Publié le mercredi 23 août 2006 | http://prison.rezo.net/2-la-prison-source-de-troubles/ II. La prison source de troubles mentaux et lieu de vie pour malades. Le régime de détention est à l’heure actuelle clairement axé sur la sécurité. Ce choix favorise grandement la dégradation de l’intégrité psychique de l’individu, faisant de la prison, un lieu pathogène (A). De là, de multiples maux sont observables (B). A- La prison, lieu pathogène. Le propre de la prison est d’isoler un individu nuisible à la société. Il y a alors le monde extérieur, et la prison. Le bannissement dans de lointaines colonies a d’ailleurs été l’un des modes de punition de ces individus. Aujourd’hui, faute de colonies vierges et du fait de la pression démocratique, ces individus restent au sein de la société, géographiquement parlant du moins. La prison, lieu d’enfermement gère ces individus et les fait vivre à l’écart de l’autre société. C’est toute une micro-société qui existe et qui se doit de contenir les éléments violents. La peine capitale étant abolie, ces individus sont voués à sortir un jour ou l’autre. L’objectif à long terme est d’ éviter qu’ils ne réitèrent à leur sortie. L’objectif à court terme est surtout de maintenir la plus grande cohésion et la plus grande stabilité de cette « société dans la société ». L’atteinte de l’objectif de prévention de la réitération n’est envisageable que par la réussite de l’objectif de cohésion. La priorité et la primauté donnée à la sécurité se justifient ainsi. 1. La coupure radicale avec le monde extérieur : le morcellement de l’identité : La coupure avec le monde extérieur intervient dès le début de la détention. On parle du « choc carcéral ». Cette notion permet de rendre compte de ce que subit l’individu à son arrivé. C’est un sentiment général qui s’empare de lui et qui le fait réaliser que sa vie telle qu’il l’a connu est terminé. Il sort d’une longue procédure, souvent longue de plusieurs mois ou souvent même la procédure est encore en court. Il doit anticiper sur un avenir sombre et relativement incertain et doit accepter et se préparer à un quotidien réputé, à juste titre, insupportable. La coupure est d’autant plus mal vécue que le sentiment de privation est fort, si le détenu est marié, parent, etc... De même que dans le monde extérieur, la prison n’est pas une zone de non droit. La différence est que dehors, ce qui n’est pas interdit est autorisé. En prison, ce qui n’est pas autorisé est interdit. Autant dire que les marges d’actions sont limitées. Le détenu n’a pas le droit de faire telle ou telle chose, il est autorisé à les faire. Tous les droits qui seront évoqués par la suite sont secondaires face aux contraintes de sécurité et tous peuvent être restreint ou suspendus. Cela à son importance et contribue à renforcer l’emprise de l’institution carcérale et sa différence avec le dehors. La rupture avec le monde extérieur est d’autant plus mal vécue que le détenu a des attaches. Le maintient des liens familiaux est l’un de leurs droit les plus importants et le plus mis en oeuvre. Ils peuvent téléphoner (à certaines heures), recevoir des visites lors des parloirs (en nombre limité dans la semaine) et dans certains établissements, des unités expérimentales de vie familiale (UEVF) sont crées. Au nombre de 3 à l’heure actuelle, elles permettent au détenu de recevoir tout ou partie de sa famille proche pendant 2 jours maximum dans un lieu aménagé, un simulacre de maison avec jardin au sein de la prison. Ces unités sont amenées à se développer. Coupé du monde extérieur, le détenu peut difficilement se projeter dans l’avenir. La société, sa famille, ses amis (souvent ses « anciens amis ») continuent d’évoluer et de progresser tandis que lui ne peut qu’observer. Il ne participe pas et se retrouve ainsi coincé dans un monde où le temps n’a plus court. Son propre rythme de vie est minutieusement réglé, prévisible et lent. Rares sont les désirs et requêtes rapidement assouvis. Son temps est employé par l’administration pénitentiaire à effectuer des tâches prédéfinies. Le détenu ne maîtrise pas l’évolution extérieure, il ne peut y participer, et ne peux que difficilement influer sur le temps carcéral. Tous au plus, les détenus peuvent mettre en oeuvre diverses stratégies 2. Humiliations, violences et frustrations : Le quotidien d’un détenu est rythmé par des règles qui lui imposent un comportement. Par ce fonctionnement, la prison induit inévitablement une perte d’autonomie. Les détenus sont soumis à de très fortes contraintes. Contrainte de temps, de lieu, d’activités, de non activité. Dans son analyse sur les institutions totalitaires, Goffman explique que les institutions totales « suspendent ou dénaturent les actes dont la fonction, dans la vie normale est de permettre à l’agent d’affirmer la maîtrise de son milieu, qu’il est une personne adulte, douée d’indépendance, d’autonomie et de liberté d’action. » [6]. Le fonctionnement de l’institution carcérale entraîne difficilement la responsabilisation. Bien souvent, les détenus sont infantilisés. Les gestes simples ne le sont plus. C’est là l’ambiguïté de la méthode : il faut les responsabiliser en les obligeant à faire eux mêmes toutes démarches, en rédigeant des courriers, en s’inscrivant à des activités mais il s’agit bien de demandes avant tout. Chaque geste est soumis à demande d’autorisation avec le risque de refus que cela comporte. Ces refus peuvent être motivés comme étant des sanctions, des punitions pour un comportement déviant antérieur. Et c’est ainsi que l’on passe à un dispositif de responsabilisation à un dispositif d’infantilisation. Toujours pour des raisons de sécurité, les détenus sont souvent amenés à changer de cellules, de bâtiments. Des « essais », des mélanges sont réalisés par l’administration. Introduire un tel dans un étage, voir dans telle cellule pour apaiser une ambiance ou le calmer lui. Ils sont encellulés seuls ou à plusieurs, selon des critères d’appartenance ethnique ou de tempérament. Un détenu peut même se voit « confier » à son insu un suicidaire afin de prévenir une tentative de suicide en les mettant tous les deux dans la même cellule. Pression supplémentaire. Les détenus ont le sentiments d’être des pantins que l’on trimballe d’une cellule à une autre, d’un bâtiment à un autre, d’un établissement à un autre. La pratique du transfert d’établissement est courante. C’est un droit parfois accordé aux détenus, ou une nécessité sécuritaire. « Certains sont tellement transférés qu’ils perdent tout repères. Ils en arrivent à perdre leur identité. » [8]. Outre le volet sécuritaire, l’absence d’intimité est également préjudiciable. Ressenti lors des parloirs, elle est très forte dans leur propre espace de vie : la cellule. Le strict respect du numerus clausus [11] étant apparemment une chimère dans les maisons d’arrêts, les détenus sont amenés à cohabiter. Or beaucoup d’établissements n’étaient pas prévus pour cela à l’origine. Deux détenus peuvent vivre dans une cellule contenant un toilette sans aucun dispositif de séparation. Ils sont alors obligés d’aménager un espace d’intimité avec des draps et une corde. Mais aucun drap ne saurait garantir une intimité suffisante, qu’elle soit visuelle, sonore, odorante et identitaire. En prison tout se sait. Des communautés se forment et se pérennisent. Les délinquants sexuels en sont les exemples. Stigmatisés, ils sont surnommés « pointeurs » et sont très mal perçus par les autres détenus. Il existe en prison une véritable hiérarchie. Les « pointeurs » sont au bas de l’échelle, les braqueurs sont en haut. Par un processus de justice interne, ces personnes sont de fait re-jugées. Pour des raisons de sécurité, les personnels ont tendance à les regrouper entre eux, au sein d’un étage par exemple ou au travail. Évoluant le plus possible en vase clos, ils évitent les ennuis. Beaucoup ne sortent pas en promenade pour cette raison. De même que dehors, ceux qui « possèdent » sont très vite repérés, au même titre que les faibles. Parallèlement, les forts, les caïds émergent et prennent un certain pouvoir rapidement. La violence s’exprime en prison sous toutes ses formes. Injures, bagarres, Violence verticale par l’omniprésence contraignante et permanente de B- Les maux de l’incarcération. Les pathologies présentes en prison sont variées et reprennent l’ensemble du panel rencontré dans la population générale, mais dans des proportions différentes. Elles se manifestent pas diverses conduites dont les multiples incidents sont les témoins. De nombreuses enquêtes, certaines internationales font valoir la prévalence des troubles mentaux en prison. Celle de la DRESS [12] en 2002 établi que 55% des détenus arrivant en prison présentent au moins un trouble psychiatrique. Cette proportion déjà élevée ne représente pas l’ensemble des personnes souffrant de troubles psychiatriques en prison, seulement les entrants présentant des troubles pré-existants à l’incarcération. Il faut y ajouter tout ceux ayant subis des « psychoses réactionnelles » [13] liées à la pathogénicité de la prison. Il ne faut donc pas se limiter aux entrants présentant des troubles mais à l’ensemble des personnes suivis par les services psychiatriques de prison. Ces résultats sont issus de méthodes d’investigation différentes et varient parfois fortement. Néanmoins, la sur-représentation des troubles psychiatriques en prison est avérée. Il y a 4 à 10 fois plus de psychotiques en prison que dans la population générale [16]. La répartition des pathologies en SMPR [17] est elle même très différente de celle rencontrée dans les secteurs de psychiatrie générale. Les troubles dépressifs et psychotiques sont largement supérieurs en psychiatrie. Il devrait y avoir 5 fois plus de psychotiques en prison si les pathologies étaient similaires. En revanche, les troubles de la personnalité sont 3 fois supérieur en prison qu’en psychiatrie générale et les dépendances 2 fois plus fréquentes [18]. Une offre de soins décente serait donc différente de celle proposée dehors 2. Du comportement agressif au suicide : manifestations des troubles mentaux La vie en détention est marquée par de fréquents incidents. Ceux ci sont divers et vont de l’agressivité envers un codétenu ou envers le personnel, au suicide, en passant par la tentative, les automutilations ou encore, moins spectaculaire, un repli sur soi. Il existe heureusement un dispositif de soins psychiatriques en prison. Nous allons voir que s’il se révèle lacunaire et d’une efficacité relative, il n’en reste pas moins qu’il semble être l’une des moins mauvaises solutions. Il peut en revanche être détourné si aucune réforme pénale, nottament sur les pouvoirs des magistrats, n’est envisagée. [1] Voir en ce sens : Goffman, op cit. Il définit une institution totalitaire comme un « lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus placés dans le même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées », p41 [2] Mis à part les alliances et objets religieux [3] Les détenus sont soumis au droit disciplinaire mais également au droit pénal. Une faute disciplinaire peut également constituer une infraction pénale. En ce cas, le détenu est jugé au pénal et en commission de discipline [4] Lors des commissions de discipline, la sanction du quartier disciplinaire est le plus souvent prononcé au motif qu’il pourra « réfléchir un peu à ce qu’il a fait ». A juste titre, l’introspection est la seule activité proposée avec l’heure journalière de promenade et les quelques lectures obligatoires proposées [5] Voir Infra p.26 et s. [6] Goffman E., p87 , op. cit [7] Foucault M., Surveiller et punir, Gallimard, 1997, p204 [8] Entretien du 7 Avril 2006 avec le docteur Giron, médecin chef du SMPR du centre de détention de Nantes [9] « (...) les fouilles intégrales sont prévues chaque fois qu’un détenu entre l’établissement (écrou, retour d’extraction judiciaire ou médicale, de permission de sortir, de placement à l’extérieur, de semiliberté, de corvées à l’extérieur), mais également à chaque fois qu’il le quitte (levée d’écrou, transfèrement, extradition, libération, extraction en milieu hospitalier civil ou pénitentiaire, avant le départ en placement extérieur, en semi-liberté, en permission de sortir). A l’occasion des parloirs avec la famille ou les proches, le détenu est fouillé avant et après l’entretien. (...) Enfin, pour éviter les suicides et automutilations, tous les détenus doivent être fouillés intégralement avant un placement à l’isolement ou au quartier disciplinaire. », les mesures de contrôle, article consulté sur le site www.pison.org.eu. [10] Le surveillant est chargé d’inspecter dans l’ordre les cheveux, oreilles, bouche (en faisant tousser le détenu), aisselles, mains entrejambes (il doit écarter les jambes, se pencher en avant et tousser si nécessaire), pieds, voûte plantaire, orteils. D.275 Code de procédure pénale [11] Une cellule n’est prévue que pour un détenu sauf exception. En maison d’arrêt, l’exception est devenue la règle et l’on se retrouve facilement avec 3 détenus dans une cellule prévue pour 1 (9m²). Dans les cellules de plus grande capacité, prévus pour 3, l’effectif atteint couramment les 6 personnes [12] DRESS, « La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus accueillis par les services médicopsychologiques régionaux », n°181, Juillet 2002 [13] Bénézech M, Lamothe P., Senon JL. (1990), « psychiatrie en milieu carcéral », Encycl. Med. Chir. Psychiatrie, 37889 A10 [14] Enquête épidémiologique sur la santé mentale des détenus. DGS/DAP, 2004 [15] Fazel S., Danesh J. Serious discorders in 23000 prisoners : a systematic review of 62 surveys. Lancet 2002 : 359 [16] Senon JL. « Soins ambulatoire sous contrainte : une mise en place indispensable pour préserver une [17] Services médico-psychologiques régionaux, voir infra p.37 et s. [18] DRESS, op cit [19] Lafay N.,Papet N.,Manzanera C., Senon JL., Prison et psychiatrie : à la difficile recherche d’un équilibre entre sanitaire social et judiciaire, Revue pénitentiaire et droit pénal 2000 Cujas Ed, 4, Décembre 2000, 506-523 |