exercice des droits pour un grand nombre de condamnés.

89. Ainsi, lors de la visite de la prison de la Santé, j’ai visité une cellule dans laquelle se trouvaient 3 personnes, toutes d’origine étrangère. La cellule présentait des signes de grande vétusté et n’était visiblement pas destinée à accueillir un tel nombre de détenus. Deux lits étaient superposés ; un troisième était placé dans un endroit peu approprié pour le recevoir, c’est-à-dire à proximité (quasiment en face) des sanitaires. D’ailleurs, les sanitaires, en très mauvais état et datant d’une autre époque, auraient été séparés du reste de la cellule par des cloisons de fortune posées par les détenus eux-mêmes, selon leurs dires. Vu le caractère plus qu’artificiel de cette séparation, l’origine de cette dernière ne fait aucun doute. La cellule était très mal aérée, le linge de lits d’une qualité et d’une fraîcheur douteuses. De plus, selon les détenus, ils exerçaient une activité professionnelle (travaux de conditionnement) dans la cellule même.

90. J’ai été particulièrement choqué par le récit d’une des personnes rencontrées dans la cellule. Il s’agissait d’un étranger arrêté 16 mois plus tôt, déjà condamné définitivement depuis plus de 4 mois à une peine supérieure à un an. Or il était toujours dans la maison d’arrêt et n’avait aucune nouvelle sur son possible transfert. Selon ce détenu, cela faisait 16 mois qu’il n’avait aucun contact avec sa femme et ses enfants, vivant à l’étranger, et n’ayant par conséquent pas la possibilité de venir le voir. De plus, du fait de sa détention en maison d’arrêt, il n’était pas autorisé à téléphoner, ce qui le coupait entièrement de sa famille, bien que légalement il n’ait plus eu aucune interdiction formelle de l’appeler.

91. Il semble que ce genre de problèmes soit très fréquent. Il contribue non seulement à aggraver l’état psychologique des détenus et leur rendre la vie encore plus dure, mais également à aggraver le climat de tension entre les prisonniers et le personnel. Ce dernier, d’ailleurs, ne fait que suivre la réglementation et, conformément aux propos recueillis auprès des gardiens rencontrés, il se passerait bien de tels problèmes.

92. A ma demande adressée à l’administration pénitentiaire concernant les causes de l’existence si nombreuse d’établissements à régimes mélangés, il m’a été répondu que principalement cela tient au manque de financement et à l’absence de construction de locaux pénitentiaires, rendant ainsi inévitable le placement des personnes relevant de régimes et situations différents dans les mêmes établissements. Cette situation est, selon moi, très préoccupante car le seul exemple de privation de communication téléphonique pourrait être assimilé à une sorte de double peine ou du moins à une punition non prévue par la législation. D’ailleurs, quand l’instruction est terminée, mais que l’attente du procès se prolonge pour cause d’engorgement des tribunaux, les prévenus placés en détention provisoire devraient pouvoir bénéficier du droit de téléphoner.

93. Une autre raison de la présence massive dans les maisons d’arrêt de condamnés devant être transférés dans des établissements pour peine tient, selon mes interlocuteurs, au fait qu’il n’existe qu’un seul service central de transfèrement. Tout transfert est effectué par des représentants de ce service de manière centralisée selon un planning pré-établi et arrêté d’avance. Il serait par ailleurs assez difficile de procéder aux changements de ce planning peu flexible car le service en question est surchargé. Dès lors, les délais d’attente de transfert se rallongent et un grand nombre de personnes en dépend.

94. Il me semble que ce problème doit être résolu en particulier pour permettre de désengorger les maisons d’arrêt. J’en ai discuté avec des professionnels du secteur pénitentiaire, ainsi qu’avec des avocats et des magistrats. Le Directeur régional de la détention du Languedoc m’a parlé d’une solution intéressante. Il serait envisageable de régionaliser le service de transfèrement. Cela pourrait non seulement le rendre plus flexible et plus opérationnel, mais également le rapprocher considérablement des établissements pénitentiaires en le plaçant plus étroitement à l’écoute de leurs besoins.

c. le coût de la vie

95. J’ai été très surpris de constater que bien qu’il s’agisse d’un service public général, l’administration pénitentiaire a été assez décentralisée pour que les prix des services offerts aux prisonniers dans les différents établissements varient d’une manière considérable. Pour une personne qui ne connaît rien du monde carcéral, la constatation que j’émets dans la phrase précédente pourrait paraître pour le moins bizarre. En fait, il faut savoir qu’un grand nombre de services sont payants dans les prisons. Il est clair que les personnes privées de liberté sont logées, nourries et soignées gratuitement. Pourtant, leurs besoins ne s’arrêtent pas là.

96. Dans chaque établissement, il existe une possibilité d’acheter des produits alimentaires, d’hygiène ou autres. L’on appelle cela plus communément « cantiner ». Dans tous les établissements visités, j’ai demandé à voir la liste des prix après avoir reçu des plaintes relatives au coût de la vie. J’ai en effet constaté avec étonnement que les prix varient très fortement. Ainsi, alors que le prix d’un paquet d’un kilogramme de sucre avoisine les 0,90€ dans une grande surface du centre ville de Strasbourg, il était de 1,27€ à la Santé, 1,48€, à Fleury-Mérogis et de 1,45€ à Strasbourg. En outre, selon les documents que nous avons pu consulter, le prix du sucre a subi une hausse singulière : 1,48€ en 2004 (1,28€ en 2003 et 2002), soit une augmentation de 15,6% . Et cela n’est qu’un exemple d’une pratique généralisée. D’un coté, il me semble que même le plus petit prix parmi ceux que j’ai cités est assez élevé par rapport à ceux pratiqués dans le commerce, sans parler du fait que la plupart des prisonniers appartiennent à une tranche défavorisée de la population.

97. D’autre part, je ne comprends pas pourquoi il existe une telle disparité entre les prix. Il m’a été expliqué que les prix sont fixés par le directeur d’établissement après concertation avec des prestataires de service extérieurs choisis à la suite d’appels d’offres publics. Je comprends qu’il s’agit d’une procédure régulière. Toutefois, j’estime que l’administration doit veiller à ce que les intérêts des personnes détenues soient avant tout préservés, et donc que les prix pratiqués restent les plus accessibles possibles. Des services publics peuvent certes être effectués par des prestataires privés (en respectant évidemment toutes les procédures appropriées), mais avec l’objectif d’en améliorer la qualité dans l’intérêt des usagers et certainement pas d’en tirer le plus de profit commercial possible.

98. Un autre exemple des prix exorbitants pratiqués est certainement celui de l’accès à la télévision. Dans tous les établissements, l’accès à la télévision est payant. La plupart des prix sont fixés pour des périodes hebdomadaires, et restent à la discrétion totale de l’administration. Partout où j’ai interrogé des détenus, j’ai entendu des plaintes relatives aux prix trop élevés. D’après ce que j’ai pu voir, ces derniers varient considérablement d’un établissement à l’autre. La fourchette est de 8€ pour une location hebdomadaire à La Santé à 5€ à la maison d’arrêt de l’Elsau à Strasbourg, ce qui nous ramène respectivement à 36 et 20 euros par mois. Il est évident que de tels prix sont extrêmement élevés pour des personnes dont les revenus sont réduits, voire inexistants.

99. En outre, mes interlocuteurs m’ont informé que dans les maisons d’arrêt les détenus ne sont pas autorisés à acheter les postes de télévision, ce qui ne leur laisse d’autre choix que la location. Ce n’est un secret pour personne que les prix actuels de téléviseurs sont assez raisonnables. Ainsi, on trouve facilement dans le commerce des postes de la taille de ceux que j’ai vus dans des maisons d’arrêt pour des prix avoisinant les 100 à 120 euros. Dès lors, il est facile de constater que même en prenant en compte le plus petit des prix de location hebdomadaire constaté (20€ par mois), un téléviseur est amorti en 5 à 6 mois. A partir de là, l’établissement pénitentiaire commence à en tirer profit. Or, je ne pense pas que le but du secteur pénitentiaire est de gagner de l’argent, ni de devenir rentable. Il s’agit avant tout d’une mission de service public.
100. C’est pourquoi, j’appelle les autorités compétentes à agir rapidement afin de diminuer les charges financières pesant sur les détenus, et en particulier en ce qui concerne le coût exorbitant de la location de téléviseurs. J’estime également qu’il faudrait étudier la possibilité de laisser aux condamnés purgeant de longues peines le choix d’acheter leur propre téléviseur, à condition bien sûr que celui-ci soit standard et qu’il réponde à toutes les exigences de sécurité. J’ai également noté l’engagement de la directrice adjointe de la maison d’arrêt de La Santé qui souhaite mettre en place rapidement un service de mise à disposition de postes de télévision gratuits pour les personnes démunies de ressources.

d. Nécessité de mettre en place une politique de réinsertion

101. Comme je l’ai souligné plus haut, le but d’une peine d’emprisonnement ne peut pas être uniquement celui de punir une faute. La peine ne doit pas non plus devenir une vengeance de la société. Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, chaque fois que nous envoyons quelqu’un en prison, nous devons nous poser une question simple - quel est le but de cette démarche ? Comment cette personne évoluera-t-elle durant son séjour et sortira-t-elle meilleure ?

102. Ces questions sont loin d’être rhétoriques. Toute personne qui entre dans un établissement pénitentiaire pour la première fois y découvre un monde nouveau, de nouvelles personnes et réalités. Elle débute également un chemin qui la mènera vers la sortie de la prison. Dans ce contexte, les autorités publiques ont la responsabilité particulière d’envisager les lendemains de chaque nouveau prisonnier en définissant bien la fonction principale de l’emprisonnement, et en l’adaptant de sorte que tout soit mis en œuvre pour diriger tout nouvel entrant vers une réinsertion réussie. Cela présume avant tout la prévention de la récidive.

103. Dès lors, je suis obligé encore une fois de parler de l’importance des investissements nécessaires dans le système pénitentiaire. Il ne s’agit pas seulement de la construction de nouveaux établissements, qui sont certes nécessaires pour désengorger les prisons surpeuplées. Il ne faudrait pas investir que dans les murs. Il faut prévoir un renforcement sensible du financement des structures d’éducation, de santé et d’insertion professionnelle. Car la prison doit également servir à donner une nouvelle chance, un élan nouveau aux personnes qui y entrent. Par ailleurs, l’Etat doit se soucier de prévoir l’accompagnement de tout prisonnier à sa libération. Le maintien des liens avec l’extérieur, à commencer par les familles, constitue une étape première dans ce processus, car le contraire mènerait vers l’exclusion.

104. J’ai été très étonné d’apprendre qu’à la sortie de prison, l’individu, qui bénéficiait initialement des minima sociaux, perd ses droits aux allocations et aides sociales, de sorte qu’un grand nombre de personnes libérées se retrouvent complètement démunies et privées de ressources. Dans ce contexte, il devient donc difficile de parler d’une réelle politique de réinsertion. Bien au contraire, une personne libérée risque de se retrouver dans une situation de détresse humaine, isolée et sans moyens de subsistance, ce qui la repousserait vers la récidive, comme une sortie de détresse. Il est évident que toute personne majeure est responsable de ses actes et nous ne pouvons pas la décharger de la responsabilité de ses actions. Dans le même temps, compte tenu de la très grande fragilité d’anciens prisonniers à leur libération, la société doit reconnaître ne serait-ce qu’une partie de sa responsabilité quant à l’avenir de ces individus car si elle ne mettait pas en place des moyens de réinsertion, si elle ne se chargeait pas de la mise en place d’une politique de réinsertion, elle contribuerait à son échec. Cela signifierait qu’on laisse la personne en difficulté face à ses problèmes et qu’on la repousse vers le milieu rencontré en prison. Une société démocratique ne peut pas et ne doit pas se permettre que sa politique pénitentiaire donne de tels résultats, constituant une menace potentielle pour sa sécurité.

105. L’action menée par les délégués du Médiateur dans quelques dizaines de prisons est en cela très intéressante. Comme nous avons pu le voir à Marseille, les délégués du Médiateur aident les prisonniers qui le demandent à régler, avec les administrations, toutes les questions relatives au rétablissement des aides sociales dont ils bénéficiaient avant leur incarcération. La présence des délégués du Médiateur m’est apparue comme très positive : elle permet en effet au condamné de se projeter de manière positive dans un avenir proche ; parallèlement, elle contribue à diminuer sensiblement les tensions en prison autour de ces questions cruciales. C’est pourquoi, je pense que cette initiative devrait être soutenue et étendue à d’autres établissements.

106. J’appelle donc les autorités françaises à redoubler de vigilance en augmentant les moyens visant à la réalisation de programmes de réinsertion et de suivi des personnes libérées.

e. L’aide au maintien de liens familiaux

107. La politique de réinsertion passe obligatoirement par des efforts pour sauvegarder les attaches et contacts avec le monde extérieur lors de l’emprisonnement de toute personne, et avant tout les liens familiaux. Il est important que tout soit mis en œuvre pour que la personne privée de liberté ne se sente pas complètement coupée de son entourage familial et amical (sauf si cela est exigé par les intérêts de l’enquête).

108. Dans ce contexte, plusieurs lignes de travail doivent être envisagées. La première doit viser à faire le maximum pour favoriser la détention de personnes définitivement condamnées à proximité du lieu de domicile de leurs proches afin de faciliter le maintien de liens. Hélas, il semble que cela ne soit pas toujours l’un des objectifs principaux de l’administration pénitentiaire. En effet, durant nos visites dans plusieurs établissements, nous avons reçu des plaintes quant à une politique de placement que certains de nos interlocuteurs ont même qualifié d’arbitraire. Ainsi, ont été invoqués des transferts fréquents d’un établissement vers l’autre de détenus ayant commis des fautes disciplinaires. De tels transferts nous ont été décrits comme des sanctions voilées. Ils entraînent des conséquences très dures pour les prisonniers car ils contribuent à rompre les liens déjà fragiles avec leurs familles et amis.

109. En outre, un autre problème m’a été signalé avec beaucoup d’inquiétude. Il concerne l’adoption récente de la loi dite « Perben II », déjà évoquée plus haut. L’une des mesures de cette loi consiste en la création de pôles interrégionaux de compétences. Cela signifie que l’on procède à la désignation de tribunaux responsables du traitement d’affaires triées en fonction de leur spécificité. De telles affaires sont désormais regroupées et renvoyées devant le tribunal compétent. Le risque qui persiste dans un tel cas est celui de voir le détenu éloigné de son domicile. Outre le fait qu’il serait assez difficile de faire venir des témoins et des victimes, cela risque également d’affaiblir les droits de la défense car les avocats désignés par le client ne pourront pas toujours se déplacer à leur aise compte tenu de l’éloignement. Il est évident que certaines régions peuvent avoir plus de problèmes que d’autres, compte tenu de leur situation géographique. Ainsi, le bâtonnier du barreau de Bastia m’a exprimé ses craintes quant à la délocalisation probable de toutes les affaires liées à la grande criminalité vers le tribunal de Marseille, désigné pour accueillir le pôle de compétences. En effet, la situation insulaire de la Corse risquerait d’affaiblir les droits de la défense. Il faudrait donc que tout soit mis en oeuvre pour sauvegarder les droits des détenus. En même temps, il est compréhensible que l’éloignement des détenus de leur domicile puisse accentuer le risque d’amenuisement des liens familiaux.

110. Je voudrais également attirer l’attention des autorités françaises sur le retard pris par la France quant à la mise en œuvre des unités de vie familiale. Ces unités correspondent à l’aménagement, au sein des établissements pénitentiaires pour peine, d’espaces ressemblant à des chambres d’hôtel permettant aux familles de se retrouver ensemble pour des périodes d’un ou de plusieurs jours. Ce mode spécifique d’organisation des visites qui permet aux conjoints et aux enfants de préserver leur vie privée malgré l’emprisonnement de l’un d’eux est très important et se généralise dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe. Il s’agit, à mon avis, d’un très bon moyen de sauvegarder les familles, d’éviter leur éclatement et de favoriser la réinsertion du prisonnier qui sera convaincu d’être attendu.

111. De plus, il s’agit d’un pas supplémentaire dans le respect de la dignité humaine, ce qui est loin d’être négligeable. En effet, j’ai été choqué lors de ma visite du centre pénitentiaire de Lannemezan, un établissement prévu pour accueillir des personnes condamnées à de longues peines, de voir les conditions dans lesquelles les condamnés reçoivent des visites de leurs conjoints, de leurs enfants ou d’autres proches. J’ai vu une pièce avec de petits compartiments d’une surface exiguë, fermés par des chiffons et d’autres moyens de fortune pour permettre un minimum d’intimité aux membres de la famille venant de la France toute entière et ne pouvant pas se permettre de se déplacer régulièrement. Ces images traduisent malheureusement le peu d’attention que l’Etat prête à ce côté important de la vie des familles séparées.

112. J’ai été informé qu’à l’heure actuelle il n’existait en France que 2 ou 3 unités de vie familiales à titre expérimental. Dès lors, j’appelle les autorités à combler ce retard et faire des avancées considérables dans ce domaine très important favorisant le respect de la dignité humaine et la réinsertion.

2. Procédure disciplinaire et placement en isolement

113. Dans tous les systèmes pénitentiaires il existe des régimes spéciaux destinés soit à apporter un traitement spécial au détenu pour le protéger ou pour contribuer à sécuriser l’enquête en plaçant le détenu en isolement, soit à sanctionner le comportement du détenu qui transgresserait des règles de l’établissement en lui appliquant un régime disciplinaire. Ces régimes ont certaines particularités en France et je voudrais apporter quelques réflexions quant aux informations que j’ai reçues lors de la visite.

a. Procédure disciplinaire

114. Le régime disciplinaire est un ensemble de règles mettant en place des sanctions suite à la violation des règles de la détention et impliquant un placement dans des cellules spécifiques situées dans un quartier isolé appelé « quartier disciplinaire ».

115. Actuellement, un individu est placé dans le quartier disciplinaire après décision d’une commission de discipline de l’établissement pénitentiaire. Cette dernière est l’organe de décision compétent pour se prononcer sur les fautes disciplinaires des détenus. Elle est présidée par le chef d’établissement, assisté de deux assesseurs qu’il désigne parmi les membres du personnel de surveillance. Seul le président de la commission a le pouvoir de décision ; les assesseurs n’ont que des voix consultatives. Toute décision est prise en audience après audition de l’intéressé.

116. Le délai maximum de la sanction disciplinaire est actuellement de 45 jours pour les fautes les plus graves. Le régime disciplinaire a subi d’importantes mutations au cours de ces dernières années. A la suite d’un important arrêt du Conseil d’Etat reconnaissant la possibilité pour le détenu de soumettre une sanction au contrôle du juge administratif, un décret du 2 avril 1996 est venu encadrer plus strictement cette procédure. En particulier, il énumère les fautes qui peuvent donner lieu à des sanctions disciplinaires. La procédure a ensuite été modifiée par la loi du 12 avril 2000. Elle offre désormais aux personnes détenues la possibilité de se faire assister d’un avocat lors du passage en commission de discipline. Elle leur permet également d’avoir accès au dossier de la procédure engagée.

117. La loi a également bien défini la procédure de la mise en œuvre d’une sanction disciplinaire. Ainsi, le détenu poursuivi doit obligatoirement se voir remettre une convocation écrite, sur laquelle doit figurer l’exposé des faits reprochés dans le rapport d’incident. Dans le même temps, il doit être informé du déroulement de la procédure, de la mise à disposition de la copie du dossier, de la date de sa comparution et de la faculté que lui offre la loi d’être assisté par un avocat (rémunéré au besoin au titre de l’aide juridictionnelle), ou représenté par un mandataire agréé de son choix. Ces derniers doivent impérativement être en mesure de prendre connaissance de ces pièces, ainsi que toutes celles qui seront examinées par la commission de discipline, avant le début de l’audience disciplinaire. Il doit pouvoir s’entretenir avec l’avocat ou le mandataire choisi, avant l’audience disciplinaire et dans des conditions garantissant la confidentialité. Le choix du défenseur demeure entièrement libre.

118. En outre, le détenu peut contester une sanction disciplinaire en formant dans un premier temps un recours gracieux, puis en saisissant le juge administratif.

119. Force est de constater que le régime disciplinaire a subi récemment une évolution importante favorable au détenu. Parmi ces avancées, il faut avant tout citer le droit d’être assisté par un avocat. Il s’agit d’un acquis important. Désormais le détenu peut mieux défendre ses droits, mais également mieux comprendre ce qu’il lui arrive.

120. En effet, durant la visite nous avons beaucoup discuté avec des représentants de l’administration pénitentiaire de la réforme du régime et de ses conséquences. Je n’ai pas du tout été surpris de voir que mes interlocuteurs y étaient non seulement favorables mais s’estimaient également être parmi les bénéficiaires directs de ces changements. Selon eux, depuis que les avocats participent à la procédure, les détenus non seulement comprennent mieux son déroulement, mais appréhendent également mieux la raison de la sanction, en particulier grâce au travail explicatif entrepris par l’avocat. Cela permet de réduire les tensions et d’améliorer les relations à l’intérieur des établissements.

121. En même temps, malgré les avancées certaines, de nombreux problèmes demeurent. Ainsi, le dispositif mis en place par la réforme précitée reste encore déficient au regard des principes du procès équitable : la parité de l’organe de jugement, l’impossibilité pour le détenu de faire citer des témoins, le temps de préparation de la défense souvent limité et l’absence de formation des avocats en droit pénitentiaire, représentent autant de défauts de garanties pour l’accusé. En outre, la durée maximale de maintien en cellule disciplinaire de 45 jours apparaît tout à fait excessive au regard de l’exigence de proportionnalité des peines. Cette durée fait du régime disciplinaire pénitentiaire français l’un des plus sévères d’Europe. Ainsi, les maxima de l’isolement punitif sont de 3 jours en Ecosse et en Irlande, 9 jours en Belgique, 14 jours en Angleterre, 15 jours en Italie ainsi qu’aux Pays-Bas et 28 jours en Allemagne. Il faut également ajouter que la sanction disciplinaire ne se déroule pas toujours dans un environnement digne : certains des quartiers que j’ai visités, en particulier à Marseille ou à La Santé, se caractérisent par leur vétusté, leur saleté et l’étouffante chaleur qui y régnait. Je pense qu’il serait important d’étudier la possibilité de réduire la longueur des sanctions disciplinaires en France et de prévoir une amélioration des conditions de détention dans ces quartiers disciplinaires.

122. De plus, il faut reconnaître que le chef d’établissement concentre tous les pouvoirs, même si la commission de discipline peut être vue comme une juridiction. En réalité, elle ne présente aucune garantie d’indépendance car ses membres sont des agents soumis au pouvoir hiérarchique de l’administration centrale. Dès lors, il est important de faire évoluer cette structure vers une réelle indépendance. Dans ce contexte, il me semble intéressant d’étudier la possibilité de la participation du juge de l’application des peines dans la prise des décisions.

b. Procédure de placement en isolement

123. Comme on vient de le voir, la procédure de sanction disciplinaire a récemment subi une réforme d’envergure, qui a apporté d’importantes améliorations à la condition des détenus et condamnés. En même temps, une autre procédure administrative relevant complètement de l’administration pénitentiaire reste entièrement opaque et nécessite une réflexion rapide de la part du législateur. Il s’agit de la procédure de placement en isolement.

124. En visitant les prisons, et plus précisément les quartiers disciplinaires, on peut généralement voir à proximité des quartiers d’isolement. Ces quartiers sont prévus dans chaque prison. Conformément à la législation, tout détenu peut être placé en isolement soit à sa demande, soit par mesure de précaution ou de sécurité . Dans certains cas, ce régime est utilisé par des chefs d’établissement pour écarter du reste de la détention des détenus gênants, suspects, meneurs, sans qu’ils n’aient commis de faute disciplinaire.

125. Selon la législation en vigueur, la mise en isolement ne constitue pas une mesure disciplinaire . Les détenus qui en font l’objet doivent être soumis au régime ordinaire de détention. Cependant, ils ne doivent pas avoir de contacts avec d’autres détenus, sauf sur décision particulière du chef d’établissement, pour participer à des activités ponctuelles avec d’autres détenus isolés. Les déplacements de détenus isolés au sein de la prison se déroulent de façon à ce qu’ils ne rencontrent personne en chemin. Dans quelques rares établissements, les détenus isolés peuvent exercer une activité rémunérée en travaillant « à la pièce » en cellule. Mais le plus souvent, ils n’ont accès à aucune activité rémunérée et dépendent entièrement des subsides qui leur sont éventuellement envoyés de l’extérieur. Tous les détenus isolés peuvent néanmoins recevoir des visites au parloir et correspondre normalement.

126. Il existe en outre un régime d’isolement « renforcé » pour les détenus considérés comme particulièrement dangereux « en raison de [leur] appartenance au grand banditisme ou à une mouvance terroriste ou de [leur] passé judiciaire et pénitentiaire ». Il revient au chef d’établissement de déterminer quels sont ceux des détenus isolés qui entrent dans cette catégorie. Ils se retrouvent soumis à des mesures de sécurité particulières. Certains sont régulièrement transférés d’une prison à l’autre, tous les six mois environ. Ils ne rejoignent jamais la détention normale, mais sont toujours placés en isolement.

127. Généralement, l’isolement administratif est décidé par le directeur de l’établissement pénitentiaire. Cette mesure peut également être ordonnée par le juge d’instruction à l’encontre d’un prévenu dans le cadre d’une enquête. Toutefois, je voudrais m’arrêter ici sur la procédure administrative relevant du chef d’établissement car j’estime qu’elle présente un certain nombre de problèmes de nature à remettre en question le respect des droits fondamentaux des personnes faisant l’objet d’un placement en isolement.

128. Il est ressorti de la majorité de mes entretiens, aussi bien avec des détenus, des avocats, des représentants de l’administration pénitentiaire, qu’avec la société civile, que la procédure de placement en isolement relève aujourd’hui uniquement de la décision administrative du chef d’établissement. Aucun texte législatif, ni réglementaire, concernant cette procédure n’assure les droits des personnes qui y sont soumises, en particulier pour la rendre contradictoire, et avec l’assistance d’un avocat.

129. Il est vrai qu’il existe en principe une législation générale qui devrait correspondre à cette situation. Il s’agit de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Il prévoit notamment que le représentant d’une administration ayant l’intention de prendre une décision administrative individuelle à l’encontre d’un administré doit en principe en avertir l’intéressé par écrit, suffisamment à l’avance, et lui préciser les raisons pour lesquelles la procédure est mise en œuvre. La personne en question doit avoir la possibilité de faire parvenir ses observations écrites ou, s’il en fait la demande, ses observations orales et dispose de la faculté de se faire assister par un avocat ou un mandataire (agréé ou non). Il peut également se voir communiquer son dossier.

130. Il est clair que cette situation correspond normalement à la décision de placement en isolement. Cependant, il nous a été signalé que cette législation est restée lettre morte en ce qui la concerne. Dès lors, il s’avère qu’à ce jour tout placement en isolement relève du pouvoir discrétionnaire du chef de l’établissement.

131. Selon ce qui nous a été dit par nos interlocuteurs, l’intéressé, actuellement, est le plus souvent informé de l’intention de lui appliquer le régime d’isolement immédiatement avant l’audience. Il n’a généralement qu’une heure pour préparer ses observations, avant d’être reçu, sans assistance, par le chef de l’établissement. J’estime qu’il s’agit d’une procédure qui en l’état actuel doit être qualifiée de contraire aux recommandations du Comité pour la prévention de la torture (le CPT). En outre, le caractère purement administratif de celle-ci et l’absence de tout débat contradictoire augmentent largement le risque de possibles abus à l’encontre du détenu. Dès lors, il me semble qu’il est réellement nécessaire de mettre en place un texte législatif ou réglementaire mettant cette procédure en conformité avec des standards européens.

132. Par ailleurs, il est particulièrement inquiétant de constater que l’isolement n’est pas limité dans le temps, en dépit des effets souvent délétères de cette mesure sur l’état psychologique des personnes qui y sont soumises. La durée initiale de l’isolement décidé par le chef d’établissement est de trois mois au maximum. La durée de l’isolement ne peut être prolongée au-delà de trois mois qu’après un rapport devant la commission de l’application des peines et sur décision du directeur régional de la détention. La mesure d’isolement peut être exceptionnellement prolongée au-delà d’un an sur décision initiale du Ministre de la Justice. Dans ce cas, le chef d’établissement constitue un dossier qui comprend notamment l’avis du médecin et de la commission de l’application des peines. Le ministre demeure compétent pour les prolongations ultérieures, de trois mois en trois mois, selon la même procédure.

133. Comme on peut le voir, cette procédure reste entièrement administrative. Aucune décision judiciaire n’est actuellement prévue pour s’y interférer. Or, il s’agit d’une mesure particulièrement grave car le régime d’isolement, sans pour autant être reconnu comme une sanction, apporte d’importantes limitations matérielles aux droits des détenus, sans parler de son poids psychologique. Ainsi, lors de la visite j’ai pu m’entretenir avec des personnes placées en isolement. Certaines se sont plaintes de la dureté de leurs conditions de vie. Selon elles, le fait de ne pouvoir communiquer avec personne pendant de longues périodes, certaines dépassant largement une année, est difficilement supportable. Or, les détenus placés en isolement ne possèdent aucun moyen efficace de recours administratif pour faire lever la mesure d’isolement, que la plus grande partie de mes interlocuteurs considèrent comme une sanction disciplinaire voilée. J’ai rencontré au cours de la visite des personnes se trouvant en isolement total depuis de nombreuses années.

134. D’ailleurs, il est difficile de ne pas les suivre dans cette logique lorsqu’on voit certaines limitations imposées aux détenus isolés. Compte tenu du fait qu’une des exigences du régime d’isolement est celle de ne pas avoir de contacts, ni même de rencontres avec d’autres détenus, il s’avère très difficile de les faire bénéficier des droits reconnus à tous les détenus non soumis à une sanction disciplinaire, ce qui devrait clairement être le cas des personnes isolées. Ainsi, pour avoir usage de la bibliothèque ou d’une salle de sport, il faut faire en sorte que personne d’autre n’accède à ces locaux simultanément. Or nous savons, vu le surpeuplement des prisons, qu’il est déjà assez difficile d’assurer l’accès de détenus du régime commun à ces services. Dès lors, la majorité de mes interlocuteurs se sont plaints de l’impossibilité d’avoir l’usage des droits dont ils devraient normalement bénéficier. Il en est de même avec la possibilité d’exercer un emploi rémunéré. Théoriquement, les personnes placées en isolement en ont le droit, mais en pratique il ne peut être exercé qu’à l’intérieur de la cellule, ce qui est plus que problématique compte tenu de la rareté des places de travail en général.

135. Finalement, les espaces de promenade mises à disposition de cette catégorie de détenus sont le plus souvent les mêmes que ceux destinés aux détenus placés en cellule disciplinaire. Ainsi, nous avons visité un tel espace dans la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Il est situé sur le toit d’un des bâtiments de détention, fermé par des murs en béton de tous les côtés, et recouvert par un grillage. Sa taille réduite en fait plus une chambre à ciel ouvert qu’autre chose.

136. Or, je voudrais insister sur le fait qu’il s’agit de personnes qui ne sont pas soumises à une mesure disciplinaire. De plus, le fait de laisser une personne privée des droits assurés à chaque détenu ne relève que d’une décision administrative difficilement contestable. Dès lors, j’appelle les autorités françaises à agir rapidement afin de remettre la mesure d’isolement en conformité avec les standards européens, en particulier ceux défendus par le CPT. J’estime qu’il est nécessaire qu’un texte législatif ou réglementaire vienne régir la procédure d’isolement. Le système contradictoire déjà établi dans le cas de sanctions disciplinaires doit s’appliquer à la procédure de placement en isolement. Enfin, il me paraîtrait conforme à l’esprit du principe de la sécurité judiciaire qu’une autorité judiciaire puisse désormais intervenir dans la procédure, par exemple le juge de l’application des peines.

137. En outre, sans attendre une réforme législative, les autorités doivent agir pour assurer aux personnes soumises au régime d’isolement le bénéfice d’activités structurées, en particulier des activités professionnelles, culturelles et sportives. Leurs promenades et activités sportives en plein air doivent au plus vite être organisées dans les lieux prévus à cet effet pour l’ensemble de la population carcérale. Exclure les personnes placées en isolement de ces activités revient à leur infliger une sanction camouflée. De tels changements ne feront qu’apaiser l’atmosphère déjà assez lourde que j’ai pu constater dans les lieux de détention visités.

138. Mais en parlant des problèmes auxquels doivent faire face les établissements pénitentiaires, nous ne pouvons pas omettre celui qui fait sûrement partie des plus douloureux. Il s’agit de la présence en prison d’un grand nombre de personnes dont la santé, y compris mentale, est très fragile et nécessite des soins constants et appropriés ne pouvant pas toujours être dispensés par l’administration pénitentiaire.

3. L’organisation des soins en prison

a. Les maladies somatiques et les addictions

139. La loi du 18 janvier 1994 a instauré une nouvelle organisation des soins en prison, rattachant la population carcérale au régime hospitalier de droit commun et affiliant les détenus à la sécurité sociale. Des unités de consultations et de soins déambulatoires (ci-après UCSA) ont été créées dans les prisons, les équipes médicales étant fournies par les hôpitaux publics. Les détenus malades qui nécessitent des examens médicaux poussés, une hospitalisation ou une intervention chirurgicale sont transférés dans un hôpital public. Ceux qui doivent être hospitalisés sur la longue durée sont incarcérés à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes.

140. Dans chacune des prisons que j’ai visitées, je me suis rendu dans les UCSA afin de discuter avec le personnel médical des principales pathologies qu’il rencontre, des moyens dont il dispose et des problèmes auxquels il fait face quotidiennement. La situation varie d’une prison à l’autre. Globalement, ces unités de soins sont plutôt bien tenues. L’UCSA du Pontet, qui compte parmi les prisons les plus récentes, bénéficie d’installations modernes qui lui permettent d’effectuer 95% des traitements sur place. Une salle de radiographie a ainsi été aménagée au sein de l’UCSA. D’autres sont plus vétustes, comme celles de la prison de la Santé ou des Baumettes, et souffrent de l’insuffisance de leurs équipements. Si le personnel fait preuve de dévouement et de professionnalisme, je ne peux que constater la grande disparité dans l’accès aux soins qui existe entre les différents établissements. De plus, il est à signaler que les médecins ne sont que très rarement présents le week-end, et que certaines prisons ne bénéficient pas des services d’une infirmière au cours de cette même période. En cas de nécessité, il est fait appel aux services d’urgence, mais de nombreux détenus se plaignent de l’attitude de certains surveillants qui ne préviendraient pas assez rapidement les secours d’urgence.

141. D’une manière générale, les UCSA ont connu ces deux dernières années une forte recrudescence de leurs activités. 108 détenus passent par exemple en moyenne chaque jour à l’UCSA de la prison du Pontet sur un nombre total de 730 détenus ; les médecins y ont effectué 10 826 consultations durant l’année 2004, les infirmières 19 731, auxquelles il faut ajouter les 283 consultations au centre hospitalier d’Avignon, et 210 hospitalisations dans divers hôpitaux. A Fleury-Mérogis, 24 154 actes médicaux ont été effectués par l’équipe médicale en 2004 pour un effectif moyen de 3 160 détenus, et de plus 32 120 soins et consultations ont été délivrés par les infirmières.

142. Deux raisons expliquent cette augmentation du nombre de consultations. Premièrement, les mauvaises conditions de détention multiplient les soucis de santé et leur impact sur le moral des détenus. Une consultation à l’UCSA est ainsi perçue par nombre d’entre eux comme un réconfort physique et psychique. Deuxièmement cette augmentation est due à l’évolution de la population carcérale. Pour beaucoup de détenus qui connaissaient des difficultés sociales avant leur mise sous écrou, la prison constitue le lieu de découverte et de diagnostic de maladies. On observe une résurgence de maladies contagieuses chez les plus marginalisés. Plusieurs cas de tuberculose ont ainsi été détectés dans les prisons françaises ces derniers mois, dont deux au Pontet. Parallèlement, le nombre de détenus âgés ne cesse de progresser, ce qui entraîne une activité médicale plus importante.

143. Les pathologies dont souffrent ces derniers nécessitent l’intervention de médecins spécialistes très peu représentés en prison. Or, il s’avère que la réalité liée au vieillissement de la population carcérale est encore trop peu prise en considération et n’est pas toujours bien traitée. Une suspension de peine pour raisons médicales pour les détenus en fin de vie a été introduite par la loi du 4 mars 2002, mais ses critères d’application restent très subjectifs. Quelle que soit la réalité, j’appelle les autorités à ne pas hésiter à faire preuve d’humanisme envers les personnes âgées et les personnes en fin de vie.

144. Enfin, selon plusieurs études, près de 30% des prisonniers présentent à leur arrivée des problèmes d’addiction . L’alcoolisme et le tabagisme sont les formes de dépendance les plus courantes. Le recours aux drogues touche plus de 10% de ceux qui déclarent une dépendance. Si la pratique de la toxicomanie par voie intraveineuse semble avoir diminué, la polytoxicomanie est en très nette hausse. Pour les malades identifiés, la prise en charge associe la délivrance d’un traitement de substitution et, s’ils le souhaitent, d’un suivi psychologique ou psychiatrique suivant les cas. Toutefois, la comparaison des chiffres avancés plus haut et de ceux des malades effectivement traités laissent entrevoir de graves insuffisances dans le dépistage et les soins prodigués : sur les 1 606 détenus incarcérés lors de ma visite aux Baumettes à Marseille, 150 avaient été identifiés comme toxicomanes et étaient suivis. Ce chiffre très faible soulève plusieurs questions : celle de la gestion de ces détenus potentiellement violents sous l’effet du manque tout d’abord, celle du sevrage et de la sortie alors que le traitement n’est pas achevé ensuite. Or très peu de programmes d’éducation à la santé sont mis en œuvre. Une meilleure prise en charge de ces détenus me semble d’autant plus nécessaire qu’ils posent également des problèmes en termes de suivi psychologique.

145. La croissance de l’activité médicale en prison se manifeste également par la progression du nombre de consultations et d’hospitalisations à l’extérieur. Les interventions médicales qui nécessitent une extraction du détenu se révèlent très complexes. Les quelque 55 000 extractions médicales auxquelles il est procédé en moyenne tous les ans posent d’évidents problèmes de sécurité lors du transport et pendant la consultation et les soins . Les plus grosses difficultés tiennent au nombre d’intervenants et au manque de personnel. Le transport des personnes détenues vers un hôpital pour une consultation est placé sous la responsabilité du personnel pénitentiaire. Or, il m’a été expliqué que le nombre de ces transports est contingenté en fonction du quota de personnel dont dispose l’administration pénitentiaire pour escorter le détenu. Il arrive fréquemment que des consultations programmées soient annulées au dernier moment, faute de personnel disponible pour effectuer le transfert, ce qui est choquant car cela pourrait même parfois représenter un risque pour la vie de la personne concernée. Heureusement, d’importants efforts sont accomplis par les médecins pour diminuer ce risque.

146. Quant au transport des détenus pour une hospitalisation, il est assuré par les forces de l’ordre (police ou gendarmerie), de même que la surveillance à l’hôpital. Il arrive, comme à Avignon, que la gendarmerie effectue le transport et que la police s’occupe de la garde. Là encore, l’hospitalisation est subordonnée à la disponibilité de policiers ou de gendarmes. Si ces procédures d’extraction en vue d’une hospitalisation semblent poser moins de problèmes à la Santé ou à Fleury-Mérogis, prisons situées à Paris et dans ses environs, il n’en va pas de même en province. Un détenu incarcéré au Pontet et qui avait avalé une fourchette a attendu trois longs mois pour être opéré. Certes, son pronostic vital n’était pas engagé, certes il a bénéficié d’un suivi très attentif de la part des médecins de l’UCSA ; une telle situation n’en est pas moins inacceptable et reflète le fossé de plus en plus grand entre les intentions portées par la loi de 1994 et la pratique. Celle-ci reflète un manque criant de moyens, qui contrevient à la dignité des prisonniers et à leurs droits à un traitement médical adéquat dans des délais respectables.

147. De plus, le transfert et l’hospitalisation se déroulent souvent dans des conditions qui entravent l’accès aux soins. Une circulaire du 18 novembre 2004 autorise le directeur de l’établissement pénitentiaire à imposer le port de menottes et la présence des surveillants pendant l’examen médical, afin de minimiser tout risque d’évasion. Seules les femmes qui accouchent échappent théoriquement à ces mesures. Encore cette limitation concernant les femmes enceintes est-elle intervenue à la suite d’une affaire très médiatisée qui a très récemment défrayé la chronique et poussé les autorités à s’engager à ne plus recourir à cette ignoble pratique lors des accouchements. Les dispositions introduites par cette circulaire nuisent aux droits de la personne : le secret médical n’est pas respecté ; le port d’entraves et de menottes rajoutent à la souffrance et à l’inconfort et peut ainsi constituer une humiliation et un traitement inhumain et dégradant.

148. Je m’étonne de la teneur de cette circulaire alors même que la France a été condamnée à deux reprises en 2002 et 2003 par la Cour européenne des droits de l’homme pour utilisation abusive de menottes et d’entraves lors du transport à l’hôpital . De plus, les chiffres relatifs aux évasions en 2004 ne peuvent en rien motiver l’imposition de telles mesures : même si 4 évasions ont eu lieu au cours d’une extraction médicale cette même année, cela ne représente qu’un pourcentage infime par rapport aux 55 000 escortes réalisées tous les ans. Dès lors, j’appelle les autorités françaises à prendre urgemment toutes les mesures nécessaires pour que le transfert des détenus pour raison médicale et leur hospitalisation se passent dans des conditions dignes, qui respectent leurs droits et prennent en considération leur état. Cela suppose la modification sans délais de la circulaire du 18 novembre 2004.

149. Les autorités françaises entendent généraliser les chambres sécurisées au sein des hôpitaux, comme il en existe déjà dans certains établissements aux urgences ou dans certains services. La construction de telles chambres va certainement permettre d’accueillir les détenus dans de meilleures conditions. Toutefois, selon la maladie dont est atteint le détenu et les soins qu’il nécessite, il n’est pas toujours possible de le placer dans une telle structure au confort, il faut bien le dire, spartiate. Si, en l’état actuel, cette solution n’est pas entièrement satisfaisante, car non applicable partout et en toutes circonstances, elle a au moins le mérite de rassurer le personnel hospitalier et de ne pas exposer le détenu au regard des autres.

150. La solution préconisée face à l’augmentation du nombre de soins et d’extractions médicales consiste en la construction d’unités hospitalières sécurisées interrégionales (arrêté interministériel du 24 août 2000). Ces lieux sont des centres de soins classiques placés sous surveillance du personnel de l’administration pénitentiaire. Le principe semble donc bon, en ce sens que de telles structures permettraient de résoudre les problèmes de sécurité posés par les hospitalisations à l’extérieur. Une question se pose toutefois quant à leur capacité à absorber la demande croissante de soins émanant des détenus. A première vue, la réponse est négative : à terme huit unités devraient être construites pour un total de 182 lits et cela à l’horizon 2008 - 2010, sans pour autant que le calendrier définitif soit arrêté. Trois seulement fonctionnent à ce jour, à Nancy, Lille et Lyon. De plus, la totalité des problèmes est loin d’être résolue, surtout en ce qui concerne l’organisation du transport. Il paraît que forces de l’ordre et administration pénitentiaire peinent à trouver un accord à ce sujet.

b. Les maladies psychiatriques

i. Aperçu du problème

151. Le rapport de Jean-Louis Terra, publié en décembre 2003, estime à 55% le pourcentage des détenus entrants qui présentent un trouble psychologique : 30% des hommes et 45% des femmes seraient atteints de dépression, et 1 détenu sur 5 était suivi avant son incarcération . Une étude plus récente, rendue publique en décembre 2004, évalue quant à elle à 80% le nombre de personnes sous écrous présentant une pathologie psychiatrique. Elle montre que les prisons comptent 7% de schizophrènes, soit sept fois plus que dans la population générale, et que 40% des détenus souffrent de dépression .

152. Ces chiffres alarmants sont confirmés par les données qui m’ont été fournies lors de ma visite par le personnel pénitentiaire et les médecins qui officient dans les prisons : au Pontet, un tiers des détenus est sous traitement somatique et psychiatrique ; à Lannemezan, 20% des détenus relèvent de la psychiatrie, 10% sont atteints de pathologie lourde, et 25% suivent un traitement psychiatrique (parmi ces derniers, 25% prennent des psychotropes et 8% des neuroleptiques) ; à Strasbourg, entre 100 et 120 cas psychotiques se présentent chaque année.

153. Autre illustration tout aussi inquiétante : le taux de suicide en prison est particulièrement élevé. S’il reste à peu près stable depuis 2002, il a atteint un niveau alarmant : 115 personnes se sont suicidées en 2004, et 53 entre le 1er janvier et le 15 juin 2005. Le suicide survient majoritairement dans les six premiers mois qui suivent l’incarcération. Près de la moitié des suicidés étaient en détention provisoire. Le placement en cellule disciplinaire représente également une circonstance favorisant le passage à l’acte. Enfin, un transfert, surtout quand celui-ci n’est pas expliqué au détenu et qu’il l’éloigne de sa famille, peut constituer un autre élément déclencheur. D’une manière générale, on constate que le taux de suicide est un peu plus élevé chez les femmes que chez les hommes : 26,2 ‰ pour les premières contre 23,1 ‰ pour les seconds.

154. J’ai rencontré des fonctionnaires très préoccupés par la question des troubles psychiatriques et des suicides en prison. Le directeur de la prison de Strasbourg et les médecins m’ont confié leur désarroi après que deux détenus se soient suicidés en deux jours, les 8 et 9 septembre 2005, juste une semaine avant notre visite. Aucune de ces deux personnes n’avait été identifiée comme potentiellement à risque ; aucune d’elles ne présentait de signes laissant présager leur acte. La prévention du suicide est certes devenue l’un des impératifs du personnel pénitentiaire : des formations leur sont délivrées et des actions sont menées auprès des détenus en général, et des primo-arrivants en particulier. Pour ces derniers, une phase d’accueil d’une semaine est mise en place avec la possibilité de rencontrer à tout moment de la journée le personnel médical. Les médecins des Baumettes ont proposé une augmentation du nombre des travailleurs sociaux qui interviennent dans le quartier des primo-arrivants, afin de fournir un véritable encadrement à ceux qui sont incarcérés pour la première fois. Cette suggestion a malheureusement été rejetée par la direction. Il me semble pourtant qu’elle aurait pu permettre l’instauration d’un meilleur contact avec les détenus, en contribuant ainsi à l’identification des personnes les plus fragiles psychologiquement et à la prévention du suicide.

155. Le nombre de malades mentaux en prison pose d’énormes problèmes, tant au niveau de la prise en charge de ces détenus qui sont avant tout des malades, qu’au niveau de la gestion de ce type de prisonniers. Si la proportion de toxicomanes explique en partie cette tendance, elle n’est pas seule responsable de l’inflation constatée. Le fort pourcentage de délinquants sexuels - près de 25% de la population carcérale totale - n’a fait que progresser au cours de ces dix dernières années. Cette situation pose d’importants problèmes au personnel pénitentiaire. En effet, certaines pathologies donnent lieu à des manifestations de violences à l’encontre des surveillants et des autres détenus. Le personnel pénitentiaire n’est pas formé pour canaliser ces personnes et répondre à des réactions imprévisibles par définition. J’ai reçu un grand nombre de plaintes des représentants du personnel, avant tout des surveillants quant à l’aggravation dramatique de leurs conditions de travail sans que de réelles mesures soient prises.

156. Il faut rajouter à ces premières constatations une évolution des pratiques et de la législation. Les médecins que j’ai rencontrés dans les sept établissements pénitentiaires visités sont unanimes quant aux conséquences de l’ouverture des hôpitaux psychiatriques dans les années 1980. Ils ont également mis en avant les incidences de la pénalisation de plus en plus forte des malades mentaux : depuis l’adoption de l’article 122-1 du Code pénal, les experts tendent à privilégier l’altération du discernement sur l’irresponsabilité et donc à envoyer des malades mentaux en prison . Ainsi, au début des années 80, le taux d’irresponsabilité pénale pour cause de maladie mentale était de 17% ; il est passé à 0,17% en 1997 , et n’a connu depuis que peu d’évolutions. Punir semble primer sur les soins, qui ne suivent pas toujours en prison. Ce constat avait déjà été établi par le rapport du Sénat en 2000 . Aucune conclusion sérieuse ne semble avoir été tirée depuis. Pire, d’après tous mes interlocuteurs la situation se serait nettement dégradée, sous l’effet de ces dimensions combinées, et du manque de moyens flagrants de la psychiatrie en prison.

ii. Les Services Médico-Psychologiques Régionaux

157. Des services spécialisés ont été créés en 1986 au sein de certains établissements pénitentiaires. Il s’agit des Services Médico-Psychologiques Régionaux (ci-après SMPR). Ils sont aujourd’hui 26 répartis dans les neuf directions régionales des services pénitentiaires de la France métropolitaine. Chacun dispose de 10 à 32 places. Ils sont chargés de dépister les pathologies mentales, d’œuvrer à la prévention des suicides, et de prodiguer les soins. Seuls les malades consentants peuvent y séjourner.

158. Toutefois, même s’ils bénéficient de moyens importants, les SMPR rencontrent de nombreuses difficultés. Ainsi, certains sont logés dans des locaux vétustes et non adaptés aux soins. Le SMPR des Baumettes à Marseille disposent de 32 lits répartis dans 14 cellules de 10m² chacune. Six cellules accueillent trois malades sur des lits superposés. De telles conditions nuisent grandement à la qualité des soins et décuplent les difficultés des personnels soignants.

159. En outre, il faut surtout signaler le très faible nombre de places disponibles dans les SMPR, en comparaison des besoins réels. Ces services perdent ainsi très rapidement leur vocation régionale, et les établissements non dotés d’un SMPR s’en trouvent réduits à assurer les soins courants, alors qu’ils n’ont pas toujours l’appui d’une équipe médicale spécialisée. Des unités psychiatriques ont été intégrées à certains UCSA, comme au Pontet, mais une telle initiative est loin d’être généralisée.

160. La situation est plus difficile encore pour les femmes. Il n’existe en effet que deux SMPR réservés aux femmes sur toute la France. La maison d’arrêt de Fleury-Mérogis accueille l’un d’entre eux, mais ne dispose que de dix places. Dans les prisons mixtes, les femmes n’ont pas toujours accès aux activités thérapeutiques gérées par le SMPR. A la prison de l’Elsau, à Strasbourg, les femmes en ont récemment été exclues. Elles ont toujours la possibilité de consulter les médecins présents, mais ne peuvent plus bénéficier du suivi qui leur été autrefois proposé. Je me demande pourquoi priver les femmes volontaires de telles activités, alors que de l’avis même des psychiatres que j’ai rencontrés, la cohabitation hommes-femmes se passait plutôt bien. Il me semble nécessaire de rétablir au plus vite l’équité et de ne pas ôter aux femmes une chance supplémentaire qui leur est offerte d’accéder à des soins et à une prise en charge plus complète.

iii. Le traitement des détenus à l’extérieur des établissements pénitentiaires.

161. Tous les détenus nécessitant des soins et un suivi dans une structure spécialisée sont loin d’être accueillis par les SMPR, soit que ces services manquent de places et de moyens, soit que le prisonnier malade ne soit pas consentant (surtout par crainte d’être éloigné de sa famille et de ne pas être assuré de pouvoir par la suite regagner l’établissement initial), soit qu’il présente une pathologie appelant des soins spécifiques dans un environnement psychiatrique. Des hospitalisations d’office dans les hôpitaux psychiatriques peuvent ainsi être décidées par le préfet à la demande du directeur de l’établissement dans lequel le détenu est incarcéré . Le nombre de prisonniers placés en hôpital psychiatrique ne cesse d’augmenter : alors qu’une centaine d’hospitalisation d’office a été décidée en 1994, 1.800 détenus ont été hospitalisés dans des unités psychiatriques normales en 2004, exception faite de ceux qui ont été internés dans les Unités pour Malades Difficiles (ci-après UMD), qui accueillent les cas les plus difficiles.

- Placement en hôpital psychiatrique

162. Le placement de détenus en hôpital psychiatrique soulève de nombreuses difficultés. Le dispositif de garde qui existe dans le cadre d’une hospitalisation pour cause de maladie somatique n’est pas prévu par la loi dans le cas d’un internement en psychiatrie  : aucun policier, ni gendarme ne veille sur le prisonnier au cours de son internement. Ainsi, le détenu se retrouve le plus souvent au milieu des autres patients, sans que des mesures de sécurité autres que celles qui existent soient mises en place. Le personnel de santé, qui n’est pas formé pour gérer de tels malades, et dont ce n’est pas la vocation première, doit assurer, outre les soins psychiatriques, une surveillance particulière de ces malades. Ces situations entraînent de graves problèmes de gestion et de fonctionnement pour l’équipe médicale et l’on comprend aisément les craintes des personnels soignants et les réticences des hôpitaux psychiatriques à accueillir de tels patients, surtout après la tragique affaire de Pau et l’évasion de plusieurs détenus alors qu’ils étaient placés en hôpital psychiatrique.

163. Les situations de tensions résultant de la présence de détenus dans les hôpitaux psychiatriques ont également des conséquences en termes d’accès aux soins pour ces derniers : les hospitalisations sont retardées, ou au contraire écourtées. Il n’est, en effet, pas rare de voir un détenu revenir en prison après 3 ou 4 jours d’internement en hôpital psychiatrique. Dès lors il n’est pas certain que son état ait connu une amélioration probante en si peu de temps. De plus, le personnel médical, qui s’avoue être désarmé face à cette catégorie de patients, ne cache pas avoir recours à leur enfermement en chambre sécurisée, alors que leur état ne le justifie pas toujours. Les soins s’en trouvent donc altérés. 

- Les Unités pour Malades Difficiles

164. Les détenus qui présentent les pathologies les plus graves sont placés dans les Unités pour Malades Difficiles. Ces structures sont nettement plus sécurisées que les unités « normales », et le personnel formé pour faire face aux éruptions de violences de certains des patients qui y sont internés. Toutefois, une autre difficulté survient lors de la sortie des détenus des UMD : leur retour en prison, où les dispositifs ne permettent ni une bonne transition, ni une bonne gestion de leur maladie, suscite en effet de nombreuses interrogations. Le cas d’un détenu placé dans l’UMD de Montfavet illustre cette situation : cet homme m’a dit être là depuis 30 ans. Il revendiquait même le titre du plus vieux détenu de France. D’après mes interlocuteurs, la commission qui statue sur les hospitalisations d’office a refusé en 2004 son retour en prison, estimant que ce patient n’était pas prêt pour affronter à nouveau le milieu carcéral et que ce dernier ne pouvait pas l’accueillir en toute sécurité.

165. Force est de constater que la France ne possède aucune structure adaptée permettant d’accueillir ce type de détenus, qui relèvent avant tout de la psychiatrie et qui, après un long séjour dans une unité spécialisée, ne peuvent être replacés en prison, au risque d’une nouvelle dégradation de leur état de santé, avec toutes les implications en termes de violences que cela peut comporter pour le personnel pénitentiaire et les co-détenus. Ils sont donc condamnés, faute de mieux, à rester en UMD, et ce même si des évolutions notables ont été constatées au niveau de leur comportement.

- Les Unités Hospitalières Spécialement Aménagées (UHSA)

166. La loi 2002-1138 du 9 septembre 2002 a introduit un nouveau schéma d’hospitalisation pour les détenus atteints de troubles psychiatriques. Prenant pour modèle la nouvelle organisation des soins somatiques, la loi d’orientation et de programmation pour la justice prévoit la création d’unités spécialement aménagées pour les détenus nécessitant des soins psychiatriques. La construction de 19 de ces unités est attendue entre 2007 et 2012 pour un total de 705 lits. Ces structures spécialisées devraient être intégrées aux établissements de santé délivrant des soins généraux ou à des centres hospitaliers psychiatriques. En d’autres termes, elles entérinent la prise en charge des détenus présentant des pathologies psychiatriques lourdes par des établissements hospitaliers sous administration pénitentiaire. Les cinq premières UHSA devraient voir le jour d’ici à 2008 : l’une devrait être implantée dans la région Provence Alpes Côte d’Azur, une autre dans le Nord Pas de Calais, une en Picardie et deux en Ile-de-France. Elles offriront 290 lits. Le calendrier a été accéléré après les protestations des professionnels de santé faisant suite aux événements de Pau.

167. Si le principe même semble s’accorder avec les besoins réels de la psychiatrie en prison et les soucis de sécurité des établissements hospitaliers classiques, le projet soulève deux questions. La première a trait à ses capacités réelles d’absorber le nombre sans cesse croissant de détenus souffrant de pathologies psychiatriques lourdes. La mise en perspective du chiffre de 1.800 prisonniers hospitalisés d’office en 2004 et de 700 lits proposés à terme par les UHSA laisse planer le doute. Il convient de reconnaître que l’initiative du gouvernement en la matière mérite d’être saluée. Dans le même temps, les moyens alloués à la mise en œuvre de ce projet semblent tout à fait insuffisants à la vue des difficultés soulevées par la présence d’un grand nombre de malades mentaux dans les prisons françaises. Dès lors, je comprends parfaitement les craintes exprimées par mes interlocuteurs quant à la faisabilité de ce projet risquant, selon eux, de ne créer qu’un effet d’annonce. C’est pourquoi, j’espère que tout sera mis en œuvre pour que ce projet voie réellement le jour.

168. La deuxième question concerne la période intermédiaire : en effet aucune disposition définitive n’a été prise pour les années 2005-2008. L’une des propositions avancées consiste en la construction de pavillons spécifiques au sein des hôpitaux psychiatriques : ces pavillons comporteraient quatre à cinq chambres sécurisées permettant d’accueillir les détenus dans des conditions dignes et assurant un environnement serein aux médecins et infirmières. Une réflexion sur de tels pavillons est actuellement menée au sein du centre hospitalier de Lannemezan. Il me semble que cette solution comporte plusieurs avantages, tant pour le personnel médical que pour les détenus eux-mêmes. Toutefois, à la vue de la situation extrêmement déficiente de la psychiatrie en prison, elle ne devrait pas être considérée seulement comme une mesure transitoire. Elle pourrait ainsi être amenée à se pérenniser et à cohabiter avec les UHSA, pour offrir à la psychiatrie en prison les moyens qui lui font aujourd’hui cruellement défaut et qui mettent en péril le fonctionnement des prisons françaises déjà au bord de l’implosion.

 

V. L’ACTION DES FORCES DE L’ORDRE

169. Le rôle de la police dans une société démocratique est évidemment essentiel pour défendre l’ordre public et préserver les droits de la population. La police est souvent le premier des corps étatiques saisi par les citoyens en cas de problèmes. Dès lors, de son image, de l’opinion qu’elle suscite auprès du public, découle fréquemment la première des perceptions de l’action étatique envers la population. C’est pourquoi cette action se doit d’être exemplaire dans un état démocratique : aucun détournement de la puissance publique, aucun abus de pouvoir ne peut être toléré par l’Etat en la matière, car c’est son image même qui en pâtirait inévitablement. Les forces de l’ordre, en coopération avec celles de la justice, doivent donc former l’avant-garde des défenseurs principaux des droits de l’homme.

170. C’est pour cette raison que dans chaque pays visité je tiens absolument à rencontrer des représentants des forces de l’ordre à tous les niveaux de la hiérarchie. L’actuelle visite n’a pas dérogé à cette règle. Ainsi, je me suis rendu dans plusieurs commissariats, à Marseille (commissariat Nord), à Paris et dans sa région (commissariats du 18ème arrondissement, du 11ème arrondissement, et celui de la Courneuve), à Strasbourg (commissariat central). Pour conclure ma visite officielle, j’ai pu obtenir des précisions finales de la part du Ministre de l’Intérieur, M. Nicolas Sarkozy, et lui faire part d’un certain nombre de questions relevant de la compétence de son ministère.

171. Lors des entretiens que j’ai menés avec les policiers, j’ai abordé sans détour la question des comportements violents des forces de l’ordre. Partout, mes interlocuteurs m’ont affirmé que les violences policières restent marginales, et que tout est mis en œuvre pour sanctionner les policiers fautifs. Le Préfet de Police, M. Pierre Mutz, m’a expliqué que tous les fonctionnaires de police reçoivent une formation sur la déontologie. Il m’a également affirmé que chaque plainte donne lieu à une enquête fouillée menée par l’Inspection Générale des Services (IGS) ou l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN). Toutefois, un certain nombre d’interrogations demeurent.
1. Nécessité de l’application du principe de la proportionnalité dans l’action de la police

172. Comme cela a déjà été mentionné, l’action de la police au sein d’une société moderne et démocratique est très complexe. Non seulement parce que les policiers doivent affronter des comportements de plus en plus violents, mais aussi parce que les exigences de la société envers l’irréprochabilité de leur action deviennent de plus en plus élevées. Il faut également prendre en considération le fait que l’action des forces de l’ordre attire de plus en plus l’attention de la part des médias, exerçant également dans le cadre de leur activité professionnelle une importante fonction du contrôle civique. Cela peut plaire ou non, mais il s’agit d’un fait de société. J’estime que c’est une avancée positive. Toutefois, elle doit être exercée avec précaution pour ne pas porter atteinte à l’action des forces de l’ordre lorsqu’il s’agit de combattre le terrorisme ou la grande criminalité.

173. Dans le même temps, la police ne doit à aucun moment perdre de vue l’obligation qui lui est faite par le législateur d’agir dans le respect le plus strict des deux principes essentiels à une société démocratique : celui de la présomption d’innocence et celui de la proportionnalité. C’est évidemment en tenant compte de leur importance capitale que ces deux principes sont énoncés au tout début du Code de procédure pénale, dans son article préliminaire .

174. Dans ce contexte, même si le discours des plus hautes autorités de la police m’a quelque peu rassuré, je dois constater que la situation reste difficile et le besoin de redoubler de vigilance intact. J’ai, en effet, reçu un certain nombre de plaintes et d’informations qui ont contribué à renforcer mon inquiétude quant à l’action des forces de l’ordre.

175. Ainsi, alors que je poursuivais ma visite en région parisienne, j’ai pris connaissance de plusieurs affaires de violences et de viols impliquant des fonctionnaires de police du commissariat de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Ce commissariat, placé sur le devant de la scène par des cas récents de brutalités policières, n’est pourtant pas le seul concerné par les violences, loin s’en faut.

176. Plusieurs de mes interlocuteurs, appartenant à des associations ou incarnant des institutions indépendantes, m’ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’augmentation du nombre de brutalités policières depuis 2000. Le nombre de plaintes déposées devant la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS) a ainsi augmenté de 34% entre 2003 et 2004. Les saisines mettent majoritairement en cause des fonctionnaires de police, alors que les gendarmes, qui interviennent principalement dans des zones rurales, semblent moins concernés par ce type d’affaires.

177. En général, les rapports des différentes Commissions montrent que près de 50% des brutalités ont eu lieu la nuit, lors d’une interpellation sur la voie publique ou lors de la garde à vue. On constate que les plaignants sont très majoritairement des Français d’origine étrangère et des ressortissants étrangers (36%). La CNDS s’interroge ainsi à juste titre sur « la part de discrimination dans les manquements à la déontologie » . Autre élément marquant, la surreprésentation de la région parisienne dans les affaires de brutalités et de violences policières. Cette tendance s’explique par les tensions latentes qui caractérisent certains « quartiers difficiles », et par le fait que les jeunes diplômés fraîchement sortis de l’académie de police sont systématiquement affectés à Paris et dans sa banlieue.

178. Je souhaiterais également soulever un autre point concernant les forces de l’ordre. Apparemment, les policiers n’ont pas l’obligation de s’identifier, ni même de communiquer leur numéro d’immatriculation quand ils sont engagés dans des activités ordinaires. En particulier, aucune obligation de la sorte ne leur incombe quand ils rentrent en contact avec des citoyens, même si ces derniers en font explicitement la demande. Cette pratique découlerait d’une habitude qui permettrait aux agents de ne pas s’identifier afin de préserver leur sécurité. Nous avons posé la question à plusieurs policiers dans la rue, qui nous ont confirmé ne pas avoir cette obligation. Naturellement, une telle pratique s’explique dans des circonstances graves de conflit social ou dans des situations dans lesquelles les agents peuvent encourir des risques pour leur vie ; elle n’est en revanche pas justifiable lors des interactions ordinaires avec des citoyens. J’appelle les autorités à s’assurer que les policiers soient identifiables dans leurs activités quotidiennes, du moins par leurs matricules de service, notamment quand ils rentrent en contact avec des citoyens.

2. Contrôle de la part de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité

179. Outre l’inexpérience des jeunes fonctionnaires, se pose plus généralement la question de la formation et de l’encadrement des représentants des forces de l’ordre. M. Pierre Truche, président de la CNDS avec lequel je me suis longuement entretenu lors de ma visite à Paris, estime qu’un effort particulier doit être fait au niveau de l’encadrement. Je partage tout à fait son opinion. De même, je le rejoins dans son analyse sur la nécessité de dépasser l’esprit de corps qui caractérise bien souvent la police pour que toute la lumière puisse être faite sur les cas de brutalités et violences policières.

180. Or, il semble qu’à l’heure actuelle ce soit plutôt un sentiment d’impunité qui domine chez les policiers. Ainsi, peu de cas de violences policières aboutissent à une condamnation proportionnelle aux faits incriminés. Les démarches se révèlent, en effet, très compliquées pour la victime et les enquêtes délicates. L’esprit de corps entre les différentes composantes des forces de l’ordre explique pour partie l’uniformisation des dépositions très souvent constatée. Dans plusieurs cas, les policiers anticipent le dépôt de plainte de la victime en déposant eux-même plainte pour outrage et rébellion à agents.

181. Dans ce contexte difficile, le rôle de la CNDS, en tant qu’autorité indépendante, est donc tout à fait central et doit à tout prix être préservé et renforcé. Au cours de mes rencontres avec des représentants de la société civile, lors de la grande réunion à la CNCDH, mais aussi lors de mes conversations avec des policiers, j’ai pu constater que tous mes interlocuteurs avaient une très haute appréciation du travail accompli par la CNDS. Ce travail a d’ailleurs commencé à porter les fruits escomptés, malgré une structure très limitée en personnel et en moyens. C’est donc avec un grand étonnement que j’ai appris les difficultés financières que cette Commission a récemment traversées. En effet, nombre de mes interlocuteurs m’ont fait part des problèmes rencontrés par cet organisme dont les crédits ont été gelés pour des raisons pas très claires. D’ailleurs, il semble que parmi toutes les autorités indépendantes actuellement en fonction, la CNDS ait été la seule à avoir été confrontée à ce genre de problèmes. Loin de moi la pensée qu’il s’agissait là du prix à payer pour le travail honnête, objectif et responsable accompli par la CNDS et reconnu par le public.

182. J’ai donc été ravi d’apprendre, de la plume même de M. Pierre Truche, que ce gel de crédit a été levé et que la CNDS a pu reprendre ses activités. Ses moyens d’action restent pourtant limités. D’une part, sa dotation matérielle et humaine ne lui permet plus de répondre efficacement à l’augmentation du nombre de saisines. D’autre part, la CNDS, si elle possède un pouvoir d’enquête, ne peut que formuler des recommandations. Enfin, le système de saisine indirecte me paraît incomplet. Une personne victime ou témoin de brutalités policières peut saisir la Commission par l’intermédiaire d’un député ou d’un sénateur. Le Premier ministre et les membres du Parlement peuvent déposer un recours devant la CNDS de leur propre chef, tout comme la Défenseure des enfants. Toutefois, aucune disposition ne permet au Médiateur d’intervenir.

183. Dès lors, il me paraît fort souhaitable d’envisager une réforme du fonctionnement de la CNDS allant dans le sens d’un élargissement de ses compétences, soutenue par une augmentation budgétaire. Alors que la France vient de signer le 16 septembre 2005 le Protocole facultatif à la Convention contre la Torture, il conviendrait de réfléchir au nouveau rôle que pourrait avoir la CNDS en tant qu’instance de coordination en matière de déontologie, voire en tant que mécanisme de contrôle tel que prévu par le texte onusien.

VI. LA SITUATION DES ETRANGERS

184. J’ai toujours accordé, lors de mes visites, une grande importance au traitement accordé aux étrangers et plus particulièrement aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. La France est incontestablement un pays ayant une longue et généreuse tradition en la matière. La France reste aujourd’hui le pays européen qui accorde le statut de réfugié au plus grand nombre de demandeurs, même si ces chiffres sont en constante diminution depuis la dernière décennie. Cela mérite d’être souligné et salué.

185. Dans le même temps, la France, tout comme plusieurs de ses voisins européens, a récemment durci sa législation en la matière. L’Ordonnance du 2 novembre 1945 a été abrogée par l’Ordonnance du 24 novembre 2004, à l’exception de deux articles. Elle a été remplacée par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ci-après le Code), introduit par l’Ordonnance du 24 novembre 2004 et entré en vigueur le 1er mars 2005. D’une manière générale, comme je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises en d’autres circonstances, le durcissement des politiques d’immigration peut comporter un risque : si l’on ne contrôle pas les dérapages, elles peuvent mener à une stigmatisation des demandeurs d’asile, soupçonnés d’être des immigrés économiques. Mon rôle n’est évidemment pas de me prononcer sur la teneur des politiques poursuivies par les gouvernements des Etats membres. En revanche, je constate - et je déplore - que la conception plus stricte de l’asile, actuellement pratiquée en France, risque de contrevenir aux droits des véritables demandeurs d’asile.

186. Je me suis intéressé à différents aspects de la législation et aux différentes étapes que doivent franchir ceux qui arrivent sans les documents requis pour entrer en France et qui souhaitent y demander l’asile. Les problèmes liés aux reconduites à la frontière et aux expulsions des étrangers en situation irrégulière ont également retenu mon attention. Pour ce faire, je me suis rendu dans la zone d’attente du port autonome de Marseille à Arenc, et dans celle de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle. J’ai visité le centre de rétention d’Arenc, celui de Mesnil-Amelot à Roissy et celui situé sous la Préfecture de Paris. Je me suis également entretenu avec les ministres concernés, ainsi qu’avec M. Renaud Denoix de Saint-Marc, Vice-Président du Conseil d’Etat, M. Jean Loup Kuhn-Delforge, directeur général de l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (ci-après l’OFPRA) et ses collaborateurs. Enfin, j’ai rencontré les diverses associations et ONG qui viennent en aide aux étrangers. Je les remercie pour leur disponibilité et pour les précieuses informations qu’elles m’ont transmises.

1. Les zones d’attente

187. Il existe en France 120 zones d’attente dans les aéroports, les ports et les gares ouvertes au trafic international. La loi du 26 novembre 2003 a étendu la définition de la zone d’attente à tout lieu « situé à proximité du lieu de débarquement » et « dans lesquels l’étranger doit se rendre, soit dans le cadre de la procédure en cours, soit en cas de nécessité médicale ». Ce qui m’a tout d’abord frappé lors de mes visites dans les zones d’attente d’Arenc et de Roissy est leur statut. Ces lieux semblent en effet être considérés par les autorités comme ne faisant pas partie du territoire français. Or, ainsi que j’ai pu m’en rendre compte, ils se situent bel et bien sur le territoire français et ne flottent pas dans l’espace intersidéral. De plus, plusieurs lois concernent spécifiquement ces lieux et établissent une réglementation qui leur est propre. Le droit français devrait dès lors s’y appliquer. Ce n’est pas le cas d’après mes interlocuteurs, ce qui fait de ces endroits des espaces juridiques flous dont le statut devrait être corrigé au plus vite, afin de lever l’ambiguïté juridique qui y persiste.

a. La procédure de maintien en zone d’attente

188. Trois catégories d’étrangers peuvent être maintenues en zone d’attente : les non admis qui représentent ceux qui n’ont pas été autorisés à entrer sur le territoire car ils ne remplissent pas les conditions fixées par le Code ; les étrangers en transit interrompu, qui n’ont pu poursuivre leur voyage car ils se sont vu refuser l’embarquement, ou l’entrée dans le pays de destination ; les demandeurs d’asile à la frontière qui, conformément à la Convention de Genève, constituent une exception et ne sont pas obligés de produire des documents de voyage. Je reviendrai plus loin sur la procédure dite de l’asile à la frontière.

189. Quelle que soit la situation de l’étranger, un officier de la police aux frontières (PAF) lui notifie sa non-admission sur le territoire français et son maintien en zone d’attente pour une durée initiale de 48 heures, renouvelable une fois suivant les mêmes modalités. Ce n’est qu’au terme de ces quatre jours qu’intervient le juge des libertés et de la détention, qui peut décider une prolongation de huit jours. A l’issue de ces douze jours, l’étranger est représenté devant le juge des libertés et de la détention, qui peut proroger son maintien en zone d’attente pour huit jours supplémentaires. En tout état de cause, le placement en zone d’attente ne peut excéder vingt jours. Passé ce délai, l’étranger qui n’a pu être reconduit à la frontière, est autorisé à rentrer sur le territoire en possession d’un visa provisoire de huit jours, période au terme de laquelle il doit avoir quitté la France.

190. Tout au long de son maintien en zone d’attente, l’étranger a le droit à l’assistance d’un interprète et d’un médecin et à communiquer avec un conseil ou toute autre personne de son choix. Les feuilles de notification des droits sont disponibles dans plusieurs langues. Toutefois, en examinant quelques traductions écrites à Arenc, j’ai pu me rendre compte qu’elles ne reproduisaient pas toutes fidèlement le texte français. Ainsi, si ce dernier mentionne très clairement la possibilité de demander l’asile, la version russe a omis cette précision. Cette difficulté devrait pouvoir être résolue rapidement par une vérification scrupuleuse des traductions et leur mise en conformité avec le texte original.

191. La loi du 26 novembre 2003 a introduit une modification d’importance : jusque-là l’étranger bénéficiait systématiquement d’un jour franc, pendant lequel il ne pouvait pas être renvoyé. Ces vingt-quatre heures pouvaient s’avérer précieuses pour ceux qui tentaient de régulariser, auprès de leur consulat par exemple, une situation jugée douteuse par les policiers de la PAF. Ce jour franc n’est désormais accordé que si l’étranger en fait explicitement la demande en cochant la case prévue à cet effet sur la feuille de notification de droits qu’il doit signer. Or, il semble que certains étrangers, faute d’interprète physiquement présent et de compréhension de ce que signifie ce terme juridique, ne saisissent pas les enjeux qu’il recouvre. Apparemment, dans certains cas, des policiers useraient de leur méconnaissance des lois, des procédures et de la langue pour les inciter à renoncer à ce droit. Je considère inadmissible toute pression en la matière. Mais j’estime plus grave encore l’application de telles techniques aux mineurs qui sont parfois renvoyés, selon mes informations, avant même qu’une procédure spécifique de protection ne soit mise en place. De tels agissements représentent un grand danger, et je demande aux autorités de modifier la législation en vue de rendre impossible aux mineurs de refuser le jour franc avant un éventuel renvoi.

192. Une autre modification proposée par la loi de 2003 fait débat. Elle concerne la délocalisation des audiences au cours desquelles les juges des libertés et de la détention statuent sur la prolongation et la prorogation du maintien en zone d’attente. Un premier tribunal délocalisé a ouvert ses portes à proximité directe du centre de rétention de Coquelles (Nord Pas de Calais) en juin 2005. Celui de Roissy est resté fermé, les avocats et juges refusant d’y siéger au motif que la salle prévue ne permet pas la publicisation des débats et ne garantit pas l’indépendance de la justice. Je comprends tout à fait les préoccupations des magistrats et des avocats. Il est vrai que la salle en l’état ne réunit pas les conditions essentielles à un procès équitable. Plusieurs de mes interlocuteurs m’ont assuré que des travaux seraient prochainement entrepris afin de détacher physiquement la salle d’audience des locaux de la PAF et d’en assurer le libre accès au public. Une fois ces garanties offertes, la délocalisation des audiences ne devrait plus soulever de problèmes. Je ne vois en effet pas d’objection, si et seulement si toutes les conditions précitées sont réunies, à ce que ce soient les magistrats qui se déplacent, et non plus les étrangers que l’on transporte au tribunal de Bobigny, où ils attendent des heures dans les mêmes locaux que des prévenus et dans des conditions qui ne respectent pas toujours leur dignité.

193. Enfin, se pose la question des étrangers qui ne sont pas admis en zone d’attente. Plusieurs informations, que des représentants d’ONG spécialisées m’ont transmises, montrent que les contrôles à la passerelle se multiplient et aboutissent quelques fois à des renvois immédiats ou à des placements dans les zones internationales de l’aérogare, sans pourtant que l’étranger soit enregistré et ne parvienne jusqu’à la zone d’attente. Le commandant de la PAF a reconnu l’importance des contrôles à la sortie des avions dont le but est de repérer les voyageurs dépourvus de documents de voyage, éventuellement d’identifier les réseaux, et d’expulser l’étranger avec le même avion. Il m’a assuré que ces opérations ne donnaient lieu à aucune irrégularité.

194. Pourtant, les informations concordantes qui me parviennent m’amènent à m’interroger sur le refus de notification du maintien en zone d’attente et le placement, pour quelques heures ou plus dans la zone internationale de Roissy. Le Conseil d’Etat a rappelé, dans une décision du 29 juillet 1998, que « le placement en zone d’attente constitue une obligation dont le non-respect rend la procédure irrégulière ». Si de telles pratiques semblent moins courantes, elles n’ont apparemment pas disparu et constituent une transgression contre laquelle j’appelle les autorités françaises à lutter fermement. Je propose en particulier qu’obligation soit faite aux compagnies aériennes de signaler par écrit au procureur de la République en charge de l’aéroport international en question chaque cas de non-admission sur le sol et de renvoi. Une telle pratique mettrait à jour toutes les procédures de renvoi de la façon la plus transparente qui soit.

b. Les conditions de maintien en zone d’attente

195. D’une manière générale, les zones d’attente ont enregistré ces deux dernières années une forte baisse de leurs activités. La France a en effet renforcé les mesures de contrôle en amont : elle a instauré des visas de transit aéroportuaire et a envoyé plusieurs officiers de liaison dans les aéroports étrangers. Ces derniers sont habilités à contrôler les documents de voyage après que les autorités du pays aient effectué une première vérification et avant l’embarquement à bord de l’avion. Ainsi, alors que 23 072 étrangers avaient été maintenus en zone d’attente en 2001, ils n’étaient que 14 291 en 2004. De fait, cette diminution s’est traduite par une évolution des conditions d’hébergement.

196. Le Code des étrangers stipule que les zones d’attente sont des lieux d’hébergement « assurant des prestations de type hôtelier » (article L. 221-2). Les zones d’attente dans lesquelles je me suis rendu à Marseille-Arenc et à l’aéroport de Roissy offrent des conditions variables. La première peut accueillir 20 personnes dans deux salles distinctes ; la deuxième dispose de 172 places. J’ai pu constater que ni l’une ni l’autre n’était au maximum de leur capacité ; seule une personne était présente à Marseille, alors que Roissy accueillait moins d’une centaine de personnes lors de ma visite. J’ai toutefois été choqué de voir des enfants déambuler dans les couloirs de la zone d’attente de Roissy au milieu des adultes. Ils accompagnaient leurs parents placés en zone d’attente. La famille disposait d’une chambre et avait accès à la salle réservée aux enfants proposant quelques jeux. Je maintiens toutefois, et je développerai ce point, que la place des enfants n’est pas dans une structure fermée, ne proposant que peu d’activités, peu voire pas de sorties, et où leur sécurité ne peut être garantie. Une solution alternative devrait être proposée aux familles avec enfants.

197. La zone d’attente d’Arenc pose plusieurs problèmes. Le premier provient du fait qu’elle n’est pas séparée du centre de rétention administrative comme le stipule clairement la loi. De plus, les deux pièces qui la constituent sont relativement délabrées et exiguës, une caractéristique commune à celles qui forment le centre de rétention que je décrirai plus loin. Les personnes qui y sont placées disposent d’une liberté de mouvement limitée à leur chambre. Si la diminution du nombre d’étrangers a pour conséquence d’offrir plus de place à ceux qui s’y trouvent, l’exiguïté des locaux, leur manque d’aération, et la fréquence très réduite des sorties restent problématiques. Les conditions s’avèrent meilleures à Roissy. Cela tient à la rénovation récente de la zone d’attente et au fait que le nombre d’étrangers qui y sont placés ne cesse de diminuer. D’ailleurs, la zone d’attente ne couvre aujourd’hui plus que le bâtiment dit ZAPI 3 (Zone d’Attente des Personnes en Instance) ; celui de ZAPI 2, situé dans l’enceinte du centre de rétention ayant été rattaché à ce dernier.

198. Dans les deux cas, l’accès aux soins semble garanti. Une infirmière est présente dans la journée à Arenc et un médecin y intervient plusieurs heures par jour. A Roissy, le dispositif est beaucoup plus complet ; il compte trois infirmières, présentes 7 jours sur 7 de 8h à 20h, et trois médecins qui se relaient dans la journée. Certains maintenus se sont toutefois plaints de leurs difficultés à se faire soigner quand le personnel médical est absent. Dans ce cas, seules les urgences sont traitées et on fait appel soit au SAMU, soit aux services d’urgence de l’aéroport. Or, il s’avère que le caractère d’urgence est laissé à la seule appréciation des officiers de garde de la PAF.

199. Depuis octobre 2003, la Croix Rouge est présente dans la zone d’attente de Roissy. Des médiateurs appartenant à cette ONG de renommée mondiale interviennent après la notification des droits. Ils offrent une écoute aux personnes maintenues et leur apportent des conseils juridiques. Car c’est là une des principales difficultés soulevées par les étrangers : ils ne connaissent pas les règles qui leur sont appliquées et, dans de nombreux cas, ne comprennent pas le français. Or, comme je l’ai déjà remarqué, il arrive quelques fois que les fonctionnaires de police se jouent de cette méconnaissance pour refuser d’enregistrer certaines demandes. Les médiateurs de la Croix Rouge ont permis de faire diminuer les tensions en jouant le rôle d’intermédiaires et en prodiguant, plus qu’une aide matérielle, une oreille attentive aux doléances des maintenus. J’ai pu apprécier leur travail lors de ma visite et me félicite de cette initiative.

c. La demande d’asile à la frontière

200. La procédure dite de « l’asile à la frontière » a pour objet d’autoriser ou non un étranger qui se présente à la frontière démuni de tout document à entrer en France au titre de l’asile. Après enregistrement par la police aux frontières, un agent de l’OFPRA présent sur place examine la demande. Un entretien est organisé dans les aéroports parisiens, dans lesquels l’OFPRA possède des bureaux. En revanche, en province, l’examen de la demande se fait sur la base du procès verbal établi à partir des déclarations du demandeur. L’agent de l’OFPRA transmet alors un avis au Ministère de l’Intérieur, qui porte sur le caractère « manifestement infondé » ou non de chaque demande. Si la demande est considérée comme fondée, l’étranger est admis sur le territoire français pour y demander l’asile. Il lui est alors remis un sauf-conduit lui permettant de déposer un dossier devant l’OFPRA. L’instruction au fond n’est alors réalisée qu’à un stade ultérieur dans le cadre des procédures d’asile de droit commun. En revanche, si la demande est considérée comme « manifestement infondée », le demandeur bénéficie d’un recours non suspensif et peut donc être immédiatement refoulé.

201. D’une manière générale, on constate une forte diminution des demandes d’admission au titre de l’asile : 2 513 avis ont été rendus en 2004 contre 5 633 en 2003 . Il est à noter que 95% des demandes d’admission au titre de l’asile sont déposées à l’aéroport de Roissy, 2,5% à Orly ; les zones aéroportuaires de province recueillant les 2,5% restant. Cette baisse est à mettre en relation avec la chute du nombre de personnes placées en zone d’attente. Elle est également imputable à une interprétation plus restrictive du caractère « manifestement fondé » de la demande. Cela se traduit par un faible taux d’admission sur le territoire au titre de l’asile. Il était de 18,7% en juin 2005.

202. Le très faible nombre de demandes d’asile déposées dans les ports m’a également frappé. Lors de ma visite à Arenc, j’ai appris qu’il n’y a qu’une vingtaine de demandes par an. Sept ont été déposées entre janvier et septembre 2005. En examinant le registre des entrées et des sorties, je me suis rendu compte que les clandestins restent très peu de temps en zone d’attente avant d’être refoulés. La moyenne du séjour à Arenc est, en effet, de 2 à 3 jours. Comme me l’a précisé le commandant qui m’a reçu, il arrive souvent que les clandestins maritimes repartent sur le même bateau dans la même journée.

203. Dès lors, je me demande si l’étranger jouit réellement de la possibilité de déposer une demande d’asile. Certains clandestins ne seraient même pas débarqués des navires et resteraient consignés à bord en attendant le départ du navire sur lequel ils ont été découverts. Ces pratiques peuvent aboutir à des drames humains, comme l’illustre l’histoire de ces deux Congolais sans papiers renvoyés après deux jours passés en zone d’attente sans qu’ils aient pu formuler leur demande d’asile. Pour protester et exprimer leur désarroi, ils ont sauté par un hublot du bateau qui les ramenait vers l’Afrique. Leur geste désespéré a entraîné de graves blessures et tous deux ont dû être hospitalisés. Comme je l’ai souligné précédemment, le placement en zone d’attente constitue une obligation légale qui doit être respectée en toutes circonstances, tout comme l’enregistrement et la prise en considération des demandes d’asile. 

2. L’asile de droit commun et les demandeurs d’asile

204. Entre 2004, 65 600 demandes d’asile ont été enregistrées en France. Ces chiffres font de la France le premier pays destinataire des demandeurs d’asile, même si elle n’échappe pas à la tendance globale observée au niveau européen orientée à la baisse. En effet, les demandes d’asile déposées en première instance connaissent une diminution. Les premiers mois de l’année 2005 confirment cette évolution : 27 000 demandes ont été formulées, soit 12% de moins que l’année précédente. L’augmentation observée en 2004 s’explique donc principalement par un triplement des demandes de réexamen rendu possible par les nouvelles dispositions législatives introduites par les réformes de 2003 et 2004. Si ces dernières ont permis plusieurs avancées qui méritent d’être soulignées, certaines de leurs dispositions consacrent un affaiblissement des garanties offertes aux demandeurs d’asile.

a. La réforme du droit d’asile

205. La loi du 11 décembre 2003 et le décret d’août 2004 ont réformé le droit d’asile. Certaines des dispositions adoptées ont permis un renforcement de ce droit, en particulier en ce qui concerne l’élargissement du champ d’application de la Convention de Genève et celui de la notion d’agent de persécution. Les persécutions émanant d’auteurs non étatiques sont désormais prises en considération si le pays concerné s’avère incapable d’apporter une protection à la personne menacée. Deuxièmement, la réforme institue une nouvelle forme de protection dite subsidiaire. Elle permet un séjour en France, pour 1 an renouvelable, de personnes exposées à certaines graves menaces en cas de retour dans leur pays d’origine. Dans ce cas, ce ne sont donc pas tant les motifs qui sont pris en compte, mais la nature des persécutions. La protection subsidiaire tend à être peu appliquée : elle a concerné 83 personnes en 2004, et 130 au premier semestre 2005.

206. Les réformes ont également conféré un rôle accru à l’OFPRA qui devient guichet unique d’asile en France. Créé en 1952 et placé sous la tutelle du Ministère des Affaires Etrangères, l’Office reconnaît la qualité de réfugié, accorde le bénéfice de la protection subsidiaire et exerce la protection juridique et administrative des réfugiés et apatrides. Son domaine d’activités a été élargi par le décret du 21 juillet 2004 qui lui transfère le bureau d’asile à la frontière, autrefois rattaché au Ministère des Affaires Etrangères. Parallèlement, ses moyens ont été augmentés, en particulier afin de résorber les quelques 34 000 dossiers en souffrance au 31 décembre 2001. Fin 2004, le « stock » de dossiers s’élevait à 11 600.

207. Au-delà des points positifs énoncés, les réformes de 2003 et 2004 soulèvent plusieurs interrogations. La première concerne le raccourcissement des délais. La demande d’asile de droit commun s’effectue dans les préfectures : après être entré sur le territoire français, le demandeur d’asile se rend dans la préfecture de son choix pour déposer sa demande et retirer le dossier de l’OFPRA qu’il devra remplir. La préfecture remet alors au demandeur, dans les quinze jours qui suivent, un document dit « d’admission au séjour ». Ce dernier, valable trente jours, lui confère un statut provisoire et lui ouvre le droit à l’hébergement d’urgence. Dans les faits, on constate une grande disparité dans les pratiques des préfectures, préjudice qui ne pourra être levé que grâce à une nécessaire harmonisation. De son côté, le demandeur dispose de 21 jours à compter de son enregistrement en préfecture, pour compléter le dossier OFPRA ; le dépôt de son dossier conditionne l’obtention d’un nouveau document provisoire de séjour, valable trois mois renouvelables. Le délai pour remettre le dossier à l’OFPRA était auparavant d’un mois.

208. De l’avis des nombreux représentants d’associations que j’ai rencontrés, le raccourcissement des délais ne laisse pas suffisamment de temps au demandeur pour remplir le dossier, rassembler les documents exigés et produire un récit cohérent. De plus, comme me l’ont fait remarquer mes interlocuteurs de France Terre d’Asile, le dossier remis à la préfecture ne comporte pas explicitement la mention « 21 jours ». Celle-ci est certes contenue dans la notice explicative qui lui est jointe. Mais cette dernière est exclusivement rédigée en français. De plus, le fait que l’autorisation provisoire de séjour remise après enregistrement à la préfecture soit valable trente jours crée une certaine confusion. Enfin, alors que jusqu’en 2003, la France était caractérisée par la longueur des délais de traitement de la demande d’asile, le fort raccourcissement introduit par la loi soulève des interrogations quant à la qualité du traitement accéléré.

209. Les vingt et un jours seraient sans doute tenables si la réforme n’avait introduit une autre exigence, que je qualifierais de discriminatoire. En effet, le dossier déposé à l’OFPRA doit être impérativement rempli en français pour qu’on puisse en tenir compte. Dès lors, le demandeur qui ne possède pas les compétences linguistiques nécessaires devrait faire appel à un interprète, mais à ses frais, ce qui revient très cher. Les demandeurs d’asile qui ne maîtrisent pas le français, ou pas suffisamment pour rédiger un récit cohérent et structuré, ont donc des chances drastiquement réduites par rapport aux demandeurs francophones. De plus, il paraît évident que la très grande majorité des demandeurs d’asile ne possède pas les moyens financiers pour rémunérer un interprète. Cette mesure rentre également en contradiction directe avec l’Ordonnance de 1945 qui prévoit l’interprétariat.

210. J’appelle donc les autorités françaises à reconsidérer leur position et, si elles maintiennent l’exigence du français, d’offrir aux demandeurs non francophones l’aide linguistique dont ils ont besoin pour déposer un dossier en bonne et due forme.

b. La procédure devant l’OFPRA

211. Si le dossier est complet et motivé, la demande est enregistrée et la procédure suit son cours : le récit et les motivations de l’intéressé sont examinés, une enquête peut être diligentée et une convocation à un entretien lui est adressée. En revanche, si le dossier est incomplet, ne répond pas aux exigences linguistiques ou est déposé hors délai, le demandeur se voit stipuler un refus d’enregistrement. Il peut alors déposer une nouvelle demande, mais qui sera examinée en procédure prioritaire selon des modalités que l’on exposera plus loin. Enfin, autre cas de figure possible, si la demande et l’éventuel recours ont été rejetés, le demandeur peut déposer une demande de réexamen, si et seulement s’il est en possession d’éléments ou de documents nouveaux. La procédure est alors identique à celle suivie en première instance. Le nombre de demandes de réexamen connaît une augmentation constante depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions législatives.

212. Les moyens accrus mis à la disposition de l’OFPRA ont permis un meilleur taux de convocation des demandeurs d’asile. Au dernier trimestre 2004, le taux de convocation concernant les premières demandes atteignait 82,4%, alors que le taux global (premières demandes et réexamen) se situait à 73%. Cette évolution semble se poursuivre avec un taux de convocation au premier semestre 2005 de 81%. Le taux d’entretien suit une même courbe ascendante : il est passé de 49% en 2003, à 58% en juin 2005. Le décalage observé entre taux de convocation et taux d’entretien peut en partie s’expliquer par l’obligation faite aux demandeurs de se rendre, à leurs frais, dans les locaux de l’OFPRA pour l’entretien. Cette mesure concerne également les demandeurs résidant en province. Ces derniers ne possèdent pas toujours les moyens de faire le voyage jusqu’à Paris. Il faudrait dès lors réfléchir soit à une indemnisation des demandeurs obligés de se déplacer, soit à l’ouverture d’antennes de l’OFPRA en province. Cette dernière possibilité mérite une attention particulière dans la mesure où, comme me l’ont précisé mes interlocuteurs à l’OFPRA, le nombre de demandes déposées dans les préfectures de province ne cesse d’augmenter. Il me semble qu’il serait tout à fait bénéfique d’installer 3 ou 4 pôles régionaux de sorte que tous les demandeurs se trouvent à une proximité relative d’une antenne leur permettant ainsi de s’y rendre sans dépenser une somme importante pour le billet.

213. Plusieurs remarques s’imposent quant à l’entretien. Mes collaborateurs et moi avons pu assister à plusieurs entretiens. Nous avons tous noté le professionnalisme des agents de l’OFPRA chargés de mener à bien ces entretiens pour vérifier la cohérence des dires du demandeur. Les agents sont d’ailleurs spécialisés sur une aire géographique certes large, mais ont, pour la plupart, une connaissance assez fine des différents pays d’où sont originaires les demandeurs. L’entretien dure en moyenne une heure. Le demandeur peut demander l’assistance d’un interprète, aux frais de l’Office. A ce sujet, l’un de mes collaborateurs a noté que la traduction, en l’occurrence du russe vers le français, ne rendait pas toujours exactement les propos du demandeur. Or, les personnes qui font une demande d’asile ont pour la plupart traversé des événements aussi tragiques que complexes. Il faudrait donc veiller à faire appel à des interprètes qui maîtrisent non seulement la langue, mais aussi la situation dans les pays concernés afin que soient fidèlement traduits les mots, les acronymes, les termes techniques faisant, par exemple, référence à une unité militaire ou encore que soient localisés les lieux géographiques désignés machinalement par le demandeur. Seule une telle démarche, qui a été observée par mes autres collaborateurs dans d’autres situations d’entretien, peut permettre une bonne compréhension des événements décrits par l’intéressé.

c. La Commission de recours des réfugiés

214. En 2004, le taux d’accord de l’OFPRA en première instance était de 9,3% : 6 358 demandeurs d’asile se sont vus reconnaître le statut de réfugié. Ce taux semble en légèrement diminution en 2005 : il s’élevait en juin à 7%. Les demandeurs déboutés peuvent former un recours devant la Commission de Recours des Réfugiés (CRR) qui constitue une véritable juridiction d’appel en la matière. Le délai du dépôt du recours est d’un mois après la notification de la décision de l’OFPRA. Nous pouvons relever que cette possibilité est de plus en plus saisie par les demandeurs : la CRR a traité 51 707 recours en 2004. Le dépôt d’un recours a pour effet de proroger l’autorisation de séjour. La CRR s’est vue dotée de nouveaux moyens pour traiter l’afflux de recours et absorber le stock en attente (près de 47 000 dossiers en 2004). Il s’agit évidemment d’un développement fort positif.

215. Il convient également de saluer le fait que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés s’est vu accorder un rôle important dans la procédure d’appel devant le CRR car un des assesseurs de cette juridiction collégiale est désigné par cette organisation internationale et y siège à titre délibératoire. Cela constitue une avancée positive.

216. Toutefois, mes interlocuteurs m’ont fait part de deux problèmes principaux. Le premier concerne la possibilité offerte depuis la réforme au président de la CRR de statuer par ordonnance sur la base d’un rapport. L’ordonnance fait perdre à la décision sa collégialité et son oralité. De plus, le demandeur n’a aucun moyen de défendre son dossier, contrairement à la procédure normale de recours devant la CRR. D’après le Représentant de l’UNHCR en France, M. Mohamed Boukry, jusqu’à 28% des dossiers seraient traités par ordonnance. Les décisions prises par ordonnance ne sont pas motivées et les critères qui les président restent flous. Il me semble que la charge de travail accrue à laquelle la CRR doit faire face ne peut en rien justifier l’utilisation massive d’ordonnances au risque qu’elle ne devienne abusive.

217. La deuxième difficulté évoquée tient aux divergences persistantes qui existent entre l’OFPRA et la CRR. La Bosnie-Herzégovine en est un bon exemple : les ressortissants de cet Etat sont majoritairement déboutés par l’OFPRA alors que leurs demandes sont acceptées à hauteur de 78% par la CRR. Cette dernière a en effet le pouvoir, si elle rejette la décision de l’OFPRA, d’accorder le statut de réfugié au débouté. Elle a donc un rôle correcteur, faisant passer le taux global d’accord à 18% (première demande et recours). Or, il est regrettable de constater que l’OFPRA ne suit pas toujours la jurisprudence établie par la Commission. Cela entraîne, pour certains demandeurs, des démarches supplémentaires, puisque le recours devant la CRR apparaît comme une voie normale d’obtention de l’asile dans certains cas comme celui de la Bosnie. 

218. Il semble que le gouvernement français ait laissé entendre fin novembre 2005 qu’il envisageait de ramener le délai de recours devant la CRR à quinze jours . Ce nouveau raccourcissement des délais ne me paraît pas aller dans le bon sens. Former un recours implique des démarches assez lourdes. Le débouté doit en particulier rédiger une lettre, en français, dans laquelle il explique les motifs de son recours, remplir un nouveau dossier et réunir les documents exigés par la CRR. Il ne bénéficie ni d’une aide linguistique, ni d’une aide juridictionnelle. D’une manière générale, et pour compléter mes observations précédentes, il me semble qu’il faut procéder à l’extension de l’aide juridictionnelle, qui n’est accordée qu’aux étrangers arrivés légalement sur le territoire français. 

219. En outre, lors de mon entretien avec M. Renaud Denoix de Saint-Marc, Vice-Président du Conseil d’Etat, nous avons évoqué la nécessité d’élargir l’indépendance décisionnelle de la CRR à l’indépendance budgétaire. En effet, malgré une indépendance décisionnelle de fait, la CRR fait administrativement partie de la structure de l’OFPRA et est financée sur son budget commun. Même s’il apparaît que ce lien est surtout logistique, je partage l’avis que pour assurer et mettre en valeur la totale indépendance de cette juridiction d’appel, il conviendrait de la doter d’une autonomie budgétaire.

d. Les droits sociaux réservés aux demandeurs d’asile
 
220. L’autorisation provisoire de séjour délivrée à un demandeur d’asile lui ouvre un certain nombre de droits. Les demandeurs ont ainsi accès aux centres d’hébergement du dispositif national d’accueil. Ils devraient être habituellement logés dans des structures réservées que sont les Centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). Les 181 centres comptaient 15 719 places au 1er janvier 2005, auxquelles s’ajoutent les 1 000 places proposées par les 28 Centres Provisoires d’hébergement répartis sur le territoire. Ces structures d’accueil ne peuvent absorber la totalité des demandeurs. Les services sociaux sont donc contraints d’en héberger certains d’entre eux dans des centres d’accueil d’urgence, ou dans des hôtels bas de gamme, insalubres, voire dangereux, à l’image de l’hôtel Paris Opéra dont l’incendie a fait 24 morts en avril 2005. Certains sont également installés dans leur famille ou chez des connaissances ; d’autres encore se retrouvent à la rue.

221. La question du logement est cruciale pour deux raisons principales. Le demandeur doit premièrement justifier d’une domiciliation pour avoir accès à des droits sociaux et, en particulier, à la couverture maladie. Plusieurs associations gèrent des plates-formes qui offrent une domiciliation aux demandeurs d’asile qui ne se trouvent pas en CADA ou dans une structure stable. J’ai visité l’une des plates-formes gérée par l’association « France Terre d’asile », rue Doudeville à Paris, et j’ai été impressionné par le travail effectué par ses salariés. Quelque 12 000 demandeurs y sont domiciliés ; environ 1 200 d’entre eux sont accueillis chaque jour. Ils viennent y chercher leur courrier, des informations sur les hébergements d’urgence et des conseils juridiques. Ces plates-formes sont devenues des rouages indispensables à la gestion des demandeurs d’asile. Et ce d’autant plus que les décrets de 2004 obligent le demandeur à prouver, au bout de trois mois, qu’il a un domicile réel pour que soit renouvelé son titre de séjour provisoire. Comme l’a relevé la CNCDH dans un avis rendu le 17 juin 2004, cette nouvelle disposition ne fait qu’aggraver les difficultés des demandeurs, plus encore dans un contexte général de pénurie de logements sociaux.

222. Deuxièmement, les études menées par plusieurs associations montrent que les demandeurs d’asile n’ont pas les mêmes chances suivant la structure dans laquelle ils sont hébergés. Lors d’une conversation très intéressante avec les représentants de « France Terre d’asile », j’ai été informé que globalement, ceux qui trouvaient une place en CADA sont favorisés à double titre : toutes leurs démarches sont facilitées car ils sont entourés et conseillés, juridiquement et administrativement sur le lieu de leur hébergement ; s’ils ne bénéficient pas de l’allocation d’insertion, réservée à ceux qui sont logés hors CADA, ils ont par contre accès automatiquement, sous conditions de ressources, à la Couverture Maladie Universelle et à la complémentaire affiliée à ce régime. On estime ainsi qu’un demandeur hébergé en CADA a cinq fois plus de chances de se voir attribuer la qualité de réfugié : 60 à 80% des demandeurs d’asile hébergés en CADA reçoivent un statut alors que la moyenne nationale est de 16%. Or, la situation dans les CADA est aujourd’hui d’autant plus complexe que des catégories de personnes censées avoir quitté ces centres s’y trouvent toujours : les réfugiés statutaires qui ne parviennent pas à se loger et les déboutés du droit d’asile qui mettent quelquefois plusieurs mois à quitter les lieux. Il existe donc de fortes inégalités dans l’accès au statut de réfugié. La stabilité, la proximité d’un encadrement administratif et juridique en augmentent les chances. S’il paraît illusoire et utopiste d’appeler à la construction de la dizaine de milliers de places manquantes en CADA, il me semble indispensable de réfléchir à une solution efficace qui permettrait un traitement égal pour tous les demandeurs d’asile.

e. La liste des pays d’origine sûrs

223. Alors que les discussions continuent à achopper au niveau européen, l’OFPRA a adopté le 30 juin 2005 une liste de 12 pays réputés « sûrs », considérés comme respectueux des droits de l’homme : le Bénin, la Bosnie Herzégovine, le Cap Vert, la Croatie, la Géorgie, le Ghana, l’Inde, le Mali, l’Ile Maurice, la Mongolie, le Sénégal et l’Ukraine. Cette liste, dans son principe, comme dans sa composition, soulève un certain nombre d’interrogations. Ainsi, je doute fortement que tous ces pays puissent être considérés comme des pays d’origine sûrs. Je partage tout à fait sur ce point les inquiétudes dont le représentant de l’UNHCR en France, M. Mohamed Boukry, m’a fait part lors de notre entretien. Et ce d’autant plus que ces pays continuent à produire des réfugiés.

224. Or, l’inscription sur la liste des pays d’origine sûrs a des conséquences importantes pour le demandeur d’asile qui serait originaire de l’un ou l’autre de ces pays. Ces derniers se voient en effet systématiquement refuser l’autorisation provisoire de séjour. Ils sont donc privés des droits sociaux accordés aux demandeurs d’asile de droit commun et leur demande est traitée en procédure prioritaire.

f. La procédure prioritaire

225. La procédure prioritaire est une procédure d’examen accélérée de la demande d’asile. Elle concerne plusieurs catégories de demandeurs. Sont tout d’abord concernés les demandeurs d’asile ayant fait l’objet d’un refus d’enregistrement devant l’OFPRA et s’étant vus notifier un refus de séjour, soit que leur demande ait été considérée frauduleuse, abusive ou dilatoire, soit que la préfecture ait considéré qu’ils constituaient une grave menace pour l’ordre public. La deuxième catégorie visée est représentée par les demandeurs d’asile en centre de rétention, question que j’aborderai plus loin dans le détail. La procédure prioritaire concerne en troisième lieu les ressortissants des pays considérés comme « sûrs ». Enfin, elle peut être appliquée aux demandes de réexamen. Si tous les réexamens ne sont pas traités en procédure prioritaire, 63% d’entre eux se font suivant la procédure prioritaire.

226. Depuis 2002, on constate une augmentation continue des procédures prioritaires : alors qu’elles représentaient 8,3% des demandes totales, elles ont formé 18% des demandes au cours des cinq premiers mois de 2005. Cette augmentation s’explique premièrement par l’interprétation très large de la notion de demandes frauduleuses, abusives ou dilatoires qu’ont certaines préfectures. Deuxièmement, l’application de la procédure prioritaire aux ressortissants des pays d’origine sûrs y contribue fortement. L’UNHCR craint également son application quasi automatique à l’encontre des personnes récemment arrivées en France, et qui seraient interpellées pour des raisons diverses sur la voie publique alors qu’elles n’auraient pas encore déposé leur dossier à l’OFPRA.

227. Le caractère accéléré de cette procédure a été renforcé par l’imposition de délais très stricts : le demandeur a quinze jours pour remettre son dossier dûment rempli en français à la préfecture (circulaire du 22 avril 2005) ; l’OFPRA dispose ensuite de quinze jours pour statuer (décret du 14 août 2004). D’après les chiffres fournis par l’OFPRA, il traite les procédures prioritaires concernant des premières demandes en 6 jours en moyenne (3,8 si le demandeur est en centre de rétention administrative), et en moins de 4 jours quand il s’agit d’un réexamen. Quant au taux de convocation à l’entretien, il a connu une certaine progression tout au long de l’année 2004, mais reste faible. Il est en effet passé de 20% en juillet à 35% en décembre 2004.

228. Ces délais me semblent extrêmement courts pour que soit procédé à un examen attentif des dossiers. De plus, je les trouve incompatibles avec l’exigence faite aux demandeurs de déposer leur dossier en français. De fait, le taux d’accord sur procédure prioritaire est insignifiant puisqu’il n’a concerné que 1,8% des demandes en 2004, (2,7% des premières demandes et 0,8% des demandes de réexamen). Ce qui signifie que la procédure prioritaire est loin d’offrir les mêmes garanties que la demande d’asile de droit commun. En définitive, elle ne laisse qu’une chance infime aux demandeurs. En effet, le recours qu’ils peuvent déposer devant la CRR n’est pas suspensif et ils peuvent donc être expulsés pendant la procédure ?

229. Il existe donc en France un système de demandes d’asile à deux vitesses, qui tend à être renforcé par les récentes réformes de l’asile et la méfiance qui entoure de manière générale les étrangers. Dès lors, je tiens à rappeler qu’une procédure prioritaire ne doit surtout pas devenir une procédure d’exception. Si certaines démarches peuvent effectivement être accélérées compte tenu des données de certains dossiers, la procédure prioritaire ne doit pas pour autant devenir une procédure expéditive et chaque dossier doit faire l’objet d’un examen complet et attentif.

g. Les déboutés du droit d’asile et l’accès à l’Aide Médicale d’Etat

230. Si l’asile lui est refusé, l’étranger dispose d’un délai d’un mois pour quitter le territoire français. Cette disposition n’est que très peu respectée. La plupart des déboutés deviennent alors des clandestins ou des sans-papiers. Selon les estimations, entre 200 000 et 400 000 personnes en situation irrégulière vivraient aujourd’hui en France. Nombreux sont ceux qui vivent dans le dénuement, privés de toute aide et avec la peur d’être renvoyés à tout instant. Les difficultés qu’ils rencontrent et les problèmes qu’ils posent, tant en termes de travail au noir, de conditions de logement, que, pour certains, de délinquance, méritent une réflexion urgente et une action globale visant à améliorer le sort de ces populations.

231. Pourtant, les dernières évolutions laissent craindre le pire. Les sans-papiers bénéficiaient en effet de l’Aide Médicale d’Etat (AME), dispositif subsidiaire à la Couverture Maladie Universelle, qui leur permettait d’avoir accès aux soins. Plusieurs décrets ont réformé l’AME en 2004, puis en juillet 2005, supprimant l’admission immédiate à l’AME et en complexifiant l’accès. Les premières réformes ont touché les enfants et les adolescents en introduisant une obligation de durée de résidence, sauf urgence, mettant en jeu le pronostic vital. Si, après l’intervention de nombreuses associations, institutions et organisations, dont la condamnation du Comité européen des Droits sociaux, la France a indiqué par la circulaire du 16 mars 2005 que tous les soins aux mineurs prodigués à l’hôpital sont réputés répondre à une condition d’urgence, le principe introduit par cette réforme a été maintenu. Ainsi, depuis les décrets de 2005, chaque malade doit prouver qu’il réside depuis trois mois en France. Demander un tel justificatif à une personne vivant irrégulièrement en France est une absurdité et peut la priver d’un accès aux soins ou retarder le traitement et ainsi compromettre ses chances de réussite. J’en appelle aux autorités françaises pour qu’elles reviennent de toute urgence sur cette disposition qui peut avoir des conséquences dramatiques.

3. Les centres de rétention administrative

a. La procédure de placement en centre de rétention administrative

232. Les centres de rétention administrative pour étrangers (ci-après CRA), créés en 1981, accueillent les étrangers placés sous le coup d’une mesure d’éloignement judiciaire (reconduite à la frontière) ou administrative (arrêté d’expulsion), les étrangers condamnés à une peine d’interdiction du territoire, et ceux frappés d’une mesure d’éloignement exécutoire par l’un des pays membres de l’Union Européenne faisant l’objet d’un signalement aux fins de non-admission au système d’information Schengen. Le placement en rétention a pour objectif d’organiser la mesure d’expulsion, quand cette dernière ne peut être effective immédiatement. La France, DOM-TOM exceptés, compte actuellement 18 CRA.

233. La loi du 26 novembre 2003 a modifié le régime des centres de rétention administrative et a étendu la durée de rétention maximum, qui est ainsi passée de 12 à 32 jours. Un étranger en instance de reconduite à la frontière ou interdit de territoire est placé pour 48 heures en CRA sur décision du préfet. A l’issue de ces deux jours, il est présenté au juge des libertés et de la détention qui peut prolonger la rétention de quinze jours. Au-delà de ce délai, le juge est à nouveau saisi, et peut décider une nouvelle prorogation de quinze jours. L’étranger peut faire appel à tout moment de son placement en rétention, mais l’appel n’est pas suspensif.

234. Aux côtés des 18 CRA que compte la France métropolitaine, existent des locaux de rétention administrative. D’après la CIMADE, leur nombre aurait augmenté en 2004. Créés par arrêté préfectoral pour une durée plus ou moins déterminée, les locaux de rétention sont le plus souvent situés dans des commissariats. Ils reçoivent provisoirement des étrangers qui n’ont pu être placés immédiatement en CRA. La durée de rétention ne peut théoriquement excéder les 48 premières heures, mais cette disposition ne semble pas toujours respectée. De plus, les conditions d’accueil offertes par certains locaux sont loin de satisfaire aux normes minimales.

b. Les conditions de rétention

235. Les conditions de rétention que j’ai pu observer varient d’un CRA à l’autre. Les retenus que j’ai rencontrés dans les trois centres que j’ai visités m’ont fait part de difficultés communes, telles l’ignorance dans laquelle ils sont laissés quant à l’évolution de leur dossier, ou encore les violences subies lors de leur interpellation avant leur placement en CRA.

236. De manière plus spécifique, les retenus du centre de Marseille-Arenc se sont plaints du manque d’hygiène, de la difficulté d’accéder aux soins, de la rareté des sorties dans une cours grillagée exiguë, du coût des cartes de téléphone et des autres produits disponibles dans les distributeurs. J’ai d’ailleurs été étonné par le prix des cigarettes commercialisées par un distributeur automatique et qui dépasse largement celui habituellement pratiqué par les bureaux de tabac. L’administration m’a expliqué que le prix est fixé par une société privée. A moins qu’il ne s’agisse d’un apport de cette société à la lutte contre le tabagisme et pour la santé des personnes retenues, j’ai plutôt eu l’impression de me retrouver face à une tentative peu scrupuleuse de tirer des profits commerciaux de la misère humaine. Une administration publique ne doit pas permettre le déroulement de tels faits sous son égide. D’ailleurs, dans le CRA de Mesnil-Amelot, le prix des cigarettes proposées dans les distributeurs correspondait strictement à ceux des bureaux de tabac.

237. Pour en revenir aux conditions générales constatées dans le centre d’Arenc, je ne peux que constater que l’étroitesse des locaux et leur localisation au dernier étage d’un hangar ne plaident pas pour de bonnes conditions de rétention. Lors de ma visite, 59 étrangers, dont 4 femmes, y étaient retenus pour une capacité de 60 places. La salle commune, réservée aux hommes, petite, enfumée et manquant cruellement d’aération, illustre l’état général dégradé du bâtiment. De manière générale, je ne peux qu’insister sur la nécessité de fermer sans délai le centre de Marseille-Arenc en août 2006.

238. Les conditions s’avèrent globalement meilleures au Mesnil-Amelot, malgré le bruit constant des avions décollant ou atterrissant sur les pistes de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle dans l’enceinte duquel se trouve le CRA. Même si des problèmes concernant l’hygiène m’ont été signalés, il est difficile de ne pas voir les améliorations dues à la récente rénovation du centre. Les 140 à 160 retenus peuvent circuler librement de 7h à 20h dans le CRA, qui s’étend sur 3,5 hectares. Au-delà de ces horaires, ils sont cantonnés dans chacun des six bâtiments, mais conservent un accès aux cours qui entourent les dortoirs. Hommes et femmes sont hébergés dans des bâtiments séparés, mais peuvent se côtoyer durant la journée. Les retenus ont accès aux activités sportives et à une bibliothèque tenue par la Croix Rouge.

239. En revanche, la situation au centre de rétention pour hommes qui se trouve sous le dépôt du Palais de Justice de Paris est catastrophique et indigne de la France. Je suis content que la visite de ces lieux que je tenais absolument à effectuer ait finalement pu se faire malgré quelques problèmes initiaux apparemment provoqués par des difficultés organisationnelles. Situé au sous-sol, le CRA est composé de deux étages, tout aussi délabré l’un que l’autre. Les locaux sont exigus, mal éclairés ; l’hygiène fait cruellement défaut, les sanitaires sont dans un état déplorable. La télévision constitue la seule occupation proposée aux retenus. Ils ont certes accès à une cour, mais elle ne fait que quelques mètres carrés. De plus, près d’un tiers de sa superficie au sol est couverte par un grillage, qui donne sur la cour réservée aux retenus qui occupent le deuxième sous-sol. Les cours, si un tel qualificatif peut être employé pour ces endroits, constituent l’unique source de lumière naturelle. Les retenus qui sont placés au deuxième sous-sol n’ont pour seule perspective que les chaussures de ceux du premier sous-sol et les mégots coincés dans les grilles par ces derniers. Ces conditions inhumaines et dégradantes sont inacceptables pour les personnes retenues qui y sont placées, mais également pour les fonctionnaires qui y travaillent. Il est plus qu’urgent de fermer cet endroit qui représente à lui seul une image flagrante d’une violation grave des droits de l’homme. J’espère que sa fermeture annoncée depuis un certain temps sera effective le plus rapidement possible. Comme je l’ai dit au Ministre de l’Intérieur et au Préfet de Police, aucun report ne saurait être tolérable car un tel endroit situé au cœur même de la justice française reste inadmissible.

240. La partie réservée aux femmes est, quant à elle, en bien meilleur état. Propre, mieux aérée, elle offre des conditions plus acceptables aux 12 femmes qui y étaient retenues lors de notre visite. On regrettera simplement que la cour de promenade, séparée par quelques couloirs des chambres et pièces communes, ne soit pas accessible librement. Quoi qu’il en soit, je ne peux que souligner le travail remarquable effectué par les sœurs de la congrégation religieuse qui s’occupent, en collaboration avec les services pénitentiaires, de la partie femmes du CRA du dépôt de Paris.

241. D’une manière générale, l’accès aux soins est garanti dans tous les CRA que j’ai visités. J’ai pu me rendre compte du professionnalisme des infirmières et des médecins qui exercent dans les centres d’Arenc, du Mesnil-Amelot et dans celui du dépôt du Palais de Justice de Paris. J’ai également pu apprécier le travail, les conseils juridiques et l’aide apportés par la CIMADE dans les deux premiers centres visités. Cette association possède également une antenne au CRA du dépôt du Palais de Justice de Paris, mais elle n’est ouverte que quelques heures par jour. Enfin, dans chacun des centres, officient des fonctionnaires de l’Agence Nationale de l’Accueil des Etrangers et des Migrations (ANAEM). Ils sont principalement chargés d’expliquer à l’étranger, à son arrivée, les procédures de demandes d’asile et le fonctionnement du CRA. En même temps j’ai eu l’impression que les personnes retenues avec lesquelles j’ai pu discuter semblaient préférer l’aide et les conseils des représentants de la CIMADE à ceux des collaborateurs de l’ANAEM. Ces derniers, selon des retenus interrogés, leur donnaient plus l’impression de vouloir les dissuader de demander l’asile que d’encadrer leurs démarches. Quoi qu’il en soit, la présence de ces institutions et de ces associations, par l’écoute qu’elles fournissent aux retenus, contribue grandement à apaiser les tensions fortement palpables, que j’ai pu ressentir dans chacun des centres visités.

242. Ces tensions découlent des conditions de rétention, de la surpopulation engendrée par la multiplication des reconduites et l’allongement de la durée de rétention ; elle est également la conséquence de l’augmentation des capacités d’accueil des CRA et de la promiscuité grandissante. Elle s’explique aussi par le très fort ressentiment exprimé par une partie des retenus. Si entre 20 et 40% d’entre eux selon les centres sortent de prison, certains retenus ont été interpellés « par hasard » sur la voie publique, ou lors de contrôles d’identité organisés dans des quartiers connus pour abriter un grand nombre de personnes en situation irrégulière.

243. Ces derniers étaient pour la plupart en France depuis plusieurs années, avaient travail, logement et quelquefois famille. Ils m’ont vivement exprimé l’incompréhension qui les animait et le désarroi qui les a saisi à l’annonce de leur expulsion imminente vers un pays avec lequel ils n’ont gardé que peu d’attaches. Mon rôle n’est pas d’émettre une opinion sur la politique d’immigration suivie par la France. Je constate en revanche que l’augmentation des capacités des centres de rétention, de manière parfois artificielle et sans que de réels agrandissements n’aient été effectués, transforme la nature de ces centres et engendre des tensions fortes entre les retenus, et entre les retenus et les policiers ou gendarmes chargés de leur garde. La création d’un centre de 290 places à Vincennes me laisse quelque peu perplexe et je me demande comment un centre d’une si grande capacité pourra apporter aux retenus des conditions de rétention dignes.

c. La demande d’asile en centre de rétention administrative

244. La procédure de demande d’asile en rétention m’a interpellé. Il m’a été expliqué que les étrangers placés en rétention ne pouvaient formuler une demande d’asile que dans les cinq jours qui suivaient leur admission et la notification écrite de leurs droits. La demande d’asile est transmise par la police, la gendarmerie ou la CIMADE à la préfecture compétente, qui adresse un dossier au retenu. Sa demande est alors traitée en procédure prioritaire par l’OFPRA. Pourtant, l’OFPRA ne dispose d’aucune antenne dans les CRA, alors même que les demandes d’asile qui y sont déposées sont nombreuses : 675 au Mesnil-Amelot entre janvier et décembre 2005, et entre 30 et 40 au premier semestre 2005 à Arenc.

245. De plus, comme cela a déjà été mentionné, selon les nouvelles dispositions introduites par le Code sur l’entrée et le séjour des étrangers, la demande doit être entièrement rédigée en français. Le retenu non francophone doit donc faire venir un interprète et le rémunérer à ses frais. Or, même s’il en a les moyens financiers, ce qui est rarement le cas, il s’avère très difficile de trouver un interprète qui accepte de se déplacer dans les centres de rétention dans des délais très courts. Cette difficulté est augmentée dans le cas des langues vernaculaires rares. Ainsi, des représentants de la CIMADE au CRA du Mesnil-Amelot nous ont fait part du fait qu’un Iranien, retenu à l’été 2005 au centre, a déposé une demande d’asile et a cherché un interprète qu’il avait les moyens de rémunérer, mais n’en a pas trouvé. Il a envoyé son dossier à l’OFPRA, expliquant les raisons pour lesquelles il lui avait été impossible de remplir les formulaires en français. Sa demande a été rejetée et il a été reconduit à la frontière dans la foulée. Cette histoire parle d’elle-même. Personne n’a même essayé de comprendre les motivations qui ont poussé cet homme à déposer une demande d’asile, tout simplement parce que le formulaire était rédigé dans une langue autre que le français et que les conditions de forme n’étaient pas remplies. Il est tout de même catastrophique de ne prendre en considération que la forme et de ne pas y voir derrière le destin d’une personne. Or, la réglementation actuelle tend malheureusement de plus en plus à ce genre de comportements.

246. Le non-respect de la disposition relative à la langue motive la très grande majorité des refus de l’OFPRA. De plus, la CIMADE remarque que de nombreux dossiers ne sont pas transmis à l’OFPRA par les préfectures quand la demande n’est pas faite en français. Le contexte très particulier des centres de rétention et les délais très courts accordés au demandeur d’asile en CRA devraient inciter le gouvernement français à revoir cette exigence linguistique et à introduire rapidement une réforme en ce sens.

247. Outre ces difficultés linguistiques majeures, se pose le problème du traitement de la demande d’asile par l’OFPRA. A partir de la réception du dossier, l’Office dispose d’un délai de 96 heures pour statuer. S’il est vrai que l’Office a fait un effort pour améliorer le taux d’entretien des personnes retenues, celui-ci reste très faible et assez aléatoire. De fait, le taux d’acceptation est dérisoire : sur les 675 demandes déposées par des personnes retenues au Mesnil-Amelot entre janvier et septembre 2005, seules 4 ont été acceptées d’après les chiffres fournis par les représentants de la CIMADE présents sur place. Globalement, l’OFPRA refuse 90% des demandes d’asile formulées dans les centres de rétention. De plus, comme dans le cas d’une procédure prioritaire, le recours que l’étranger peut déposer n’est pas suspensif.

248. Le traitement d’une demande d’asile formulée en CRA n’offre pas les mêmes garanties qu’une demande déposée dans un autre contexte. L’OFPRA préconise l’utilisation de la visioconférence pour augmenter le taux de convocation et éviter d’avoir à transférer l’étranger retenu dans ses locaux en vue d’un entretien. Cette solution n’est recevable que si elle donne aux demandeurs d’asile les mêmes garanties, en particulier en matière de traduction. Il me semble que la création d’antenne de l’OFPRA au sein des centres de rétention, sur le modèle de ce qui existe en zone d’attente, serait une solution qui permettrait une plus grande équité dans le traitement des demandes. J’invite les autorités françaises à y réfléchir.

d. Le faible taux de reconduite à la frontière des retenus

249. La durée moyenne de rétention oscille entre 8,5 jours à Arenc et 11 jours au Mesnil-Amelot. Cependant, près de 25% des retenus du Mesnil-Amelot restent plus de 17 jours. Si après 32 jours de rétention, l’étranger n’a pu être renvoyé, il est libéré. Un sauf-conduit de sept jours lui est remis, accompagné d’une injonction à quitter le territoire. Peu respectent cette obligation et nombreux sont ceux qui viennent grossir les rangs des clandestins.

250. D’après les statistiques qui m’ont été fournies par les CRA que j’ai visités, seule près de la moitié des étrangers placés en CRA sont effectivement expulsés : 46% des personnes retenues au Mesnil-Amelot et 54% à Arenc. Ce chiffre est en augmentation constante ; il est passé de 20% en 2001 à près de 50% en 2004. En 2004, 11 500 étrangers ont été expulsés ; au premier semestre 2005, ils étaient 7 885 à avoir été frappés par cette mesure, soit 22% de plus par rapport à la même période de l’année précédente. La progression du nombre de renvois s’inscrit dans la perspective d’un durcissement de la législation sur les étrangers et d’un renforcement des renvois. Le Ministre de l’Intérieur a exprimé le souhait que le nombre d’expulsions d’étrangers en situation irrégulière augmente en 2005 de 50% par rapport aux chiffres de 2004. Le fait d’énoncer des quotas est une pratique choquante qui présente le risque de conduire à la mise en place de dispositifs tels que les arrestations massives dans des zones ciblées pour remplir les objectifs fixés, les interpellations aux guichets des préfectures, et à un certain nombre d’abus.

251. Les non-éloignements découlent de plusieurs causes. Premièrement, le Tribunal administratif peut annuler l’arrêté d’expulsion. Il peut deuxièmement résulter de l’obstruction faite par l’intéressé à son identification. Dans ce cas, si l’étranger persiste dans son refus de s’identifier, il peut être jugé et condamné à une peine d’emprisonnement. Il en est de même pour celui qui refuse son éloignement. Ces derniers seront alors, à leur sortie de prison, renvoyés directement en centre de rétention administrative pour une nouvelle tentative de reconduite.

252. Le non-éloignement peut également émaner d’un défaut de coopération du consulat du pays d’origine de l’étranger. En effet, l’expulsion ou la reconduite ne peuvent être exécutées, surtout si l’intéressé ne possède aucun document de voyage, que si le consulat du pays d’origine délivre un laissez-passer. Pour ce faire, le consulat doit dans un premier temps s’assurer que l’étranger en question est bien l’un de ses ressortissants et procéder à sa reconnaissance. La coopération avec les consulats se révèle, de l’aveu même de mes interlocuteurs, aléatoire. Certains consulats refusent de collaborer, rendant la reconduite de leurs prétendus ressortissants impossible. Certains pays n’ont pas de représentation en France et ne peuvent donc pas effectuer la reconnaissance préalable à la délivrance d’un laissez-passer : ainsi le Surinam ne possède pas d’ambassade en France métropolitaine, et un seul consulat à Cayenne. Or, même si la réponse négative du consulat est connue rapidement, il semble que l’étranger soit, dans la plupart des cas, retenu 32 jours, puis relâché. Le placement en CRA est alors assimilable à une peine qui frappe l’étranger. La pénalisation de l’étranger est tout à fait dommageable et aboutit à des situations inextricables, dans lesquelles ces personnes, qui ne sont en rien assimilables à des délinquants, sont traitées comme des coupables. 

253. Plusieurs retenus m’ont expliqué avoir été présentés à plusieurs reprises au consulat du pays duquel ils se sont déclarés originaires pour faire accélérer la procédure. Certains, parmi ceux qui se refusent à déclarer leur nationalité ou qui n’ont aucun document corroborant leurs dires, sont présentés au consulat de leur pays d’origine supposé. Une personne s’est même plainte d’avoir été présentée à un consulat différent de celui du pays qu’elle avait déclaré. Ces pratiques sont inquiétantes car elles relèvent d’une logique prônant l’éloignement à tout prix. Or, il arrive que la présentation au consulat se fasse alors que l’étranger a déposé une demande d’asile à son arrivée au CRA et que la réponse ne lui soit pas encore parvenue, ce qui constitue une grave entorse à la procédure et comporte un risque pour l’étranger.

e. La présence d’enfants dans les centres de rétention administrative

254. Plusieurs de mes interlocuteurs ont évoqué un autre problème que je considère important et qui révèle les travers des pratiques actuelles visant les étrangers. Il s’agit du placement d’enfants en rétention. Le Sénat estime même que la présence de mineurs dans les centres de rétention tend à se banaliser . De plus en plus de familles sont visées par des mesures d’éloignement. Plusieurs cas de figure se présentent : soit les parents ne possèdent pas les documents nécessaires à leur séjour en France et sont expulsables ; soit ils ont déposé une demande d’asile dans un autre Etat de l’Union européenne et y sont renvoyés en vertu de la Convention de Dublin. Tous sont susceptibles d’être placés en centre de rétention le temps que leur reconduite ou leur transfert soit organisé.

255. Or, le placement d’enfants en centre de rétention est contraire à la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant et à la loi française qui précise que l’étranger mineur ne peut pas faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière (Article L. 511-4, Code d’entrée et de séjour des étrangers). Le placement en CRA d’enfants et leur expulsion sont pourtant rendus possibles par un vide juridique et justifiés par le souci de ne pas séparer les enfants de leur famille. Les problèmes juridiques et humains que pose la présence d’enfants en rétention semblent pourtant totalement sous-évalués par les autorités françaises.

256. Les cas d’enfants placés en centre de rétention abondent malheureusement. La Défenseure des Enfants, Mme Claude Brisset, m’a fait part de cas d’enfants roms très jeunes placés avec leurs mères au centre de rétention de Bobigny. Ce centre est certes équipé de lits spécifiques et de tables à langer, mais ne délivre ni couches, ni nourriture adaptée. Le matériel nécessaire aux soins des nourrissons a dû être apporté bénévolement par des intervenants extérieurs. Rien n’étant prévu par les textes, chaque centre gère la présence d’enfants selon ses propres moyens, ce qui aboutit à des situations extrêmement délicates.

257. Les conditions dans les CRA sont précaires et le placement d’enfants pose des problèmes de sécurité évidents. Très peu de centres sont équipés pour accueillir des enfants. De toutes les façons, aucun enfant ne devrait être enfermé au motif que ses parents ne possèdent pas les papiers nécessaires à leur séjour en France dans des lieux où règnent le surpeuplement, le délabrement, la promiscuité et de très fortes tensions. Alors même que le placement d’enfants en CRA soulève des interrogations juridiques, il semble que l’assignation à résidence, disposition prévue par la loi, soit peu utilisée.

258. Une autre pratique m’inquiète au plus haut point : « l’interpellation » des enfants en présence de l’un de leurs parents, voire en leur absence. Plusieurs récits concordants font état d’enfants récupérés à l’école ou à leur domicile par les policiers, emmenés au commissariat pour rejoindre leurs parents, ou, pire encore, pour contraindre leurs parents frappés d’un arrêté d’expulsion de s’y rendre. Cette pratique illégale représente de surcroît un traumatisme pour les enfants et démontre qu’aucune distinction n’est faite entre mineurs et adultes. Les enfants sont victimes, au même titre que les adultes, de la pénalisation de l’étranger, et leurs droits, en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant, ne sont pas respectés. J’appelle les autorités françaises à une mise en conformité des pratiques en matière de rétention avec la législation française et les textes dont la France est signataire.

4. Allégations de violences lors des expulsions et des reconduites à la frontière

259. Certaines expulsions ou reconduites à la frontière sont ainsi entachées de violences. Environ 17% des expulsés sont escortés par les agents de la police aux frontières (PAF) qui m’ont affirmé recourir à des moyens proportionnés. Je ne doute aucunement de leur professionnalisme. Toutefois, les échos qui me parviennent font état de cas d’excès dans l’utilisation de la force, que ce soit à l’encontre d’étrangers placés en zone d’attente et reconduits, ou de personnes en CRA expulsées.

260. Le CPT, lors de sa visite à l’aéroport de Roissy du 17 au 21 juin 2002, a recueilli plusieurs allégations de mauvais traitements et de coups lors des embarquements ou des transferts de la zone d’attente ou du centre de rétention vers l’avion . De plus, les médecins rencontrés à Roissy m’ont fait savoir que dans les cas où ils constataient la présence de marques laissant supposer des coups, que ce soit à l’arrivée de l’étranger ou après un refus d’embarquement, ils établissaient un certificat médical qu’ils remettaient à l’intéressé. Il ne semble pas que le Parquet soit prévenu, sauf si les violences ont touché un enfant ou s’il y a eu viol.

261. Comme je l’ai déjà dit dans le cas des violences policières, les insultes, coups et autres mauvais traitements sont inacceptables et doivent être sanctionnés. Le Ministre de l’Intérieur a fait montre d’une grande sensibilité face à cette question. Il a proposé que chaque expulsion soit filmée afin de réduire tout risque d’usage disproportionné de la force, et toutes fausses allégations de mauvais traitements. Une telle mesure témoignerait du souci des autorités françaises de mettre fin à des pratiques condamnables en tout point. On pourrait également envisager que soit transmis au Procureur de la République tout certificat médical attestant de traces de violences et ce afin que des enquêtes soient diligentées dans les meilleurs délais.
 

5. Les « charters »

262. En juillet 2005, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont décidé la mise en place de charters européens pour reconduire les étrangers en situation irrégulière dans leur pays d’origine. Un « vol spécialement affrété » est parti en direction de l’Afghanistan avec quarante personnes à son bord. En 2003, la France avait déjà procédé à des expulsions massives de la sorte. Une telle mesure avait pourtant été fortement critiquée par la Commission Nationale de Déontologie et de Sécurité et jugée contraire au droit français par le Conseil d’Etat. Outre les graves problèmes de conformité à la législation que l’organisation de tels vols suscite, une question me paraît centrale. De tels renvois collectifs ne peuvent avoir lieu que si un examen au cas par cas de la situation de chacun des expulsés a eu lieu auparavant.

263. D’autre part, alors même que les charters ont pour objectif, entre autres, de diminuer les tensions qui peuvent apparaître consécutivement à l’embarquement d’une personne en instance d’expulsion sur un vol commercial, certaines des personnes renvoyées en 2003 par charters sont restées menottées au début du vol. La présence d’un membre de la Croix Rouge a certes contribué à calmer les esprits de tous les côtés. Si cette ONG a décidé de se retirer à la dernière minute du vol de juillet 2005, ses représentants réfléchissaient à leur participation au prochain vol charter. Il me semble que la présence d’un acteur extérieur offre des garanties supplémentaires au déroulement de ces vols et doit être reconsidérée avec beaucoup d’attention.

 

VII. LA SITUATION PARTICULIERE DES MINEURS

1. Les mineurs délinquants et le débat autour de l’âge de la responsabilité pénale

264. La justice des mineurs, qui concerne les enfants délinquants et ceux qui sont placés en situation de danger, est régie par l’Ordonnance du 2 février 1945. Ce texte a introduit la primauté de l’éducation sur la répression, la spécialisation des juridictions et l’excuse atténuante de minorité. Si les grands principes énoncés ci-dessous continuent à prévaloir, ce texte a subi plusieurs inflexions. Parmi les évolutions récentes les plus marquantes, la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 n° 2002-1138 introduit un durcissement de la réponse pénale face à la délinquance juvénile.

265. Un grand nombre de mes interlocuteurs était d’avis que l’Ordonnance de 1945 était devenue inadaptée et incapable de répondre aux évolutions de la délinquance des enfants. Cette dernière a en effet connu une nette augmentation au début des années 2000. Malgré une stabilisation, voire la légère baisse enregistrée entre 2002 et 2003, elle reste très importante : les mineurs représentaient 18,8% de l’ensemble des personnes mises en cause en 2003, un pourcentage qui reste stable. Les statistiques montrent également que les enfants interpellés sont de plus en plus jeunes et qu’ils font preuve d’une violence plus grande. On remarque d’ailleurs que la délinquance des enfants de 12 ans et moins connaît une progression de 12,2% entre 2002 et 2003, alors que celle des 13 ans et plus diminue légèrement .

266. L’évolution de la délinquance juvénile alimente le débat sur l’âge de la responsabilité pénale. En effet, l’Ordonnance de 1945 stipule que les réponses judiciaires varient en fonction de l’âge du mineur. Elle indique tout d’abord que seuls les mineurs capables de discernement peuvent être considérés comme pénalement responsables. La notion pénale de discernement est appliquée au cas par cas ; elle consiste à déterminer si l’enfant a pu « comprendre et vouloir » l’acte qui lui est reproché. La législation introduit, en second lieu, trois âges paliers avant la majorité de 18 ans - 10, 13 et 16 ans -, âges dont va dépendre le type de réponse adoptée par la justice.

267. De l’âge du discernement à 10 ans, le mineur peut être jugé par une juridiction pénale, mais aucune sanction ne peut être prononcée à son encontre. Par contre, le juge des enfants peut décider de mesures éducatives, comme le suivi du mineur incriminé dans sa famille. Les 10-13 ans peuvent, depuis l’adoption de la loi du 9 septembre, faire l’objet de sanctions éducatives : interdiction de se rendre dans un lieu précis, de rencontrer la victime, ses complices, obligation de suivre un stage de formation civique... Ceux qui ne respecteraient pas ces sanctions peuvent être placés dans un centre pour mineurs. Une fois atteint l’âge de 13 ans, les mineurs peuvent être condamnés à une peine d’emprisonnement. Néanmoins, ils ne peuvent être placés en détention provisoire que s’ils sont mis en examen pour crime. Dans le cas où il leur est reproché d’avoir commis un délit, seul le contrôle judiciaire peut être décidé.

268. Toutefois, depuis la loi du 9 septembre, l’enfant peut être placé dans un centre éducatif fermé en application de la mesure de contrôle judiciaire. De plus, « si le mineur se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire », le juge des enfants peut ordonner son placement en détention provisoire (art. 18). La distinction entre crime et délit est levée pour les mineurs âgés de 16 à 18 ans ; ils sont donc susceptibles d’être placés en détention provisoire quel que soit le type d’infractions commises.

269. Certains considèrent l’abaissement de l’âge de la responsabilité pénale comme la solution pour lutter contre l’augmentation de la délinquance juvénile et sa nature nouvelle. Les policiers plus particulièrement m’ont fait part de leur impuissance face à des mineurs qui savent n’encourir aucune sanction et qui, par conséquent, développent un fort sentiment d’impunité. Certains d’entre eux soutiennent cette proposition, qu’ils voient comme une adaptation nécessaire au rajeunissement des délinquants. Si je peux comprendre leur préoccupation, je ne soutiens en rien cette orientation. Prononcer des peines de prison à l’encontre d’enfants très jeunes ne ferait, selon moi, qu’aggraver le problème. Ce serait même un non-sens. J’ai eu l’opportunité de discuter de manière approfondie de cette problématique avec des magistrats, des avocats et des représentants d’associations. Tous m’ont dit être opposés à une telle disposition. Le Ministre de la Justice a également exprimé sa sensibilité face à cette question, estimant qu’il ne faut pas criminaliser la législation des mineurs. Je partage tout à fait sa position et encourage les autorités françaises à privilégier l’action éducative sur toute forme de répression.

270. En effet, le mineur qui commet un acte de délinquance ne doit pas être considéré comme « irrécupérable ». L’accent doit avant tout être placé sur un réapprentissage et sur l’éducation. Or, comme me l’ont exprimé plusieurs magistrats, la justice des mineurs est, à l’heure actuelle, défaillante dans la prise en charge des mineurs délinquants aussi bien dans des brefs délais, que sur le long terme. La priorité devrait donc être placée sur la réduction des délais de prise en charge des mineurs par les services sociaux spécialisés, et des délais de jugement. Actuellement, le mineur attend entre deux à dix-huit mois une audience en cabinet, et entre six mois à deux ans une audience devant le tribunal. Or c’est souvent durant ce laps de temps qu’il récidive. La longueur des procédures ne plaide en effet pas pour une réponse efficace et peut entretenir le fort sentiment d’impunité ressenti par certains enfants. Ces problèmes structurels font perdre à la justice sa fonction éducative. L’évolution de la justice des mineurs ne pourra donc se faire sans une nouvelle dotation en moyens. Elle doit également passer par un renforcement des services de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui sont les plus à même de rétablir la chaîne sociale rompue pour ces mineurs délinquants.

2. Les structures pour mineurs délinquants

271. Différentes structures accueillent les mineurs en danger et les mineurs délinquants. Elles offrent une réponse hiérarchisée, en fonction des situations existantes. Les foyers d’action éducative hébergent des mineurs délinquants ou en danger placés dans la durée sur décision d’un magistrat. Les centres de placement immédiat, créés en 1999, permettent le placement en urgence de mineurs délinquants ou de ceux qui sont en très grande difficulté. Leur but premier est de soustraire le mineur à son milieu familial et social, puis d’évaluer sa situation avant de l’orienter vers d’autres structures éducatives. Les centres éducatifs renforcés prennent en charge, sur décision d’un juge pour enfants, pour une durée de trois à six mois, des jeunes délinquants ou des enfants socialement marginalisés. Le suivi social au sein du centre est permanent afin de redonner quelques repères à des enfants déstructurés. Un objectif semblable est poursuivi dans les centres éducatifs fermés, qui se veulent une alternative à l’emprisonnement.

a. Les centres éducatifs fermés

272. Les centres éducatifs fermés ont été créés par la loi du 9 septembre 2002. Ils accueillent des mineurs placés sous contrôle judiciaire, ayant écopé d’une peine avec sursis ou bénéficiant d’une libération conditionnelle. On y retrouve principalement des multirécidivistes et des multiréitérants déjà condamnés au pénal. Chaque centre héberge entre 8 et 10 mineurs, soit âgés de 13 à 16 ans, soit ayant entre 16 et 18 ans. La durée du placement est fixée par la décision de la justice. Toutefois, lorsque l’enfant est sous contrôle judiciaire, elle est de 6 mois, renouvelable une fois. La majorité de ces structures a été confiée à des associations habilitées par l’Etat. Quinze centres ont ouvert entre le 17 mars 2003 et le 15 juin 2005 ; cinq autres devaient entrer en activité d’ici fin 2005 et douze supplémentaires devraient être livrés en 2006.

273. Ces centres sont fermés, au sens où le mineur ne peut sortir sans être accompagné par un adulte. La loi prévoit l’incarcération ou le retour en prison en cas de fugue. Cet aspect contraignant a été dénoncé par plusieurs éducateurs qui ont dit regretter la confusion entre l’éducatif et le caractère fermé du centre. Pourtant, une telle structure peut s’avérer utile face à certains enfants particulièrement déstructurés et violents. J’ai pu me rendre compte de l’encadrement et de la diversité des activités procurées aux enfants placés dans le centre de Saint Denis Le Thiboult, en Normandie. J’ai également pu apprécier l’expérience positive, bien que longue et difficile, vécue par la plupart d’entre eux. Je remercie le personnel du centre pour son accueil chaleureux et Mme Muriel Eglin, collaboratrice de Mme Claude Brisset, Défenseure des Enfants, qui m’a accompagné lors de mon déplacement, pour ses informations éclairantes. 

274. Ce centre, ouvert en juin 2003, compte parmi les premiers à être rentrés en activité. Il est géré par l’association Les Nids, qui fait un travail formidable auprès des 8 enfants âgés de 13 à 16 ans, qu’elle accueille pour huit mois en moyenne. Ces mineurs sont entourés par 27 professionnels, éducateurs, enseignants, moniteurs sportifs et psychologues. Ce nombre conséquent permet un encadrement poussé et un suivi éducatif renforcé, principalement axé sur le réapprentissage des savoirs fondamentaux, l’enseignement - voire la formation professionnelle pour les plus âgés - mais aussi sur l’évolution personnelle et la socialisation. Chaque enfant bénéficie d’un parcours individualisé, défini en fonction de ses antécédents.

275. Le bilan du centre de Saint Denis Le Thiboult est globalement positif. Sur les 27 adolescents qui y sont passés depuis son ouverture, seulement cinq ont été incarcérés par la suite, dont trois pour cause de fugue . D’autres centres ont, en revanche, connu des résultats beaucoup plus mitigés. La personnalité du mineur et son adhésion effective au projet défini à son arrivée conditionnent pour beaucoup la réussite de son passage en centre éducatif fermé. Mais ce succès résulte également de la continuité du suivi après la sortie. Or, c’est là l’un des principaux écueils soulevés par les intervenants du centre de Saint-Denis avec lesquels je me suis longuement entretenu. L’articulation entre les services de la justice et ceux de la protection judiciaire de la jeunesse n’est en effet pas toujours effective et il arrive que l’enfant ne bénéficie pas d’un suivi efficace lors de sa réinsertion dans sa famille ou dans une autre structure d’accueil. Les mineurs qui sortent des centres éducatifs fermés restent fragiles, et peuvent à tout moment retomber dans la délinquance. Il est donc impératif d’instaurer une continuité dans l’encadrement, afin que l’enfant conserve les repères acquis lors de son placement. Il me paraît donc souhaitable de renforcer les moyens des Services de la protection judiciaire de la jeunesse, afin d’assurer le suivi des enfants postérieurement à leur sortie du centre, et par cela de rendre plus cohérentes les décisions de justice et les mesures socio-éducatives.

276. Au-delà des difficultés centrales liées au suivi des mineurs, les acteurs de terrain m’ont fait part de deux problèmes. Premièrement, les centres éducatifs fermés ont fait l’objet d’une forte stigmatisation avant même leur ouverture. Ainsi, certaines municipalités se sont fermement opposées à leur implantation sur le territoire de leur commune. L’association Les Nids a été confrontée à ce problème. Bien que les relations avec le maire semblent s’être aplanies, les difficultés persistent, et le directeur de l’association peine toujours à obtenir un permis de construire pour effectuer des travaux dans l’enceinte du centre. Si une telle situation ne peut pas être généralisée, les élus de certaines régions, comme ceux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, semblent fermés à tout dialogue. Il est vrai que l’arrivée de huit à dix jeunes à problèmes peut soulever des inquiétudes parmi les riverains. Elles devraient toutefois être surmontées face aux exemples positifs que présente l’insertion de la plupart des centres déjà ouverts dans le paysage local.

277. Le deuxième problème a trait à l’insuffisance de telles structures. Les 15 centres qui fonctionnent actuellement proposent 150 places, ce qui est, de l’avis des magistrats et des policiers que j’ai rencontrés, dérisoire. De plus, il n’existe pas de centres éducatifs fermés pour jeunes filles mais trois centres mixtes. Alors que 600 places avaient été annoncées pour 2006 lors de l’adoption de la loi en 2002, cet objectif semble avoir été revu à la baisse. Il est vrai que le coût d’une journée en centre se monte en moyenne à 550€ par personne, contre 285€ en prison. Toutefois, je suis convaincu que c’est faire un investissement sur la sécurité future que de tenter de remettre un mineur délinquant dans le droit chemin par l’instauration d’un suivi socio-éducatif poussé et la définition d’un projet personnel qui minimise les risques de récidive. Et si le passage en centre éducatif fermé peut aider à arriver à un tel résultat avec des cas difficiles, on ne peut qu’encourager ce genre d’initiatives, à condition que soient réunis tous les moyens pour aider le jeune à se reconstruire. 

b. Les quartiers pour mineurs dans les établissements pénitentiaires

278. Je me suis rendu dans les quartiers pour mineurs de la prison du Pontet et dans celui de la prison de l’Elsau. Rencontrer des enfants en prison est toujours très difficile. J’ai discuté avec un garçon qui n’avait pas 16 ans et dont c’était la troisième condamnation à une peine d’emprisonnement ferme. De l’avis même de ce jeune, aucun de ses passages en prison ne lui avait apporté quelque chose. On peut au contraire deviner que cela a plutôt constitué le début de sa carrière de délinquant. Si l’emprisonnement ne peut être évité dans les cas les plus graves, j’insiste sur le caractère d’exceptionnalité qu’une telle mesure devrait recouvrir.

279. Au 1er novembre 2005, 637 jeunes de moins de 18 ans étaient incarcérés pour une durée moyenne de deux à trois mois. Le nombre de mineurs emprisonnés a connu une baisse significative en 2004-2005, ce dont je ne peux que me féliciter. Toutefois, une inquiétude persiste quant à la proportion des prévenus parmi la population carcérale mineure. Ainsi, les enfants placés en détention provisoire représentent plus de 65% des mineurs incarcérés. D’après le directeur de la prison d’Elsau, le nombre de prévenus tend à diminuer dans son établissement depuis l’introduction de la procédure de comparution immédiate. Il semblerait que cela ne soit pas le cas dans toutes les juridictions. Ainsi, au 1er octobre 2005, les prévenus mineurs représentaient le pourcentage alarmant de 70,4% des mineurs incarcérés. Comparée à la durée moyenne des peines, je me demande quelle signification la détention provisoire peut avoir pour un mineur. Cette interrogation me semble d’autant plus pertinente que dans de nombreux cas, la peine prononcée équivaut au temps passé en détention provisoire. Dès lors la fonction exemplaire que peut revêtir un jugement perd toute sa valeur.

280. Les conditions dans les quartiers pour mineurs que j’ai visités sont généralement meilleures que celles que j’ai pu voir dans les quartiers pour majeurs. Il est vrai que le Pontet est une prison récente et que le quartier pour mineur de la prison de l’Elsau a été récemment rénové. Le principe de l’encellulement individuel était respecté. Toutefois, deux problèmes méritent d’être mentionnés. Le premier a trait à la non-séparation des prévenus et des détenus. Comme je l’ai déjà signalé, elle prive les condamnés d’une partie de leurs droits. Cette situation est encore plus inadmissible quand il s’agit de mineurs. Le deuxième concerne la possibilité qu’ont les mineurs d’entrer en contact avec les adultes, alors même que la loi prévoit qu’enfants et majeurs soient strictement séparés. Cette obligation est mieux respectée à Avignon, le caractère récent de la prison ayant permis la construction de bâtiments distincts. Les mineurs disposent ainsi de leur propre cour, dont l’emplacement rend difficile la communication avec les détenus adultes. L’application de ce principe est plus aléatoire à Strasbourg, du fait de la conception architecturale plus ancienne de la prison. Quel que soit le cas, les communications entre mineurs et adultes existent et rendent l’incarcération des enfants problématique du fait de l’influence néfaste que les majeurs peuvent avoir sur eux.

281. Les mineurs bénéficient d’aménagements spéciaux et d’activités adaptées : enseignement, formation professionnelle, sport, télévision gratuite... Les surveillants sont formés pour encadrer cette population parfois très violente. J’ai noté dans les deux quartiers visités un souci de coordination entre les différents intervenants afin d’assurer la continuité du dialogue avec l’enfant. Strasbourg participe à une expérimentation : une équipe de la Protection judiciaire de la Jeunesse est présente en permanence dans le quartier pour mineurs. Elle propose un suivi individualisé à chaque enfant et tente de préparer sa sortie. Cette collaboration, qui est menée parallèlement dans neuf autres établissements, s’avère positive même si les courtes durées de détention ne permettent souvent qu’une prise de contact avec l’enfant, sans oublier que le travail de fond doit se poursuivre à l’extérieur. Il est évident que la coopération entre l’administration pénitentiaire et les services spécialisés gagnerait à être étendue.

282. Malgré ces efforts, plusieurs problèmes persistent, voire entravent l’action des éducateurs. Mes interlocuteurs ont particulièrement souligné leur impuissance face aux enfants de plus en plus nombreux à présenter des problèmes psychologiques. Ces derniers nécessiteraient des soins et une approche spécialisée que la prison ne peut leur offrir. Enfin, plus encore que dans les autres structures d’accueil pour mineurs, le suivi souffre de nombreuses insuffisances, soit que le jeune se dérobe, soit que les services de Protection judiciaire de la Jeunesse n’ont pas les moyens d’agir de manière continue auprès de l’enfant. Le taux de récidive chez les mineurs est plus élevé que chez les majeurs : entre 50% et 60% d’entre eux retombent dans la délinquance à leur sortie de prison ; ce pourcentage illustre à lui seul l’inadaptation du milieu carcéral aux mineurs et l’inefficacité des mesures éducatives appliquées dans le cadre pénitentiaire. La prison offre plus les conditions de la récidive qu’elle ne contribue à l’empêcher.

283. Si cette remarque touche avec plus d’acuité les garçons, elle n’épargne pas les filles. Ces dernières sont beaucoup moins nombreuses, mais sont écartées du traitement normalement réservé aux mineurs. Ainsi, elles sont incarcérées avec les adultes dans les quartiers femmes, au motif qu’elles sont trop peu nombreuses pour créer un quartier pour mineures. Le 13 septembre 2005, lors de ma visite à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, 11 mineures étaient incarcérées au milieu de 317 femmes. L’argument avancé par les autorités est tout simplement irrecevable ; l’administration pénitentiaire se doit de respecter la loi qui oblige à une séparation stricte entre majeurs et mineurs, et ce quelles que soient les circonstances. Le placement des jeunes filles parmi des adultes a d’autres conséquences fâcheuses : elles n’ont pas un égal accès aux activités et aux aménagements proposés aux garçons. Elles sont donc beaucoup plus isolées et en partie privées de l’action éducative dispensée aux garçons. Je trouve cette situation inacceptable et j’appelle les autorités à trouver des solutions à ce problème dans les meilleurs délais.

284. La loi du 9 septembre 2002 prévoit la construction d’établissements pénitentiaires pour mineurs, chargés d’accueillir 40 à 60 jeunes délinquants. Les premiers établissements devraient rentrer en activités fin 2006. La création de tels établissements me paraît à première vue une bonne chose. Tels qu’annoncés, ils devraient permettre la séparation d’avec les adultes, et une prise en charge plus adaptée, puisque personnels de l’administration pénitentiaire et services de la protection de la jeunesse travailleront de concert dans une optique éducative. Plusieurs interrogations subsistent toutefois quant au devenir des quartiers pour mineurs dans les prisons. Il me semble que leur suppression n’ait pas encore été décidée. Leur maintien concrétiserait l’instauration de conditions de détention à deux vitesses et jetterait un flou sur les objectifs du gouvernement français. 

285. De plus, la question de la séparation des prévenus et des condamnés n’est pas abordée dans le projet général. Elle me paraît pourtant essentielle. J’enjoins les autorités à y réfléchir instamment afin que, dès l’ouverture, ces établissements respectent les différents régimes de détention. Enfin, la mise en place d’une équipe renforcée et le suivi proposé aux mineurs ne peut avoir d’influence réelle que si la sortie est soigneusement préparée. Mes interlocuteurs ont insisté sur la nécessité de construire des quartiers de semi-liberté afin d’assurer la continuité du suivi et une réinsertion progressive dans la société. Une telle proposition me paraît des plus adaptées à la situation particulière des mineurs et devrait être prise en considération par les pouvoirs publics.

3. Les mineurs étrangers isolés

286. Les mineurs étrangers isolés relèvent de deux problématiques, celle des étrangers et celle des mineurs. Ils ont moins de 18 ans et voyagent seuls ou accompagnés d’un adulte qui ne possède pas l’autorité parentale. La plupart sont originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Certains arrivent sur le territoire français dans l’espoir de rejoindre un membre de leur famille qui vit régulièrement en France et d’être régularisé par la suite. Cette pratique est désignée sous le terme de « regroupement familial sauvage » et le mineur est dit « rejoignant ». Elle s’est développée ces dernières années pour contourner les lenteurs de l’administration et le durcissement des conditions du regroupement familial. On peut craindre que cette pratique, contraire aux intérêts de l’enfant, s’intensifie après les nouvelles restrictions apportées au regroupement familial en novembre 2005. D’autres encore fuient des persécutions et des violences et viennent en France pour demander l’asile. Après avoir connu une forte augmentation entre 1999 et 2002 , le nombre de mineurs isolés semble stagner, mais reste élevé. Près de 728 enfants isolés sont arrivés en 2004 dans le seul aéroport de Roissy .

287. La loi d’admission sur le territoire français ne distingue pas les mineurs des majeurs et l’admission des mineurs n’est pas automatique. Ce vide juridique, qui existe dans d’autres pays européens, contrevient à plusieurs dispositions de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Les mineurs peuvent ainsi être placés en zone d’attente, au même titre que les adultes, et sont soumis à la même procédure. Ils ne sont d’ailleurs pas séparés des majeurs, exception faite des moins de 13 ans, qui sont pris en charge par une nurse dans un hôtel proche. Cette non-séparation pose de graves problèmes. Le passage en zone d’attente se révèle particulièrement traumatisant pour un enfant isolé, confronté à un monde d’adultes, parfois violents. J’appelle les autorités françaises à faire preuve de plus d’humanité et à considérer le mineur isolé comme un enfant en danger, et ainsi à lui éviter tout passage en zone d’attente. Les mineurs devraient être placés dans des lieux bénéficiant d’un accueil spécialisé.

288. De nouvelles dispositions ont certes été prises. La législation française prévoit, depuis 2003, la nomination d’un administrateur ad hoc par le procureur de la République pour les mineurs isolés placés en zone d’attente et pour ceux qui déposent une demande d’asile à la frontière ou sur le territoire français. L’administrateur ad hoc est chargé d’assister le mineur et d’assurer sa représentation dans toutes les procédures administratives et juridiques relatives au maintien en zone d’attente et à la demande d’asile. Instaurée par la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale et entrée en vigueur par décret en septembre 2003, cette institution suscite de nombreuses critiques. Une amélioration certaine a été enregistrée à Roissy depuis que des représentants de la Croix Rouge assument cette fonction, en remplacement des administrateurs précédents issus de l’association « SOS - victimes 93 ».

289. Néanmoins, les exigences restent faibles quant aux compétences, juridiques en particulier, que doivent détenir les administrateurs ad hoc. La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme a estimé dans son avis du 23 avril 2003 regrettable que le projet de loi ne mentionne pas les connaissances spécifiques en droit des étrangers, des demandeurs d’asile et des réfugiés que tout candidat devrait posséder . Il me paraît effectivement difficilement concevable que les administrateurs n’aient pas de compétences spécialisées dans ce domaine, alors même qu’ils se trouvent quotidiennement confrontés à des questions juridiques très pointues.

290. De plus, un juge pour enfants du tribunal de Bobigny estime que, dans deux tiers des cas, l’enfant a déjà été renvoyé avant que l’administrateur n’intervienne. Ainsi, sur les quatre premiers mois de l’année 2005, 55% des 259 mineurs placés en zone d’attente ont été refoulés sans que l’administrateur n’ait été appelé, ou n’ait eu le temps de se déplacer. En effet, ce dernier n’est pour ainsi dire jamais présent lorsque l’enfant est admis en zone d’attente et que ses droits lui sont notifiés. La loi ne l’y oblige d’ailleurs pas, mais stipule qu’il doit être physiquement présent lors de l’entretien devant l’OFPRA et lors des audiences au Tribunal administratif et à la Cour d’appel. Or, alors que les mineurs sont incapables juridiquement, les policiers de la PAF leur font fréquemment signer le document stipulant qu’ils renoncent au jour franc. Bien souvent, l’enfant, paniqué par un environnement qui lui est inconnu, par une langue qu’il ne comprend pas, par les procédures dont il ne saisit ni le contenu, ni les enjeux, signe sans savoir ce qu’il fait. Il serait donc souhaitable de prévoir l’intervention de l’administrateur ad hoc plus tôt dans la procédure, c’est-à-dire dès que le mineur isolé est admis en zone d’attente, afin que de telles pratiques, qui privent l’enfant de garanties essentielles comme de son droit de demander l’asile, disparaissent. Quant au jour franc, comme je l’ai déjà signalé plus haut, je considère que les mineurs ne devraient tout simplement pas pouvoir renoncer à l’application du jour franc .

291. D’une manière générale, les mineurs sont entourés d’une méfiance plus grande que les adultes, et sont quasiment systématiquement considérés comme des fraudeurs. Leur minorité est ainsi souvent mise en cause. Dans ce cas-là, les policiers peuvent faire pratiquer des examens médicaux afin d’estimer leur âge. Toutefois les techniques retenues - observation clinique du développement pubère et tests osseux - sont jugées scientifiquement peu fiables. Le 23 juin 2005, le Comité consultatif national d’éthique a émis des réserves concernant les examens osseux et dentaires effectués pour déterminer l’âge des jeunes étrangers. Ces techniques ont été déclarées inadaptées, et ce d’autant plus qu’elles sont le plus souvent pratiquées sur des jeunes âgés de 15 à 20 ans, âges auxquels l’incertitude est la plus grande. Cette controverse, qui n’est pas propre à la France, pose le douloureux problème de la classification de certains mineurs parmi les adultes, ce qui les exclut de fait des garanties administratives et judiciaires qui leur sont offertes.

292. Non seulement une suspicion généralisée est de mise envers les mineurs, mais elle se matérialise par des pratiques inacceptables. Mes interlocuteurs m’ont relaté certains faits qui ont fait naître en moi une grande inquiétude. Apparemment, certains mineurs sont ainsi renvoyés presque immédiatement après un contrôle passerelle et ne sont pas admis en zone d’attente. Ces derniers ne figurent donc sur aucun registre et n’existent pas aux yeux de l’administration française. Cette pratique, déjà évoquée dans le cas général des étrangers, est plus encore scandaleuse lorsqu’elle vise des enfants, parfois très jeunes. Ainsi, une petite fille de moins de 10 ans, originaire d’Afrique subsaharienne, a été renvoyée alors que des membres de sa famille l’attendaient avec des papiers en règle. La fillette a été réembarquée presque immédiatement, et personne n’avait gardé trace de son passage. Plusieurs questions se posent : que serait-il advenu de cette enfant, si les membres de sa famille n’avait pas remué ciel et terre pour la localiser, s’ils n’avaient saisi en urgence la Défenseure des enfants, si personne ne l’avait attendu à sa descente d’avion ? L’intervention de Mme Claude Brisset a d’ailleurs permis un dénouement heureux : la fillette est revenue en France aux frais de l’Etat français et avec des excuses.

293. Mais je ne parviens pas à saisir cette logique qui pousse des officiers de police à renvoyer, sans précaution aucune et hors de tout cadre légal, des enfants sur de simples présomptions. Dès lors, j’invite instamment les autorités françaises à réfléchir à un moyen qui permettrait de recenser les enfants supposément isolés qui arrivent dans les aéroports français : la PAF devrait avoir l’obligation de signaler au juge des enfants tout cas d’enfant isolé ou supposé tel. Les compagnies aériennes pourraient également assumer ce rôle. Ceci ne leur demanderait pas un travail supplémentaire énorme étant donné qu’elles sont tenues de présenter un registre à jour des passagers et s’assurer de la validité de leur titre de séjour. Cette précaution éviterait également que des mineurs ne soient libérés après 20 jours passés en zone d’attente sans qu’aucun signalement ne soit fait au Parquet et qu’aucune prise en charge ne leur soit proposée. Il me paraît donc urgent et nécessaire de légiférer sur les mineurs étrangers et de prévoir de nouvelles dispositions qui leur garantissent le plein respect de leurs droits dès leur arrivée sur le sol français, et leur évitent un passage traumatisant en zone d’attente.

4. Les jeunes errants

294. Le terme de jeunes errants fait référence à des mineurs isolés de nationalité étrangère, clandestins dans leur majorité, arrivés par les frontières terrestres, maritimes, voire aériennes, et se trouvant en situation d’errance sur le territoire français. Etant âgés de moins de 18 ans, ils ne sont pas expulsables. La majorité est originaire du Maghreb, d’Europe de l’Est et en particulier de Roumanie. Les services de l’aide à l’enfance et la police constatent également un afflux de plus en plus important de jeunes Chinois et Chinoises. Ces enfants viennent quelquefois en France de leur propre chef pour fuir un conflit, la misère ou leur famille. Certains étaient d’ailleurs déjà à la rue avant leur arrivée. D’autres sont mandatés par leurs proches qui les envoient en France dans l’espoir qu’ils ramènent quelque argent. D’autres encore se retrouvent en situation d’errance, soit que leur famille vivant en France les contraint à se livrer à la mendicité ou à des activités illicites, soit qu’ils aient fui un environnement familial violent ou un regroupement familial sauvage qu’ils ne souhaitaient pas.

295. Marseille semble être l’une des villes les plus concernées par ce phénomène, mais on trouve également de jeunes errants à Montpellier, à Paris ou encore à Strasbourg, sans que cette liste ne soit exhaustive. Partout on observe un schéma identique : ces enfants, perdus, en mal de repères identitaires, vivant à la rue dans une extrême précarité, tombent dans leur très grande majorité dans la délinquance ou, pire encore, deviennent victimes des réseaux de prostitution. Toutefois, au-delà des problèmes de criminalité, se pose avant tout la question de leur prise en charge.

296. La gestion de cette population extrêmement vulnérable est principalement confiée à des associations, comme « jeunes errants », créée à Marseille en 1994. « Jeunes errants » fait un travail formidable depuis ses débuts, contribuant au placement de jeunes en danger dans des foyers, à l’identification de certains et à la localisation de leur famille. Toutefois, les associations seules ne peuvent gérer un phénomène qui tend à prendre de l’ampleur. Elles sont sous-dimensionnées pour aider pleinement ces enfants et ne sont pas équipées pour lutter contre certaines dimensions que recouvre l’errance, comme l’embrigadement des enfants, avant ou après l’arrivée en France, dans des réseaux. L’Etat devrait se saisir pleinement de ce problème douloureux, en particulier en menant une action conjointe avec les mairies concernées et les associations impliquées. Il faut également veiller à ce que les subventions accordées à ce type d’associations soient rétablies dans leur totalité car elles ont apparemment subi une diminution fort dommageable.

297. La question des jeunes errants n’est évidemment ni simple, ni unidimensionnelle. La prise en charge des errants souffre incontestablement du manque de structures d’accueil pour enfants en danger ou délinquants. L’association « jeunes errants », dans un rapport daté de 2003, constate que les mineurs isolés, non rejoignant, non demandeurs d’asile, ont de plus en plus de mal à trouver des places dans les structures d’hébergement de l’aide sociale à l’enfance. Mais il faut également souligner que leur suivi est mis à mal par le caractère extrêmement volatile et hétérogène de cette population déstructurée et marginalisée. Ainsi, tous ceux qui sont placés en foyer n’y restent pas. Et si les enfants isolés ou les groupes qui se forment demeurent en général dans une même ville, il est extrêmement difficile de leur venir en aide, soit qu’ils refusent toute assistance, soit qu’ils sont prisonniers d’une logique de groupe, ou de réseau. D’autres évoluent entre jeunes, mais possèdent des parents en France qui les envoient mendier ou commettre des larcins. C’est apparemment le cas des jeunes originaires d’Europe Centrale et Orientale, qui ont versé dans la délinquance à Strasbourg et environs, et qui de l’avis de la police, possèdent une famille installée dans des caravanes à proximité, mais qu’ils ne parviennent pas à identifier.

298. Cette question possède également une dimension internationale et implique le gouvernement français et les autorités des pays d’origine des mineurs. Or la coopération se révèle délicate sur cette question, comme sur celle du retour de ceux qui expriment le souhait de regagner leur pays. Un accord franco-roumain a été signé pour faciliter le retour de ceux qui le désirent et leur permettre de développer un projet personnel. Une telle solution n’est envisageable que si tout est mis en œuvre pour que le jeune ne retombe pas dans la situation qu’il a fuie. S’il n’est pas de mes compétences de me prononcer sur les termes de l’accord, je ne peux que constater sa très faible application.

299. Une autre question mérite également d’être soulevée. Elle ne concerne pas uniquement les jeunes errants placés en foyer et qui parviennent à sortir de la rue, mais aussi les mineurs étrangers isolés, qu’ils aient été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance ou par un membre de leur famille. La loi du 26 novembre introduit une restriction à l’acquisition de la nationalité française. Avant ce texte, il suffisait que le mineur ait été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance pour qu’il puisse y prétendre. Depuis l’adoption de cette loi, peuvent réclamer la nationalité française, « un enfant, qui depuis au moins cinq années, est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou, qui depuis au moins trois années, est confié au service de l’aide sociale à l’enfance » ; et « l’enfant recueilli en France et élevé dans des conditions lui ayant permis de recevoir, pendant cinq années au moins une formation française » (art. 67).

300. Ces nouvelles dispositions excluent les enfants pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance et arrivés après l’âge de 15 ans et ceux, élevés par un membre de leur famille en situation régulière, et débarqués sur le territoire français après leur treizième anniversaire. Nombreux sont donc les adolescents qui se retrouvent dans la plus parfaite illégalité une fois qu’ils ont atteint l’âge de 18 ans. Le cas d’un jeune Camerounais, père d’un jeune enfant et scolarisé dans un lycée de la région parisienne m’a été rapporté lors de ma visite. Il a été placé en centre de rétention en septembre 2005 et a subi une tentative d’expulsion, entravée par les mobilisations de ses proches, des lycéens de son établissement et des passagers de l’avion. Sa situation s’est provisoirement éclaircie : un permis de séjour provisoire d’un an lui a été accordé pour raisons humanitaires. Peu ont cette chance, mais beaucoup rencontrent une situation similaire et vivent avec la menace constante d’un arrêté préfectoral d’expulsion alors même qu’ils poursuivent des études.

301. Si le gouvernement a émis le 17 octobre 2005 une circulaire sur la suspension des expulsions des jeunes majeurs scolarisés pendant l’année scolaire, un paradoxe évident apparaît dans la politique menée par les autorités françaises à l’égard des mineurs étrangers clandestins devenus adultes. Ces jeunes sont pris en charge, scolarisés ; les plus de 16 ans ont depuis peu l’autorisation d’effectuer un stage d’apprentissage sur décision du préfet . Pourtant aucune disposition ne prévoit d’accorder un titre de séjour provisoire aux jeunes majeurs poursuivant leur scolarité après plusieurs années d’inscription dans un établissement français. Une telle solution pourrait au moins leur permettre d’achever leurs études et de les sortir de l’illégalité dans laquelle la législation les plonge dès leur dix-huitième anniversaire. J’invite les autorités françaises à envisager cette solution, ou toute autre qui permettrait un traitement digne de ces jeunes décidés à poursuivre leurs études.
 

VIII. LES PROBLEMES DE RACISME, D’ANTISEMITISME, DE XENOPHOBIE ET LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

302. Plusieurs de mes interlocuteurs m’ont fait part de leurs inquiétudes face à la forte augmentation enregistrée par le nombre d’actes racistes et antisémites depuis 2000 et par l’extension des discriminations.

1. Principales tendances

a. La montée du racisme

303. L’année 2004 a connu une progression sans pareil des actes racistes : le nombre total de faits racistes et antisémites recensés en 2004 a crû de 132,5 % par rapport à 2003, passant de 833 à 1 565, et dépassant de 19,2% les chiffres de 2002 pourtant déjà très élevés. Si ce phénomène a enregistré un net recul au premier semestre 2005, il n’en reste pas moins profondément inquiétant.

304. Ces statistiques officielles alarmantes montrent que cette augmentation touche d’abord la communauté juive. En 2004, près de 60% des actes à caractère raciste ont visé ses représentants ou leurs biens. Lors de ma rencontre avec des représentants du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), parmi lesquels son président, M. Cukierman, j’ai tenu à assurer mes interlocuteurs de mon soutien dans la lutte contre ce phénomène insupportable. Ils ont insisté sur les difficultés que rencontrent des professeurs à enseigner la Shoah dans un certain nombre de collèges et de lycées. Pour un représentant du Conseil de l’Europe, organisation internationale fondée sur les ruines de l’Europe dévastée par la Seconde guerre mondiale, toute tentative de négationnisme paraît extrêmement douloureuse. J’espère que l’action énergique des autorités françaises entreprise depuis 2002 pourra rapidement enrayer cette tendance déplorable.

305. En même temps, on constate une montée du racisme à l’égard des communautés maghrébines et, plus généralement, musulmanes. On enregistre également une évolution de la nature des actes racistes : les violences contre les personnes et les biens se sont aggravées, le nombre de lieux de culte juifs et musulmans profanés a augmenté. Enfin on assiste à une recrudescence de 12% des violences en milieu scolaire en 2003-2004. Les injures à caractère raciste tendent à se banaliser chez les plus jeunes, ce qui constitue un facteur de préoccupation supplémentaire. Cette population particulièrement perméable aux idées toutes faites véhiculées par certains doit être l’objet d’efforts renouvelés afin de prévenir et d’enrayer toute forme de violence.

306. Les auteurs d’actes racistes et antisémites sont majoritairement des partisans de partis ou de groupuscules d’extrême droite. Ils se recrutent également parmi les jeunes issus des quartiers difficiles. Baignés par l’ignorance, certains d’entre eux se livrent à des amalgames réducteurs entre le conflit israélo-palestinien, le contexte français et leurs propres difficultés sociales. Cette violence, si elle n’est pas concertée, est inquiétante à double titre car elle découle de perceptions biaisées, largement diffusées, et traduit un repli de ces jeunes sur eux-mêmes qui, se sentant exclus, expriment une frustration avant tout sociale.

307. Les régions Ile-de-France et Rhône-Alpes sont les deux régions les plus touchées par la montée des actes racistes. La Corse, qui arrive en troisième position de ce sinistre palmarès, se distingue par la violence déployée à l’encontre de la communauté maghrébine. Parmi les violences commises en 2004, sept attentats ont été revendiqués par le groupuscule Clandestini Corsi, composé de jeunes adultes mus par des motivations, mêlant considérations de types nationaliste et raciste. Pourtant, l’arrestation des membres de ce groupe n’a pas mis fin aux violences contre la communauté maghrébine ; plusieurs attentats l’ont visée directement, en particulier le jour de l’aïd-el-kébir marquant la fin du Ramadan, le 3 novembre 2005.

308. La situation dégradée depuis 2000 connaît une amélioration certaine depuis la fin du dernier semestre 2004. Les estimations de la direction générale de la police pour la première partie de l’année 2005 montrent que les actes à caractère antisémite ont diminué de 48 % par rapport à la même période de 2004 . Cette inflexion doit être saluée et doit encourager les acteurs institutionnels et associatifs engagés dans la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie à intensifier leurs efforts.

b. Les principales discriminations et leurs victimes

309. Toutes les études et les actions entreprises montrent que les discriminations concernent pour moitié l’accès à l’emploi ; puis viennent celles qui entravent l’accès au logement, aux services et aux loisirs. D’une manière générale, les Français d’origine étrangère ou qui portent un nom à consonance étrangère et les étrangers forment la grande majorité des victimes de discriminations. Mais d’autres groupes peuvent également être touchés, tels que les handicapés, les personnes âgées, les femmes, les homosexuels, et cette liste est loin d’être exhaustive.

310. De manière générale, il ressort de mes conversations avec des représentants de la société civile que la question des discriminations constitue actuellement l’un des principaux problèmes de société en France. Par ailleurs, il s’agit d’un problème difficile à aborder tant les discriminations restent latentes et cachées alors que tout le monde sait qu’elles existent. En effet, il s’agit d’un sujet difficilement abordable en Europe et en particulier en France, tant la législation et la tradition républicaines sont profondément anti-discriminatoires et anti-racistes. Hélas, les opinions ne suivent pas toujours les lois.

311. Je comprends les difficultés des pouvoirs politiques à traiter ce sujet, tant il est honteux et inconfortable. Toutefois, ne pas évoquer la maladie dont l’on est atteint, ne pas en reconnaître l’existence empêche tout diagnostic et tout traitement approprié. Ainsi, au-delà des réussites de la politique anti-raciste, il ne faut pas perdre de vue la persistance de nombreuses difficultés. Même s’il était encore très récemment politiquement incorrect de parler de certaines choses, la grande majorité de la population a parfaitement connaissance de leur existence. Ainsi, même s’il est dur d’en parler, il faut le faire. Il est clair que le CV d’une personne ayant un nom à consonance arabe risque, dans la plupart des cas, de ne pas recevoir le traitement qu’il mériterait, malgré l’excellence du parcours affichée ; l’on sait également que le dossier d’une famille étrangère cherchant à louer un logement ne recevra souvent pas la même attention de la part de certaines agences immobilières ; ou encore, quoi de plus choquant que d’entendre en 2003 des autorités rabbiniques suggérer aux jeunes d’origine juive de cacher leurs kipas par des casquettes pour ne pas provoquer d’autres jeunes trop enflammés par les tensions du Proche Orient.

312. D’après tous mes interlocuteurs, les pratiques discriminatoires sont monnaie courante dans tous les domaines. Elles ont pour cause des comportements qui relèvent de motivations racistes ou plus simplement de l’ignorance. Toutefois, les discriminations, si elles sont le plus souvent isolées, peuvent également être institutionnalisées. Plusieurs de mes interlocuteurs des ONG m’ont ainsi fait savoir qu’une réforme récente des modalités d’élection aux chambres des métiers a retiré aux artisans étrangers extracommunautaires le droit de vote qu’ils possédaient auparavant. La HALDE s’est autosaisie de ce cas ; le gouvernement semble décidé à intervenir pour modifier la législation. Je ne peux que l’encourager dans cette voie.

313. Concernant les discriminations à l’embauche, qui apparaissent comme les plus nombreuses, trois catégories de personnes sont le plus durement touchées : les personnes de plus de quarante ans, les femmes et les personnes d’origine étrangère et/ou issues des quartiers difficiles. Premièrement, on constate que nombre d’hommes et de femmes de plus de quarante ans font l’objet de discriminations liées à leur âge. Des entreprises n’hésitent pas à mentionner dans les annonces qu’elles émettent un critère d’âge - moins de 40 ans, moins de 50 ans - ce qui est illégal. Cette inclinaison s’avère inquiétante car elle postule la mise à l’écart d’une part importante des actifs et peut entraîner ceux qui en sont victimes dans le cycle infernal de la paupérisation. Surtout, elle relève du paradoxe, alors même que le départ en retraite tend à être retardé par la récente réforme.

314. La situation des femmes relève d’un schéma plus complexe. Les femmes rencontrent plus fréquemment que les hommes des problèmes d’accès à l’emploi ; elles sont aussi plus nombreuses à subir un travail à temps partiel. De plus, elles sont touchées par des inégalités salariales persistantes. La faiblesse des salaires accroît leurs difficultés sociales et économiques, plus encore quand elles élèvent seules leurs enfants. Mme Vautrin, Ministre déléguée à la parité et à la cohésion sociale, m’a fait part de la volonté du gouvernement d’éradiquer ces inégalités à l’horizon 2010 ; un projet de loi sur l’égalité des chances à l’embauche a récemment été déposé devant l’Assemblée Nationale.

315. Ce texte arrive certainement à point nommé. Il n’aura cependant l’effet escompté que s’il s’accompagne d’une évolution des mentalités. Si la société française a énormément évolué et si les femmes ont conquis depuis plusieurs décennies l’espace public, occupant toutes sortes d’emploi, certains stéréotypes persistent. On constate ainsi que les femmes éprouvent toujours autant de difficultés à accéder à des postes à responsabilité. Le domaine politique illustre parfaitement cette tendance : malgré plusieurs initiatives et la révision constitutionnelle de 1999, la parité est loin d’être atteinte. Les femmes restent très minoritaires, ne représentant qu’un dixième des parlementaires, maires et conseillers généraux.

316. Enfin, toutes les statistiques montrent que les personnes d’origine étrangère sont durement touchées par les discriminations à l’embauche. Une récente enquête de l’INED établit, qu’à diplôme égal, leur risque de chômage est 1,5 à 2 fois supérieur par rapport à celui « des natifs » . Cette « vulnérabilité au chômage » illustre, selon ses auteurs, un effet discrimination, qui se retrouve également dans le type d’emploi occupé. En effet, les Français d’origine étrangère ou les étrangers résidant en France ont dans leur majorité des emplois sous qualifiés et précaires. Les jeunes âgés de moins de 25 ans sont particulièrement affectés par cette réalité, les hommes étant de manière générale un peu mieux lotis que les femmes, qui sont frappées d’une double stigmatisation en tant que femme et immigrée. 

317. Plusieurs niveaux d’explication ont été avancés. La concentration de populations issues de l’immigration et/ou en grandes difficultés sociales dans les quartiers périphériques, a créé un effet de ségrégation urbaine. Les violences régulières qui secouent ces quartiers aujourd’hui qualifiés de sensibles, la prolifération de toutes sortes de trafics et les rivalités entre bandes ont contribué à fortement détériorer leur image. Le quartier, vu de l’intérieur comme un territoire à protéger, de l’extérieur comme une forteresse imprenable dans laquelle on ne peut pénétrer, agit donc comme un stigmate social. A cela se superposent des discriminations liées à l’origine étrangère. Selon l’observatoire des inégalités, un homme originaire d’un pays non européen encourt un risque de chômage de 17 points de plus qu’un Français présentant les mêmes caractéristiques.

318. Cette situation tient donc avant tout à des pratiques discriminatoires hautement condamnables. Elle reflète dans une autre mesure l’insuffisance des politiques d’intégration et traduit les carences des politiques de la ville menées par les différents gouvernements. Il y a nécessité de désenclaver ces quartiers, afin qu’ils s’ouvrent à l’extérieur et que tout le monde puisse y pénétrer librement. Tous les représentants de l’Etat avec lesquels je me suis entretenu semblent avoir conscience de cet état de fait ; à Strasbourg, à Paris, à Marseille, mes différents interlocuteurs m’ont fait part de travaux de réhabilitation en cours ou en projet. Ils doivent également, à mon sens, s’accompagner de mesures sociales et éducatives afin de tenter de réintégrer les jeunes à une société qu’ils rejettent massivement pour l’instant.

319. Les violences urbaines qui ont gravement secoué la France toute entière au mois de novembre 2005 ont d’ailleurs été en partie interprétées comme l’expression d’un profond ressentiment social. S’il est indéniable que les discriminations qui touchent ces jeunes ont pu produire une énorme frustration, il ne faut pas écarter les autres dimensions qui ont engendré ces violences (criminalité, sentiment de revanche vis-à-vis de la police, violences gratuites, effet d’imitation, voire de compétition entre quartiers...). Quoi qu’il en soit, rien n’autorise à faire usage de violences pour exprimer une colère ou des rancoeurs. Et ce d’autant plus que cette violence démesurée a d’abord touché des personnes qui comptent parmi les plus démunies et des biens collectifs et publics destinés aux habitants de ces mêmes quartiers. Les incendies d’écoles, d’églises, de synagogues et d’une mosquée à Carpentras m’ont révolté. Si les fauteurs de troubles doivent être punis, une réflexion plus globale, impliquant tous les acteurs locaux et nationaux doit également être engagée, afin que de telles violences, si souvent perpétrées par le passé, ne se reproduisent plus.

2. Les moyens de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations

a. La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie

320. Les gouvernements français successifs ont entrepris depuis 2002 un certain nombre d’actions concertées visant à renforcer la lutte contre ce fléau. Un comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme a été créé par le décret du 8 décembre 2003. La lutte contre le racisme a été déclarée Grande Cause Nationale en 2004. Parallèlement, des actions de sensibilisation sont menées dans les écoles, la tenue d’une semaine anti-raciste en mars en constituant le point d’orgue. La France s’est également dotée d’une législation juridique solide pour combattre le racisme sous toutes ses formes. La loi dite Lellouche adoptée le 10 décembre 2002 et entrée en vigueur début 2003 reconnaît le mobile raciste comme une circonstance aggravante. La loi du 9 mars 2004, dite Perben II (Chapitre IV), durcit les sanctions à l’égard de ceux qui ont commis une infraction motivée par des considérations de type raciste.

321. Malgré cela, cet arsenal juridique est peu appliqué et la répression reste faible. En 2004, seuls 85 actes racistes ont fait l’objet de poursuites pénales. Cette situation paradoxale, qui traduit un problème d’effectivité de dispositifs pourtant abondants, entretient un climat de malaise dans les communautés les plus concernées par la montée du racisme. J’encourage donc les autorités françaises à poursuivre dans la direction dans laquelle elles se sont engagées, en veillant à une meilleure mise en œuvre de la législation existante.

322. Enfin, j’aimerais souligner le rôle que les représentants religieux peuvent jouer dans l’apaisement des tensions liées à la montée du racisme. Non pas que la France n’ait pas mis en œuvre un dialogue interculturel ; il existe au plus haut niveau de l’Etat et s’avère des plus fructueux. Pour approfondir ma compréhension des tendances actuelles, j’ai tenu en France, comme dans tous les autres Etats membres, à rencontrer des représentants des communautés religieuses afin d’aborder avec eux les sujets d’actualité et les perspectives d’avenir. J’ai ainsi eu des conversations très intéressantes et franches avec les personnalités éminentes représentant les communautés catholique, protestante et juive. Malheureusement, ma rencontre prévue avec le président du Conseil français de culte musulman a dû être annulée à cause d’un empêchement de dernière minute de M. Dalil Boubaker.

323. Lors de nos conversations, les représentants religieux m’ont exprimé leurs inquiétudes. Il semblerait en effet que certaines caisses d’allocations familiales refusent de rembourser les tickets vacances aux enfants les plus défavorisés sous prétexte que l’association qui les a accueillis a une connotation religieuse. Le principe d’égalité entre les différentes associations à vocation sociale n’est donc pas respecté et cette pratique constitue un cas de discrimination dans les services de la jeunesse.

324. Pourtant, comme je l’ai toujours répété les religions monothéistes représentées en France ont un rôle incontestable à jouer dans le maintien de la cohésion sociale, du dialogue et dans la transmission des notions de respect, de tolérance, d’acceptation de l’autre, et donc dans la lutte contre le racisme et la promotion des droits de l’homme. J’ai tenu à le rappeler tout le long de la visite, et plus particulièrement à l’occasion de mes entretiens avec des représentants des pouvoirs locaux et des municipalités qui comptent parmi des interlocuteurs privilégiés des communautés religieuses.

b. Les actions menées pour lutter contre les discriminations

325. La France a récemment renforcé son appareil juridique pour lutter contre les discriminations. La loi du 9 mars 2004 durcit les sanctions contre leurs auteurs, notamment lorsque le refus discriminatoire de la fourniture d’un bien ou d’un service est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d’en interdire l’accès (chapitre IV, article 41). Malgré ces avancées incontestables et positives, je ne peux que regretter que les autorités françaises n’envisagent toujours pas d’adhérer au Protocole n°12 de la Convention européenne des droits de l’Homme portant sur l’interdiction générale des discriminations. J’en appelle au gouvernement afin qu’il révise sa position et envisage cette adhésion comme un pas supplémentaire dans la lutte contre les discriminations.

326. La France s’est par ailleurs récemment dotée d’un instrument de lutte contre les discriminations, la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE), répondant ainsi à une exigence européenne. Cette institution, dont je salue la création, a été instaurée par la loi du 30 décembre 2004 et M. Louis Schweitzer a été nommé à sa tête le 23 avril dernier. Elle est compétente en matière de discriminations, directes ou indirectes, et peut être saisie par toute personne s’estimant victime de discriminations, ou s’autosaisir. J’ai par ailleurs appris que tout récemment, le 1er décembre 2005, le Premier Ministre a annoncé une extension des modalités d’action de la HALDE qui sera prochainement dotée d’un pouvoir de sanction et pourra prononcer des amendes allant jusqu’à 25 000 € à l’encontre des individus ou des entreprises coupables de discriminations. 

327. J’ai évidemment tenu à rencontrer le Président de la HALDE afin d’aborder avec lui les sujets ayant trait à la lutte contre les discriminations qui me tiennent tout particulièrement à cœur. De l’avis même de M. Schweitzer, la HALDE est une institution jeune qui travaille actuellement à l’élaboration d’une stratégie globale. Depuis le début de ses activités, elle s’est principalement occupée du traitement des réclamations qu’elle a reçues. Au 31 août 2005, plus de 600 plaintes lui avaient été adressées. Ce chiffre, impressionnant pour une jeune institution encore peu connue du grand public, témoigne du rôle qu’elle pourrait avoir dans une société confrontée à un malaise grandissant face à la multiplication des discriminations de toute nature. La présence au sein de son comité consultatif d’associations et d’ONG traduit la volonté de ses dirigeants d’établir des liens institutionnels forts avec la société civile.

328. Malgré ces avancées, il semble que le nombre de condamnations pour discriminations reste extrêmement faible, et ce même si la justice accepte depuis peu la méthode du testing comme élément de preuve. Alors que le nombre de discriminations donnant lieu au dépôt d’une plainte ne cesse de croître, le nombre d’affaires pénales jugées chaque année stagne à un niveau très faible (une vingtaine d’affaires jugées en 2004). Se pose donc un problème de mise en œuvre des dispositifs prévus par la législation française. Or la non-effectivité du droit entretient le sentiment d’impunité ressenti par les auteurs d’actes discriminatoires et les pousse à reproduire un comportement répréhensible. Il faudrait donc commencer par appliquer avec plus de rigueur les lois en vigueur.

 

IX. LES GENS DU VOYAGE ET LES ROMS

329. Les Gens du Voyage et les Roms font partie des minorités qui continuent à ressentir de manière constante des discriminations dans la plupart des pays européens. Le plus souvent, ces discriminations ne proviennent pas de l’action des autorités mais relèvent de préjugés des populations majoritaires de nos pays. Toutefois, les pouvoirs publics pêchent encore souvent par leur inaction, ce qui se traduit par la subsistance des difficultés dans la vie quotidienne pour les Gens du Voyage et les Roms. Compte tenu de ces problèmes, je tiens à prendre contact avec cette communauté lors de chacune de mes visites afin d’analyser leur situation dans chaque Etat membre visité. Je n’ai pas dérogé à cette règle en France.

330. Il convient de commencer par une précision. En effet, une confusion s’est installée, assimilant les Gens du Voyage aux Roms originaires des pays d’Europe centrale et orientale, qui se sont installés dans plusieurs campements ou bidonvilles aux portes de Paris. Or ce sont deux populations distinctes, aux caractéristiques tout à fait différentes. Certains groupes parmi les Gens du Voyage sont certes d’origine rom, mais ils n’ont aujourd’hui que très peu à voir avec les Roms d’Europe centrale et orientale.

331. Le terme de « Gens du Voyage » regroupe des personnes appartenant à des cultures diverses, qui se définissent eux-mêmes comme d’origine rom, sinté, yéniche ou gitane. Ils sont installés en France depuis plusieurs générations, voire plusieurs siècles, et possèdent la nationalité française. La très grande majorité a conservé une culture et un mode de vie traditionnels, basés sur le nomadisme. Ils représentent une population d’environ 400 000 personnes, qui voyagent toute ou une partie de l’année. Les Roms, originaires des pays d’Europe centrale et orientale, sont des migrants, venus en France pour fuir la misère et les discriminations qu’ils enduraient dans leur pays. Ils étaient pour la plupart sédentaires avant leur départ pour la France. Ils seraient plusieurs milliers à subsister dans des conditions déplorables sur le territoire français.

1. Les gens du voyage

332. Les Gens du Voyage doivent faire face à nombre de problèmes liés à la non-reconnaissance pleine et entière de leur mode de vie itinérant. Les difficultés les plus concrètes qu’ils rencontrent quotidiennement concernent le stationnement de leurs caravanes. La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des Gens du Voyage, dite loi Besson, oblige les communes de plus de 5 000 habitants à se doter d’un lieu de stationnement, possédant des commodités, un accès à l’eau et à l’électricité. En juillet 2005, 93 schémas départementaux étaient signés sur les 96 prévus (les départements d’Outre-Mer dans lesquels ne vit aucun voyageur en sont exemptés) . Mais en juin 2005, seules 8 000 aires de stationnement étaient aménagées. Il manquerait donc plus de 20 000 aires selon les autorités, 60 000 selon les associations.

333. La loi relative aux libertés et aux responsabilités locales du 13 août 2004 proroge le délai de 2 ans prévu par la loi Besson, à compter de sa date d’expiration. Mais globalement, on peut estimer que la loi Besson est très peu respectée, voire pas du tout dans certains départements. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, le schéma départemental prévoit 26 aires de stationnement depuis son approbation en août 2003. Mais le financement fait défaut et seule la construction de deux aires de stationnement a été prévue dans le budget.

334. L’insuffisance, voire le manque de places de stationnement crée des tensions d’autant plus grandes que les voyageurs ne peuvent légalement s’établir sur les terrains de camping, et que la loi Besson et la loi sur la sécurité intérieure de 2003 réprime durement tout stationnement hors des aires prévues à cet effet. Les retards accumulés dans la mise en œuvre de la loi Besson ainsi que le renforcement des sanctions en cas de stationnement sur des terrains non autorisés mettent les Gens du Voyage dans des situations inextricables qui entraînent des difficultés dans de nombreux domaines. L’accès à l’éducation des enfants n’est ainsi pas toujours garanti.

335. L’hostilité que certains élus locaux affichent ouvertement à leur encontre est non seulement tout à fait condamnable, mais elle rend impossible l’instauration d’un dialogue pourtant essentiel à l’établissement d’un modus vivendi. Le sous-Préfet de Seine-Saint-Denis, que j’ai rencontré lors de mon déplacement à Bagnolet, a insisté sur la nécessité de sortir de la logique de confrontation qui peut exister, et de mettre en place un dialogue dans la durée, afin que les doléances des uns et des autres soient entendues et que des solutions dignes soient trouvées. Un protocole a ainsi été signé au niveau départemental avec les Gens du Voyage. Un référent par famille et deux référents représentant les associations de Gens du Voyage ont été désignés. Une telle initiative est tout à fait louable et devrait servir d’exemple, afin que partout où les difficultés apparaissent le dialogue prévale et que tout soit mis en œuvre pour lutter contre les préjugés et les stéréotypes qui entourent les Gens du Voyage.

336. Il convient de noter que les Gens du Voyage sont, de plus, soumis à un droit dérogatoire ne s’appliquant à aucun autre citoyen français. Ainsi, d’après la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 toujours en vigueur actuellement, toutes les personnes de plus de 16 ans n’ayant pas de résidence fixe doivent être en possession d’un carnet de circulation si elles n’ont pas de ressources régulières ou d’un livret de circulation si elles exercent une activité professionnelle. Le premier doit être visé tous les trois mois, du quantième au quantième, par un commandant de police, de gendarmerie ou une autorité administrative ; le deuxième tous les ans. Tout retard dans le renouvellement entraîne de lourdes amendes (750€ pour un jour de retard). La personne qui ne serait pas en possession de ce document est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement (art. 5).

337. Le livret et le carnet ne sont pas considérés comme une pièce d’identité. Cependant, le voyageur doit être en mesure de le présenter en toutes circonstances même s’il possède une carte d’identité, faute de quoi il est mis à l’amende. Or il faut savoir que le format du carnet et du livret n’est absolument pas pratique et ne permet pas de le glisser dans une poche par exemple. L’obligation de détenir un tel document ainsi que celle de le faire viser régulièrement constitue une discrimination flagrante. En effet, il s’agit de la seule catégorie de citoyens français pour laquelle la possession d’une carte d’identité ne suffit pas pour être en règle. En tant que citoyens français, qualité que la très grande majorité possède, les voyageurs ne devraient pas être soumis à de telles contraintes, mais devraient bénéficier des mêmes droits que leurs concitoyens. Je peux concevoir l’existence d’un carnet de circulation. Mais je trouve profondément choquant que ces documents puissent être exigés à tout moment, alors même que les voyageurs possèdent une carte d’identité, et qu’ils doivent être visés si régulièrement. En outre, des représentants des associations m’ont fait part de certaines difficultés que rencontrent des Gens du Voyage pour se faire délivrer des cartes d’identité. J’appelle les autorités à éliminer rapidement de tels obstacles.

338. La loi de 1969 stipule également que les Gens du Voyage doivent être rattachés administrativement à une commune (art.7). Une fois le rattachement prononcé par le préfet, le voyageur doit attendre deux ans pour effectuer un changement. Encore ce changement doit-il être validé par le préfet et la demande motivée pour être acceptée. Ces obligations m’interpellent car elles font peser sur les Gens du Voyage un sentiment de contrôle permanent. De plus, la loi indique très clairement que le nombre de Gens du Voyage qu’une commune peut accueillir administrativement ne doit pas dépasser 3% de sa population locale. Ces dispositions contreviennent à la liberté de s’installer dans la commune de son choix dont bénéficient tous les autres citoyens français.

339. Le droit dérogatoire qui s’applique aux Gens du Voyage comporte une autre clause tout aussi discriminatoire : le droit de vote n’est accordé aux voyageurs que trois ans après leur rattachement administratif à une commune. Ce délai est de six mois pour tous les autres citoyens, y compris pour les sans domicile fixe. J’appelle les autorités françaises à mettre fin instamment à cette situation d’exception qui restreint les droits civils et civiques des voyageurs.

340. Le droit dérogatoire auquel sont soumis les Gens du Voyage touche également le statut de leurs caravanes, qui ne sont pas considérées comme des logements. Ils sont donc privés de toutes les aides au logement et ont des difficultés à accéder aux aides sociales en général. Pourtant, et c’est là le paradoxe, malgré tous les problèmes rencontrés et non résolus, l’Assemblée Nationale a adopté, le 23 novembre 2005, un projet de loi visant à établir une sorte de « taxe d’habitation » sur les résidences mobiles. Le montant de cette taxe a d’abord été fixé à 75€ par mètre carré, pour toutes les caravanes de plus de 4 mètres carrés. Il a ensuite été ramené à 25€ lors de l’adoption du budget. Il s’agit sûrement d’une amélioration par rapport au projet initial. Toutefois, compte tenu de la situation financière difficile dans laquelle une grande partie des Gens de Voyage se trouve, je me demande si une telle taxe est appropriée en tant que telle. Je remarque en outre qu’alors que les Gens du Voyage se voient appliquer une taxe au titre d’un impôt assimilé à la taxe d’habitation, ils restent privés de tous les bénéfices qui peuvent être liés à l’allocation de logement. Dans ce contexte, il est difficile de ne pas voir un certain risque de rupture de l’égalité.

2. Les Roms

341. Comme je l’ai précisé plus haut, les Roms sont des migrants en provenance des pays d’Europe Centrale et Orientale (Roumanie, Bulgarie, Hongrie et Balkans). Ils sont détenteurs ou non d’un permis de séjour, demandeurs d’asile ou « sans-papiers ». Les Roms d’origine roumaine, comme tous les citoyens roumains, sont dispensés depuis le 1er janvier 2002 de visa de court séjour pour se rendre dans la zone Schengen. Ils bénéficient d’un droit de séjour de quatre-vingt dix jours, et se jouent des dispositions de la Convention d’application des Accords de Schengen en franchissant les frontières tous les trois mois.

342. Les autorités françaises font depuis peu usage de l’article 5C des accords de Schengen qui stipule que tout étranger arrivant dans l’espace Schengen doit être en mesure de prouver qu’il possède des ressources minimales fixées à 500€. Toutefois, l’application de cette disposition est très aléatoire et ne résout en rien la problématique générale attachée aux Roms. Les renvois s’avèrent ainsi inefficaces et les personnes expulsées reviennent quelques semaines après. Cette situation est renforcée par l’inefficacité du programme de rapatriement des Roms originaires de Roumanie mis en place par la Ministère de l’Intérieur en janvier 2003 : la prime de 153€ par personne versée par l’Organisation de migrations internationales est minime ; la promesse d’une prise en charge sociale n’est pas toujours effective ; et surtout les problèmes qui les ont poussés à fuir perdurent.
343. Ayant fui la misère et les discriminations dont ils sont victimes dans leur pays, arrivés en France sans moyens, ces populations estimées à quelque 5 000 personnes vivent dans des conditions de dénuement le plus total. J’ai visité deux campements roms dans la région parisienne, où elles sont concentrées.

344. Le premier, situé à Saint-Denis, est un bidonville insalubre, coincé sous un pont, entre une autoroute et une voie ferrée à trois minutes du boulevard périphérique parisien. Il existe depuis quatre ans et abrite environ cent cinquante familles. Tous les efforts déployés par la communauté pour rendre le camp présentable n’ont pas réussi à masquer les conditions déplorables dans lesquelles elle vit. J’ai été stupéfait par les images que j’ai pu y voir. Jamais auparavant je n’ai vu en plein jour, sur une surface si limitée, un nombre si important de rats ; ils se promenaient partout à côté des enfants. Un tel état d’insalubrité présente certainement une menace pour la santé des habitants.

345. Il est vrai que les pouvoirs publics, surtout la mairie font des efforts importants pour aider ponctuellement cette communauté. Ainsi, la municipalité prend en charge les prestations publiques, eau, électricité, voirie. En outre, Médecins du Monde et des associations roms y interviennent régulièrement. Mais toutes ces initiatives ne suffisent pas à lutter contre les problèmes rencontrés par ces populations qui ne disposent plus d’un accès garanti à l’Aide Médicale d’Etat depuis sa réforme en 2004 et juillet 2005, et qui n’ont pas le droit de travailler, soit qu’elles sont demandeurs d’asile ou sans papiers, soit qu’elles possèdent un permis touristique qui ne les autorise pas à exercer une activité professionnelle. Démunis, certains Roms travaillent clandestinement, avec tous les risques d’exploitation que cela comporte en particulier pour les plus jeunes ; d’autres tombent dans la délinquance, les réseaux ou la prostitution. 

346. La situation de la communauté installée sur le territoire de la commune de Bagnolet est quelque peu différente. Les Roms qui la composent ne peuvent certes pas accéder à l’emploi et rencontrent les mêmes difficultés sociales que celles vécues par ceux habitant Saint-Denis. Toutefois, suite à l’incendie du squat dans lequel ils résidaient, la municipalité a décidé de prendre en charge leur logement. Elle les a installés dans une grande maison du centre ville, qui s’avère être le seul monument historique de la commune. La situation à l’intérieur de la maison est loin d’être parfaite : plusieurs familles vivent dans les quelques pièces que compte la bâtisse sans être séparées, ne serait-ce par des cloisons artificielles. En même temps, ces familles possèdent un toit, bénéficient de sanitaires et de l’eau chaude à l’intérieur du bâtiment. La décision prise par la mairie de Bagnolet mérite d’être saluée car il s’agit d’un vrai geste de solidarité de la part d’une municipalité qui est loin d’être parmi les mieux loties de la région parisienne. Cependant, cette décision crée des tensions avec les autres communautés immigrées, qui ne s’estiment pas aussi soutenues. Un même schéma est observable à Saint-Denis, ville qui abrite des populations en grandes difficultés sociales.

347. A la suite de mon déplacement à Bagnolet, et au cours de la rédaction du présent rapport, j’ai été contacté par le cabinet du Maire en vue d’apporter un soutien à la municipalité qui est confrontée à des problèmes persistants. L’arrivée de l’hiver a soulevé un nouveau problème : il apparaît que les sanitaires du bâtiment ne sont plus suffisants pour le nombre de personnes hébergées. Dès lors, la mairie voudrait installer dans la cour des sanitaires supplémentaires pouvant temporairement résoudre le problème. Or, le coût de cette installation serait trop élevé pour le budget municipal qui n’a pas prévu de telles dépenses. Malheureusement, le Bureau du Commissaire n’a pas les moyens d’aider la municipalité de Bagnolet. Je voudrais donc faire appel aux autorités publiques pour qu’elles apportent leur concours aux pouvoirs municipaux dans cette situation difficile.

348. D’une manière générale, les élus locaux de Bagnolet et de Saint-Denis m’ont fait part de leur sentiment d’isolement face aux problèmes multiples générés par l’installation sauvage des populations roms. Ils déploient une grande énergie pour leur venir en aide, en leur offrant un accompagnement sanitaire, social et scolaire. Elles ont instauré un dialogue avec les communautés installées sur leur territoire, représentées par des associations roms. Des protocoles ont ainsi été signés à Saint-Denis, comme à Bagnolet. Dans le premier cas, il vise surtout à assurer la scolarisation des enfants ; dans le second, il prévoit le paiement d’une redevance sur l’eau et l’électricité. Une expérience concluante est également menée à Saint-Denis, visant à installer quatre familles dans des maisons. Tous les élus se sont prononcés pour une reconnaissance de ces populations, un suivi social de ces familles et une reconnaissance d’un droit au travail, au moins pour le chef de famille. Ce serait effectivement l’un des moyens les plus efficaces pour lutter contre les réseaux et la délinquance.

349. Certains campements ne bénéficient pas du soutien accordé par les municipalités comme celles de Bagnolet ou de Saint-Denis. Ce sont particulièrement le cas des familles roms installées dans des squats ou dans des caravanes sur des friches industrielles ou des terrains vagues. Elles rencontrent non seulement des problèmes liés à la pauvreté qui les frappe, mais également au manque d’hygiène et à l’insalubrité d’installations qui de temporaires se sont transformées en bidonvilles. Les enfants sont les plus durement touchés par ces conditions. L’association Espoir nous a signalé plusieurs cas de tuberculose déclarés chez des enfants présents dans les campements de Villetaneuse et Aubervilliers. Cette association intervient auprès de ces enfants, non scolarisés et qui participent à l’économie de survie de ces populations en allant mendier dans les rues de Paris. Elle m’a particulièrement signalé le climat de crainte des expulsions qui anime les enfants roms comme leurs parents.

350. Les expulsions sont en effet pratiques fréquentes. La loi sur la sécurité intérieure de mars 2003 autorise les forces de l’ordre à intervenir dans les 48 heures, sans jugement préalable du tribunal administratif, ni accord express du propriétaire du terrain, quand « l’atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publique » l’exige . Les expulsions se font le plus souvent dans la violence : utilisation de la force, de gaz lacrymogène, destruction des biens personnels, remorquage des caravanes pouvant circuler, mise à la fourrière des autres. Lors d’une expulsion réalisée en juillet 2005 à Vitry-sur-Seine, des enfants ont été laissés seuls sur le terrain ; aucune assistance ne leur a été fournie, ni aucune protection. Les représentants des associations roms ou d’ONG qui interviennent auprès des Roms m’ont relaté des faits qui m’ont alarmé tant la violence déployée paraît inutile et gratuite. En septembre 2005, dans le département de la Seine-Saint-Denis, des coups de feu ont été tirés lors d’une opération semblable. A chaque fois, l’intervention des forces de police se fait sans négociation préalable et les Roms ne sont pas avertis.

 

X. LES GROUPES VULNERABLES

1. Violences domestiques

351. Les violences domestiques restent une réalité difficile à mesurer pour deux raisons principales. Premièrement, mes interlocuteurs ont attiré mon attention sur le peu de statistiques disponibles à ce sujet. La première enquête visant à cerner un phénomène encore largement caché n’a été menée qu’en 2000. Deuxièmement, le sujet reste tabou, et seule une minorité des femmes victimes de violences porte plainte (environ 6%).

352. Les résultats de cette enquête montrent qu’une femme sur dix a déclaré avoir subi des violences verbales, des pressions psychologiques ou des agressions physiques de la part de son conjoint ou de son concubin au cours des douze derniers mois. D’après des statistiques récentes, une femme meurt tous les quatre jours des suites de violences perpétrées au sein du couple en France métropolitaine . Ces chiffres sont d’autant plus alarmants qu’ils ne reflètent qu’une partie d’une réalité souvent dissimulée. Aucun milieu social n’est épargné, ni aucune tranche d’âge, même si l’enquête indique que les femmes de 20 à 24 ans semblent être les plus touchées.

353. La France a récemment adopté un dispositif législatif permettant une meilleure prise en compte de ce phénomène. Sur le plan pénal, un délit réprime les violences en l’absence de toute incapacité totale de travail. En outre, les poursuites sont possibles sans plainte préalable de la victime. La loi du 26 mai 2004, relative au divorce, prévoit l’éloignement du conjoint violent du domicile familial. Cette disposition, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, constitue une avancée importante car elle redonne à la femme une partie de sa dignité, en ne la privant pas de ses repères et d’une partie de ses ressources dans un contexte particulièrement difficile pour elle. Son application nécessite toutefois des précautions ; il faut en particulier s’assurer que le conjoint éloigné du domicile familial respecte cette décision. Enfin, le 24 novembre 2004, un plan de lutte globale contre les violences faites aux femmes a été présenté par Mme Nicole Ameline, alors Ministre de la parité et de l’égalité professionnelle. Il vise à renforcer l’autonomie des femmes victimes de violences domestiques et prévoit un ensemble de mesures sociales et juridiques afin de faciliter leur réintégration dans la société.

354. Pourtant, cet arsenal législatif, juridique et social, aussi complet soit-il, comporte un certain nombre de lacunes. Premièrement, la loi sur le divorce qui prévoit l’éloignement du conjoint violent ne concerne que la famille juridiquement légitime, excluant de fait les concubins et les partenaires pacsés. Il existe en la matière un vide juridique préjudiciable dans la mesure où les violences domestiques ne connaissent aucune frontière juridique. La Ministre déléguée à la Parité et à la Cohésion sociale, Mme Catherine Vautrin, a récemment déclaré vouloir durcir les sanctions contre les hommes violents, et étendre les circonstances aggravantes aux ex-conjoints et ex-concubins. Un tel projet me semble aller dans le bon sens.

355. Deuxièmement, plusieurs ONG, dont SOS Femmes Accueil de Marseille, m’ont exposé leurs craintes quant au conflit entre le droit des femmes et celui des pères. Ainsi, une femme qui a quitté le domicile familial avec ses enfants pour fuir un environnement violent est contrainte de donner l’adresse des enfants, et donc la sienne, au père de ces derniers. Or, il apparaît que le législateur n’a pas prévu de dérogation possible pour les femmes en situation de violences domestiques. Cette opposition met donc en danger les femmes qui auraient choisi l’éloignement. Le Médiateur de la République, M. Jean-Paul Delevoye, qui m’a accompagné au cours de cette visite, m’a dit partager mon avis sur la nécessité de légiférer afin de mettre fin à ce conflit. J’invite les autorités françaises à réfléchir instamment à ce problème juridique et à y apporter une réponse adéquate.

356. Ceci ne veut pas dire qu’il faille priver les pères de leurs droits. Bien au contraire, ces derniers doivent pouvoir maintenir un lien fort avec leurs enfants. C’est pourquoi il me semble souhaitable de multiplier les lieux de rencontre neutres, le temps que la justice fasse son travail et qu’une solution concernant le partage de la garde des enfants soit instituée. Les représentantes des associations avec lesquelles je me suis entretenu m’ont cependant indiqué que de tels lieux font actuellement cruellement défaut. De plus, parmi ceux qui sont en activité, certains risquent d’être fermés, faute de subventions. L’Archipel, qui est aujourd’hui le seul espace de ce type à Marseille, est directement menacé de fermeture, les ministères concernés ayant apparemment coupé les crédits alloués à l’association qui en a la charge. J’appelle les autorités françaises à se pencher sur cette question et à maintenir ces lieux de rencontre ouverts afin de permettre le maintien de relations parents-enfants dans un environnement apaisé. 

357. D’une manière générale, si la lutte contre les violences domestiques fait l’objet d’une attention politique particulière, la mise en œuvre des dispositifs prévus suscite un certain nombre de difficultés. Les mesures annoncées dans le plan global de lutte contre les violences faites aux femmes tardent à se concrétiser. De plus, les associations d’aide aux victimes se plaignent de la réduction des financements publics qui mettent en péril leurs actions. Elles soulèvent également les difficultés d’accès au logement, et en particulier au logement social, pour ces femmes dans un contexte global de pénurie. A Strasbourg, l’association SOS femmes solidarités dispose d’une liste d’attente de 6 à 9 mois, période pendant laquelle la victime est soit hébergée dans des hôtels, soit doit se débrouiller par ses propres moyens ou continuer à vivre sous le même toit que son conjoint violent.

358. Ainsi, si les violences domestiques sont érigées par les autorités françaises en priorité de l’action gouvernementale, la réalité dans laquelle elles plongent leurs victimes n’est que trop peu prise en considération. Il faudrait dès lors travailler à une meilleure mise en œuvre des dispositifs existants. Le placement de femmes battues dans des familles d’accueil est envisagé à compter de janvier 2006. Cette mesure me semble particulièrement adéquate, en ce qu’elle permet à la victime de changer d’environnement, tout en étant entourée. Il faudrait également veiller à une meilleure sensibilisation des acteurs, policiers et magistrats, qui sont le plus directement confrontés aux violences domestiques.

359. Enfin, je tiens à souligner les difficultés particulières que rencontrent les femmes immigrées victimes de violences conjugales. Certaines parmi elles, arrivées en France par le regroupement familial, réfugiées ou demandeuses d’asile, sont isolées, parlent peu ou pas le français et dépendent totalement de leur conjoint. Elles peuvent se voir attribuer un titre de séjour, si toutefois elles font la preuve qu’elles ont déposé plainte et fournissent des attestations adéquates. La barrière de la langue, la méconnaissance des lois françaises malgré les nouvelles dispositions qui s’appliquent aux primo-arrivants et l’emprise du conjoint rendent ces démarches inaccessibles à la plupart d’entre elles. De plus, selon mes interlocuteurs, la longueur des procédures entrave la mise en œuvre de ce dispositif, tout comme le manque de places dans les hébergements d’urgence. 

360. Ces femmes sont également confrontées à d’autres types de violences, qui ont toujours existé, mais qui commencent seulement à être prises en considération par les pouvoirs publics. Il s’agit tout d’abord du mariage forcé, une pratique qui concernerait 70 000 adolescentes d’après le Haut Conseil à l’Intégration. Si certains aspects de cette question relèvent du droit international privé, la France a récemment fait un pas important, quoique incomplet, pour lutter contre les mariages forcés. Le 29 mars 2005, le Sénat a relevé l’âge légal du mariage pour les femmes, le portant, comme pour les hommes, à 18 ans. Il était auparavant de 15 ans (article 144 du Code civil). Cependant, l’Assemblée Nationale n’a toujours pas voté cette loi qui reste donc à l’état de proposition (proposition de loi n°2255). Je m’étonne que ce texte déposé le 14 avril 2005 n’ait toujours pas été soumis au vote des députés.

361. Un autre type de violences concerne les mutilations sexuelles, pratiques difficilement dénombrables, quoique apparemment très répandues dans certaines communautés originaires d’Afrique de l’Ouest. La législation française sanctionne les parents qui se livreraient à l’excision et l’exciseuse, le cas échéant. Or, il s’avère que les mutilations sexuelles sont le plus souvent pratiquées dans le pays d’origine de la famille. Le Haut Conseil à l’Intégration a soulevé, dans son rapport annuel d’activités de janvier 2004, la nécessité d’adopter une législation inspirée de celle relative au tourisme sexuel permettant des poursuites, que la victime résidente en France ait ou non la nationalité française. A n’en pas douter, cette proposition mérite considération.

2. Traite des êtres humains

362. La France est un pays de destination de la traite des êtres humains. 75% des personnes victimes de la traite sont d’origine étrangère. Elles proviennent majoritairement d’Europe de l’Est et des Balkans (principalement de Roumanie et de Bulgarie) et d’Afrique de l’Ouest (essentiellement du Nigéria et du Cameroun). Phénomène nouveau, de plus en plus de Chinoises se livrent à la prostitution à Paris et dans sa région. Les Chinois restent toutefois majoritairement employés dans la confection textile et la restauration. Le rapport du Bureau International du Travail publié en 2005 estime à quelque 50 000 le nombre des Chinois illégaux, parvenus en France par l’intermédiaire de réseaux qui les exploitent par la suite, et à 6 000 les nouvelles arrivées chaque année.

363. La France a renforcé son arsenal juridique dans le domaine de la traite des êtres humains. La loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure introduit en droit l’incrimination de traite des êtres humains. Elle instaure également des mesures de protection pour les hommes et les femmes forcés à se prostituer. Outre l’assistance sociale, ils peuvent bénéficier d’un permis de séjour provisoire, à condition qu’ils coopèrent avec les services de police à l’arrestation de leur proxénète. Si ce dernier est condamné, la victime pourra se voir délivrer une carte de résident . Ainsi, en 2004, 180 victimes de la traite ont reçu un titre de séjour. Toutefois, outre la faiblesse de ce chiffre imputable à de nombreux facteurs parmi lesquels l’extrême mobilité de réseaux particulièrement bien organisés, mes interlocuteurs m’ont fait savoir que les titres provisoires de séjour ne sont pas systématiquement renouvelés, et que la protection offerte pour garantir la sécurité des victimes est insuffisante à bien des égards. De plus, l’aide à la réinsertion est faible, voire inexistante dans certaines régions.

364. Si les dispositions prévues par les lois sanctionnant la traite des êtres humains souffrent de leur mise en application, certains aspects du problème sont peu pris en considération par le droit français. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a récemment estimé, dans l’arrêt Siliadin contre France du 26 juillet 2005 , que l’esclavage et la servitude ne sont pas « en tant que tels réprimés par le droit pénal français ». Elle a conclu à la violation des dispositions prévues par l’article 4 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Une trentaine de cas, semblables à celui jugé par la Cour européenne, sont signalés aux associations chaque mois. Des jeunes filles, mineures dans la majorité des cas, sont obligées de travailler, sans aucune rémunération et dans des conditions déplorables et indignes. Près d’un tiers subiraient des violences sexuelles de la part des personnes qui les exploitent . La Cour a rappelé à la France son obligation de renforcer la législation issue de la loi du 18 mars 2003, visant à criminaliser et à réprimer toute situation d’esclavage, de travail forcé ou obligatoire. Je ne peux qu’abonder dans ce sens et recommander à la France de renforcer sa législation en la matière.

365. Enfin, certaines localités situées dans des zones frontalières connaissent des situations compliquées rendant les dispositions légales prévues par la législation française inopérantes. Ainsi les prostituées présentes dans certains quartiers strasbourgeois sont logées par les réseaux qui les ont embrigadées en Allemagne, de l’autre côté de la frontière. Elles ne viennent donc à Strasbourg que pour « y travailler ». Lors de leur première arrestation, les gardes à vue se soldent fréquemment par des reconduites à la frontière ; si elles reviennent, elles sont jugées en comparution immédiate et, le plus souvent, interdites de territoire. Les policiers que j’ai rencontrés m’ont exprimé leur désarroi face à la recrudescence de ce phénomène et au manque total d’harmonisation des législations européennes. La France a certes ratifié plusieurs instruments juridiques internationaux et a accru sa coopération, en particulier à travers l’action de l’Office Central pour la répression de la traite des êtres humains, chargé de lutter contre les réseaux sur le territoire français et à l’étranger. J’invite les autorités françaises à poursuivre dans cette direction et à signer la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, récemment adoptée par notre Organisation. J’en appelle également aux Etats membres de l’Union européenne afin que la douloureuse question de la traite des êtres humains soit prise en considération au niveau européen pour rendre la lutte contre des réseaux transnationaux plus efficace.

3. Les personnes handicapées mentales et l’hospitalisation sous contrainte

366. Je me suis rendu dans deux hôpitaux psychiatriques, à Montfavet et à Lannemezan, pour y évaluer la situation des malades mentaux et étudier les dispositifs qui permettent l’hospitalisation sous contrainte de personnes atteintes de troubles mentaux.

367. J’ai visité plusieurs unités du Centre hospitalier de Montfavet, dont l’unité pour malades difficiles (UMD). Il est à noter que cette unité constitue l’une des quatre structures de ce type réservées aux malades qui présentent un comportement particulièrement dangereux pour eux-mêmes et pour autrui. Les trois autres unités sont intégrées aux hôpitaux de Villejuif, Sarreguemines et Cadillac. Elles ont, toutes quatre réunies, une capacité de 520 lits, ce qui semble peu à l’échelle de la France. Cette situation reflète d’une manière générale le manque de moyens de la psychiatrie en France.

368. Le Centre hospitalier de Montfavet a entamé une série de travaux afin d’améliorer les conditions de vie et de travail des patients et du personnel. J’ai pu évaluer les très bonnes conditions offertes par les bâtiments récemment rénovés, en particulier celui qui abrite l’unité dite des Chênes Verts, destinée à terme à devenir un lieu d’évaluation avant la sortie. L’unité Esquirol, qui abrite certains services de l’UMD doit être prochainement rénovée. Les conditions y sont néanmoins satisfaisantes et les patients y bénéficient de soins attentifs et de toute une série d’activités adaptées. Les recommandations faites par le CPT lors de sa visite en 1996 semblent avoir été prises en considération.

369. De même, le service psychiatrique des hôpitaux de Lannemezan offre un très bon environnement de soins, prodigués par un personnel dévoué. On regrettera toutefois que les différents bâtiments qui abritent la partie psychiatrique soient fermés à clé. Cette mesure vise à empêcher que des malades hospitalisés sous contrainte ne sortent de la structure. Elle prive pourtant ceux qui s’y font soigner volontairement d’une partie de leur liberté.

370. Justement, les mécanismes de l’hospitalisation sous contrainte tels qu’ils m’ont été décrits et tels qu’ils sont inscrits dans les textes soulèvent un certain nombre d’interrogations. Ils représentent environ 20% des admissions à Lannemezan chaque année, un pourcentage qui se rapproche de la moyenne nationale. L’hospitalisation d’office est prononcée par le préfet, ou à Paris par le préfet de police. Elle s’applique au cas d’une personne malade nécessitant des soins d’urgence ou représentant un danger pour elle-même et pour autrui. Un médecin extérieur à l’établissement doit produire un certificat médical pour appuyer la demande. Dans des circonstances particulières de danger imminent, le maire, et à Paris les commissaires de police, peuvent prendre des mesures d’internement provisoires, et doivent en référer sous vingt-quatre heures au Préfet, qui décide au final de l’hospitalisation d’office.

371. Quant à l’hospitalisation à la demande d’un tiers, elle est prononcée par le directeur de l’établissement hospitalier d’accueil, qui doit en référer sous vingt-quatre heures au Préfet. Elle s’adresse à des patients qui ont des troubles mentaux l’empêchant de donner son consentement et dont l’état nécessite des soins immédiats. La demande doit être manuscrite et présentée par un membre de la famille du malade ou par une personne proche. Dans tous les cas, deux certificats médicaux doivent être fournis, dont un doit être produit par un médecin psychiatre extérieur à l’établissement.

372. Les hospitalisés sous contrainte peuvent déposer un recours devant la commission départementale des hospitalisations psychiatriques. Ils peuvent également adresser un recours devant le juge du tribunal administratif qui statue sur la légalité de la mesure ou devant le président du tribunal de grande instance, qui se prononce sur le bien-fondé et la nécessité de cette même mesure. Les dispositions prévues par la partie législative du Code de santé publique prévoit donc un contrôle judiciaire a posteriori. Si les patients ne sont pas dépourvus de tout moyen d’appel, les chiffres qui nous ont été fournis montrent que très peu de recours sont déposés devant le président du TGI. Leur état et le fait qu’ils soient placés sous traitement expliquent sans doute le faible nombre des recours.

373. L’hospitalisation d’office ou à la demande d’un tiers s’apparente à une privation de liberté. Or, comme toute privation de liberté, j’estime qu’elle ne peut être établie que par un juge et non par la seule autorité administrative. Certes, dans une situation d’urgence, il m’apparaît normal que l’autorité administrative prenne une décision provisoire, mais celle-ci ne peut être entérinée qu’avoir été approuvée par un juge. Il faudrait dès lors réfléchir à la possibilité de l’intervention automatique d’un juge pour confirmer les mesures d’hospitalisation sous contrainte. Cette mesure fournirait des garanties supplémentaires aux malades, permettrait de décharger les préfets et les directeurs d’établissement d’une partie de leurs lourdes responsabilités en la matière, et de diminuer des tensions qui existent, à Montfavet en particulier, lors de l’accueil des hospitalisés sous contrainte.

XI. RECOMMANDATIONS

374. Le Commissaire, conformément à l’article 3, paragraphes b, c et e, et à l’article 8 de la Résolution (99) 50 du Comité de Ministres, fait les recommandations suivantes aux autorités françaises :

- Fonctionnement de la justice et garde à vue

Augmenter les moyens financiers et techniques alloués à la justice.

Améliorer rapidement la situation dans les dépôts des tribunaux français.

Revoir les modalités du concours de greffiers et réfléchir à son organisation sur une base régionale et non plus nationale.

Engager une réflexion globale sur la répartition territoriale des tribunaux de grande instance et des cours d’appel afin de moderniser la carte judiciaire de la France.

Réfléchir aux moyens de sécuriser le déroulement des audiences, sans pour autant apporter de restrictions à leur publicité ; Répondre aux besoins de sécurité des tribunaux et améliorer l’accueil en leur sein.

Réformer certaines modalités d’intervention de l’avocat lors de la garde à vue ; Rendre l’assistance d’un avocat obligatoire ; Elargir son rôle et exiger sa présence durant les interrogatoires, ou à tout le moins, lors de la signature par le gardé à vue de sa déposition ; Prévoir, pour tous les cas de régimes de garde à vue, une intervention de l’avocat dès la première heure.

Modifier l’article 437-7-2 du Code Pénal, introduit par la loi dite Perben II, en vue de préserver les garanties de l’exercice de la profession d’avocat et sauvegarder les droits de la défense.

Réintroduire l’obligation faite aux policiers de mentionner lors d’une interpellation le droit à garder le silence.

Prévoir systématiquement et immédiatement des matelas dans les cellules de garde à vue et uniformiser les pratiques à ce sujet.

- Système pénitentiaire

Augmenter les moyens alloués aux prisons ; Construire de nouveaux établissements pour désengorger les prisons existantes ; Introduire dans les établissements pénitentiaires une réelle séparation entre prévenus et détenus.

Améliorer les conditions de vie des détenus ; Diminuer les charges financières qui pèsent sur les détenus, notamment sur les produits de consommation courante.

Augmenter de manière sensible le financement des structures d’éducation, de santé et d’insertion professionnelle au sein des établissements pénitentiaires ; Augmenter les moyens alloués à la réalisation des programmes de réinsertion et de suivi des personnes libérées.

Résoudre les problèmes posés par l’inachèvement de la sécurisation de l’accès du gymnase construit dans l’établissement de Fleury-Mérogis en versant les fonds nécessaires.

Régionaliser les services de transfèrement des prisonniers, afin de le rendre plus flexible et opérationnel.

Favoriser la détention de personnes définitivement condamnées à proximité du lieu de domicile de leurs proches afin de faciliter le maintien de liens ; Généraliser les unités de vie familiale.

Adopter dans les plus brefs délais un texte législatif ou réglementaire mettant la procédure d’isolement en conformité avec les garanties de l’état de droit ; Prévoir l’intervention d’une autorité judiciaire dans la procédure, par exemple le juge d’application des peines ; Assurer, sans attendre une réforme législative, que les personnes soumises au régime d’isolement puissent bénéficier d’activités structurées, en particulier des activités professionnelles, culturelles et sportives.

Augmenter les moyens alloués à l’organisation des soins somatiques et psychiatriques en prisons ; Harmoniser l’accès aux soins ; moderniser les UCSA et les SMPR les plus démunis en personnel et en matériel ; Doter les unités de lutte contre la toxicomanie de plus de moyens ; Traiter les personnes détenues âgées ou en fin de vie avec plus d’humanisme en appliquant plus largement la suspension de peine pour raisons médicales.

Prendre urgemment toutes les mesures nécessaires pour que le transfert des détenus pour raison médicale et leur hospitalisation se passent dans des conditions dignes, qui respectent leurs droits et prennent en considération leur état ; Abroger sans délais la circulaire du 18 novembre 2004 relative au port des menottes lors du transport et de l’hospitalisation des détenus.

Intensifier la prévention du suicide en prisons, en particulier en augmentant le nombre de travailleurs sociaux dans les quartiers réservés aux primo-arrivants.

Assurer une égale prise en charge des femmes et des hommes dans les SMPR, en particulier en donnant la possibilité aux femmes d’accéder aux mêmes activités et au même suivi dans les établissements mixtes.

Assurer des conditions dignes et les soins appropriés aux détenus internés dans des hôpitaux psychiatriques ; Assurer des conditions de sécurité au personnel de ces mêmes établissements.

Repenser le projet de construction des UHSA, en augmentant les moyens prévus ; Réfléchir dans les plus brefs délais à la période 2005-2010 et à la création de pavillons sécurisés au sein des hôpitaux.
 

- Actions des forces de l’ordre

Combattre avec fermeté tous les cas de brutalités ou de violences policières recensées : lutter contre les comportements violents de certains policiers ; Améliorer la formation continue des policiers et gendarmes et leur encadrement ; S’assurer que les policiers en service soient identifiables, du moins par leurs matricules de service.

Assurer un financement nécessaire au bon fonctionnement de la CNDS ; Envisager une réforme de la CNDS allant dans le sens d’un élargissement de ses compétences et d’une augmentation de son budget.

- La situation des étrangers

Donner aux zones d’attente un statut juridique clair.

Assurer que l’étranger ne subisse aucune pression de la part des policiers pour renoncer au jour franc ; Modifier la législation afin que les mineurs ne puissent en aucune circonstance refuser le jour franc avant un éventuel renvoi.

Lutter avec vigueur contre les renvois immédiats préliminaires au placement de l’étranger en zone d’attente ; Veiller scrupuleusement à ce que les demandes d’asile déposées par des étrangers en zone d’attente soient systématiquement enregistrées et traitées.

Proposer une solution alternative au placement des familles avec enfants en zone d’attente.

Harmoniser les pratiques des préfectures dans le domaine de la demande d’asile.

Revenir sur l’exigence faite aux étrangers de déposer leur demande d’asile en français ou offrir aux demandeurs non francophones l’aide linguistique dont ils ont besoin pour déposer un dossier en bonne et due forme.

Réfléchir à l’indemnisation des demandeurs résidant en province et obligés de se déplacer à Paris pour un entretien à l’OFPRA ou prévoir l’ouverture d’antennes de l’OFPRA en province.

Inciter l’OPFRA à tenir compte de la jurisprudence de la CRR dans ses décisions ; Doter la CRR d’une autonomie budgétaire.

Réfléchir à une extension de l’aide juridictionnelle à tous les demandeurs d’asile.

Réfléchir à une solution efficace qui permettrait un traitement égal pour tous les demandeurs d’asile, quel que soit le lieu où ils sont hébergés afin de mettre à un niveau d’égalité tous les demandeurs, surtout en ce qui concerne l’accès au conseil juridique.

Revoir les modalités de la procédure prioritaire en vue de s’assurer que les dossiers déposés en procédure prioritaire fassent l’objet d’un examen complet et attentif.

Entreprendre une réflexion urgente sur le sort réservé aux sans-papiers, en particulier en ce qui concerne l’accès aux soins ; Abroger sans plus attendre les nouvelles dispositions introduites par les réformes récentes de l’Aide Médicale d’Etat. 

Fermer sans délai le Centre de Rétention Administrative de la Préfecture de police de Paris et s’assurer de la fermeture du CRA d’Arenc.

Envisager la création d’antennes de l’OFPRA au sein des centres de rétention

Mettre les pratiques en matière de rétention en conformité avec la législation nationale et les engagements internationaux de la France ; Adopter un texte qui interdise le placement de mineurs, isolés ou non, aussi bien dans les zones d’attente que dans les centres de rétention.

Lutter contre les pratiques qui consistent en « l’interpellation » des enfants en présence de l’un de leurs parents, voire en leur absence, pour contraindre leurs parents frappés d’un arrêté d’expulsion.

- La situation particulière des mineurs

Favoriser dans tous les cas l’action éducative sur toute forme de répression.

Doter la justice des mineurs de moyens accrus ; Renforcer les services de la Protection judiciaire de la Jeunesse ; Instaurer un véritable suivi des mineurs délinquants à leur sortie d’une structure de l’aide sociale à l’enfance ou à leur libération de prison ; étendre la coopération entre l’administration pénitentiaire et les services spécialisés.

Construire de nouvelles structures pour les mineurs délinquants, et en particulier des centres éducatifs fermés, tout en luttant contre la stigmatisation dont ces centres font l’objet.

Veiller à ce que les mineurs soient strictement séparés des majeurs dans tous les établissements pénitentiaires ; Trouver une solution pérenne pour que cette mesure soit également appliquée aux jeunes filles ; Prévoir l’accès des jeunes filles aux mêmes activités que les jeunes garçons.

Eclaircir le devenir des quartiers pour mineurs dans les établissements pénitentiaires ; Repenser le projet des établissements pénitentiaires pour mineurs en instaurant la séparation des prévenus et des condamnés et en créant des quartiers de semi-liberté pour préparer la sortie.

Légiférer sur les mineurs étrangers et prévoir de nouvelles dispositions leur garantissant le plein respect de leurs droits dès leur arrivée sur le sol français ; Réfléchir à un moyen qui permettrait de recenser systématiquement les enfants supposément isolés qui arrivent dans les aéroports français, ou ceux qui sont libérés de la zone d’attente après la durée légale de 20 jours. 

Réformer la fonction de l’administrateur ad hoc et prévoir son intervention plus tôt dans la procédure.

Reconsidérer les problèmes posés par les jeunes errants et intensifier les actions conjointes avec les mairies concernées et les associations impliquées.

Réfléchir à la possibilité d’accorder un titre de séjour provisoire aux jeunes de plus de 18 ans et qui ont fait leurs études en France après être arrivés illégalement sur le territoire français.

- La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie et les discriminations

Intensifier les efforts dans la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.

Veiller à une meilleure application de la législation existante et punir les auteurs d’actes racistes, antisémites ou xénophobes.

Veiller à une meilleure mise en œuvre des dispositifs de lutte contre les discriminations prévus par la législation française.

- Les Gens du Voyage

Lutter contre les discriminations qui frappent les Gens du Voyage.

Respecter les termes de la Loi Besson et accélérer la construction des aires de stationnement pour les Gens du Voyage.

Généraliser aux niveaux national et local l’instauration d’un dialogue avec les représentants des Gens du Voyage.

Mettre fin au droit dérogatoire qui s’applique aux Gens du Voyage en matière d’identification, et à la situation juridique d’exception qui restreint leurs droits civils et civiques.

Revenir sur l’instauration d’une « taxe d’habitation sur les caravanes ».

- Les Roms

Trouver, dans les meilleurs délais, une solution digne afin de sortir les populations roms, se trouvant sur le territoire français, des bidonvilles dans lesquels elles vivent, et ce avec un souci de dialogue et de concertation.

Aider les municipalités à affronter les problèmes humanitaires, sanitaires, et sociaux générés par l’installation sauvage des populations roms.

Envisager une reconnaissance du droit au travail du chef de famille afin de lutter contre les réseaux et la délinquance.

Mettre fin aux pratiques violentes et inacceptables des policiers lors des expulsions de camps roms.

- Les violences domestiques

Elargir les dispositifs de lutte contre les violences domestiques au conjoint de fait et aux pacsés.

Apporter une réponse juridique au conflit qui existe entre le droit des femmes et celui des pères, en faisant en sorte que l’homme coupable de violences ne puisse pas savoir où est hébergée la victime, tout en assurant que les pères puissent exercer leurs droits auprès de leurs enfants.

Maintenir et augmenter les lieux neutres de rencontres, afin de permettre le maintien de relations parents-enfants dans un environnement apaisé. 

Veiller à une meilleure sensibilisation des acteurs, policiers et magistrats, qui sont le plus directement confrontés aux violences domestiques.

Accorder une attention toute particulière aux femmes étrangères victimes de violences domestiques

Lutter activement et augmenter les mesures de prévention contre les mariages forcés

 

- La traite des êtres humains

Assurer une protection aux victimes de réseaux qui collaborent avec les services de police ; Assurer le renouvellement des titres provisoires de séjour des victimes qui collaborent ; Intensifier l’aide à la réinsertion.

Lutter plus activement contre l’esclavage moderne et intégrer en droit français la jurisprudence de la Cour européenne en la matière.

- Les handicapés mentaux et l’hospitalisation sous contrainte

Suppléer le plus rapidement au manque de moyens de la psychiatrie en France.

Introduire un contrôle judiciaire dans la procédure d’hospitalisation d’office ; Réfléchir à la possibilité de l’intervention automatique a posteriori d’un juge pour confirmer les mesures d’hospitalisation sous contrainte.

 
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