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2 La prison source de troubles mentaux et lieu de vie pour malades

Publié le mercredi 23 août 2006 | http://prison.rezo.net/2-la-prison-source-de-troubles/

II. La prison source de troubles mentaux et lieu de vie pour malades.

Le régime de détention est à l’heure actuelle clairement axé sur la sécurité. Ce choix favorise grandement la dégradation de l’intégrité psychique de l’individu, faisant de la prison, un lieu pathogène (A). De là, de multiples maux sont observables (B).

A- La prison, lieu pathogène.

Le propre de la prison est d’isoler un individu nuisible à la société. Il y a alors le monde extérieur, et la prison. Le bannissement dans de lointaines colonies a d’ailleurs été l’un des modes de punition de ces individus. Aujourd’hui, faute de colonies vierges et du fait de la pression démocratique, ces individus restent au sein de la société, géographiquement parlant du moins. La prison, lieu d’enfermement gère ces individus et les fait vivre à l’écart de l’autre société. C’est toute une micro-société qui existe et qui se doit de contenir les éléments violents. La peine capitale étant abolie, ces individus sont voués à sortir un jour ou l’autre. L’objectif à long terme est d’ éviter qu’ils ne réitèrent à leur sortie. L’objectif à court terme est surtout de maintenir la plus grande cohésion et la plus grande stabilité de cette « société dans la société ». L’atteinte de l’objectif de prévention de la réitération n’est envisageable que par la réussite de l’objectif de cohésion. La priorité et la primauté donnée à la sécurité se justifient ainsi.
Ce choix n’est pas sans conséquence. C’est un vrai état totalitaire [1] qui existe au sein de la prison. Si la notion d’institution totale au sens de Goffman est à relativiser du fait de l’humanisation des conditions de détention qu’on a pu observer depuis la réforme Amor et le passage de Robert Badinter au ministère de la Justice, il n’en reste pas moins qu’elle conserve une organisation dont la vocation est de s’immiscer au maximum dans le quotidien des détenus afin de les contenir le plus efficacement possible.
Il en résulte deux effets principaux. Le caractère contraignant est source de frustrations et d’humiliations quotidiennes et il résulte du caractère enveloppant une coupure radicale avec le monde extérieur.

1. La coupure radicale avec le monde extérieur : le morcellement de l’identité :

La coupure avec le monde extérieur intervient dès le début de la détention. On parle du « choc carcéral ». Cette notion permet de rendre compte de ce que subit l’individu à son arrivé. C’est un sentiment général qui s’empare de lui et qui le fait réaliser que sa vie telle qu’il l’a connu est terminé. Il sort d’une longue procédure, souvent longue de plusieurs mois ou souvent même la procédure est encore en court. Il doit anticiper sur un avenir sombre et relativement incertain et doit accepter et se préparer à un quotidien réputé, à juste titre, insupportable. La coupure est d’autant plus mal vécue que le sentiment de privation est fort, si le détenu est marié, parent, etc...
Les modalités d’entrée en prison sont symboliques. Le sentiment de perte d’identité se comprend au vue de la procédure. Celle ci comprend un relevé d’identité, une prise d’empreintes digitales, la dotation d’un numéro d’écrou, qui suivra le détenu durant toute sa détention et la confiscation des biens personnels [2]. Toute possession personnelle est remplacée par du matériel standard à la disposition de tous. A défaut de restaurer le costume pénal, l’objectif est d’homogénéiser les détenus afin de faciliter le contrôle et d’éviter toutes jalousies et tentations. Si ils peuvent cantiner, c’est à dire acheter des produits, de nombreux objets sont interdits.

De même que dans le monde extérieur, la prison n’est pas une zone de non droit. La différence est que dehors, ce qui n’est pas interdit est autorisé. En prison, ce qui n’est pas autorisé est interdit. Autant dire que les marges d’actions sont limitées. Le détenu n’a pas le droit de faire telle ou telle chose, il est autorisé à les faire. Tous les droits qui seront évoqués par la suite sont secondaires face aux contraintes de sécurité et tous peuvent être restreint ou suspendus. Cela à son importance et contribue à renforcer l’emprise de l’institution carcérale et sa différence avec le dehors.
Le droit applicable aux détenus est un droit disciplinaire [3]. La terminologie utilisée ici n’est pas anodine. Le tribunal est la commission de discipline. Il n’y a pas de procureur ni de juge indépendant du pouvoir exécutif. Le directeur de prison est à la fois requérant, juge, et chef de l’organe chargé d’appliquer la sanction. Il est omniprésent tout au long de la procédure.
La sanction peut être en lien avec la faute commise et consister par exemple en un déclassement du poste de travail occupé si la faute a été commise au travail. Mais si cela est nécessaire, le détenu risque l’enfermement...ce qui peut paraître paradoxal. La sanction est alors un séjour de 45 jours maximum au quartier disciplinaire. La prison en prison. Le régime de détention au quartier disciplinaire est plus contraignant encore que le régime normal de détention. Déjà coupé du monde extérieur, le détenu est coupé du monde carcéral. Il n’est plus qu’avec lui même, objet même de cette sanction [4]. Le placement en quartier disciplinaire est source de multiples maux et passages à l’acte autoagressifs ou suicidaires. [5]
Le droit commun « extérieur » prône la liberté d’aller et venir. La prison neutralise évidemment ce droit puisque les détenus n’ont pas la possibilité de sortir de l’enceinte (sauf exceptions avec les multiples aménagements de peine proposés). Mais elle neutralise également ce droit en son sein. Les détenus n’ont pas de liberté de déplacement. En maison d’ arrêt, les clefs des cellules et des nombreuses portes sont à la seule disposition des gardiens. En centre de détention, le régime plus souple permet aux détenus d’avoir la clef de leur cellule et de se mouvoir à leurs étages respectifs. Ce droit s’arrête là, ils ne peuvent sortir de l’étage, ni sortir de leur cellule après un horaire précis. Ils doivent demander une autorisation pour chacun de leurs mouvements. Un détenu souhaitant se rendre à la bibliothèque devra demander un « bon » au surveillant justifiant de son déplacement et il devra l’avoir avec lui par la suite lors de son déplacement.
La mission des personnels est également de maintenir une pression constante sur le détenu afin de maintenir un certain ordre. Par exemple, un détenu s’étant rendu le matin à l’infirmerie sans autorisation est repéré par un surveillant. Ce même surveillant transmet le message au collègue compétent. L’après midi, le détenu est « interpellé » au détour d’un couloir par ce dernier qui lui demande pourquoi il était à l’infirmerie. Réaction du détenu : « Tous mes faits et gestes sont surveillés ? ». Menace d’un rapport disciplinaire et résolution amiable du problème. L’important est que le détenu prenne conscience que désormais, il ne fait pas ce qu’il veut. Lors des commissions de discipline, le principal argument utilisé par les « juges » est le suivant : « Vous êtes en prison, vous n’êtes pas chez vous ». L’ institution est omniprésente, omnisciente et le fait savoir. Caméras, serrures, autorisations, créneau horaire, tout est réglé et le détenu ne peut pas intervenir, il subit.

La rupture avec le monde extérieur est d’autant plus mal vécue que le détenu a des attaches. Le maintient des liens familiaux est l’un de leurs droit les plus importants et le plus mis en oeuvre. Ils peuvent téléphoner (à certaines heures), recevoir des visites lors des parloirs (en nombre limité dans la semaine) et dans certains établissements, des unités expérimentales de vie familiale (UEVF) sont crées. Au nombre de 3 à l’heure actuelle, elles permettent au détenu de recevoir tout ou partie de sa famille proche pendant 2 jours maximum dans un lieu aménagé, un simulacre de maison avec jardin au sein de la prison. Ces unités sont amenées à se développer.
En pratique, les liens sont difficiles à maintenir, soit du fait du régime de détention (la famille souvent éloignée, notamment à cause des nombreux transferts d’un établissement à un autre, la procédure disciplinaire permettant de restreindre ce droit) soit du fait de la famille elle même (beaucoup se retrouvent délaissés par leurs parents ou conjoints).

Coupé du monde extérieur, le détenu peut difficilement se projeter dans l’avenir. La société, sa famille, ses amis (souvent ses « anciens amis ») continuent d’évoluer et de progresser tandis que lui ne peut qu’observer. Il ne participe pas et se retrouve ainsi coincé dans un monde où le temps n’a plus court. Son propre rythme de vie est minutieusement réglé, prévisible et lent. Rares sont les désirs et requêtes rapidement assouvis. Son temps est employé par l’administration pénitentiaire à effectuer des tâches prédéfinies. Le détenu ne maîtrise pas l’évolution extérieure, il ne peut y participer, et ne peux que difficilement influer sur le temps carcéral.

Tous au plus, les détenus peuvent mettre en oeuvre diverses stratégies
permettant de mieux supporter les nombreuses contraintes. En réalité, il s’agit moins de rendre le quotidien supportable que de le rendre le moins insupportable possible. La stigmatisation crée par l’isolement du monde extérieur n’est pas forcément ce qui nuit le plus aux détenus. Le quotidien est surtout source d’humiliations et de frustrations permanentes. Cumulés, ces deux facteurs peuvent littéralement détruire un individu peu solide intérieurement.

2. Humiliations, violences et frustrations :

Le quotidien d’un détenu est rythmé par des règles qui lui imposent un comportement. Par ce fonctionnement, la prison induit inévitablement une perte d’autonomie. Les détenus sont soumis à de très fortes contraintes. Contrainte de temps, de lieu, d’activités, de non activité. Dans son analyse sur les institutions totalitaires, Goffman explique que les institutions totales « suspendent ou dénaturent les actes dont la fonction, dans la vie normale est de permettre à l’agent d’affirmer la maîtrise de son milieu, qu’il est une personne adulte, douée d’indépendance, d’autonomie et de liberté d’action. » [6]. Le fonctionnement de l’institution carcérale entraîne difficilement la responsabilisation. Bien souvent, les détenus sont infantilisés. Les gestes simples ne le sont plus. C’est là l’ambiguïté de la méthode : il faut les responsabiliser en les obligeant à faire eux mêmes toutes démarches, en rédigeant des courriers, en s’inscrivant à des activités mais il s’agit bien de demandes avant tout. Chaque geste est soumis à demande d’autorisation avec le risque de refus que cela comporte. Ces refus peuvent être motivés comme étant des sanctions, des punitions pour un comportement déviant antérieur. Et c’est ainsi que l’on passe à un dispositif de responsabilisation à un dispositif d’infantilisation.
Le régime sécuritaire de l’institution est un révélateur quotidien d’impuissance. Il se manifeste d’abord par une oppression permanente via une surveillance omniprésente. Chaque cellule est équipée d’un oeuilleton, dispositif intégré à la porte permettant à un oeil extérieur d’observer à tout moment ce qui se passe en cellule, sans être vu. Cet oeil s’intègre dans une volonté globale d’emprise sur les détenus. Les prisons du 19ème siècles étaient construites selon un modèle architectural circulaire permettant de concentrer en un point central dominant les éléments nécessaires à l’exercice du pouvoir : le panoptisme. « L’appareil disciplinaire parfait permettrait à un seul regard de tout voir en permanence. Un point central serait à la fois source de lumière éclairant toutes choses, et lieu de convergence pour tout ce qui doit être su : oeil parfait auquel rien n’échappe et centre vers lequel tous les regards sont tournés . » [7]. Tout voir, faire ressentir sa présence.

Toujours pour des raisons de sécurité, les détenus sont souvent amenés à changer de cellules, de bâtiments. Des « essais », des mélanges sont réalisés par l’administration. Introduire un tel dans un étage, voir dans telle cellule pour apaiser une ambiance ou le calmer lui. Ils sont encellulés seuls ou à plusieurs, selon des critères d’appartenance ethnique ou de tempérament. Un détenu peut même se voit « confier » à son insu un suicidaire afin de prévenir une tentative de suicide en les mettant tous les deux dans la même cellule. Pression supplémentaire. Les détenus ont le sentiments d’être des pantins que l’on trimballe d’une cellule à une autre, d’un bâtiment à un autre, d’un établissement à un autre. La pratique du transfert d’établissement est courante. C’est un droit parfois accordé aux détenus, ou une nécessité sécuritaire. « Certains sont tellement transférés qu’ils perdent tout repères. Ils en arrivent à perdre leur identité. » [8].
Cette surveillance se fait ressentir également par les fouilles.
D’abord les cellules. A tout moments de la journée, les surveillants peuvent fouiller intégralement une cellule sans motifs préalables. Le pouvoir d’investigation des surveillants et large puisque les cellules ne sont pas considérés juridiquement comme leur domicile. Mobiliers et sanitaires peuvent être démontés, les affaires jugées suspicieuses peuvent être soumises à une fouille plus approfondie par une personne spécialisée. C’est essentiellement une arme dissuasive principalement à l’encontre des traficants et qui ne concerne donc qu’une population particulière puisque en pratique les fouilles réalisées le sont d’après des informations fiables (dans la mesure où un détenu qui coopère est fiable).
Ensuite les fouilles corporelles : Il y a celles par palpation et celles à corps ou intégrales. Ces dernières doivent rester exceptionnelles mais restent cependant soumises à la discrétion du chef d’établissement qui juge seul si elles s’avèrent nécessaire [9] et sont en fait fréquentes. La procédure stricte et intimiste [10] se révèle aisément humiliante.

Outre le volet sécuritaire, l’absence d’intimité est également préjudiciable. Ressenti lors des parloirs, elle est très forte dans leur propre espace de vie : la cellule. Le strict respect du numerus clausus [11] étant apparemment une chimère dans les maisons d’arrêts, les détenus sont amenés à cohabiter. Or beaucoup d’établissements n’étaient pas prévus pour cela à l’origine. Deux détenus peuvent vivre dans une cellule contenant un toilette sans aucun dispositif de séparation. Ils sont alors obligés d’aménager un espace d’intimité avec des draps et une corde.

Mais aucun drap ne saurait garantir une intimité suffisante, qu’elle soit visuelle, sonore, odorante et identitaire. En prison tout se sait. Des communautés se forment et se pérennisent. Les délinquants sexuels en sont les exemples. Stigmatisés, ils sont surnommés « pointeurs » et sont très mal perçus par les autres détenus. Il existe en prison une véritable hiérarchie. Les « pointeurs » sont au bas de l’échelle, les braqueurs sont en haut. Par un processus de justice interne, ces personnes sont de fait re-jugées. Pour des raisons de sécurité, les personnels ont tendance à les regrouper entre eux, au sein d’un étage par exemple ou au travail. Évoluant le plus possible en vase clos, ils évitent les ennuis. Beaucoup ne sortent pas en promenade pour cette raison. De même que dehors, ceux qui « possèdent » sont très vite repérés, au même titre que les faibles. Parallèlement, les forts, les caïds émergent et prennent un certain pouvoir rapidement.
Épiés par l’institution, les détenus s’épient entre eux contribuant ainsi à créer un climat particulièrement tendu.

La violence s’exprime en prison sous toutes ses formes. Injures, bagarres,
harcèlement, discrimination, racisme, homophobie, rackets, vols, viols, meurtres, menaces, dégradations. Elle se ressent très fortement en maison d’arrêt où l’on peut parler d’insécurité ambiante. La surpopulation y est pour beaucoup, l’architecture aussi lorsqu’elle est ancienne. Elle s’exprime soit sur les autres, soit sur l’institution, soit sur soi. On peut facilement parler de violence gratuite et injustifiée. « Des querelles de cour d’école » pour reprendre les termes d’une avocate en commission de discipline. Regard de travers, geste suspect, trafics, tout est prétexte à une action violente. Les différentes personnalités et caractères présents en prison expliquent ces comportements.

Violence verticale par l’omniprésence contraignante et permanente de
l’institution et violence horizontale par le climat de suspicion et d’intolérance généralisé. Violence confinée. Plus de haine, plus de malheur, plus de tristesse et à la fois cause et conséquence, plus de maux.

B- Les maux de l’incarcération.

Les pathologies présentes en prison sont variées et reprennent l’ensemble du panel rencontré dans la population générale, mais dans des proportions différentes. Elles se manifestent pas diverses conduites dont les multiples incidents sont les témoins.

1. Nosographie de la population pénale.

De nombreuses enquêtes, certaines internationales font valoir la prévalence des troubles mentaux en prison. Celle de la DRESS [12] en 2002 établi que 55% des détenus arrivant en prison présentent au moins un trouble psychiatrique. Cette proportion déjà élevée ne représente pas l’ensemble des personnes souffrant de troubles psychiatriques en prison, seulement les entrants présentant des troubles pré-existants à l’incarcération. Il faut y ajouter tout ceux ayant subis des « psychoses réactionnelles » [13] liées à la pathogénicité de la prison. Il ne faut donc pas se limiter aux entrants présentant des troubles mais à l’ensemble des personnes suivis par les services psychiatriques de prison.
Une enquête épidémiologique sur la santé mentale des détenus en date de 2004 [14] révèle que 8 détenus sur 10 présentent au moins un trouble psychiatrique.
Qu’est ce qu’un trouble mental ? La classification internationale des maladies (CIM 10) regroupe entre autre comme troubles mentaux : Les troubles mentaux ou du comportement dus à l’usage psychotropes, les troubles schizotypiques et délirants, les troubles de l’humeur (troubles dépressifs, troubles bipolaire, etc...), les troubles névrotiques (troubles anxieux, phobiques, obsessionnel-compulsif, etc...), les troubles de la personnalité et du comportement et les retards mentaux.
Les résultats des diverses enquêtes réalisées sur le sujet divergent plus ou moins. Voici donc les résultats d’une étude internationale réalisée par Senna Fazel et John Danesh [15] reprenant les résultats de 62 publications internationales, portant sur 22 790 détenus de 12 pays occidentaux, les résultats de l’enquête épidémiologique portant sur la santé mentale des détenus conjointement menée par la direction générale de la santé et de l’administration pénitentiaire française dont les résultats ont été rendus en 2004, portant sur 799 détenus de 23 établissements pénitentiaires français et les résultats de l’enquête de la DRESS de 2002 sur 2300 entrants en détention.

Ces résultats sont issus de méthodes d’investigation différentes et varient parfois fortement. Néanmoins, la sur-représentation des troubles psychiatriques en prison est avérée. Il y a 4 à 10 fois plus de psychotiques en prison que dans la population générale [16]. La répartition des pathologies en SMPR [17] est elle même très différente de celle rencontrée dans les secteurs de psychiatrie générale. Les troubles dépressifs et psychotiques sont largement supérieurs en psychiatrie. Il devrait y avoir 5 fois plus de psychotiques en prison si les pathologies étaient similaires. En revanche, les troubles de la personnalité sont 3 fois supérieur en prison qu’en psychiatrie générale et les dépendances 2 fois plus fréquentes [18].

Une offre de soins décente serait donc différente de celle proposée dehors
puisque il s’agit bien d’adapter les soins au public, et non pas l’inverse. Elle donnerait la priorité au traitement des troubles de la personnalité et du comportement et au traitement des conduites addictives. Nous verrons dans la deuxième partie que l’offre de soins proposée ne permet pas une prise en charge efficace du fait d’un manque moyens et d’une insuffisante coordination entre les équipes psychiatriques pénitentiaires et celles de psychiatrie générale.
En attendant, la présence de malades en prison ne se réduit pas à une simple nosographie. Le nombre important et croissant d’incidents collectifs et individuels témoigne des carences sanitaires.

2. Du comportement agressif au suicide : manifestations des troubles mentaux

La vie en détention est marquée par de fréquents incidents. Ceux ci sont divers et vont de l’agressivité envers un codétenu ou envers le personnel, au suicide, en passant par la tentative, les automutilations ou encore, moins spectaculaire, un repli sur soi.
Il est difficile de savoir quels comportements sont à attribuer à un trouble mental. Certaines actions sont avant tout constructives telles celles dont le but est d’exercer des pressions sur les autorités judiciaires, pénitentiaires ou politiques telles les grèves de la faim. Ces actions ne sont pas issues de pathologies mentales. En revanche, d’autres actions sont nettement plus destructives. La violence est un réponse à différents troubles, notamment lorsqu’elle est dirigée vers les autres codétenus ou vers le personnel. Les violences les plus graves et les plus représentatives de pathologies psychiatriques sont les violences faites par le détenu envers lui même, comportements autoagressifs.
Les automutilations sont parmi les événements les plus fréquents en détention. Elles concernent surtout les jeunes détenus, présentant des troubles de la personnalité. Soit une section des veines, une amputation de membres, voir pour les plus extrêmes, ouverture de la paroi abdominale, suture des paupières ou de la bouche, perforation des muscles, soit l’ingestion de corps étrangers, de produits toxiques, etc..Le geste de mutilation se comprend comme une agressivité indirecte. La personne pourra livrer son organe mutilé à un magistrat ou un chef de détention, « l’autoagressivité n’a d’égale que l’agressivité projetée » [19].
Les suicides et tentatives de suicides sont l’un des grands fléau de la prison. Dans l’ensemble des pays industrialisés, le taux de suicide en prison est parfois plus de 11 fois supérieur que dans la population générale. 340 pour 100 000 en prison contre 44 pour 100 000 dans la population générale au Québec ! 120 suicides ont été recensés dans les prisons françaises en 2003 soit un moyenne de 240 sur 100 000 contre 19 pour 100.000 dans la population générale (en 1997). Le nombre de suicide par ingestion deproduit toxique a même été multiplié par presque 3 entre 1995 et 1997 car depuis 1995, les médicaments sont fournis sous forme solide, et non plus sous forme liquide (fioles) afin de responsabiliser les détenus dans la gestion de leur traitement.
Les jeunes font de nombreuses tentatives, plus des appels à l’aide que de réelles tentatives, et les plus vieux « réussissent » souvent dès le premier essai. Les tentatives ne sont pourtant pas à banaliser, de nombreuses études démontrent que les suicides « réussis » sont précédés de telles tentatives. Les passages à l’acte suicidaire sont donc à redouter particulièrement chez les personnes vulnérables, culpabilisées et seules subissant de plein fouet une décompensation réactionnelle à l’incarcération, notamment lors d’une première incarcération. L’une des mesures systématiquement prise par les surveillant est d’affecter un suicidaire potentiel avec un codétenu, voir deux.

Il existe heureusement un dispositif de soins psychiatriques en prison. Nous allons voir que s’il se révèle lacunaire et d’une efficacité relative, il n’en reste pas moins qu’il semble être l’une des moins mauvaises solutions. Il peut en revanche être détourné si aucune réforme pénale, nottament sur les pouvoirs des magistrats, n’est envisagée.

[1] Voir en ce sens : Goffman, op cit. Il définit une institution totalitaire comme un « lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus placés dans le même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées », p41

[2] Mis à part les alliances et objets religieux

[3] Les détenus sont soumis au droit disciplinaire mais également au droit pénal. Une faute disciplinaire peut également constituer une infraction pénale. En ce cas, le détenu est jugé au pénal et en commission de discipline

[4] Lors des commissions de discipline, la sanction du quartier disciplinaire est le plus souvent prononcé au motif qu’il pourra « réfléchir un peu à ce qu’il a fait ». A juste titre, l’introspection est la seule activité proposée avec l’heure journalière de promenade et les quelques lectures obligatoires proposées

[5] Voir Infra p.26 et s.

[6] Goffman E., p87 , op. cit

[7] Foucault M., Surveiller et punir, Gallimard, 1997, p204

[8] Entretien du 7 Avril 2006 avec le docteur Giron, médecin chef du SMPR du centre de détention de Nantes

[9] « (...) les fouilles intégrales sont prévues chaque fois qu’un détenu entre l’établissement (écrou, retour d’extraction judiciaire ou médicale, de permission de sortir, de placement à l’extérieur, de semiliberté, de corvées à l’extérieur), mais également à chaque fois qu’il le quitte (levée d’écrou, transfèrement, extradition, libération, extraction en milieu hospitalier civil ou pénitentiaire, avant le départ en placement extérieur, en semi-liberté, en permission de sortir). A l’occasion des parloirs avec la famille ou les proches, le détenu est fouillé avant et après l’entretien. (...) Enfin, pour éviter les suicides et automutilations, tous les détenus doivent être fouillés intégralement avant un placement à l’isolement ou au quartier disciplinaire. », les mesures de contrôle, article consulté sur le site www.pison.org.eu.

[10] Le surveillant est chargé d’inspecter dans l’ordre les cheveux, oreilles, bouche (en faisant tousser le détenu), aisselles, mains entrejambes (il doit écarter les jambes, se pencher en avant et tousser si nécessaire), pieds, voûte plantaire, orteils. D.275 Code de procédure pénale

[11] Une cellule n’est prévue que pour un détenu sauf exception. En maison d’arrêt, l’exception est devenue la règle et l’on se retrouve facilement avec 3 détenus dans une cellule prévue pour 1 (9m²). Dans les cellules de plus grande capacité, prévus pour 3, l’effectif atteint couramment les 6 personnes

[12] DRESS, « La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus accueillis par les services médicopsychologiques régionaux », n°181, Juillet 2002

[13] Bénézech M, Lamothe P., Senon JL. (1990), « psychiatrie en milieu carcéral », Encycl. Med. Chir. Psychiatrie, 37889 A10

[14] Enquête épidémiologique sur la santé mentale des détenus. DGS/DAP, 2004

[15] Fazel S., Danesh J. Serious discorders in 23000 prisoners : a systematic review of 62 surveys. Lancet 2002 : 359

[16] Senon JL. « Soins ambulatoire sous contrainte : une mise en place indispensable pour préserver une
psychiatrie publique moderne », L’information psychiatrique, 2005, 81 ; 627-34

[17] Services médico-psychologiques régionaux, voir infra p.37 et s.

[18] DRESS, op cit

[19] Lafay N.,Papet N.,Manzanera C., Senon JL., Prison et psychiatrie : à la difficile recherche d’un équilibre entre sanitaire social et judiciaire, Revue pénitentiaire et droit pénal 2000 Cujas Ed, 4, Décembre 2000, 506-523