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(2006) Analyse de l’ANVP sur les liens familiaux

Publié le samedi 2 septembre 2006 | http://prison.rezo.net/2006-analyse-de-l-anvp-sur-les/

Les assises du GENEPI

Depuis 30 ans le GENEPI regroupe des centaines d’étudiants qui entrent chaque semaine dans les prisons françaises pour y apporter du savoir, maintenir un lien entre l’intérieur et l’extérieur et favoriser la réinsertion sociale des personnes détenues. À l’occasion de ces 30 ans, le GENEPI a organisé début avril des assises européennes au cours desquelles Raphaël Bonte, président de l’ANVP, est intervenu sur le thème du maintien des liens sociaux et familiaux.

« Je voudrais, d’abord, remercier le GENEPI d’avoir organisé ces Assises Européennes et de contribuer à l’information et au débat public sur les prisons. Les personnes intervenantes sont très diverses, il ne manque ici aujourd’hui que les personnes détenues...

C’est par elles que je voudrais commencer. Pour les visiteurs de prison, les personnes détenues sont des personnes qu’elles rencontrent régulièrement, ce sont des visages, des voix, qui nous parlent de leur situation, mais aussi, beaucoup, de leur famille, de leurs proches, conjoint,
enfants...
Qu’une personne soit en prison ne change rien au fait qu’elle est d’abord une personne, qu’on ne peut réduire à un acte. Et comme toute personne, la personne incarcérée ne se réduit pas à un individu ; elle vit avec des proches et dans une société. Soyons attentifs à éviter toute forme de condescendance : le droit des personnes incarcérées à une vie sociale « normale » doit être garanti comme à toute autre personne, sauf impératif de sécurité motivé et objectif. C’est leur intérêt, c’est aussi l’intérêt de la société, que les personnes détenues ne soient pas désinsérées, afin de limiter les risques de récidive.
Je donnerai quelques exemples de ce qui pourrait, sur la base de ces principes, être fait. Ces exemples s’inspirent, en partie, de travaux récents des associations « Ban Public » et « UFRAMA » que je tiens à remercier.
Certains de ces exemples recouperont probablement ceux de contributions de la table ronde 1 « Les personnes détenues et leurs familles » ; je signalerai particulièrement la question des liens des personnes détenues avec leurs proches non membres de leur famille, et avec la société en général.

Un premier moyen de maintenir les liens sociaux est bien sûr de réduire le recours à l’incarcération en développant des sanctions alternatives, telles que travaux d’intérêt général, sursis...
Un second moyen est de réduire la durée des peines, tout particulièrement par la relance des libérations conditionnelles et le renoncement à la peine de détention à perpétuité ; celle-ci n’est plus appliquée dans un certain nombre de pays d’Europe ; son principe même est une quasi « mort sociale » des personnes. Comment maintenir des liens sociaux et familiaux quand la sortie est à un horizon si lointain et indéfini qu’on ne peut
même y songer ?

Maintenir les liens sociaux, c’est faciliter les visites des personnes détenues par leurs familles, mais aussi par leurs proches. Or, aujourd’hui, après une procédure parfois peu pratique quand on habite loin de l’établissement (bornes sur place...), les délais moyens d’attente pour un permis de visite sont de l’ordre d’une semaine pour les familles ; de l’ordre d’un mois, avec beaucoup de variations et d’aléas, pour les proches non membres de la famille, après enquête préfectorale, et appréciation du chef d’établissement, sur des critères souvent imprécis. Dans certains établissements, les visites régulières de proches sont impossibles par décision du chef d’établissement, au CD de Rennes par exemple.
Il serait hautement souhaitable, pour les personnes détenues, que l’autorisation de visite des proches soit la règle partout, qu’elle ne dépende pas du bon vouloir du règlement intérieur de chaque établissement et de son mode d’application par chaque chef d’établissement ; l’interdiction devrait être l’exception, sur des critères motivés et objectifs.

Une attention particulière devrait être accordée aux personnes détenues de langue étrangère, qui devraient pouvoir être assistées dans leurs liens avec l’extérieur. Certains consulats (Pays-Bas, Italie, par exemple) s’y emploient. Il serait souhaitable d’étendre ces liens avec des consulats, et d’encourager l’intervention de bénévoles parlant des langues étrangères, pour l’appui aux démarches.
Dans le même ordre d’idée, les conditions de communication sont particulièrement délicates pour les personnes détenues sourdes ou aveugles. Des associations spécialisées de bénévoles pourraient être davantage sollicitées.

Les conditions de visite dans les parloirs, malgré quelques progrès, restent inégales selon les établissements.
Les unités de vie familiale doivent cesser d’être expérimentales, se développer, et s’élargir progressivement aux autres relations sociales.
Pourquoi pas des unités de vie familiale et sociale ? Pour les personnes détenues qui n’ont plus de liens avec leur famille ; pour les autres aussi, car la vie sociale n’est pas que familiale.

Les liens ne sont pas que de vive voix. Dans la société, il y a aussi le téléphone, le courrier, le courriel.
Le droit de téléphoner est actuellement réservé aux personnes en centre de détention ; le téléphone est écouté par les surveillants.
Certains établissements réservent les échanges téléphoniques aux liens avec la famille.
Le courrier est censuré, de façon plus ou moins stricte selon les établissements.
Le courriel est impossible. Là aussi, si l’on peut comprendre que les contacts soient contrôlés dans certaines situations, la règle générale devrait être la liberté de communiquer. Ouvrons le débat, il y a de larges marges de progression. Actuellement, tout cela dépend d’abord du règlement
intérieur des établissements ; en tant qu’associations, nous devons demander, pour ne pas dire quémander, des améliorations aux responsables locaux de l’AP. Un cadrage national est à l’évidence nécessaire.

Pour parler quelques instants des visiteurs de prison, ils sont environ 1.500 en France, dont 950 membres de l’ANVP. Les visiteurs de prison viennent rencontrer bénévolement les personnes détenues qui en ont fait la demande. Ils ont, après un agrément initial, une liberté de visite sans nouvelle autorisation. Nous souhaitons cependant des procédures d’agrément accélérées (elles durent couramment 1 an ou plus), et une meilleure information des personnes détenues sur leur droit à un visiteur ; là aussi les situations sont très variables selon les établissements.
Un jour, la personne détenue va sortir. Avoir gardé des liens personnels l’aidera bien sûr grandement pour se « réintégrer » dans la société. Mais ce sera d’autant plus facile que la société sera aussi entrée en prison : bénévoles mais aussi professionnels ; dans la mesure où l’administration pénitentiaire considère que sa mission cesse à la sortie, la suite sera plus facile si travailleurs sociaux, ANPE, chefs d’entreprise, auront pu entrer de façon très naturelle et régulière en détention, et si toutes facilités auront été données aux personnes détenues pour avoir des permissions chaque fois que nécessaire. Cela se fait déjà bien sûr, mais cela manque encore de « fluidité » ; le maximum de liens devrait pourvoir avoir été pris avant la sortie. D’autres pays européens sont plus avancés que nous à ce sujet. A la prison de Freiburg im Breisgau en Allemagne, 137 personnes extérieures, dont 106 bénévoles, interviennent à la prison, pour 1.800 personnes détenues, dans un ensemble très structuré.

Je conclurais en rappelant la grande diversité des établissements quant aux liens sociaux et familiaux. Dans cette diversité, l’administration pénitentiaire centrale ne peut progresser que par petites touches. Tout cela serait plus facile avec une vraie volonté politique ; celle-ci nécessite que nos convictions de bénévoles soient relayées par les politiques et les médias. La période électorale qui s’ouvre est une opportunité.
J’espère que ces Assises contribueront à ce relais nécessaire. »

Raphaël Bonte, président de l’ANVP,
Source : JÉRICHO avril 2006 - n°192