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6 Conclusion

Publié le lundi 28 août 2006 | http://prison.rezo.net/6-conclusion,8428/

6 - CONCLUSION

La mission a tenté au travers du présent rapport de répondre à la commande qui lui avait été confiée sur l’organisation des soins en matière de traitements de substitution en milieu carcéral.
Toutefois, la question de la substitution en prison ne saurait être décontextualisée et la prise en considération des recommandations formulées ci-dessus n’a de sens que si elle s’intègre dans une appréhension globale du dispositif de soins en milieu carcéral et de l’ensemble des pratiques de soins concernant les traitements de substitution en France.

6-1 : UNE MISE EN PERSPECTIVE
6-1-1 : La prise en charge sanitaire des détenus
La prise en charge de la dépendance majeure aux opiacés ne constitue qu’un des aspects de la prise en charge sanitaire des détenus.
D’après le rapport de la mission conjointe IGAS/IGSJ de juin 2001 sur la santé des détenus, si d’indéniables progrès ont été accomplis (en particulier sur le plan somatique) depuis la loi de janvier 1994, des lacunes importantes persistent dans plusieurs domaines :
- l’hygiène et la santé publique ;
- le traitement des troubles mentaux ;
- le suivi des délinquants sexuels ;
- la prise en charge du vieillissement, du handicap et de la fin de vie.
C’est ainsi que sur les 9 recommandations majeures de cette mission, 1 seule porte spécifiquement sur le traitement de la toxicomanie (« une clarification de la doctrine relative à l’utilisation de la substitution en prison doit permettre d’augmenter le recours à ces traitements. La recherche d’une meilleure coordination entre l’ensemble des partenaires doit également se poursuivre »).
Les enjeux de santé publique en prison ont déjà été soulignés à de maintes reprises (y compris par le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France - juin 2000). Les propos des détenus, tels qu’on peut par exemple les analyser dans le rapport d’activité de la « ligne 6 » (ligne d’écoute et de soutien téléphonique mise en place à l’initiative de Sida Info Service à l’Etablissement Public de Santé National de Fresnes - « hôpital national des prisons ») les corroborent directement.
Alors que la ligne est initialement conçue pour répondre à des demandes d’écoute et de soutien en lien avec les pathologies liées au VIH/sida et aux hépatites, la répartition des thèmes médicaux abordés en entretien est significative (activité 2000) : seuls 27,3 % des appels correspondent aux pathologies ciblées.
Les préoccupations sanitaires restent donc multiples. L’amélioration de l’organisation des soins aux patients bénéficiant d’un traitement de substitution n’est donc qu’une des facettes nécessaires dans la prise en considération globale du dispositif sanitaire en milieu carcéral.

6-1-2 : Les mésusages liés aux traitements de substitution
La dimension thérapeutique des traitements de substitution en milieu carcéral peut être dépréciée en raison des mésusages constatés. Cette perception négative amène des intervenants à les dénoncer en invoquant le trafic dont il font l’objet (que ce trafic soit voulu ou subi par les détenus concernés) mais aussi en raison de modes d’administration ne correspondant pas à l’AMM.
Cette question concerne avant tout la BHD (dans sa galénique actuelle et dans ses modalités de délivrance).
Il convient de mettre également en perspective ces mésusages avec :
- la question générale du trafic en prison ;
- les pratiques en milieu libre.

Le trafic
L’existence de trafics en prison est bien antérieure à l’apparition des traitements de substitution en 1996.
D’une part, le milieu carcéral n’a jamais garanti l’imperméabilité vis-à-vis de l’environnement extérieur que l’on pourrait imaginer (que ce soit d’ailleurs sur l’accessibilité à des produits psychoactifs -drogues et médicaments - ou à d’autres matériels). Ainsi :
o dans une étude de l’ORS PACA en 1996 sur 574 détenus, 23 % déclaraient avoir déjà pratiqué l’injection en prison au cours de leur vie ;
o dans une enquête européenne (8 pays participants) réalisée sur 4 sites français (1 212 questionnaires anonymes) en 1997-1998, 32 % des personnes interrogées déclaraient avoir consommé en prison des drogues illicites non injectées et 35 % des usagers de drogues par voie intraveineuse déclaraient s’être injecté de la drogue en prison.
D’autre part, le détournement de médicaments prescrits par les services médicaux existait préalablement à l’arrivée des traitements de substitution.
De nombreux facteurs contribuent aux trafics et aux consommations associées à ces trafics : recherche d’effets psychoactifs, dépendance à l’injection, mais aussi nécessité de se procurer des revenus.
La prison accueille avant tout une population en difficulté sociale. Si l’on retire les personnes inactives (femmes au foyer, mineurs scolarisés), un tiers seulement des détenus exerce une activité régulière et rémunérée avant leur incarcération. Près de la moitié des détenus sont sans emploi au moment de leur incarcération ; pour les jeunes de moins de 25 ans, cette
proportion atteint 62 %.
L’indigence participe certainement aux pratiques de racket, de cantinage et de troc. Dans ce contexte, tout peut devenir une monnaie permettant de pallier à l’indigence, dont le médicament (qu’il soit de substitution ou autre). La proportion importante parmi la population carcérale de détenus dépendant aux drogues illicites et aux médicaments psychoactifs entretient naturellement un marché noir centré sur les traitements de substitution (tant en termes d’offre que de demande).

Les pratiques en milieu libre
Là aussi, la prison ne semble pas créer le mésusage. Les pratiques d’injection ou de sniff du Subutex ou bien l’existence d’un Subutex « de rue » existent en milieu libre (voir les résultats de l’enquête AIDES/INSERM 2002). Au delà de la BHD, la quasi-totalité des répondants de cette même enquête (90 %) déclaraient avoir consommé régulièrement hors prescription le traitement actuellement prescrit (tous traitements confondus).
Ce n’est donc pas la prison qui génère ou qui crée un mésusage des traitements de substitution et les dérives associées à ce mésusage ; elle ne fait que révéler des pratiques existantes en milieu libre et les amplifier en raison du nombre de détenus concernés.
Aussi, s’il est légitime que les équipes sanitaires et pénitentiaires se préoccupent de la question du trafic des traitements de substitution en prison, cette réflexion et les réponses qui lui sont associées ne peuvent être dissociées d’une réflexion sur le contexte général de la substitution en France (molécules, galéniques, cadre de prise en charge, conditions de suivi, etc.).

6-1-3 : La substitution comme outil de la réduction des risques
Le développement des traitements de substitution à partir du milieu des années 1990 en France a essentiellement reposé sur une volonté de réduire les risques infectieux liés à l’injection d’héroïne. A cet égard, les traitements de substitution, au même titre que les programmes de mise à disposition de seringues stériles, constituent un outil de réduction des risques. Le rythme de développement d’une telle politique en milieu libre n’est pas le même que celui constaté en milieu carcéral. Alors que l’offre de soins en substitution s’est progressivement développée en prison (même si la couverture médicale ne correspond pas aux besoins dans les mêmes proportions qu’en milieu libre - voir page 34), les autres outils de la RDR ont toujours des difficultés non seulement à y entrer, mais bien en amont à être envisagés. Seule la distribution d’eau de Javel a fait l’objet d’un accompagnement (circulaire du 5 décembre 1996). L’éventail des mesures et actions pouvant théoriquement diminuer les risques reste à la porte de la prison en France, notamment les mesures concernant l’injection, alors que certains de nos voisins européens les ont au moins expérimentés (Allemagne, Suisse, Espagne). [1]
Pourtant, si les pratiques de consommation de drogues et les risques associés ne diffèrent pas fondamentalement en prison et à l’extérieur, la prison est plus qu’ailleurs régie par le respect de la Loi et des interdits réglementaires. Dès lors, toute démarche fondée sur la reconnaissance de l’usage de drogues illicites ou des risques associés (reconnaissance qui constitue le fondement de la RDR) se heurte à un mur législatif infranchissable.
Cette distorsion ne vient certainement pas faciliter, tant pour les équipes que pour les détenus, une bonne acceptabilité et une bonne pratique de la substitution en prison. Elle contribue aussi à entretenir des représentations négatives chez les personnels pénitentiaires. L’argument légal (interdiction de la consommation de produits stupéfiants) limite de fait une approche plus globale de la réduction des risques sanitaires.

6-1-4 : Les conséquences de la politique pénale
Aux termes de la loi de 1970, la consommation et le trafic de produits stupéfiants constituent une infraction passible de peines d’amendes et d’emprisonnement. Si le fondement légal est clair, l’extrême variation de l’interprétation du texte et les politiques pénales successives altèrent la lisibilité de la fonction thérapeutique des traitements de substitution, et ont un impact direct sur l’organisation des soins en matière de substitution en prison. De façon plus générale, la politique pénale française tend pour de nombreux délits et infractions à privilégier l’incarcération à d’autres peines, particulièrement pour les ILS. Cette démarche participe d’une surreprésentation en milieu carcéral de détenus précarisés socialement, fait le lit de nombreux problèmes d’hygiène accrus par la surpopulation et exacerbe les problèmes de racket/trafic.
Là encore, même si nous arrivons aux frontières de l’objet de notre mission, la politique de substitution en milieu carcéral ne peut pas être dé-contextualisée de la politique pénale globale. Un certain nombre d’obstacles à une bonne pratique des traitements de substitution (tant chez les équipes sanitaires que chez les détenus) pourraient être sinon levés, du moins atténués par une adaptation de la politique pénale (peines alternatives à l’incarcération, encellulement individuel, amélioration des conditions de détention, instauration d’un revenu minimum en détention, etc.).

6-2 : DES FACTEURS CONDITIONNANT OU LIMITANT CLAIREMENT IDENTIFIES
6-2-1 : Remarque préliminaire

Les conditions de l’application des recommandations du présent rapport seront étroitement liées aux effectifs soignants disponibles dans les établissements pénitentiaires ainsi qu’aux configurations des établissements :
 de nombreux choix dans l’organisation des soins sont de toute évidence moins déterminés par une « politique » soignante (ce qui était encore faux il y a peu) que par la réalité de ce que l’effectif soignant permet ; nous ne pouvons donc pas suggérer la même organisation des soins à deux établissements de taille identique mais dont l’un ne possède qu’une UCSA
« sinistrée » en personnel et l’autre une UCSA, un SMPR et un CSST en « bonnes santés ».

6-2-2 : Facteurs spécifiques
La spécialisation des équipes
Les établissements dotés d’équipes spécialisées intra-carcérales (SMPR et/ou CSST) sont ceux présentant le plus grand nombre de patients substitués dans notre enquête (ce sont aussi les établissements de plus grande taille, drainant la population la plus urbaine) mais aussi ceux pour lesquels la globalité de la prise en charge (volet social, suivi psychologique, préparation à la sortie) apparaît le plus clairement.

La taille des établissements
Dans les établissements de petite et moyenne tailles, la délivrance quotidienne reste le plus souvent compatible avec l’individualisation de la prise en charge et la confidentialité du soin.
Dans les grands établissements (> 600 places), si l’on veut maintenir l’individualisation de la délivrance quand elle est nécessaire pour certains patients, la délivrance aux autres détenus substitués impose la remise du traitement en détention.
En ce sens, l’application à la lettre de la circulaire VIH de 96 préconisant une délivrance quotidienne des traitements de substitution, paraît incompatible avec la facilitation de l’accès aux soins souhaitée par tous.
Ce n’est là que le constat général de la difficulté à gérer d’un point de vue humain des établissements de trop grande taille

Le type d’établissement
Les maisons d’arrêt pour femmes ont la proportion de patients substitués la plus conséquente et les centrales la moins importante (nulle dans notre enquête). Une vraie réflexion mérite d’être initiée à ce sujet : que signifie le soin en substitution dans un contexte où le patient est enfermé pour une durée prolongée (plus de 10 ans) dans un milieu où il n’a normalement pas accès aux opiacés ?

Les relations inter-professionnelles
L’existence d’une volonté de communication entre catégories professionnelles semble favoriser, paradoxalement, la confidentialité des soins par une meilleure connaissance des prérogatives de chacun et des enjeux.
Patient, équipes pénitentiaires et équipes soignantes émettent tous le besoin d’une meilleure formation/information et notamment de formations communes pénitentiaires/soignants.

L’accès aux soins
L’incarcération peut être considérée comme une situation de sevrage imposée au cours d’un processus toxicomaniaque parfois actif. La restriction des traitements à ceux préalablement prescrits fait perdre l’opportunité d’initier une possible démarche de soin.

L’indispensable travail en réseau
L’étape carcérale n’est qu’un « instant » du parcours du patient.

L’envisager sans envisager
les relais est illogique et même dangereux (les soins ne seraient-ils possibles qu’en prison ? !).

Les difficultés rencontrées par les équipes et les détenus
Certains modes de délivrance des traitements renvoient les équipes à la contradiction entre logique sécuritaire et soignante, au risque de l’épuisement et de la démotivation. Quelques soient les ambiguïtés sanitaires ou structurelles auxquels ils sont confrontés, leurs missions méritent d’être clarifiées et orientées dans le sens du soin.
De même, les détenus évoquent des délivrances infantilisantes, les confrontant aux pressions et les conduisant à la transgression au dépend de l’individualisation du soin. Il soulignent aussi la fatigabilité liée à l’organisation de la délivrance quant cette dernière est quotidienne.

6-3 : CE QUE NOUS APPREND LA PRISON
Nous souhaitons conclure ce rapport sur une perspective positive de travail. L’évaluation des thérapeutiques de substitution en prison met en exergue, plus qu’ailleurs, des questionnements concernant aussi bien les professionnels de santé, intervenants en toxicomanie, associations de RDR, associations d’auto-support que tutelles sanitaires et laboratoires pharmaceutiques.
Ceux-ci ont trait à
- l’accès aux soins
- la dépendance aux traitements de substitution
- la sortie de la substitution (ie la fin de l’indication de soin en substitution)
- le projet thérapeutique en substitution
- les problématiques liées aux mésusages du traitement de substitution
- le secret médical partagé
Il ne s’agit pas dans cette partie conclusive finale d’apporter des réponses mais de souligner des pistes de travail collectives dont les acteurs cités plus haut devraient s’emparer.

L’accès aux soins
La prison serait-elle un lieu privilégié (sevrage au moins partiel des consommations, proximité d’équipes de soins parfois très spécialisées, réactualisation des liens affectifs et familiaux...) pour aborder la question du soin et plus particulièrement de l’initiation des traitements de substitution ? L’éthique ne peut que se troubler de la conjonction soin et sanction alors que la loi de 1970 aurait du permettre l’alternative (soin ou sanction).

La dépendance aux traitements de substitution
Plus qu’en milieu libre, la dépendance au traitement de substitution est manifeste. Il n’est pas rare dans les entretiens avec les détenus d’entendre dire « à la sortie, j’arrête ; c’est encore plus dur que l’héroïne ; on était moins accroc à l’héroïne avant » etc. Ce phénomène de la dépendance n’est pas spécifique à la prison, mais il est plus particulièrement révélé lors d’une incarcération. En effet, d’une part cette dernière est anxiogène ; d’autre part, le temps procuré par l’incarcération amène plus facilement à réfléchir ou se questionner sur le parcours dans la toxicomanie et le soin. Le questionnement autour de la dépendance au traitement de substitution n’en devient que plus prégnant et les réflexions qui porteront sur ce sujet ne pourront que nourrir l’analyse plus générale de ce phénomène, qui doit interpeller tous les acteurs de la substitution (soignants/ soignés/ intervenants). Les stratégies de diminution des posologies ou de « décrochage à la dure » mises en place par les détenus devraient faire l’objet d’une attention particulière en ce qu’elles constituent un des symptômes de cette dépendance.

La sortie de la substitution
Dans la prise en charge globale des usagers de drogues en traitement de substitution, la question de la sortie de la substitution (la fin du traitement) est souvent difficilement envisagée. La durée même de ces traitements, de nature « indéterminée » (on sait quand on les commence, on ne sait pas quand on les arrêtera), ne facilite pas la mise en place d’un cadre clair autour de cette question, tant chez le soignant que chez le soigné.
Cette problématique est très clairement soulevée par la prise en charge des détenus dépendants aux opiacés en centrale ou en centre de détention : comme on l’a vu plus haut, que signifie le soin en substitution dans un contexte où le patient est enfermé pour une durée longue (plus de 10 ans) dans un milieu où il n’a normalement pas accès aux opiacés ?
Là encore, la prison pointe plus qu’ailleurs un des questionnements majeurs autour de la substitution, que le développement rapide sur les 6 dernières années a occulté. Rappelons que le nombre de personnes en traitement de substitution est passé de quelques milliers en 1995/1996 à 90 000 aujourd’hui. Ce sont autant de personnes pour lesquelles cette question se posera, de la même façon qu’elle est d’ores et déjà posée pour les détenus frappés de longues peines. [2]

Le projet thérapeutique
En prison plus qu’ailleurs, le soin sans projet thérapeutique semble plus sanctionné par des dérives, rapidement ressenties par les équipes sanitaires et les détenus, mais aussi par les personnels pénitentiaires. Si elle est clairement posée, gageons que la nécessité d’un cadre thérapeutique clair en substitution (tel que nous avons pu le définir en introduction à nos recommandations) permettra de nourrir, en milieu libre, la pratique des personnels soignants et l’appropriation par les dépendants majeurs aux opiacés d’une véritable relation de soin. Ce cadre, ou contrat thérapeutique, devrait être évolutif au cours de la prise en charge et des
étapes successives du traitement.
Dans un contexte où émergent les questionnements autour de la substitution (trop souvent réduits aux impasses et aux dérives constatées), cette notion de cadre thérapeutique devrait permettre d’introduire une certaine sérénité dans le débat.
Enfin, si elles sont initiées en prison, de mauvaises pratiques en termes de prescription et de suivi du traitement de substitution peuvent être lourdes de conséquences sur l’extérieur, en particulier dans la représentation de la relation au soin qu’auront les personnes en substitution (risque de distanciation avec la relation de soin, d’assimilation du traitement de substitution à un « produit-drogue », etc.).

Les problématiques liées au mésusage
En milieu libre comme en milieu carcéral, la gestion quotidienne d’un traitement de substitution peut révéler des mésusages (en particulier dans les modes de prise du traitement :
injection, sniff, etc.). De nombreuses études ont documenté ces phénomènes. Ces mésusages (non dénués de conséquences sanitaires pour le patient) peuvent répondre, chez la personne en substitution, à des insatisfactions dans la forme actuelle des médicaments de substitution et/ou dans les conditions de suivi du traitement ; ils sont souvent difficilement - et rarement - abordés avec le médecin. Si l’on s’intéresse plus particulièrement à l’injection, l’interdit légal et réglementaire, mais aussi moral, qui règne dans la prison autour de cette pratique la rend encore plus sensible qu’ailleurs. Pourquoi alors ne pas s’emparer pleinement de ces mésusages qui, là encore, s’ils sont pré-existants à l’incarcération, sont encore plus problématiques au regard des tabous qu’ils soulèvent en prison ? Le débat public sur les questions liées au mésusage de la substitution en général s’en trouverait certainement enrichi.
Les phénomènes relevant du mésusage pourraient être considérés comme des outils thérapeutiques permettant de réévaluer et adapter le contrat thérapeutique entre le médecin et son patient, face à des insatisfactions et difficultés constatées ou exprimées. A cet égard, le maintien de l’injection ne peut pas être une contre-indication au traitement de substitution mais doit s’inscrire dans une étape qui implique une relation avec le soignant. Ouvrir un espace de dialogue et autoriser une parole autour d’un geste interdit, cela peut permettre à la personne de prendre soin d’elle dans un accompagnement thérapeutique.

Le secret médical partagé
Les difficultés relatives à la prise en charge globale des détenus en substitution posent très clairement la question du secret médical partagé. Si celui-ci est une illusion légale, il constitue une réalité pratique du fait de la promiscuité carcérale.
Seul le patient peut théoriquement délivrer le médecin, par son entremise, du secret médical.
Le médecin reste cependant détenteur de la décision de transmettre ou non, le secret lui appartenant, même s’il ne peut théoriquement pas l’opposer au patient.
En terme strictement légal, le médecin ne peut donc pas communiquer sauf si le patient le demande. En terme soignant, la cohérence de l’organisation de la prise en charge impose que l’équipe sanitaire puisse échanger avec les partenaires, sous le contrôle du patient, afin que le secret ne devienne pas une « perte de chance » pour lui.
Informer le SPIP d’un projet de sortie, le personnel pénitentiaire de la dégradation de l’état psychique d’un patient, les magistrats de la nécessité de faire effectuer une expertise...peuvent sembler naturel mais restent une infraction à la règle du secret si le patient n’est pas partie prenante.
Toute la question est donc centrée sur la qualité de l’information transmise au patient et l’échange avec lui plus que sur une opposition sanitaire pénitentiaire, sachant que la Loi du 04 mars 2002 modifie considérablement les équilibres soignants-soignés, équilibres encore plus
sensibles en milieu carcéral.
Une vraie réflexion éthique s’impose à ce propos, devant questionner si besoin le cadre législatif.
C’est pour ces raisons que la prison, et plus particulièrement la substitution en prison, doit nous apprendre quelque chose et contribuer aux débats en matière de santé publique et de réduction des risques en général, de prise en charge de la dépendance majeure aux opiacés en particulier.

[1] Parmi les arguments opposés à l’installation d’échange de seringue en prison figurent la crainte que cette dernière soit utilisée comme une arme ou qu’elle incite à la consommation de drogues. L’analyse des expériences européennes suscitées infirment ces craintes

[2] Soyons clairs : il ne s’agit pas pour nous de s’opposer idéologiquement à la poursuite ou à l’initiation d’un traitement de substitution chez un détenu frappé de longue peine... mais bien de pointer la question qu’elle soulève