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(2006) ACAT L’isolement prolongé : un traitement inhumain

APPEL URGENT
Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture

Jeudi 3 août 2006
Appel urgent n°57
FRANCE

 

L’isolement prolongé : un traitement inhumain

Intervenir avant le 30 août 2006

Cyril Khider est en détention provisoire depuis cinq ans. Depuis plus de trois ans, il est maintenu à l’isolement : il n’a aucun contact avec d’autres personnes détenues et passe 22h sur 24 en cellule.

L’isolement n’est pas, en principe, une sanction disciplinaire. C’est une mesure de précaution dictée par des impératifs de sécurité. Elle se distingue de ce qu’on appelle communément le « mitard », limité à quarante cinq jours et plus rigoureux. L’isolement est sans limite de temps, il ne doit pas aggraver les conditions de détention. En pratique il en va différemment, au point que l’isolement entraîne des conséquences dramatiques sur la santé des personnes isolées.

Le médecin qui a récemment ausculté Cyril Khider a constaté de graves répercussions de l’isolement sur son état de santé. Cet avis justifie qu’il sorte de l’isolement, son maintien constitue un traitement inhumain et dégradant.

Cyril Khider a été mis en examen pour avoir tenté de faire évader son frère, Christophe. Lors de cette tentative plusieurs surveillants et une pilote d’hélicoptère ont été pris en otage. Les faits qui lui sont reprochés lui ont valu, en plus d’être isolé, d’être successivement transféré dans quinze établissements différents.

 ? Isolement en prison : définition

Un quartier d’isolement est prévu dans chaque prison. Il permet à la fois d’écarter du reste de la population carcérale des détenus gênants, sans qu’ils aient commis de faute disciplinaire, et de protéger des détenus qui pourraient subir les agressions de leurs codétenus.

 ? Conditions de vie de Cyril Khider à l’isolement

- Manque de lumière naturelle

Cyril Khider passe 22h sur 24 dans une cellule dont les fenêtres sont dotées, en plus des barreaux, de deux couches de grillage. Il effectue 2 heures de promenade par jour dans une cours, à peine plus grande qu’une cellule, couverte de grilles et de rouleaux de barbelés qui empêchent de voir le ciel et atténuent la lumière du jour.

- Absence d’activité en commun

Cyril Khider ne bénéficie d’aucune activité avec les autres personnes isolées. En effet, une note [1] affirme que " les détenus dangereux doivent impérativement être placés seuls dans une cour. [Ils] ne doivent pas être autorisés à se regrouper lors des activités ". Il ne peut dès lors exercer d’activité salariée. Il n’a pas de revenu et ne peut dès lors rien acheter pour améliorer son quotidien. A la maison d’arrêt de Villepinte, il n’avait pas même accès à une salle de sport. A la maison d’arrêt de Rouen, les équipements se limitaient à une barre fixe, un vélo d’appartement et un « steppeur » rouillés. A la maison d’arrêt de la Santé, il a accès à un vélo d’appartement placé dans un local confiné. La même note prévoit " qu’aucune activité ne doit être organisée dans les cours de promenade. "

- Fouilles corporelles systématiques

Cyril Khider est soumis à un régime de fouilles systématiques. Dans les maisons d’arrêt de Fleury-Mérogis, Villepinte, Liancourt, Nanterre et des Yvelines, les détenus particulièrement signalés (DPS) sont soumis à une fouille à nu systématique avant de quitter ou de réintégrer leur cellule. A Rouen, les fouilles se limitaient à des palpations de sécurité. A ces fouilles systématiques s’ajoutent des fouilles inopinées pouvant être décidées par le chef d’établissement.

 ? Conséquences physiques et psychologiques de l’isolement [2]

- Conséquences physiques

Les personnes isolées souffrent de troubles oculaires. La position de repos pour l’oeil commence à partir de quinze mètres, or l’espace réduit de la cellule (environ 9m2) et de la cour de promenade rend ce repos impossible. Le maillage des fenêtres et de la cour rend l’éclairage souvent insuffisant et artificiel. L’isolement entraîne aussi une perte des facultés olfactives et gustatives due à la monotonie des odeurs.

L’audition en revanche se développe particulièrement : elle est le dernier moyen de rester en contact avec l’extérieur. Ce qui gêne souvent le sommeil. De plus, entendre les autres vivre, avoir des activités, des relations, sans pouvoir y participer est très pénible.

Le manque d’activité physique entraîne une atrophie des muscles. Courir en cellule cause parfois des tendinites aux genoux et aux chevilles. Les heures passées accroupi ou allongé peuvent causer des sciatiques.

- Conséquences psychologiques

Les personnes isolées parlent toute seule, ou ne parlent plus. Très vite, la pensée devient anémiée, car il n’y a plus de mots, mais la recherche de sensations immédiates, souvent obtenues par l’automutilation. Selon l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire : « pour la plupart des détenus, l’isolement prolongé rend complètement fou. La mort psychique qui en résulte est un phénomène très inquiétant. »

 ? Avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)

Dans son étude adoptée le 11 mars 2004 sur les droits de l’homme dans la prison, la CNCDH recommandait la possibilité d’exercer des activités en commun, en plein air. Elle demandait que les grillages au dessus des cours de promenades soient supprimés.

 ? Isolement et droit international

- Comité contre la torture des Nations unies

« Le Comité s’inquiète du fait que des détenus peuvent être ainsi maintenus sous ce régime de nombreuses années, en dépit des répercussions nocives que cette mesure peut entraîner sur l’état physique et psychique de ces personnes. (Article 16). Le Comité recommande que l’Etat partie prenne les mesures nécessaires pour que l’isolement cellulaire demeure une mesure exceptionnelle limitée dans le temps, en accord avec les normes internationales. » Recommandations adressées à la France, le 25 novembre 2005.

- Comité européen pour la prévention de la torture (CPT)

« La mise à l’isolement peut, dans certaines circonstances, constituer un traitement inhumain et dégradant. En tous cas, toutes les formes de mise à l’isolement devraient être de la durée la plus brève possible. » Les normes du CPT, point 56.

C’est pourquoi, au regard :

- de la durée de la mesure d’isolement : plus de trois ans ;
- de la rigueur de cette mesure ;
- des effets qu’elle produit sur l’intéressé, déjà fragilisé par les quinze transferts qu’il a subis et qui, selon le CPT peuvent « avoir des conséquences très néfastes sur son bien-être psychique et physique », et par la durée de sa détention provisoire (cinq ans) ;

l’ACAT-France vous demande d’écrire au Garde des Sceaux afin qu’il mette fin à la mesure d’isolement de Cyril Khider.

Ci-joint une proposition de lettre, que vous pouvez adresser telle quelle, datée et signée sans oublier vos nom et adresse ou réécrite à votre manière. 

Monsieur Pascal Clément
Garde des Sceaux
Ministère de la Justice
13, place Vendôme
75042 Paris cedex 01

Monsieur le Garde des Sceaux,

Alerté(e) par l’ACAT-France, je souhaite vous faire part de mes préoccupations concernant Cyril Khider, actuellement en détention provisoire depuis cinq ans et soumis à un régime d’isolement depuis plus de trois ans.

Malgré les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture, du Comité contre la torture des Nations unies et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme qui ont attiré votre attention sur les dangers de l’isolement en prison ; et malgré les conséquences physiques et psychologiques constatées par des médecins exerçant en milieu carcéral, le ministère de la Justice continue de maintenir des personnes, comme Cyril Khider, dans un isolement sensoriel et social rigoureux sans limitation de temps.

Au regard des conséquences de l’isolement prolongé sur la santé de Cyril Khider, je vous demande de bien vouloir mettre fin à la mesure d’isolement qui a été prise à son encontre.

En vous remerciant des suites que vous voudrez bien donner à ce courrier, je vous prie d’agréer, Monsieur le Garde des Sceaux, l’expression de ma haute considération. 

L’ACAT-France appartient à la Fédération Internationale de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (FIACAT) ayant statut consultatif auprès des Nations Unies et du Conseil de l’Europe.

[1] Note de l’administration pénitentiaire du 18 avril 2003

[2] Mémoire du docteur Dominique Faucher, médecin généraliste à la maison d’arrêt de Fresnes : « Ethique médicale en milieu carcéral : suivi des personnes détenues en quartier d’isolement » 1999

 
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• Lettre type à adresser à P.Clément, (Word - 20.5 ko)
• ACAT 057_France_02-08-06, (Word - 56.5 ko)