A l’intention du docteur Lernout
Amiens le 30 mai 2006
Monsieur,
Par cette lettre, je souhaite vous informer de l’attitude odieuse qu’ont eue à mon égard deux médecins exerçant dans votre service. Le docteur Deligne et le docteur Mezzrani se sont comportées de façon à accroître les souffrances déjà infligées par une condamnation injustifiée et l’administration pénitentiaire. Voici ce qu’il m’est arrivé, et il ne tiendra qu’à vous de juger si, en Europe et au XXIème siècle, mon traitement est digne de la médecine psychiatrique.
Après avoir subi l’acharnement (violences et harcèlement moral) de Mr. Maisnil (chef surveillant pénitentiaire) ainsi que d’autres membres du personnel de la prison et certaines détenues, alors que j’étais au « mitard », je me suis entaillée les poignets. Ce geste ne traduisait pas une envie de mourir, mais bel et bien comme il le fut dit ultérieurement un appel au secours.
A cet appel au secours, le docteur Deligne a répondu ; non pas en oreille compatissante, ou même en médecin, mais en « justicière » ?
Ce que je voulais était simple et exprimé : avertir le monde extérieur de ce qui était en train de m’arriver, de ce que l’on me faisait subir, des nombreux jours d’isolement dans des conditions dégradantes, des privations, des humiliations et des menaces endurées, suite entre autres aux courriers que je tentais de faire parvenir à mes proches relatant ces faits alarmants. Est-ce alors une erreur médicale, ou un cruel manque de courage de sa part ? Il est de votre rôle et de celui de vos confrères de remettre cette personne face à ses responsabilités.
Le docteur Deligne a refusé d’écouter mes plaintes lorsqu’elle est venue me voir au mitard après ma « tentative de suicide » et m’a envoyée à l’hôpital en faisant fi de mon refus et de mes explications. C’est une attitude surprenante de la part d’un médecin, je regrette d’ailleurs d’avoir accepté de la voir à ce moment puisqu’au lieu de me soulager par son écoute, elle m’a délibérément ignorée et envoyée à Philippe Pinel alors que, je le répète, je l’avais suppliée de ne pas le faire.
Pourquoi, pour ma part, avoir réagi ainsi face à l’hospitalisation ? Je dirai pour continuer, docteur, que j’ai pu découvrir que l’hôpital psychiatrique, comme la prison, est une zone de non-droit où plane la menace de la camisole chimique pour celles et ceux qui contrarient certains médecins, chefs pénitentiaires et magistrats. De ces « certains médecins », le docteur Mezzrani fait partie.
Le docteur Mezzrani s’est chargée de ma personne lors d’une première hospitalisation, suite à une grève de la faim qui fut un autre appel au secours, puni aussi par un internement. Lors de ce premier internement, elle m’a infligée un traitement dont je n’avais pas besoin, puis m’a également interdit de prévenir mon avocat ou de communiquer par écrit avec l’extérieur. De plus les conditions d’accueil et d’isolement à l’hôpital étaient encore plus éprouvant que la cellule d’isolement de la prison, j’ai été détenue dans des conditions sanitaires pires qu’à la prison car on m’avait enfermé dans une chambre complètement insalubre dont les murs étaient couverts de déjections et il n’y avait qu’un seau sale pour faire ses besoins. Ma seconde « visite » dans l’établissement ne s’est pas mieux passée, ni au niveau humain ni au niveau médical puisque le docteur Mezzrani, avant même de m’avoir accordé un entretien, m’a prescrit une dose de sédatifs alors que je n’étais ni dépressive, ni violente, ni dangereuse et que je ne délirais pas.
Cette médicamentation forcée a eu pour effet de m’abrutir et de me déprimer mais pas de m’ôter la conscience du mal que l’on m’infligeait. Outre les effets abrutissants et, pour ma part, anxiogènes de ces médicaments, ils auraient pu tout simplement m’être mortels. Madame Mezzrani n’avait pas tenu compte de mon dossier médical, alors que j’ai une carte d’identité d’allergique ! C’est une des raisons pour laquelle je me suis refusée à son traitement dans un premier temps ; refus qui m’a valu d’être gardée des jours supplémentaires en chambre d’isolement. Le docteur Mezzrani a allongé la durée de mon internement alors que c’était inutile et que cela me faisait souffrir encore plus, d’autant que je devais additionner ces jours d’isolement extrêmes aux jours d’isolement à la prison. Les conditions d’isolement pour un détenu à l’hôpital Pinel, sont pires que celles du « mitard » de la prison et j’avais prévenu les docteurs de cette situation, je l’ai supplié de me renvoyer au plus vite à la maison d’arrêt mais elle m’a annoncé qu’elle me gardait plusieurs jours encore parce que j’avait refusé de poursuivre son traitement lorsque je suis revenu à la prison la première fois. Le docteur Mezzrani a voulu me punir d’avoir refusé d’ingurgiter des médicaments abrutissants dont je n’avais pas besoin. A ce moment là, il aurait été pour moi une joie, et même un luxe de retourner en prison. En effet, la cellule d’isolement en prison offre une promenade d’une heure, des livres, et une certaine présence humaine même s’il ne s’agit que de surveillantes, la chambre d’isolement de Philippe Pinel n’offre qu’un lit et ses murs en guise de divertissement. En plus, lors de ma première hospitalisation, un homme apparemment très perturbé s’amusait à éteindre et rallumer les lumières toute la nuit. Peut-être dans ce cas-là aurait-il fallu que quelqu’un intervienne. L’insalubrité, la peur, la séquestration et l’abrutissement sont-ils thérapeutiques ?
Docteur, ces comportements sont indignes de la médecine, mais aussi irrespectueux de la santé physique et morale des personnes ; ce que j’ai appris de ces manières de faire est que dans l’hôpital Philippe Pinel, des médecins terrorisent et mettent en danger certains patients, ils démontrent que l’hôpital psychiatrique comme la prison sont des zones de non droit où règnent un climat extrêmement répressif pour les individus qui ont l’esprit critique envers nos institutions. Pour donner encore une autre ouverture à ce qui sera, je l’espère, un prochain débat, j’ajoute qu’il est fort commode d’accuser une personne de troubles psychologiques après l’avoir vue quelques courtes minutes, et de poser, je le rappelle en tant que médecin, un diagnostic défavorable à sa sortie quand, face à la personne inquiétée on manque d’arguments raisonnables. Malheureusement, de ce que j’ai pu en voir, de ce que j’ai pu en apprendre et de ce que j’ai pu en déduire, nos « soins psychiatriques », nos prisons et notre justice, en tant qu’institutions, sont dignes d’un régime totalitaire et rappellent cruellement certaines dérives dangereuses dont apparemment l’histoire n’a pas encore tiré les leçons.
Ces lieux sont-ils suffisamment contrôlés pour empêcher les dérives et les abus ? Les médecins sont-ils formés à affliger davantage les détenus et les personnes qu’ils ont sous leur responsabilité ?
Aujourd’hui encore, je souffre d’avoir enduré tout ce mal ; et ce n’est certainement pas des pilules qui effaceront le goût amer de cette terrible expérience. Pilules qui, comme vous le savez sûrement, n’ôtent absolument pas la conscience des mauvais traitements infligés, puisqu’elles empêchent simplement l’individu de pouvoir s’exprimer, à moins, plus horrible encore, qu’elles ne l’empêchent tout bonnement de pouvoir se défendre ! Ne plus avoir d’exutoire possible est une véritable torture dans de telles conditions. Mesdames Deligne et Mezzrani se sont comportées non pas en soignantes, mais en tortionnaires. Elles m’ont fait comprendre qu’on ne pouvait pas leur faire confiance et qu’il ne fallait pas louper une tentative de suicide.
Pour conclure, je vous avouerai que ce que je ressens, c’est un profond dégoût et de la répugnance pour toutes ces personnes qui m’ont fait souffrir. Cela me ronge, je n’ai plus ni rêves ni illusions sur ce monde. Je ne suis ni névrosée ou ni psychopathe, les expertises ci-jointes le prouvent, je suis juste une personne qui a subi et qui a besoin de témoigner pour elle, mais aussi pour les autres en espérant faire bouger les choses ; car le rôle d’un médecin est d’abord d’écouter son patient et de l’aider, et non pas de se faire complice de l’administration pénitentiaire et de la justice. J’espère d’ailleurs de tout cœur que mon témoignage incitera à la réflexion et au débat, ou au moins qu’il suscitera plus de prudence de la part des médecins et surtout plus de transparence.
DRIENCOURT Isabelle
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