Publié le dimanche 18 juin 2006 | http://prison.rezo.net/dynamique-des-processus-de/ Cette étude examine les processus d’adaptation sociale de détenus rencontrés dans différents centres de détention français, et repose sur des données qualitatives recueillies sur la base d’entretiens semi-directifs. Les analyses de ces entrevues ont permis la construction d’une typologie faisant apparaître les attitudes, les opinions ou les valeurs que les détenus portaient à l’égard des autres détenus, du personnel pénitentiaire ou du milieu carcéral en général. Nous avons ainsi localisé quatre idéaux-types faisant apparaître des trajectoires carcérales. À partir de ces observations, nous avons pu déterminer différents facteurs en cause dans ces modes processuels d’intégration. Ainsi, le type de détention, l’âge, le temps d’incarcération, le nombre d’incarcérations, le type de délit et les liens significatifs avec l’extérieur sont des variables importantes à considérer. Introduction Cadre théorique Le processus de prisonniérisation [1] a probablement été l’un des phénomènes les plus étudiés ces dernières décennies dans le milieu carcéral. Ce terme développé par Clemmer (1940) décrit le changement de valeurs ou d’attitudes des détenus, qui s’orientent selon le temps d’incarcération vers une opposition aux règles institutionnelles, un éloignement des valeurs du personnel pénitentiaire, et un renforcement de la solidarité entre détenus (Lemire, 1990 ; Wheeler, 1961). Un autre processus défini sous le terme d’atomisation, a également été observé, décrivant au contraire un type de changement renforcé par un isolement interindividuel, remettant ainsi en cause la notion même de culture carcérale et relativisant l’universalisme clemmerien du phénomène de prisonniérisation (Cunha, 1995 ; Vacheret, 2002). Cependant d’après les travaux de Cooley (2002), ces deux processus feraient partie d’une seule et même dynamique. Ainsi, il qualifie la prison de milieu partiellement instable, où ni la discorde ni l’harmonie ne règnent, soutenant ainsi un relativisme culturel. Plusieurs typologies carcérales vont dans le sens de ce point de vue (Bottoms, 1999 ; Chantraine, 2004b ; MacKenzie et al., 1987 ; Maitland et Sluder, 1996 ; Schrag, 1954 ; Sinclair et Chapman, 1973 ; Zamble et Porporino, 1988). En effet, en analysant plus précisément les différents rôles carcéraux, différentes typologies démontrent que la lecture du milieu ne peut reposer sur un système de valeurs homogènes, préférant privilégier ce rapport idiosyncrasique qu’entretient chaque détenu avec son milieu. Ces classifications offrent donc une meilleure description des rôles que les détenus empruntent ainsi qu’une meilleure compréhension des dynamiques adaptatives qui s’opèrent dans le milieu. Comme l’avait déjà fait remarquer Irwin (1970), les rôles carcéraux peuvent se comprendre en rapport à un ensemble de valeurs associées aux différents groupes de détenus. La culture de détenu devrait donc se penser dans son caractère multiple, se définissant à partir du niveau d’adhésion ou d’opposition du détenu à l’égard des différentes valeurs existantes dans le milieu. À partir de ces classifications, il semble possible de localiser différents facteurs expliquant les modes d’intégration. Un autre courant de recherche a spécifié ces différentes causes. Ces études ont tour à tour constaté que le type d’institution (Gendreau et al., 1997 ; Wright, K.N., 1991 ; Wright, K. N., 1993 ; Zamble et Porporino, 1988), le type de délit (Gendreau et al., 1997 ; Schwaebe, 2005), l’âge du détenu (Gallagher, 2001 ; Garofalo et Clark, 1985 ; Gendreau et al., 1997 ; Hanson et al., 1983) ou les connaissances du détenu à l’égard de la prison (Goodstein et al., 1984 ; MacKenzie et Goodstein, 1985 ; Zamble, 1992 ; Zamble et Porporino, 1988), avaient une forte incidence sur le type d’ajustement carcéral. Dans cette recherche nous voulons élargir notre compréhension sur les processus de socialisation. Aussi, la construction d’une typologie sera un préalable indispensable pour identifier ensuite les facteurs (environnement versus individu) en cause dans les choix qui déterminent la place, le rôle et l’identité carcérale du détenu. Méthodologie Description de l’échantillon Finalement, nous avons retenu 30 entrevues, composant une population dont l’âge moyen était de 40 ans, vivant pour les 2/3 leur première détention, et incarcérées pour les 1/3 de délits ou de crimes à caractère sexuel. Variables étudiées Nous voulions également évaluer les différentes dimensions concernant certaines caractéristiques sociodémographiques (temps d’incarcération, type de délit, nombre d’incarcérations, âge, état civil, niveau d’études, profession avant l’incarcération). Analyses Résultats Typologie T1. De nos entrevues, nous avons dégagé un premier type de détenus qui présentaient des valeurs caractérisées notamment par une volonté forte de s’intégrer à des groupes de pairs aux valeurs identiques. Ces valeurs reposaient d’une part sur le rejet de l’autorité carcérale et de ses principaux représentants, et d’autre part, sur la forte stigmatisation des détenus auteurs d’agressions sexuelles ou plus précisément des détenus vulnérables. Aussi, cette double composante se révélait dans le discours par une rationalisation du rapport au milieu orientée exclusivement autour du registre de prédation. « Y’a des gens qui font partie des loups, y’a des gens qui font partie des brebis. Mais dans la vie vaut mieux faire partie des loups que des brebis, parce que la brebis se fait manger toujours à la fin. » (03, détenu multirécidiviste de 28 ans, incarcéré pour trafic de stupéfiants, purgeant une peine de 59 mois de prison). Cette forme discursive qui représente l’univers carcéral entre d’un côté des proies et de l’autre des prédateurs est également empreinte d’une tentative de légitimation de sa position dominante dans le milieu. Ils évoquent ainsi l’importance de faire partie des plus forts dans un environnement où c’est la loi de la jungle qui prédomine. Ce mode de légitimation naturelle est également apparent dans un discours où la violence dont ils font état a un caractère banalisé, où il est normal de faire justice soi-même. « Dans une affaire de mœurs suivant les délits tout ça, les pédophiles, ces gens-là, on les aime pas. Et à chaque fois ils prennent des coups quoi, c’est d’office quoi (...) Nous les pointeurs [3], on n’admet pas ça. Moi je vois, on pense à nos enfants à nos filleules (...) y’a un mec, en récidive légale il a pris une certaine peine, il a pris autant qu’un voleur de voiture. L’autre voleur de voiture, tout ça il admet pas. Après y’a la justice entre nous quoi. » (01, détenu récidiviste de 41 ans, incarcéré pour trafic de stupéfiants purgeant une peine de 4 ans de prison). Ces détenus expriment ainsi un rejet des détenus incarcérés pour des agressions sexuelles et refusent toute affiliation de près ou de loin à ce type de détenus. Il en découle le renforcement d’un consensus sous-culturel se basant sur le rejet des pédophiles ou de tout détenu ayant posé des gestes violents ou abusifs sur des personnes faibles ou vulnérables physiquement. Ainsi, dans cet autre processus de légitimation de la violence, ils indiquent dans le discours et dans l’acte, faire partie d’une catégorie spécifique de détenus, révélant un fort protectionnisme d’une certaine intégrité morale tout en minimisant leurs propres actes délictuels. Le rapport que cette catégorie de détenu entretient avec l’autorité carcérale révèle également un trait particulier le distinguant des autres détenus. Il indique ainsi avoir plus de difficultés à s’adapter aux règles de l’autorité carcérale. Le discours était par ailleurs empreint d’insultes, de provocations, de revendications ou d’entraves aux règles d’organisation, indiquant un fort antagonisme à l’égard des surveillants. Néanmoins, derrière ce refus de se soumettre à l’autorité, nous avons observé des espaces partagés ou protégés qui se négociaient le plus souvent dans le registre de la méfiance. « Ben y’a des surveillants qui vont compatir enfin qui vont être avec vous et d’autres qui vont être contre vous quoi. Pis des surveillants qui sont neutres quoi. Après, tout dépend des surveillants, si vous l’avez fait chier ou pas. Toujours pareil, y’a toujours un retour. Ben le surveillant vous pouvez le faire chier, mais lui il va vous faire chier... si un jour il a une dent contre vous pis que vous avez des problèmes avec des gars, il va pas être là pour vous couvrir. Il va pas vous protéger quoi. Les mecs ils vont dire bon ben, tiens vas-y, il m’a fait chier, il va laisser faire quoi. Il suffit que vous tombiez sur des mauvais, ben vous en prenez plein la gueule et vous pouvez rien faire quoi (...) Ben ça arrive des fois. Pis faut fermer sa gueule, faut pas aller se plaindre au bureau parce que...C’est pas là où vous allez vous plaindre au bureau, vous portez plainte et tout, ça peut être encore pire quoi. » (01, détenu récidiviste de 41 ans, incarcéré pour trafic de stupéfiants, purgeant une peine de 4 ans de prison). Ce type de détenus adopte donc diverses stratégies et codes de conduite exprimant un partage de valeurs communes où la violence à l’égard des surveillants est banalisée. Pour ces détenus, le symbole de l’autorité est dès lors presque toujours représenté comme outil répressif et rarement comme outil de protection. T2 Un autre type de détenus est apparu à travers nos entretiens. Tout comme le premier, ces détenus indiquaient appartenir à des groupes adhérant à des valeurs communes, où ils rejettent l’autorité en général et stigmatisent des détenus en particulier. Cependant, ce groupe offrait une lecture du milieu sur un mode généralement plus élaboré et semblait mieux tolérer les autres systèmes de valeurs. Ainsi, ils semblaient respecter davantage les différentes formes autoritaires, que ce soit du côté des détenus ou du côté des surveillants. Ils pouvaient trouver chez eux à la fois une source de protection et un moyen de répondre à certains besoins. « L’adaptation à un milieu, surtout par rapport au milieu carcéral, c’est souffrir le moins possible. Souffrir le moins possible, c’est recevoir le moins de coups physiques et psychologiques, le moins d’agressions par rapport aux détenus, par rapport à l’administration et très vite vous vous pliez à un code de conduite, un code comportemental (...) c’est-à-dire que vous êtes un braqueur, vous devez vous comporter comme un braqueur. » (04, détenu récidiviste de 37 ans, incarcéré pour trafic de stupéfiants, purgeant une peine de 6 ans de prison). Aussi, ces détenus plus calculateurs évaluaient les bénéfices ou les risques qu’ils pouvaient retirer des liens qu’ils entretiennent soit avec les membres du personnel, soit avec les détenus et disent ainsi s’affilier aux groupes plus pour garantir leur sécurité et éviter les violences existantes. Vis-à-vis de l’autorité carcérale, ils font remarquer peu d’altercations ou de rapports disciplinaires, mais évoquent néanmoins avoir pu par le passé participer à des émeutes ou avoir parfois vécu des conflits mais dans un contexte où l’usage de la force pouvait se justifier en fonction de l’âge, du lieu et des circonstances. Mais dans l’ensemble, ces détenus acceptent les règles et s’y soumettent assez facilement. « Le fait qu’on soit détenu, on a toujours tort (...) c’est pas de l’adaptation, c’est accepté extérieurement, parce qu’intérieurement, on n’accepte pas. À la limite moi je préfère tourner les talons et pas avoir d’histoire. » (36, détenu récidiviste de 53 ans, incarcéré pour trafic de stupéfiants, purgeant une peine de 8,5 ans). Mais ce type de détenus vit souvent des situations délicates où il doit faire bonne figure autant avec les détenus qu’avec les membres du personnel pénitentiaire, ce qui peut aller en contradiction avec une des règles informelles véhiculées dans le milieu qui est de ne pas discuter avec les surveillants. Ce groupe favorise ainsi un partenariat plus marqué avec les détenus et un rejet de l’autorité dans un choix plus stratégique que par conviction. T3. Un troisième type de détenus ressort de nos entrevues, reposant sur une distinction en lien à un groupe stigmatisé qui est généralement incarcéré pour des délits à caractère sexuel. Ces détenus se détachent également des deux groupes précédents, montrant dans leur discours des valeurs moins « machistes ». Mais, bien que stigmatisés par différents groupes de détenus, ils réussissent néanmoins à acquérir un certain respect, qui suffit à les mettre à l’abri des violences physiques ou du racket. Probablement parce qu’ils rendent certains services comme l’écriture du courrier ou parfois en offrant des conseils juridiques, et qu’ils occupent des postes à responsabilité, il semble qu’ils réussissent à s’imposer suffisamment auprès de l’ensemble de la population carcérale pour se garantir une relative tranquillité. « J’ai rencontré des collègues qui subissaient l’agression des autres, la vindicte populaire. Oui, oui j’en ai rencontrés. Mais je sais pas pourquoi, moi j’ai pas eu ce souci-là. Mais c’est aussi une façon d’être (...) Bon de temps en temps y’avait quelques piques, mais après il faut pas trop suivre quoi. Mais j’ai jamais eu de soucis. » (24, détenu primaire de 49 ans, incarcéré pour affaire de mœurs, qui purge une peine de 15 ans de prison). Mais cette façon d’être révèle surtout des habilités sociales qui leur permettent notamment d’écarter ou de mieux anticiper un danger imminent ou de repousser l’escalade possible des violences. « Ce qui est désarmant, c’est le fait d’être calme. Parce qu’en général, ce qu’ils veulent c’est justement se bastonner, que les gens aient peur. Bon le fait de ne pas avoir peur, de lui dire : « tu veux te bastonner ? Ok. » Mais d’être souriant, de désarmer le complice (...) le fait d’être debout... et que ce soit au physique comme au figuré. C’est que c’est important. C’est-à-dire ne pas... ne pas plier. » (14, détenu primaire de 54 ans, incarcéré pour affaire de mœurs qui purge une peine de 8 ans de prison). Ainsi, les comportements et les attitudes pourraient expliquer les raisons qui évitent à ces détenus de vivre un certain nombre de violences. Les habilités sociales qui permettent d’améliorer leur rapport interpersonnel avec les autres détenus semblent également favoriser un bon rapport avec les membres du personnel. Ces détenus rationalisent généralement le rapport aux surveillants en entrevoyant les difficultés rencontrées par les membres du personnel et cela, dépendamment des contraintes organisationnelles. Leurs comportements à l’égard des surveillants sont compris dans une attitude de tolérance et de coopération. Ces détenus opèrent une distinction claire entre les responsabilités individuelles et professionnelles du personnel pénitentiaire. « C’est vrai que j’imagine qu’être surveillant, c’est pas aussi simple parce qu’il y a aussi des collègues, parce qu’il y a aussi le poids syndical, je sais que ça joue beaucoup et puis on sait aussi qu’il y a parfois des habitudes dans l’établissement, et c’est pas toujours évident de bousculer, c’est plutôt la culture du milieu. » (24, détenu primaire de 49 ans, incarcéré pour affaire de mœurs qui purge une peine de 15 ans de prison). Ce rapport avec les surveillants est donc marqué par une volonté d’aller dans le sens d’une amélioration des conditions de vie, par une collaboration positive aux règles formelles de l’administration. T4. Enfin, nous avons dégagé une dernière catégorie vivant de grandes difficultés d’adaptation à l’égard des autres détenus. Elle constituait ainsi le groupe de détenus le plus vulnérable. Aussi, leur position dans le milieu se caractérisait par une forte acceptation des normes carcérales se rapportant à la production des règles formelles. Par rapport aux détenus, ils se considéraient le plus souvent comme des victimes, se décrivant comme faibles ou fragiles, subissant avec résignation les diverses agressions verbales quotidiennes, et parfois les agressions physiques. « J’ai été accosté... puis... « le gros » qui me dit « on sait pourquoi t’es là, il vaudrait mieux que tu rentres en cellule »... donc ils m’ont mis comme ça... « ça peut mal se passer pour toi ». J’étais arrivé le matin à 9h00, 9h15, je suis reparti. Là j’ai compris que la prison c’était pas du tout ce que j’imaginais, c’était pas tellement amical. » (06, détenu primaire de 55 ans, incarcéré pour affaire de mœurs qui purge une peine de 15 ans de prison). Ces détenus qui se distinguent à la fois de par leur vulnérabilité physique ou leur fragilité psychologique, sont également la cible des autres détenus selon le type de délit pour lequel ils sont incarcérés. Ainsi, ces détenus généralement auteurs d’agressions sexuelles vivent une forte stigmatisation de la part des autres détenus, où pour se préserver, ils choisissent de se retirer en cellule. Le comportement de ces détenus dénote surtout leur passivité et est exprimé par un plus grand retrait social. Vis-à-vis de l’autorité carcérale, ils présentaient dans leur discours une plus grande volonté de chercher une proximité avec les surveillants, notamment pour leur garantir une meilleure protection. Pourtant, malgré l’apparente relation de confiance qu’ils semblaient exprimer à l’égard des surveillants, ils nous faisaient part d’une méfiance relative à diverses pressions exercées par cette même autorité. « Un surveillant, pour être bien vu par un dur, il va dire : « tiens celui-là est pour ça ». Comme ça il va bien passer, lui n’a pas de problème (...) Quand je suis arrivé dans ma cellule : « Ah ! Voilà le pointu [4] », qu’y dit le surveillant. Le surveillant a eu le plaisir de dire fort : ah voilà le pointu. » (06, détenu primaire de 55 ans, incarcéré pour affaire de mœurs qui purge une peine de 15 ans de prison). Cette violence conduit donc ces détenus à s’isoler, se retrouvant pris entre une stigmatisation produite autant par les détenus que par le personnel pénitentiaire. Facteurs explicatifs des modes de socialisation carcérale Type de détention « Il faut aller dans des centrales de haute sécurité comme Moulins, comme St-Maur, comme Clairvaux. Là, vous avez de quoi remplir vos papiers. Là, c’est pas la même chose. Déjà un détenu qui parle à un gardien c’est mal perçu. Il parle pas au... chacun a mis une barrière. Y’a gardien et y’a détenu. Y’a pratiquement pas de dialogue. Je parle en centrale. Parce qu’ici y’a quand même des dialogues. » (07, détenu récidiviste de 48 ans, incarcéré pour homicide, purgeant actuellement une peine de 20 ans de prison). Cependant, les détenus de types 3 et 4 indiquaient quant à eux subir une plus forte victimisation, évoquant plus d’insultes ou de violences physiques, comme ce détenu qui nous parle de ses conditions de détention actuelles par rapport à celles qu’il vivait en MC : « C’est vrai que ça apporte une certaine tranquillité, tranquillité d’esprit et de vie quoi (...) La situation est tellement différente à la centrale. Je suis pas en train de guetter qui je vais croiser. On est plus détendu quoi. » (20, détenu primaire de 56 ans, incarcéré pour affaire de mœurs, purge actuellement une peine de 18 ans de prison). Dans les CD, il semble donc que la polarisation entre sous-groupes, exprimée notamment par la violence, soit moins présente. Nos entrevues font apparaître que les règles moins strictes en CD, le respect du numerus clausus ou le fait d’accueillir des détenus présentant de meilleures perspectives de réinsertion, pourraient favoriser la qualité des rapports interpersonnels à la fois entre les détenus, mais également entre les détenus et les membres du personnel pénitentiaire. Il semble donc que les modes de gestion des différents contextes carcéraux ou la sélection des populations accueillies aient des implications directes sur la qualité du mode d’intégration carcérale. Type de délit « Moi, quand on me demandait pourquoi j’étais là je disais... très naïf que j’étais au départ, les premiers mois, j’ai dit : « Ouais ! Je suis là pour vol de voiture, et vente de « bédo [5] ». » Et au bout de 6 mois normalement j’aurais dû sortir. Et le mec à qui j’ai dit ça, 8-9 mois après, il me dit : « Mais t’es toujours pas sorti ? Toi t’es un pointeur. » Et donc je me suis enfermé dans... j’aurais mieux fait de dire que j’étais là pour meurtre, au moins j’aurais été tranquille, tu vois. C’est plus louable pour eux d’être là pour avoir tué quelqu’un que de ne pas l’avoir fait et d’avoir commis un viol. » (15, Détenu primaire de 28 ans, incarcéré pour affaire de mœurs qui purge une peine de 18 ans de prison). Il s’instaure ainsi une forme de hiérarchisation à partir du délit qui vient déterminer le rôle et la place du détenu dans le milieu. Conséquemment, cela vient renforcer chez les détenus des distorsions sociales dans un système où l’objectif est pourtant au contraire de les modifier. Expérience carcérale « Ouais ! on voit ceux qui viennent pour la première fois et les anciens, c’est pas du tout pareil (...) Ben celui qui arrive pour la première fois il connaît rien... il rase les murs. Tandis que le multirécidiviste il connaît tous les filons, les ficelles, il sait tout. Il arrive en terrain conquis, il est chez lui. Il sait comment s’y prendre. » (06, Détenu primaire de 55 ans, incarcéré pour affaire de mœurs qui purge une peine de 15 ans de prison). Nous pouvons également constater que plus le détenu est culturellement proche de ce milieu (connaissance par la famille, le fait d’avoir vécu plusieurs incarcérations ou d’avoir été incarcéré dans des centres pour jeunes délinquants), plus son insertion semble facilitée. A contrario, plus la prison représente un milieu socioculturel éloigné du milieu d’origine, plus l’adaptation carcérale devient difficile. Le style de vie à l’extérieur, comme celui d’appartenir (ou d’avoir appartenu) à des groupes de jeunes régulièrement criminalisés, peut venir favoriser cette intégration carcérale. L’expérience carcérale est également très reliée à l’âge des détenus. En effet, la plupart des détenus de notre échantillon nous faisaient remarquer que les détenus les plus violents ou ceux qui participaient le plus activement aux trafics étaient les détenus les plus jeunes. Ils laissaient entendre qu’ils cherchaient à adhérer à des groupes de pairs souvent du même âge, revendiquant leur participation à l’exaction d’un ensemble de conduites associées à des valeurs de sous-cultures carcérales criminelles. D’un autre point de vue, nous avons constaté que les détenus, en vieillissant, réduisaient beaucoup plus les réponses déviantes. « Moi ça m’est arrivé très jeune. Donc tu t’adaptes rapidement (...) Jeune, on faisait groupe, on était en groupe, y’avait pas de classes sociales, y’avait pas d’origine. On était beaucoup plus solidaire que maintenant. » (22, détenu récidiviste de 40 ans incarcéré pour vol à main armée et meurtre, purgeant une peine à perpétuité). Ces détenus plus âgés revendiquent donc moins vouloir appartenir à un groupe, préférant s’en détacher et évoquer le passé ou la nostalgie de leur propre référence culturelle. Cependant, cette réalité est réactualisée en permanence avec les nouvelles générations de détenus qui participent à leur façon à faire revivre cette culture qui se transmet oralement. Discussion Certains faisaient référence à cette sous-culture qui soutient des valeurs ou des attitudes criminelles. Ce groupe exprimait le plus généralement un discours anticonformiste où tout ce qui symbolisait l’autorité était presque catégoriquement rejeté. Ils revendiquaient ainsi l’appartenance à un groupe se rassemblant autour d’un code de conduite spécifique, orienté sur le renforcement des règles informelles. Parmi ces détenus, nous avons pu observer une catégorie de détenus qui se différenciait par le niveau d’antisocialité et de violence exprimé à l’égard des autres détenus ou des membres du personnel pénitentiaire (T1). Par ailleurs, de nos entrevues émergent des détenus qui, bien qu’évoquant parfois avoir fréquenté cette population aux valeurs criminelles, indiquaient néanmoins une absence dans le discours de l’emploi, pour eux-mêmes, de ce type de valeurs ou du comportement qui auraient pu s’y rattacher. Ils indiquaient néanmoins fréquenter plus les sous-cultures criminelles que les sous-cultures non criminelles. Ainsi, ils composaient une sous-culture à part, faisant référence à des détenus qui développaient dans le milieu des valeurs utilitaires (T2). Enfin, un autre groupe est apparu dans notre échantillon, faisant remarquer un fort rejet et une stigmatisation de la part des détenus et de certains membres du personnel pénitentiaire. Ces détenus se caractérisaient par un discours conformiste en adéquation avec les attentes de l’autorité. Ce groupe pouvait se subdiviser en deux types de détenus. D’une part, un premier type qui offrait des compétences sociales suffisantes pour leur garantir une adaptation sociale acceptable (T3). Et un second groupe s’est dégagé par son apparente déficience dans les habilités sociales pour gérer les relations interpersonnelles et s’intégrer (T4). Ces résultats nous ont donc permis de localiser des traits communs observables chez un certain nombre de détenus, et cela, malgré leur incarcération dans des centres de détention différents. Cette méthode de recherche offre ainsi une meilleure généralisation des résultats. Nous avons ainsi pu démontrer que les détenus vivent l’incarcération de façon très relative, et que donc, les concepts généralement utilisés, tels que le processus de prisonniérisation, ne permettent pas véritablement de clarifier pourquoi et comment les détenus s’intègrent au milieu. En effet, en limitant les analyses à partir d’un seul type de milieu, un même type de détenus ou encore en ne choisissant d’inclure que des jeunes détenus, comme ce fut le cas dans l’étude de Wheeler (1961), cela a pu favoriser un réductionnisme théorique dans la compréhension des modes d’intégration carcérale et amener à de mauvaises interprétations. En élargissant la source des données sur une population hétérogène, et cela, à partir de milieux différents, nous pensons avoir obtenu des résultats qui offraient un meilleur modèle explicatif. Nos résultats nous permettent ainsi de relativiser cette idée d’un universalisme clemmerien défendu dans de nombreuses recherches. En effet, avec cette typologie, nous constatons que tous les détenus ne subissent pas ce même processus de prisonniérisation, mais qu’ils subissent à un autre niveau, un phénomène que nous pourrions aussi appeler le processus d’atomisation qui décrit une dynamique sociale d’isolement (Chantraine, 2004b ; Cunha, 1995 ; Vacheret, 2002). En définitive, nous pouvons identifier différentes places ou rôles en fonction d’un positionnement graduel des détenus, pouvant aller d’une forte solidarité à un certain isolement entre détenus, tout comme l’avait déjà démontré Cooley (Cooley, 1992). En incluant dans notre méthode des variables caractérisant à la fois des données relatives à l’environnement et aux détenus nous avons également pu observer un certain nombre de facteurs explicatifs de ces modes d’ajustements sociaux. En effet, le type de détention peut favoriser certaines tendances dans le rapport interpersonnel entre détenus. Le contrôle administratif et les modes de gestion qui diffèrent d’un milieu à l’autre peuvent, selon les techniques managériales, les programmes de traitements ou les spécificités de formation du personnel, conduire à modifier les conditions de détention. Certaines recherches ont déjà démontré que l’insuffisance des moyens mis en place dans certains milieux favorisait certains modes de processus adaptatifs (Gendreau et al., 1997 ; Wright, K.N., 1991 ; Wright, K. N., 1993 ; Zamble et Porporino, 1988). Ainsi, il semble qu’un mode de gestion désorganisé et/ou coercitif oriente le mode d’adaptation des détenus bien plus vers une prisonniérisation. Alors que plus le milieu sera organisé et/ou non coercitif, plus les détenus vont montrer des formes adaptatives plus individualistes ou atomisées. Cependant, ce mode de socialisation n’est pas uniquement déterminé par le contexte de contrôle administratif. Il semble que le type de délit, ou plus exactement la composition de la population carcérale, soit également une donnée à considérer (Gendreau et al., 1997 ; Schwaebe, 2005). Certains détenus vivent semble-t-il plus difficilement que d’autres le passage en milieu carcéral. En effet, une hiérarchie s’instaure autour du degré de discrimination positive ou négative par rapport aux délits, et favorise un processus d’assimilation à tout un registre lexical et comportemental. On constate à partir de cette donnée, non plus un mode d’adaptation relatif à un type d’organisation, mais un mode différent selon certaines spécificités sociojuridiques des détenus. Ainsi, l’adaptation se fera sur un mode plus prisonniérisé pour les détenus incarcérés pour un délit ou un crime valorisé, alors que le détenu incarcéré pour un délit ou un crime dévalorisé va plutôt s’intégrer au milieu sous un mode atomisé. L’âge du détenu a également été considéré comme une variable importante pour expliquer le processus d’intégration (Gallagher, 2001 ; Garofalo et Clark, 1985 ; Gendreau et al., 1997 ; Hanson et al., 1983). Ainsi, plus le détenu est jeune, plus il s’intégrera sur un mode prisonniérisé alors que le détenu plus âgé s’intégrera plutôt sur un mode atomisé. Ces données sont par ailleurs soutenues par différentes recherches sur l’importance des connaissances du détenu dans l’explication du processus de socialisation (Goodstein et al., 1984 ; MacKenzie et Goodstein, 1985 ; Zamble, 1992 ; Zamble et Porporino, 1988). Plus le détenu aura une bonne connaissance du milieu, plus il s’intégrera sur un mode prisonniérisé. Le détenu ayant une faible connaissance du milieu aura lui, tendance à développer un mode d’intégration atomisé. Cette recherche reste néanmoins limitée pour statuer de l’origine des déterminants qui assignent véritablement la place et le rôle du détenu dans le milieu. En effet, l’analyse des liens de causalité soutenue par des facteurs sociodémographiques et certaines dynamiques sociales sont limitées en raison de l’absence d’une étude plus approfondie sur le poids de la dynamique des processus psychologiques en jeu dans l’attribution de ces rôles carcéraux. Nous pouvons en effet nous interroger sur la part de responsabilité individuelle sur ces positions d’aménagement. À savoir si la place du détenu dans le milieu relève soit d’un mode stable de traits de personnalité, soit d’une influence véritable du milieu. Autrement dit, il s’agirait de déterminer si les phénomènes de prisonniérisation ou d’atomisation résultent soit de configurations de groupes construites dans un temps et un espace carcéral donnés qui agissent comme catalyseurs fixant les rôles dès l’entrée en milieu carcéral ou bien s’il s’agit de facteurs précipitant chaque individualité dans une position adaptée et en cohérence avec l’histoire du sujet. Ainsi, l’analyse de la personnalité semble être une donnée importante à mesurer, pour comprendre les véritables raisons qui déterminent les modes d’adaptation au milieu. Il paraît donc nécessaire de s’interroger sur la question des patterns adaptatifs observables dans les autres sphères de vie du détenu et donc d’aborder plus précisément le passé de l’individu antérieur à son incarcération. Bibliographie Boudon R., 2002, Adaptation sociale, Encyclopaedia Universal, 250-251. Chantraine G., 2004b, Ordre, pouvoir et domination en détention, Criminologie, vol. 37, n° 2, 197-223. Chauvenet G., 1998, Guerre et paix en prison, Les cahiers de la sécurité intérieure, vol. 31, n° 91-100. Clemmer D., 1940, The prison community, Christopher Publishing, Boston. Cooley D., 1992, La persécution et les règles informelles de contrainte sociale dans les prisons, Forum, vol. 4, n° 3. http://www.csc-scc.gc.ca/text/pblct/forum/e043/e043l_f.shtml. Cunha M. 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As our analyses show us, the type of detention, the age, the lenght of incarceration, the number of incarceration, the type of offence, and the significant ties with the outside world, represent significant variables. [1] Ce terme a été utilisé pour la première fois par Clemmer (1940), sous le vocable de « prisonization » et traduit par Lemire (1990), sous le terme de « prisonniérisation » [2] Les centres de détention accueillent des condamnés devant purger une peine d’un an et plus, et qui présentent les meilleures perspectives de réinsertion. Ce type de détention accueille un peu plus du quart de l’ensemble des détenus incarcérés en France [3] Terme désignant des détenus incarcérés pour des crimes ou des délits à caractère sexuel [4] Autre terme désignant des détenus incarcérés pour des crimes ou des délits à caractère sexuel [5] Terme utilisé pour définir la résine de cannabis [6] Merton (1997), a créé une typologie composée de cinq modes d’adaptation résultant d’un conformisme profond avec les valeurs et le mode de vie reconnus par la société américaine, et en rapport à certaines difficultés à accéder aux moyens prescrits et à atteindre les buts institués |