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Synthèse : Violences en prison

Publié le dimanche 14 mai 2006 | http://prison.rezo.net/synthese-violences-en-prison/

Synthèse
Violences en prison

François COURTINE
Marc RENNEVILLE
Département de la Recherche
Ecole Nationale d’Administration pénitentiaire
Novembre 2005

L’actualité de notre temps désigne la violence comme un enjeu majeur de l’action comme de la réflexion. Cette violence alimente avec plus ou moins d’intérêt, de pertinence et d’efficacité, et avec des objectifs très divers, nombre d’enquêtes, de rapports et de discours, politiques et journalistiques, sans parler de certaines contributions artistiques.

La violence ne peut être qu’un objet de savoir paradoxal car le terme est omniprésent dans le débat social sans que sa définition fasse l’objet d’un consensus. La violence peut être collective, physique, symbolique, psychique, institutionnelle, architecturale, sonore. De plus, si tout peut devenir violence, le délit, le procès, l’exécution de la peine, à l’inverse, aucun acte ni aucune parole ne permet de circonscrire un noyau dur, qui ferait consensus pour tous.

La violence est un phénomène complexe dont la perception varie selon le point de vue. La relativité de notre objet nous a donc imposé une démarche méthodologique plurielle. Si la violence ne peut se définir dans l’absolu, elle se manifeste en prison comme ailleurs sous des formes variées que l’on peut appréhender sous différents angles.

La majorité des spécialistes montre qu’il n’existe pas de définition objective du concept, mais seulement une palette d’approches subjectives, tributaires des critères utilisés, de la problématique empruntée et de la société étudiée. En d’autres termes, toute étude de la violence est assujettie aux croyances d’une époque, aux faits observés et aux convictions du chercheur.

L’émergence de nouvelles questions, posées par nos sociétés dans un contexte parfois dramatiquement réactualisé, a conduit l’équipe à constater et à faire siennes de nouvelles problématiques.

La première est que la violence n’est pas seulement un ensemble de pratiques objectives, mais qu’elle est aussi et surtout une représentation, un attribut que des groupes parmi les plus aisés affectent de manière plus ou moins fantasmatique à d’autres groupes, généralement les plus démunis.

La seconde est que la violence ne peut plus être abordée sans que l’on considère le phénomène avec les perceptions qui en circulent et avec les représentations qui la décrivent.

Ce parti pris d’engager ce travail de recherche sur des bases théoriques renouvelées (Wievorka) a eu pour conséquence directe de questionner les modes d’approches théoriques et méthodologiques que les sciences humaines et sociales ont pu élaborer à propos de la violence.

Les tendances les plus lourdes des théories ou approches souvent présentes dans les recherches sur la violence consistent ou bien à considérer qu’elle a sa place dans les calculs et les stratégies des acteurs comme partie prenante d’un conflit ou bien à admettre qu’elle vient traduire une insuffisante intégration de ces mêmes acteurs dans un système débouchant sur un état de crise.

Dès nos premières approches sur les terrains et grâce à la multiplicité des lieux, des publics et des postures théoriques des chercheurs, nous avons tout de suite senti qu’il fallait revisiter cette tradition de la recherche. Il nous est apparu nécessaire de reconsidérer par exemple les références au conflit ou à la crise comme les analyseurs principaux de la violence. Questionner le phénomène carcéral à partir d’une multiplicité de postures théoriques, convoquées simultanément sur les mêmes espaces en acceptant que ces postures multiplient les façons même de problématiser la question posée, constitue le parti pris essentiel de la démarche choisie.

Dans l’élaboration de notre démarche, nous avons tenté de prendre à notre compte l’incitation exprimée dans l’appel d’offre souhaitant une recherche « globale et ouverte ».

Nous avons misé sur la pluralité des regards et donc des présupposés de théories sous jacentes et de méthodologies plurielles en veillant à ne pas craindre la contradiction tout en se méfiant du consensus.

Cette approche n’est pas nouvelle, même si elle tarde à s’imposer dans des communautés scientifiques encore fortement compartimentées. Rassembler les théories, les méthodes et les approches par centre d’intérêts, par objets, par champ (la prison en est un) plutôt que par écoles ou courants intellectuels, voilà ce que nous avons voulu privilégier étant ainsi beaucoup plus à même d’approcher, pour le sujet qui nous concerne, la nécessaire variété de ses interprétations.

Ce positionnement n’a pas été le résultat d’une stratégie appliquée débouchant sur une posture mais simplement la conséquence de rencontres au sein d’une jeune équipe de recherche véritablement pluridisciplinaire constituée non pas pour répondre à l’appel d’offre sur la violence en prison mais installée et impliquée dans un espace de formation, dans un but de production de connaissances dans et sur le champ pénitentiaire.

Conformément aux indications fournies dans notre réponse à l’appel d’offre, chaque chercheur a structuré ses approches autour de deux axes :
- axe 1 : définir et circonscrire les phénomènes de violence
- axe 2 : analyser les processus de régulation et de prise en charge.
Ainsi le collectif a privilégié quatre entrées possibles
1. L’entrée par les procédures légales de désignation et de réponses aux violences. (Chap. 1).
2. L’entrée par les sujets (personnels et détenus) en qualité d’acteurs et de victimes. (Chap.3 et Chap. 4)
3. L’entrée par l’environnement intra carcéral (climat social, modes d’organisation des temps et des espaces, mémoires des lieux et des événements). (Chap.2, Chap.5 et Chap.6).
4. L’entrée enfin, par l’environnement extra carcéral (image sociale et médiatique des personnels pénitentiaires et de leurs missions). (Chap.7).

Les procédures légales de désignation et de réponses aux violences
Les violences en prison à l’aune des procédures disciplinaires
Le droit propose une vision partielle de la violence au travers d’une grille fermée d’infractions pénales et de fautes disciplinaires dont l’étude se trouve limitée par l’existence d’un véritable chiffre noir des violences en prison. Non seulement parce que tous les incidents violents ne font pas l’objet d’une constatation de la part du personnel de surveillance ou ne sont pas rapportés par les détenus, notamment par crainte de représailles, mais aussi et surtout, parce que les statistiques "officielles" ont simplement pour objet de recenser le nombre de fautes et sanctions disciplinaires commises par les seuls détenus. Pourtant, la plupart des analyses produites sur la thématique de la violence en prison mettent en évidence la priorité accordée aux mesures de réaction sécuritaires traditionnelles de type disciplinaire. Sans doute, de telles stratégies ne répondent-elles qu’imparfaitement à la complexité du phénomène qu’elles entendent résorber et ne suffisent nullement à assurer la paix sociale en prison. Mais l’approche de la violence en prison par le droit permet d’en quantifier les expressions les plus manifestes et offre un aperçu de ce que l’on pourrait appeler la régulation "institutionnelle" des actes transgressifs en prison. De part leur meilleure visibilité et en dépit des lacunes signalées, c’est au travers du prisme (inévitablement déformant) des procédures disciplinaires que nous avons choisi d’étudier les logiques manifestes de gestion des violences en prison. Dans une perspective de recherche documentaire quantitative, les procédures disciplinaires paraissent de nature à révéler les rationalités ainsi que les stratégies de régulation des faits de violence en prison par la norme : quels sont les facteurs expliquant, d’une part, la mise en place d’une réponse disciplinaire, d’autre part, sa nature et son intensité ? Existe-t-il des variations selon les types d’établissements, selon le profil de l’intéressé (sexe, âge, situation pénale, passé pénal, etc.), selon les circonstances et l’objet de la faute commise, attestant d’une certaine prédétermination de la réponse disciplinaire ? Effectuée à partir d’un recueil de données au sein de onze établissements choisis pour leur représentativité, notre enquête présente l’originalité de saisir 10 1 procédures disciplinaires par établissement, sans distinction de faute commise (contre le personnel, contre les codétenus, contre la discipline ou la sécurité, les moeurs ou les biens, etc.) ou de sanction disciplinaire prononcée (avertissement, mise en cellule disciplinaire, privation de parloir sans séparation, privation de cantine, etc.). La grande diversité des variables abondées grâce aux 1111 procédures recueillies dans les dossiers individuels consultés au greffe des établissements a permis de procéder à une analyse statistique fine reposant notamment sur l’utilisation de tests de corrélation. En pleine congruence avec le constat de complexité du phénomène de la violence en prison, notre approche inscrit résolument l’analyse dans une dimension multifactorielle et plurivoque, ce qui permet de souligner les écarts au stade des poursuites, comme à celui
du prononcé de la sanction.

Notre enquête a permis d’esquisser le portrait démographique et pénal des détenus faisant l’objet d’une procédure disciplinaire et de mettre en évidence l’existence d’un profil récurrent lié à des facteurs pénaux tels que la présence d’un passé carcéral chargé ou d’un statut de prévenu, la longueur de la durée d’incarcération ou la nature de l’établissement, ou l’existence d’antécédents disciplinaires. Ces facteurs mettent en évidence un risque différentiel, sinon de commission d’une faute, du moins de mise en oeuvre des poursuites, prédéterminant fortement l’intensité de la réponse par la sanction disciplinaire. Visant davantage le maintien de l’ordre et de la sécurité en détention, plutôt que le traitement systématique de toutes les atteintes, les procédures disciplinaires traduisent des logiques de sanction pour le moins orientées. Ainsi, alors que la catégorie des prévenus est responsable des fautes les plus graves, elle bénéficie largement de sanctions assortie d’un sursis total. De même, alors que c’est dans les maisons d’arrêt que l’on relève le plus de fautes de premier degré, ce sont les maisons centrales qui concentrent les sanctions les plus lourdes. En réalité, le fondement des poursuites et celui des sanctions ne se confondent pas. Ce sont plutôt des facteurs pénaux (passé carcéral, statut pénal, etc.) qui expliquent la fréquence et l’intensité des poursuites disciplinaires, alors que ce sont essentiellement des facteurs pénitentiaires (catégorie de l’établissement, mise en danger des personnels ou du bon fonctionnement de l’établissement) qui expliquent la nature et l’intensité de la sanction disciplinaire. La régulation par la sanction disciplinaire semble avant tout guidée par l’impératif de maintien de l’autorité des gardiens sur les gardés, justifiant ainsi des sanctions à la fois plus sévères et plus systématiques lorsque l’atteinte vise le personnel de surveillance. Si, au terme de cette étude, il apparaît donc clairement que les procédures disciplinaires n’identifient et ne traitent qu’une fraction des violences en prison, ces modalités de régulation officielles n’en constituent pas moins un élément central du fonctionnement du système pénitentiaire. Elles n’offrent pas qu’un simple point de vue officiel et juridique sur les violences en prison, elles les réinterprètent en fonction d’impératifs plus fondamentaux permettant d’assurer un fonctionnement homéostatique du système, et donc de pérenniser l’institution prison.

Les sujets (personnels et détenus) en qualité d’acteurs et de victimes

1 Les dimensions subjectives de la violence en prison : du côté des surveillants
Quelles sont les dimensions subjectives de la violence ressentie par les personnels de surveillance dans le cadre de l’exercice de leur métier ? Nous avons fait le choix de nous intéresser plus spécifiquement aux détentions de femmes dans la mesure où les violences y étant moins manifestes, il était possible d’en éclairer certaines dimensions plus discrètes ou plus intimes. La phase de recueil de données s’est étalée sur un peu plus d’un an et a concerné deux maisons d’arrêt accueillant des femmes. Elle s’est appuyée sur une observation de la réalité de la vie d’une détention dans les divers aspects de son fonctionnement quotidien, par la présence régulière dans un des établissements (un jour par semaine pendant 8 mois), des entretiens informels avec les personnels des établissements concernés, des entretiens formalisés (93) avec les personnels et les personnes incarcérées, des entretiens uniques et des séries d’entretiens, des entretiens individuels et des entretiens collectifs.Les entretiens formalisés ont été des entretiens cliniques de type serai directifs. La perspective adoptée est celle qu’ouvre la psychanalyse en considérant la violence comme ce qui porte atteinte au sujet dans sa dimension désirante.

La violence, pour le personnel de surveillance, tient à la confrontation forcée et quotidienne à des rapports de forces qui peuvent se manifester dans des agressions, physiques, verbales, des comportements, des attitudes, mais qui reste toujours potentiellement présents, ainsi qu’à des actes graves (infanticides, agressions à l’encontre des enfants, etc.), à des situations personnelles et des histoires de vie dramatiques, ou encore, à des actes désespérés (automutilations, suicides, etc.). Autant de situations susceptibles d’affecter les personnels, de les affecter réellement, y compris dans leur santé, dans leur intégrité. La violence tient également au fait de ne pouvoir soutenir le sens dans sa pratique professionnelle et de voir toutes les limites ordinaires vaciller, posant un problème d’identité, dans sa fonction et son rapport aux autres. Elle tient enfin au sentiment de travailler dans la « poubelle » de la société, de n’être qu’un pion sur l’échiquier de l’établissement, d’être l’objet des fantasmes d’une opinion publique, posant par là-même une question de dignité. La violence apparaît comme ce qui porte atteinte au sujet, à son intégrité, à sa dignité ou à son identité.

Mais cela tient également à des possibilités de défense et de régulation réduites du fait de conditions de travail (effectifs, horaires tournants, etc.), d’une absence de reconnaissance (image dévalorisée, indifférence, absence de légitimité, etc.), d’une impossibilité de parole (disjonction entre les discours et les réalités, défaillance du lien social professionnel, difficile inscription dans une lien social extérieur, etc.) et d’une défaillance du sens dans la pratique professionnelle (instrumentalisation du métier, incapacité d’appréhender les paramètres des situations, arbitraire des règles qui régissent le fonctionnement, etc.). Cela se traduit, pour les personnels, par une difficulté à effectuer la « coupure professionnelle » et de trouver une distance relationnelle. Difficile coupure professionnelle qui conduit à un difficile partage entre la vie professionnelle et la vie familiale, chacune venant contaminer l’autre. Difficile distance professionnelle, qui provoque soit une prise de distance par désinvestissement du métier (barrière avec les détenus, maladie, absentéisme, refuge dans des discours sécuritaire ou raciste, etc.), soit l’instauration de rapports personnalisés entre personnels et détenus.

La confrontation à cette violence a souvent un effet traumatique c’est-à-dire l’effraction d’un réel insub- jectivable, qui pourra trouver à s’inscrire sous trois formes : le symptôme, la souffrance, le malaise. Le symptôme somatique localise la souffrance dans le réel du corps (maladie, somatisations, symptôme corporels), la souffrance assigne la violence à une cause en lui donnant la perspective d’un manque et de ce qui pourrait venir y répondre (demandes de soins, demande de soutien psychologique, revendications professionnelles, syndicales), et le malaise provoque un retrait de ses investissements professionnels mais aussi sociaux et un repli de ceux-ci sur la personne (dépression, conduites addictives).

Les moyens de régulation qui restent disponibles, sur le plan subjectif, sont l’attribution d’une cause ou la désignation d’un responsable. Assigner la violence à une cause consiste à identifier certaines population (les détenus malades mentaux, les jeunes, les étrangers, les délinquants sexuels, etc.) et a pour effet de mettre surveillants et détenus dans un rapport spéculaire, qui nécessite et justifie la mise en place d’une séparation, d’une barrière. Identifier un responsable (la société, les politiques, la direction, etc.) a pour effet de mettre les surveillants dans un rapport paranoïaque de suspicion vis-à-vis de la hiérarchie, des autorités. Dans les deux cas, cela revient à ré-instituer, mais sur le plan de l’imaginaire, la mise à distance qui fait défaut. Un autre mode de régulation consiste à s’inscrire dans des discours, dans un mode de rationalité, qui offre une interprétation du monde, de la réalité professionnelle, un traitement du réel, dans une généralité à défaut de pouvoir exprimer la singularité de sa pratique, de ses expériences, de ses difficultés ; l’inscription de sa singularité.

2 la structure des représentations sociales de la violence chez les personnels pénitentiaires et les jeunes détenus
Il s’agit de faire émerger les représentations de la violence en général, et celles de la violence en prison en particulier, chez les jeunes détenus et chez les personnels pénitentiaires. L’analyse comparative doit permettre d’identifier les différences et les similitudes entre ces groupes d’individus au sein de deux types d’établissements particuliers.

Quatre vingt deux entretiens semi directifs ont été réalisés auprès des détenus et des personnels pénitentiaires. Les sujets abordés portaient sur le parcours professionnels, les relations interpersonnelles au sein de la prison, les définitions de la violence et de ce qui fait violence, la description et la fréquence d’événements violents survenus (que ce soit en position de victime, d’auteur ou de témoin), les positions sur la violence de la peine, de l’institution et de l’enfermement, la comparaison avec la situation dans "notre société", le sentiment d’insécurité à l’intérieur et à l’extérieur de la prison.
En complément des entretiens, nous avons utilisé la méthode "d’associations libres" afin de faire apparaître les dimensions latentes qui structurent l’univers sémantique spécifique des représentations de la violence. Ainsi, à la fin de chaque entretien, il a été proposé à la personne d’associer quatre mots au terme de "violence", et de déterminer ce qui, pour elle, signifie le contraire de violence, puis d’y associer également quatre mots.

La représentation de la violence en prison chez les personnels pénitentiaires et les jeunes détenus est constituée de plusieurs schèmes figuratifs et explicatifs qui entretiennent des liens de dépendance et de causalité complexes :
- par nature, la violence est une action, une attitude, un sentiment ou encore une situation ;
- elle se manifeste sous plusieurs formes plus ou moins combinées : physiques, verbales, morales et psychologiques ;
- elle est produite par certains acteurs : les "jeunes" et "l’institution" (ou ses représentants) ;
- afin d’atteindre d’autres acteurs : les autres détenus, soi-même, les personnels pénitentiaires, ou les objets symboliques de l’institution.

Par ailleurs, les explications à la violence, ses sources et ses origines, sont multiples. Néanmoins, quelques tendances émergent :
- Les explications organisées sur le modèle d’une violence importée dans l’établissement sont dominantes chez les personnels pénitentiaires, avec des éléments plus fréquents en tenues externes (importation d’une culture délinquante avec reproduction de modes conflictuels antérieurs, influence des territoires urbains et de modèles d’éducation inadaptés). Or nous avions supposé que les explications en termes internes domineraient chez ces personnels, puisque la norme d’internalité est notamment valorisée par les professionnels qui ont pour mission d’évaluer et de distribuer des renforcements. Ce résultat peut notamment s’expliquer par le décalage particulier, constaté dans d’autres études, entre d’un côté le discours des professionnels, qui avancent souvent des explications "environnementalistes", et d’un autre côté leurs pratiques, qui valorisent les éléments internes. Ainsi, une part non négligeable des personnels pénitentiaires situe quand même la violence comme un phénomène inhérent à la nature humaine.

En outre, la part plus importante accordée au modèle d’une violence importée en prison peut s’expliquer par l’évitement d’une explication qui remettrait en cause le fonctionnement de l’institution : si la violence est « comme dehors », la responsabilité du système carcéral dans sa production est minimisée. Les explications organisées sur le modèle d’une violence contextuelle, structurelle, dominent chez les jeunes détenus, avec un équilibre entre les explications en termes internes et externes. Cet équilibre peut être dû à la nécessité d’un positionnement mitoyen entre les exigences de la logique cognitive et celles de la logique sociale, cette dernière débouchant plutôt sur des stratégies à la fois d’auto présentation, d’adaptation au milieu carcéral et de prévention. Ainsi pour ces jeunes, par exemple, la violence possède indéniablement un caractère stratégique, instrumental, qui permet d’abord de se protéger tout en se faisant respecter. Elle permet par ailleurs d’assurer une position de domination à l’égard des autres détenus, notamment dans le cadre du racket.

Enfin, la violence constituerait plus largement l’un des éléments clés de l’ordre négocié en prison (nous pourrions peut-être également parler d’un désordre négocié). Autrement dit, les conditions structurelles de la prison amènent un certain type de négociations dans lesquelles la violence joue un rôle qui reste à caractériser. Plus précisément, en ce qui concerne par exemple les relations entre détenus et surveillants, nous pouvons penser que la violence est la plupart du temps régulée par une négociation qui prend la forme d’un compromis ou d’un marchandage plus ou moins formels. En effet, les agressions détenus-surveillants ne sont pas des événements aléatoires, mais surviennent le plus souvent dans des points de frictions de l’ordre social carcéral, c’est-à-dire à des moments particuliers de la routine quotidienne (ouverture des cellules, mouvements, fouilles, parloirs, etc.). Les surveillants ne font pas tous face de la même manière à ces événements critiques. Ainsi, l’âge et l’expérience de ces personnels
s’avèrent être des variables importantes dans le niveau de violence d’une prison : il appardit que les plus âgés et les plus expérimentés possèdent une technique plus efficace de gestion des relations interpersonnelles et sont donc plus aptes à prévenir les conflits larvés qui peuvent se transformer en agressions physiques.

L’environnement intra carcéral (climat social, modes d’organisation des temps et des espaces, mémoires des lieux et des événements)
1 Emergence et régulation de la violence dans le paysage sonore pénitentiaire
En tant que lieu clos, la prison est un milieu qui génère des productions sonores et bruitales mécaniques comme organiques auxquelles il est difficile d’échapper. L’hypothèse de cette étude est qu’à l’intérieur d’un univers où la vue est limitée, le son serait une composante déterminante de la vie de l’établissement. Le son, en étant un indice révélateur de la violence, n’en constituerait pas moins un des mécanismes déclenchant. Nous avons très vite constaté que si des éléments étaient communs à tous les établissements, chacun avait cependant sa carte d’identité sonore spécifique : la taille, l’architecture, les matériaux, la situation géographique, la typologie, l’âge, la vétusté, la culture, le management et la population sont apparus comme autant de facteurs tendant à montrer qu’il n’y a pas un paysage sonore pénitentiaire, mais autant de paysages sonores qu’il y a d’établissements. Il s’agit alors pour nous, non pas de réaliser une analyse comparée des paysages sonores pénitentiaires, mais de souligner la place du son comme vecteur de sens dans le décryptage de la violence. De plus, nous nous sommes également laissés surprendre par le fait que l’une des composantes de cette atmosphère sonore est constituée, en creux, par ce que les personnes ne peuvent plus y entendre. Ainsi se sont dessinés, en négatif comme en positif, les contours de la carte complexe des sons de
prison.

Notre démarche est en grande partie basée sur la phonographie pour étudier le paysage sonore des établissements constitutifs de l’échantillon : outre l’observation participante et une série d’entretiens semi directifs menés auprès de 37 personnels pénitentiaires, 33 détenus et 10 extérieurs (intervenants, personnels médicaux, policiers), notre méthode de recueil de données a consisté à enregistrer le son des 10 établissements sur lesquels nous avons travaillé. Les 187 « films sonores » ainsi enregistrés (40 heures d’enregistrement) de jour comme de nuit fournissent un matériau très riche, qui, outre le repérage des événements et des fréquences, des rythmes et des ruptures, permet leur mise en perspective avec la parole recueillie durant les entretiens.

Si l’événement sonore ne constitue pas toujours une forme de violence en soi, il en est souvent un fait soit déclencheur, soit révélateur, soit aggravant, soit régulateur. En terme de régulation, il s’agit pour les acteurs pénitentiaires de ne pas subir ce paysage sonore qui leur est imposé, mais d’élaborer des stratégies de lecture, de compréhension, d’appropriation de ce climat. Nous semblons donc côtoyer, avec la matière sonore, un phénomène sinon fondamental, au moins transversal et incontournable du quotidien carcéral et de ses problématiques de violence, en terme à la fois de représentation et de régulation. La présentation des résultats est organisée autour de deux axes :
1/ L’excès comme le manque de sons sont bien générateurs de violence (déperdition sensorielle, troubles du sommeil, stress, agressivité, angoisse), tant pour les détenus que pour le personnels.
2/ Le paysage sonore de la prison dessine les contours d’un univers bruyant dont les acteurs, tout en s’en estimant victimes, doivent se rendre maîtres pour lui donner du sens. Les bruits et sons de la prison, en tant que processus organiques, sont des maux nécessaires, parfois mortifères mais vitaux à la fois, car porteurs de sens spécifiques, tant pour les détenus (stratégies d’information, de survie, enjeu territorial, importance des cadences) que pour les personnels (source d’information, gestion de la parole et des gestes professionnels).

Le bruit est un phénomène que l’institution prend peu en considération : s’il existe des logiques individuelles d’appropriation de ce dernier, la prise en compte institutionnelle du phénomène reste à accomplir. Cette étude ouvre des pistes de travail sur la gestion des nuisances sonores en détention, ainsi que sur la prise en compte de l’importance de la question du son en milieu carcéral : pour les détenus au cours de leur détention et dans leur processus de réinsertion, et pour les personnels dans le cadre de leur formation.

2 Approche de la violence en établissement 13 000
Nous avons inclus dans notre terrain d’enquête deux prisons du programme 13 000. Ces établissements modernes ont été réalisés dans un grand souci de sécurité. Des dispositifs précis ont été pensés et mis en oeuvre pour développer une sécurité matérielle importante. Or il est apparu dès la phase exploratoire de notre recherche que ces établissements, loin de rassurer, semblaient générer un malaise chronique des personnels et des détenus.

D’un autre côté, ces établissements ayant été conçus et construits selon un mode standardisé, ils se prêtent bien à une étude comparative. Nous sommes donc partis de l’hypothèse que l’environnement, les dispositifs et procédures de fonctionnement étant quasiment identiques, si des différences existent, elles seront dues à des particularités locales, qui pourront être identifiées et comparées. Elles pourront nous aider à repérer comment et pourquoi les relations en détention, entre personnels et détenus, peuvent être différentes ici et là.

Notre démarche est de type ethnologique, largement fondée sur l’observation. Cette démarche nous est apparue d’autant plus adaptée quand, lors de l’enquête préalable, nous avons été confrontés à la difficulté de décoder les messages issus des entretiens formalisés, au-delà de discours convenus. Nous avons privilégié l’observation, permettant de s’imprégner des climats, de permettre des échanges informels, de noter des faits, des attitudes, des ambiances, directement. Le recueil des données s’est développé en plusieurs séjours d’une semaine dans deux établissements 13000, l’observation directe en détention étant complétée d’entretiens sous forme d’échanges informels, le plus souvent en situation professionnelle.

En prison comme ailleurs, on entend parler du manque de repères, de la violence des jeunes qu’on ne comprend plus, de l’influence de la vie dans les cités. De même que dans les villes, la vision des banlieues est sombre, alors que toutes les données mesurables montrent que les villes étaient bien plus dangereuses en d’autres époques, le sentiment d’insécurité s exacerbe en prison sans lien évident avec des faits répertoriés. Comme ailleurs, l’absence de dialogue, l’enfermement des uns et des autres en groupes fermés, les désenracinements et les distances culturelles transforment l’autre en un étranger dont il faut tout craindre.

Nos observations nous conduisent à formuler des pistes de travail fondées sur ce qui est en toile de fond de toute notre enquête : la question de la violence en prison est tout autre chose qu’une réflexion sur des actes de violence. Elle débouche sur un travail à approfondir : comment faire pour que, dans les prisons, qui ne seront jamais des lieux protégés de la violence, on vive et travaille dans un climat moins lourd ?

3 Dynamique et fonctions de la mémoire des événements violents en milieu carcéral
Dans un établissement de notre échantillon, les individus évoquent la violence en rappelant une succession d’événements tragiques survenus par le passé, citant ou réagissant au terme de « mythe ». Nous avons émis l’hypothèse que la construction de l’événement violent donne un sens à ce dernier, et que la sélectivité de la mémoire nous renseigne sur les stratégies identitaires des groupes (détenus/surveillants). Une question transcende notre travail : quel est l’enjeu, pour le présent, du rappel constant d’un passé violent ? Quelle est l’influence d’une telle mémoire collective sur les pratiques professionnelles des personnels pénitentiaires de cet établissement ?

Nous avons effectué vingt et un entretiens semi directifs afin de constituer un échantillon comprenant toutes les catégories de personnes fréquentant de près ou de loin l’établissement : trois cadres pénitentiaires, huit surveillants, une conseillère d’insertion et de probation, six détenus, un personnel médical, un personnel technique et une habitante des environs.

Les détenus interrogés ont tous fréquenté d’autres établissements pénitentiaires, la plupart d’entre eux ont été auparavant emprisonnés dans d’autres maisons centrales, ce qui rend pertinent les parallèles ou les différences qu’ils établissent entre l’établissement 4 et les autres établissements.

Nous avons comparé les discours sur les événements violents de cet établissement aux articles de journaux relatifs aux mêmes faits. Cette comparaison nous permet d’analyser l’écart entre la mémoire et les faits considérés comme importants par la presse (ce qui pourrait constituer une trame « historique »), et donc d’appréhender les oublis des individus ou au contraire l’importance significative qu’ils donnent à un événement. A partir d’une recherche aux archives départementales dont dépend l’établissement, nous avons analysé soixante et un articles de presse écrits dans un journal local, relatifs à onze événements différents. La période (1970-1999) a été déterminée par les souvenirs des individus - nous n’avons pas étudié les événements antérieurs au plus ancien événement remémoré par les personnes interrogées. Les dossiers de presse de la bibliothèque de la direction de l’administration pénitentiaire nous ont permis d’étoffer ce corpus au niveau des quotidiens nationaux.

Le traumatisme consécutif à un événement violent fonde le mythe de l’établissement 4, perçu comme sécuritaire, violent et répressif Les événements qui se succèdent ensuite sont soigneusement sélectionnés pour intégrer un système de représentation signifiant pour les groupes des personnels pénitentiaires et des détenus.

Cette mémoire remplit une fonction identitaire pour le groupe d’appartenance, permettant la construction d’une identité collective structurante et l’acquisition d’une culture professionnelle spécifique - même si, au niveau individuel, l’expérience personnelle de cette violence peut se révéler destructrice. La transmission d’une mémoire basée sur la violence génère également des discours professionnels sous -tendus de crainte, d’appel à la vigilance, réclamant des dispositifs de sécurité renforcés.

Paradoxalement, au quotidien, les personnels optent de manière intuitive pour une « sécurité passive » fondée sur le dialogue et des rapports jugés particulièrement humains par les détenus interrogés.

Le mythe se trouve ainsi sanctionné par la vie quotidienne, établissant un décalage important entre les discours sécuritaires des personnels et leur gestion souple et humaine de la détention. Cette mémoire de la violence participe donc à la mise en oeuvre et à la maîtrise d’une gestion collective de prévention des risques.

L’environnement extra-carcéral (image sociale et médiatique des personnels pénitentiaires et de leurs missions)
Violence sur la « pénitentiaire » : la médiatisation de la prison dans la presse quotidienne nationale

Nous avons choisi de répondre à la question de la « violence en prison » en ne partant pas d’une définition à priori et univoque de la violence, mais en tentant d’en percevoir les multiples facettes et variations à partir des discours des acteurs. Parmi les différentes formes de violence que cette posture épistémologique a permis de dégager, nous nous proposons, ici, d’en analyser une en particulier : la violence médiatique.

Révélée par les discours des personnels pénitentiaires et produite par des discours sur les personnels pénitentiaires, cette violence se situe donc à la croisée des représentations : représentations de la prison et de ses personnels dans et par les média et, par une sorte de mise en abîme, représentations que les personnels ont de ces représentations.

S’interroger sur les représentations des personnels pénitentiaires et de la prison par les média, c’est poser la question plus large de leur position et de leur image sociales. S’interroger sur les représentations que les personnels ont de leur image, c’est poser la question plus précise de leur identité.

Une enquête par questionnaire a donc été menée auprès de 92 membres des personnels pour tenter d’évaluer leur(s) propre(s) représentation(s) de leurs images sociale et médiatique ainsi que leurs ressentis par rapport à celles-ci.

Dans un second temps, nous avons fait le choix méthodologique de chercher à mettre au jour les représentations dans la presse écrite, à partir d’un corpus de 494 articles des quotidiens nationaux « Libération » et « Le Monde » entre octobre 1999 et septembre 2001. La période ayant été choisie parce qu’elle encadre le coup de projecteur médiatique mis sur la "pénitentiaire" par "l’affaire Vasseur". Les articles ont été sélectionnés à partir d’une recherche par mots-clé : "personnel pénitentiaire", "administration pénitentiaire", "milieu carcéral", "prison", "établissement
pénitentiaire".

Cette recherche nous a permis, en interrogeant les personnels pénitentiaires, de mettre en évidence la représentation extrêmement négative qu’ils ont de leurs propres images sociale et médiatique. Images discréditantes qui n’affectent pas uniquement leur identité professionnelle mais péjorent et stigmatisent également certains aspects de leur identité personnelle : pour exercer un tel métier, il faut forcément avoir des dispositions morales douteuses, psychologiques suspectes, intellectuelles limitées et comportementales violentes.

Une telle représentation reflète, en fait, le profond sentiment de dévalorisation, de mépris et de non reconnaissance dont souffrent les personnels, mais elle permet également de mesurer l’ampleur et l’importance du malaise ressenti.

Malaise chronique dont les symptômes semblent s’exacerber (et même être anticipés) dans des situations nouvelles d’interactions, hors du groupe des pairs, comme si l’appartenance professionnelle de ces personnels grippait leur relation aux Autres. Mais en plus de la nature et de l’intensité du malaise identitaire, cette représentation, dans la noirceur et la rudesse de ses traits, est également le reflet de la violence ressentie par les personnels pénitentiaires : violence comme atteinte à leur identité dont la portée du préjudice semble se mesurer à la violence du préjugé. Les personnels pénitentiaires se sentent les victimes d’indispositions sociales construites sur des stéréotypes péjoratifs qui existent dans le fond commun de la pensée collective et qui sont véhiculés, entre autre, par les média.

Les résultats des analyses de contenu empiriques et sémiologiques font apparaître que ce médium dessine et diffuse une image de la pénitentiaire et de ses personnels à partir de mécanismes visibles d’expression et de communication mais également à partir de mécanismes, moins directement accessibles, structurels du champ journalistique et des articles. L’un et l’autre de ces mécanismes concourent à diffuser une image partiale, partielle et dépréciative de cette institution et de ses personnels. Ceux-ci sont relativement méprisés puisqu’ils ne constituent ni une source d’information ni un sujet privilégié des journalistes. Ils ne sont pas non plus reconnus dans la réalité et la diversité de leurs pratiques : seuls les personnels de surveillance et de direction d’établissements pénitentiaires apparaissent sporadiquement dans les articles, les autres catégories de personnels, notamment les personnels d’insertion, sont inexistantes. Cette partiellisation et cette réduction de représentation (de représentativité) révèlent et participent à une représentation réduite et réductrice de la pénitentiaire aux seules prison et mission de garde. Par ailleurs, l’inadéquation de certaines dénominations associée à l’usage de termes révolus connotés négativement tiennent et maintiennent les personnels dans le mépris et la péjoration. Ces différents éléments participent d’une réduction, d’une simplification et d’une stigmatisation de l’institution et des personnels qu’achèvent les choix de sujets traités et leurs manières : la pénitentiaire n’est abordée que sous l’angle du milieu fermé dans une approche événementielle et à la défaveur d’incidents, de dysfonctionnements multiples, de souffrances et de violences.

Que l’on suive la régulation institutionnelle des violences produites par les procédures disciplinaires ou que l’on s’en éloigne pour mettre au jour la structure des représentations sociales de la violence chez les personnels et les détenus, que l’on explore le rapport de la violence à l’environnement sonore ou la dynamique de la mémoire d’un lieu, que l’on adopte une démarche clinique, d’observation participante ou d’analyse des discours, toutes les contributions rassemblées dans ce rapport abondent pour illustrer ce constat : régulation et représentation de la violence sont indissolublement liées. L’interprétation de « la » violence en prison résiste à la simple application d’un cadre théorique bien choisi. Le sens de l’événement ou de la situation n’y est pas déterminé par la nature de l’acte mais par la perception des acteurs concernés. Il ne se livre ainsi à la compréhension qu’au prix du dévoilement patient d’un contexte-système composé de variables plus ou moins cachées. L’enquête ici restituée visait moins à établir l’inventaire exhaustif de ces variables qu’à rendre compte d’un parcours constitué par la convergence de plusieurs points de vue.

Etant donné la spécificité de son ancrage institutionnelle, l’identité de notre équipe repose sur une pratique de « recherche impliquée » sans illusion ni compromis dans ses résultats. Elle vise, chaque fois que cela est possible, à mettre les connaissances capitalisées au service de la formation initiale et continue de l’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire. Cette enquête collective pourrait donc connaître des prolongements notables, tant en matière de recherches à venir que d’enseignements dispensés dans notre école. A titre d’exemple, trois pistes peuvent être proposées.

L’analyse des violences en prison réalisée à l’aune des procédures disciplinaires impose de reconsidérer la place du principe de légalité dans le traitement des, procédures et, plus largement, dans le cadre de l’exécution des peines. Sans doute, une meilleure prise en compte du principe légaliste apparaît-elle nécessaire dans le définition des fautes et des sanctions disciplinaires, tandis qu’une meilleure formation, voire une spécialisation des personnels dans les fonctions d’enquête, paraît justifiée. En revanche, on peut se demander jusqu’à quel point le mouvement de marche vers le droit commun, en particulier le mouvement de judiciarisation et de juridictionnalisation du droit pénitentiaire, reste compatible avec la mise en évidence d’une instrumentalisation prioritaire des procédures disciplinaires à des fins d’ordre et de sécurité des personnels.

L’enquête sonore pourrait être poursuivie en l’intégrant dans le cadre de la recherche « mémoire pénitentiaire ». Elle consisterait alors à établir aux fins d’enregistrement et de conservation le paysage sonore des établissements voués à une fermeture prochaine. En matière d’enseignements, il serait possible de concevoir des séquences dans des modules pédagogiques existants ou des séances spécifiques en formation initiale afin que les élèves puissent s’approprier la complexité de l’environnement sonore en détention et son rapport avec les lieux et les pratiques professionnelles.

Les trois dernières contributions le souligne, les personnels et les institutions pénitentiaires sont tout à la fois acteurs et dépositaires d’une histoire (d’histoires) et de représentations qui marquent, et d’une certaine manière déterminent des pratiques tout autant que des manières d’être à soi et aux autres. Mais à revêtir trop souvent le costume silencieux de l’évidence, ces histoires et représentations finissent par construire une identité pénitentiaire et des rôles auxquels les individus se trouvent assujettis - les personnels sont, en fait, exclus de la construction de leur propre identité - Cette exclusion et ce lourd silence sont un frein à l’analyse des pratiques et au changement. En outre, ils ne permettent pas aux personnels de se départir d’un sentiment de dévalorisation et de mépris social. Il semble donc nécessaire de questionner et d’analyser l’histoire de l’institution, des établissements mais également des discours et des images sur la prison afin de proposer aux personnels des repères pertinents dans la construction de leur identité professionnelle.

La. pluridisciplinarité suppose un état d’esprit particulier, une grande curiosité, contrôlée par beaucoup de rigueur. Notre jeune équipe en a sûrement manqué. Elle s’est investie totalement dans cette démarche exigeante en mobilisant bien plus que toutes les compétences disciplinaires de l’équipe puisqu’elle a fait l’effort de tenter de les dépasser. Si nous affirmons la spécificité du parcours effectué et que nous en reconnaissons les limites, nous défendons aussi la pertinence de l’approche et des résultats qu’elle produit. Avec ses convictions épistémologiques en partage, la somme des contributions de ce rapport vise moins l’impossible synthèse que la production de constats limités mais originaux, associés à des propositions ciblées mais opérationnelles.

 
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