4 - INVESTIGATION SUR LE TERRAIN
4 - 1 : MATERIEL ET METHODE
Des questionnaires spécifiques ont été élaborés à destination des :
- équipes soignantes
- personnels pénitentiaires
- patients toxicomanes incarcérés (annexe 3, page 68).
Questionnaire « équipes soignantes » : entretien semi-directif avec questions semi-ouvertes ou ouvertes (avec le médecin référent désigné par le Chef de Service de l’UCSA ou du SMPR et parfois des représentants de l’équipe soignante) évaluant le type de dispositif existant et les propositions des soignants. Passation sur le lieu de détention ou dans l’hôpital de rattachement par un investigateur unique [1]. Le questionnaire a été légèrement modifié au cours des premières passations afin de tenir compte des suggestions des personnes interrogées.
Les établissements pénitentiaires ont été choisis afin d’être représentatifs sur des critères :
o de dispositif de soin existants : UCSA et/ou SMPR et/ou CSST ;
o de taille d’établissement ;
o de type d’établissement (Maison d’Arrêt, Etablissement pour peine,
Etablissement pour hommes, Etablissement pour femmes) ;
o de représentativité géographique.
Questionnaires « personnels pénitentiaires » : entretien semi-directif avec questions ouvertes ou semi-ouvertes portant sur la connaissance du dispositif de soins dans l’établissement concerné, la perception des traitements de substitution et les suggestions ou demandes afin d’améliorer le dispositif actuel.
Trois établissements ont été retenus (trois Maisons d’Arrêt, une en Ile de France et 2 en province) avec passation sur place par deux investigateurs [2], lors d’entretiens individuels avec l’ensemble des catégories de personnels pénitentiaires (personnels de direction, chefs de service pénitentiaire, premiers surveillants, CIP, surveillants soit 8 à 10 entretiens par établissement).
Questionnaires « détenus » : entretien semi-directifs avec questions ouvertes ou semiouvertes portant sur le type de prise en charge actuelle, les attentes et demandes afin d’améliorer cette prise en charge, la perception du dispositif de soin et de son intégration dans l’ensemble de l’établissement.
Sélection des détenus ayant participé à l’évaluation : deux populations distinctes ont été recrutées :
o La première représentée par des détenus déjà suivis par des correspondants locaux de AIDES intervenant en prison (8 établissements) ; investigateurs multiples [3].
o La seconde, selon des modalités adaptées aux établissements visités pour ceux où il n’y avait pas d’intervention de AIDES (8 établissements également) ; investigateur unique [4].
Les entretiens ont été effectués soit aux parloirs « Avocats », soit dans les locaux des UCSA/SMPR, soit dans les locaux habituellement utilisés par le SPIP.
L’enquête sur le terrain a été réalisée entre les mois d’octobre 2002 et mars 2003.
L’ensemble des établissements, des équipes soignantes et des correspondants locaux ont accepté le principe de l’enquête et ont répondu à nos demandes avec beaucoup de disponibilité et d’attention.
Un ordre de mission à été délivré par la DGS et un courrier circulaire transmis par la DAP à l’ensemble des Directions Régionales concernées afin de faciliter notre démarche annexe 4 page 73).
4 - 2 : RESULTATS
4-2-1 : ENQUETE SANITAIRE
4-2-1-1 : présentation du recueil de données
Au total, 22 questionnaires ont été complétés, concernant :
- 13 Maisons d’Arrêt Hommes (Metz, Villefranche, Grasse, Nice, Nîmes, Fleury-Mérogis, Nanterre, Toulouse, Bayonne, Clermont, Riom, Loos, Angoulême),
- 2 Maisons d’Arrêt Femmes (Fresnes, Rennes),
- 1 Centre des Jeunes Détenus (Fleury-Mérogis),
- 3 Centres de détention Hommes (Tarascon, Loos, Muret),
- 2 Centrales Hommes (Poissy, Riom),
- 1 Centre de Détention Femmes (Rennes).
Six établissements disposent d’un CSST intra-carcéral. Celui-ci est en général étroitement associé dans son fonctionnement à celui du SMPR et a le même chef de service.
Onze établissements (dont les 6 disposant d’un CSST) disposent d’un SMPR (en fait, 7 sur l’ensemble des 26 SMPR français, les CD - Muret, Loos, Rennes - n’étant pas le siège de SMPR mais bénéficiant des prestations du SMPR, et le CJD de Fleury faisant partie de la maison d’arrêt).
L’importance de la charge de travail représentée par les soins aux détenus bénéficiant d’un traitement de substitution est quasi-impossible à déterminer en raison de son intrication avec le reste du fonctionnement des structures de soins. Il est rare que des temps soignant, médical ou psychologique précis soient individualisables.
Il paraît néanmoins clair que cette charge de travail est importante et en général sous-évaluée par les équipes concernées si l’on tient compte des temps consacrés à :
- La commande et les formalités administratives associées (récapitulatifs...).
- La préparation des traitements.
- La délivrance (incluant la surveillance et l’échange associé) des traitements.
- Les prescriptions médicales (sans compter le temps médical consacré au patient qui n’est pas spécifique des patients sous substitution).
- Le temps consacré aux recadrages des patients en difficulté.
- Le temps consacré aux reprises institutionnelles (en générale nécessaires et nombreuses) que ce soit au sein des équipes de soin ou avec le personnel pénitentiaire, les tutelles, directions....
L’entretien a eu lieu avec le médecin référent « toxicomanie » désigné par le chef de service du SMPR/CSST quand ils existent ou de l’UCSA. Un ou plusieurs représentants de l’équipe infirmière ont occasionnellement participé à l’échange ou partie de l’échange.
Les médecins référents désignés sont :
- Dans 12 cas sur 16 (et non 22 puisque le référent pouvait exercer dans deux établissements visités, Maison d’Arrêt + Centre de détention par exemple) psychiatres de formation.
- Dans un cas médecin généraliste.
- Dans un cas médecin de Santé Publique.
- Dans deux cas médecins Anesthésistes/Réanimateurs de formation.
Trois médecins sur les 16 ont une formation universitaire en addictologie (Capacité...).
Trois médecins (dont un des trois ci-dessus) exercent par ailleurs dans un CSST en dehors de la prison, l’un des 3 étant également responsable d’une ECIMUD.
L’ensemble de la population carcérale évaluée est de 11 168 détenus (effectif au jour de l’enquête dans chaque établissement), soit environ 20 % de la population carcérale totale.
Sur l’ensemble de ces détenus, 7,8 % (870) bénéficient d’un traitement de substitution, dont 709 par BHD soit 81,5 % des substitués et 6,35 % de la population pénale étudiée, 161 par méthadone (18,5 % des substitués et 1,44 % de la population pénale étudiée).
Ces chiffres sont en croissance comparativement à ceux de l’enquête DGS/DHOS de décembre 2001 (5,4 % de la population pénale bénéficiait d’un traitement de substitution, dont 4,6 % par BHD et 0,8 % par méthadone) mais doivent être relativisés puisqu’ils ne portent que sur un échantillon de la population pénale (échantillon dans lequel sont surreprésentés les établissements dotés de SMPR et CSST, respectivement 11/22 et 6/22).
Le pourcentage de personnes substituées varie notablement d’un type d’établissement à l’autre (aucun détenu substitué dans les deux centrales pour hommes, 5,16 % pour l’ensemble des 3 CD contre 8,57 % en moyenne (757/8830) pour les 13 Maison d’Arrêt Hommes).
Ces variations existent également d’une Maison d’Arrêt à l’autre (2,1 % pour un petit établissement de l’Ouest contre 15 % et même 16,2 % de la population pénale pour les 2 grosses Maisons d’Arrêt proches de la frontière belge).
Les établissements dotés de structures spécialisées (SMPR, CSST) sont ceux présentant le plus important pourcentage de patients substitués (cf. tableau 2).
Fleury-Mérogis, traditionnelle détentrice du record de détenus substitués du fait de sa population pénale, est dans la moyenne des maisons d’Arrêt avec 7,8 % de détenus.
Tableau 2
4-2-1-2 : Mise à disposition des traitements de substitution
Un seul établissement (CD) n’offre pas la possibilité au détenu de maintenir un traitement de substitution préexistant, et ceci uniquement pour la méthadone (en raison de conflits institutionnels et d’une insuffisance de moyens). Il est alors proposé au détenu substitué par méthadone d’être réorienté en Maison d’Arrêt ou d’être sevré.
Cependant, on peut noter que parmi l’ensemble des établissements visités, 3 n’ont aucun patient sous BHD (1 quartier mineur et les 2 centrales pour hommes, posant la question de la place de ces traitements dans le cadre des longues peines), 6 aucun patient sous méthadone (dont le quartier mineur et les deux centrales hommes, mais aussi 3 maisons d’arrêt dont 2 dans lesquelles le seul intervenant en toxicomanie présent n’intervient plus).
Concernant l’initialisation des traitements de substitution :
?? 3 sur 22 ont pris l’option de ne pas initialiser la méthadone (1 Centrale, 1 CD, 1 MA).
?? 3 sur 22 ont pris l’option de ne pas initialiser la BHD (1 Centrale, 1 CD, 1 MA).
Ces choix sont justifiés :
?? Pour la Centrale par l’absence de demande.
?? Pour le CD par l’absence de moyen disponible et des conflits institutionnels.
?? Pour une des maisons d’Arrêt, par le choix délibéré de privilégier la méthadone, considérée comme plus adaptée au milieu carcéral et plus fiable car plus contrôlable, et pour l’autre, par des habitudes de prescription centrées sur la BHD, considérée comme plus « sûre » lors de mésusages.
4-2-1-3 : Contrôles urinaires
Neuf établissements sur les 22 ne pratiquent aucun contrôle urinaire.
Dans les autres établissements, la prescription de contrôles urinaires est rare ou exceptionnelle, réservée aux détenus entrants ne pouvant justifier d’une prescription et aux situations d’impasse thérapeutique.
Les médecins également référents d’un CSST hors du milieu carcéral disent moins les utiliser en prison qu’à l’extérieur, en percevant moins d’indications cliniques.
4-2-1-4 : Poursuite des traitements de substitution
Reconduction
- Méthadone
Un seul établissement (CD) ne poursuit pas les traitements par Méthadone (Cf. ci-dessus).
La vérification d’une prescription antérieure est systématiquement effectuée auprès du prescripteur, du CSST ou de la pharmacie de délivrance (en général en attente de pouvoir contacter le prescripteur). Une demande de confirmation par fax est parfois demandée (1 établissement). Dans les établissements pour peine, les prescriptions inscrites sur le dossier provenant du précédent établissement suffisent. La posologie est en général maintenue après examen clinique, avec réevaluation en cas de posologies élevées.
- BHD
Tous les établissements poursuivent un traitement par BHD préexistant.
Quatorze établissements sur 22 acceptent, en fonction de l’évaluation clinique, de prescrire à l’entrée un traitement par BHD sur les propos seuls du détenu quand la prescription n’est pas vérifiable. En établissement pour peine, la question est simplifiée par la transmission du dossier médical du précédent établissement dans lequel les prescriptions sont relevées. Quatre Maisons d’Arrêts ne pérennisent la BHD que si une confirmation téléphonique peut être obtenue.
Qui prend la décision ?
C’est le dispositif local de soins qui détermine l’identité du prescripteur et du médecin prenant la décision du maintien du traitement. Lorsqu’un dispositif spécialisé existe (CSST intracarcéral ou intervenant en toxicomanie extérieur), il intervient prioritairement. Dans les autres établissements, la répartition des tâches entre le SMPR ou le psychiatre extérieur et les médecins de l’UCSA dépend des dispositifs locaux et de leur histoire. Les SMPR, quand ils sont présents, sont plus sollicités dans l’évaluation, la prescription notamment de méthadone et l’organisation des soins. A contrario, les UCSA sont plus concernées par la délivrance des traitements notamment la BHD, suivant en cela les recommandations de la circulaire de 1994.
Posologies
Les posologies extérieures de méthadone sont habituellement reconduites, étant plus facilement vérifiables que celles de BHD. Une nuance est cependant apportée quand les posologies dépassent les seuils de 90-100 mg.
Trois établissements (2 MA, 1 CD) limitent les posologies à 8 mg par jour de BHD, estimant que cliniquement ses posologies sont habituellement suffisantes et que les reliquats font en général l’objet de trafics. Huit établissements s’en tiennent à l’évaluation clinique en tenant compte de l’Autorisation de Mise sur le Marché (limitant à 16 mg/j). Les autres établissements tolèrent, quand cela leur paraît justifié cliniquement, des posologies supérieures à 16 mg par jour.
4-2-1-5 : Initialisation des traitements de substitution
- Méthadone
Depuis la circulaire du mois de janvier 2002, la primo-prescription de méthadone est étendue à l’ensemble des praticiens des Etablissements Publics de Santé. L’initialisation par un traitement méthadone est donc devenue possible dans les établissements pénitentiaires ne possédant pas de CSST intra-carcéral ou d’intervenant d’un CSST extérieur.
Qu’en est-il en pratique quotidienne ?
Comme nous l’avons vu plus haut, trois établissements sur 22 ont pris l’option de ne pas initialiser la méthadone (1 Centrale, 1 CD, 1 MA) pour des motifs que nous avons détaillé.
Cependant, dans la majorité des autres établissements, si l’initialisation est possible, elle est décrite comme rare voire exceptionnelle (les motifs évoqués sont la brièveté des séjours, la réticence des détenus à bénéficier d’un traitement méthadone, la difficulté à organiser le relais post-pénal, le « risque » associé à la méthadone).
La décision d’initialisation est systématiquement prise par le médecin désigné référent « toxicomanie » (concrétisant ainsi le plus souvent une réflexion institutionnelle). Celui-ci est souvent aussi le prescripteur.
- BHD
Trois sur 22 ont pris l’option de ne pas initialiser la BHD (1 Centrale, 1 CD, 1 MA) pour des raisons déjà détaillées ci-dessus.
La décision est en général également prise par le médecin référent « toxicomanie » identifié sauf dans deux maisons d’arrêt (l’une à forte population pénale, l’autre présentant le pourcentage le plus élevé de patients substitués par BHD) disposant d’un SMPR (également CSST dans un cas) et d’une UCSA qui se répartissent les initialisations.
4-2-1-6 : Délivrance des traitements de substitution
- Méthadone
Dans tous les établissements pénitentiaires, la méthadone est délivrée quotidiennement, weekends et jours fériés compris, et prise devant soignant.
Lieu de délivrance
Lorsqu’un SMPR/CSST existe, la délivrance a lieu dans ses locaux à l’exception d’un établissement pour lequel la délivrance se fait dans les locaux de l’UCSA (par du personnel UCSA ; c’est cette même maison d’arrêt qui a pris l’option de ne pas initialiser la méthadone).
Dans les autres établissements uniquement dotés d’UCSAs, la délivrance se fait dans leurs locaux à l’exception de deux établissements qui délivrent la méthadone en détention en même temps que les traitements à visée somatique.
Personnel délivrant la méthadone
Dans les établissements dotés de SMPR/CSST, la délivrance est effectuée par son personnel soignant (à l’exception d’une maison d’arrêt dotée d’un SMPR, dont c’est le personnel UCSA qui délivre dans ses locaux la méthadone, cf. supra).
Dans les autres établissements, c’est le personnel soignant de l’UCSA qui effectue la délivrance. Dans 2 de ces établissements (une maison d’arrêt et un CD) ce sont des infirmières de formation psychiatrique et intégrées dans l ‘équipe de l’UCSA qui la réalisent en semaine.
Week-ends
La délivrance du week-end donne lieu à quelques aménagements.
Dans une MA et un CD dotés d’un SMPR commun, c’est l’équipe de l’UCSA qui effectue la délivrance du week-end par insuffisance d’effectif SMPR/CSST.
Dans une MA dotée d’un SMPR/CSST, la délivrance du week-end est toujours effectuée par l’équipe SMPR/CSST mais dans les locaux de l’UCSA.
Dosages plasmatiques de méthadone
Des méthadonémies sont occasionnellement effectuées dans cinq maisons d’arrêts.
La formation initiale des médecins référents influe vraisemblablement sur la pratique de cet examen puisque alors que 3/4 des médecins référents « toxicomanie » rencontrés sont psychiatres, 3/5 des référents intégrant cette évaluation dans leur pratique ne le sont pas.
- BHD
Il existe de grandes variations dans la délivrance de BHD d’un établissement à l’autre.
Lieu de délivrance
Dans 6 établissements, la délivrance est effectuée exclusivement en détention.
Dans 7 établissements, la délivrance a lieu exclusivement à l’UCSA.
Dans 4 établissements, la délivrance a lieu dans les locaux du SMPR (ou du CSST quand ils sont individualisés).
Dans 5 établissements (toutes des maisons d’arrêt de grande taille), il existe un dispositif mixte, prévoyant :
- soit une délivrance initiale en lieu de soin pendant une période donnée (7 jours dans 2 maisons d’arrêt et 10 jours dans une troisième) afin d’évaluer la connaissance du traitement et d’informer des risques associés au mésusage, puis en détention ;
- soit une délivrance habituellement en lieu de soin mais aussi en détention chez les patients faisant preuve d’une compliance suffisante (2 maisons d’arrêt).
Personnel délivrant la BHD
- Dans 13 établissements (dont 1 doté de SMPR et un CD dont la MA proche dispose d’un SMPR/CSST), c’est exclusivement l’équipe de l’UCSA qui délivre la BHD, la tâche étant confiée aux infirmières de formation psychiatrique dans deux cas (2 fois par semaine dans un CD, tous les jours sauf le week-end dans une maison d’arrêt) avec une mission d’information et d’éducation à la santé ;
- Dans 4 établissements, c’est exclusivement l’équipe du SMPR/CSST qui délivre la BHD ;
- Dans 4 établissements (2 établissements d’un point de vue fonctionnel : CJD + MA, CD + MA), il existe un partage des tâches entre SMPR/CSST et UCSA. Ce partage se fait soit par répartition des quartiers de détention soit dans le cas du CD en alternant une semaine sur 2 l’équipe devant effectuer la délivrance.
A noter dans un certain nombre d’établissements une forte participation des préparateurs en pharmacie non seulement à la préparation des traitements de substitution mais aussi à la délivrance en détention.
Rythme et type de délivrance
- Dix-sept établissements (77 %) effectuent une délivrance quotidienne de la BHD, 11 (50 %) demandant que la prise se fasse devant soignant (dans les autres cas, la BHD est remise en main propre sous blister) et 5 (23 %) pilant les comprimés pour mieux contrôler la prise.
- Deux établissements effectuent une délivrance mixte, quotidienne usuellement, mais aussi deux fois par semaine ou hebdomadaire quand cela est possible (bonne compliance du patient).
- Trois établissements effectuent en règle générale une délivrance 2 fois par semaine (l’un des établissement proposant une délivrance 2 fois par semaine ou hebdomadaire selon la compliance du patient).
En cas de trafic ou de difficulté thérapeutique, cette délivrance est le plus souvent adaptée selon l’évaluation clinique avec retour possible à une prise sublinguale devant soignant.
Il faut noter que :
- les 5 établissements ne proposant pas une délivrance strictement quotidienne sont tous des maisons d’arrêts de grande taille ou amenés à gérer un grand nombre de patients substitués.
- les 5 établissements pilant la BHD sont des établissements de très petite taille et/ou ayant un très faible effectif de patients sous BHD (moyenne de 233 détenus pour ces établissements et une moyenne de 2 % de patients sous BHD).
Il semble par ailleurs que plus la taille de l’établissement est faible, plus la proportion de détenus sous BHD est minime (crainte de la stigmatisation ?).
Week-ends
Le dispositif change peu en général.
Dans trois établissements proposant une délivrance quotidienne en semaine (dont deux avec prise sublinguale devant soignant), le traitement est remis pour 2 ou 3 jours avant le weekend.
Dans une autre situation, le soignant du SMPR/CSST se déplace à l’UCSA le week-end pour la délivrance du traitement.
4-2-1-7 : Co-prescriptions
Tous les interlocuteurs (sauf un) disent avoir comme politique de limiter les co-prescriptions avec un traitement de substitution mais sont aussi unanimes à admettre que c’est extrêmement difficile à respecter.
L’accent est mis sur les benzodiazépines et le risque de leur association avec aussi bien BHD que méthadone
Les difficultés évoquées sont moins liées aux prescriptions de médecins extérieurs qu’à celles d’autres établissements pénitentiaires dont provient le patient [5]. La réduction ou l’arrêt sont particulièrement difficiles à négocier car issues de médecins exerçant en milieu carcéral.
Un sevrage progressif est le plus souvent proposé. Une structure sèvre brutalement et l’autre remplace les benzodiazépines par du méprobamate.
Néanmoins, certains tolèrent plus facilement l’association méthadone-benzodiazépines (3 établissements), estimée moins dangereuse, d’autre celle BHD-benzodiazépines (1 établissement). Certains excluent toute prescription BHD-benzodiazépines (2 établissements).
Quatre établissements prescrivent une benzodiazépine lorsqu’une co-morbidité psychiatrique est repérée (c’est alors une prescription émanant du psychiatre).
4-2-1-8 : Prise en charge
Réunions institutionnelles
Sept établissements n’ont aucune réunion institutionnelle centrée sur la toxicomanie, faute de temps. Ce sont tous des établissements ne disposant que d’une UCSA.
Les autres ont un temps institutionnel plus ou moins spécifiquement consacré aux traitements de substitution ou à la toxicomanie en général.
Suivi social
Huit établissements proposent systématiquement ou à la demande un suivi social (tous sont SMPR), les autres s’en remettant au Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation.
Prise en charge ou suivi psychiatrique
Quatre établissements estiment être en difficulté lorsque un avis ou un suivi psychiatrique s’avèrent nécessaire (2 CD, 2 maisons d’arrêt ne disposant pas de SMPR).
Suivi psychologique
Se fait dans la majorité des établissements à la demande du patient ou sur orientation de l’équipe.
Le contact avec un(e) psychologue est systématique dans un établissement, systématiquement proposé dans 5 établissements (dont 4 dotés d’un SMPR et 2 d’un CSST), sachant que dans 2 de ces établissements, l’entretien accueil arrivant est effectué par un des psychiatres du SMPR.
Activités thérapeutiques
Des activités thérapeutiques destinées aux détenus toxicomanes sont proposées dans 6 établissements (5 dotés d’un CSST, 1 sans SMPR ni CSST).
Education à la Santé
Sept établissements (soit le tiers) n’ont pas de programme d’éducation à la santé.
Pratiques à risque
Injection : 12 établissements (sur 22) ont eu connaissance de pratiques d’injections, 4 par ouïdire (3 MA, 1 CD) et 8 (2 CD, 1 centrale, 5 MA) ayant des preuves directes (2 fois des vols de seringues, les autres fois du matériel retrouvé). Un tiers (4/12) de ces établissements sont des établissements pour peine dans lesquels le maintien de pratiques à risques semble donc plus fréquent que supposé.
Autres pratiques à risque : 10 établissements évoquent spontanément des pratiques de tatouage, 3 de piercing et un des pratiques sexuelles non protégées .
4-2-1-9 : Confidentialité des soins
La confidentialité des soins est reconnue à la quasi-unanimité comme imparfaite en raison du contexte même dans lequel s’effectuent les soins (repérage rapide des détenus venant quotidiennement pour leur traitement ou recevant quotidiennement leur traitement en détention si cette délivrance n’est pas associée à celle des traitements à visée somatique). Le ou les surveillant(s) en poste dans la structure de soin est (sont) en général parfaitement au courant de la liste des patients substitués même si celle-ci n’est pas formalisée.
Paradoxalement, la plupart des interlocuteurs interrogés, s’ils en font le constat, estiment difficile d’améliorer cet état de chose et en définitive s’estiment satisfait de l’existant dans le contexte actuel.
Beaucoup considèrent que le fonctionnement pénitentiaire étant ce qu’il est, il est préférable de faire un travail de sensibilisation auprès du personnel pénitentiaire plutôt que s’attacher à tout prix à étanchéiser ce qui ne peut pas l’être dans un fonctionnement de collectivité.
A noter cependant qu’un dispositif semble particulièrement satisfaire les soignants : la délivrance des traitements de substitution en détention au même moment que celle des traitements à visée somatique. Ceci suppose la délivrance par la même équipe de tous les traitements en détention, que les traitements à visée somatique soient distribués quotidiennement, que la prise ne se fasse pas devant soignant pour la BHD (trop long) ou en tout cas pas pour chaque détenu et que l’établissement ne soit pas de trop grande taille (charge de travaille infirmière trop importante).
4-2-1-10 : Dossier de soins
Le dossier n’est partagé avec l’UCSA que dans trois établissements sur les 11 desservis par un SMPR/CSST.
La pharmacie étant par contre unique, les prescriptions d’une équipe de soin sont théoriquement connues des autres ou au moins des préparateurs et pharmaciens qui font le lien.
Cependant, dans nombre d’établissements, les équipes se sont réparties certaines prescriptions afin d’éviter les risques de double prescription (en particulier, aux psychiatres les psychotropes, aux médecins de l’UCSA les antalgiques hors sevrage,...).
4-2-1-11 : Sorties / Transferts
Préparation à la sortie
Quatre établissements proposent un dispositif de préparation à la sortie, 3 dans des établissements dotés de SMPR (Unité de Préparation à la Sortie ou Quartier Intermédiaire Sortant). Une maison d’arrêt dispose de modules de préparation à la sortie.
Relais à la sortie
Le relais et la transmission d’informations se font surtout par téléphone, un courrier étant souvent associé. Quatre établissements (dotés de SMPR et de CSST) favorisent une première rencontre avec les équipes de soins extérieures dans l’établissement pénitentiaire.
A noter une continuité de soins optimale quand le médecin intervenant en milieu carcéral est également le ou un des médecins du CSST local (3 établissements).
Evaluation de l’ouverture de droits - CMU
Dans 10 établissements, cette évaluation est faite par les équipes de soin elles-mêmes (8 sont dotés d’un SMPR et/ou CSST). Dans les autres établissements, cette évaluation serait effectuée par le Service Pénitentiaire d’Insertion et Probation.
4-2-1-12 : Extractions
Nous entendons par extractions toute sortie de l’établissement afin de mettre le détenu à disposition des différentes étapes de la procédure judiciaire. Les équipes de soins n’en sont pas toujours informées, de même que les détenus eux-mêmes.
La plupart des équipes estiment que les extractions ne posent pas de problèmes majeurs et qu’il est exceptionnel que les patients sortent sans avoir pu recevoir leur traitement.
Les centrales et CD sont peu concernés par les extractions, les procédures étant par définition closes.
Dans les structures dont les horaires le permettent (démarrage à partir de 7h00 - 7h30), la remise du traitement se fait le matin même de l’extraction.
Dans 7 établissements, le traitement est remis la veille au détenu (avec dans un établissement, la mise dans une cellule la veille ne permettant pas le « yoyotage » - trafic par la fenêtre - quand il s’agit de méthadone).
Dans 7 autres établissements, le traitement est remis la veille au greffe puis en main propre au détenu le jour même par le personnel du greffe.
Dans un établissement, le traitement est remis au surveillant la veille.
4-2-1-13 : Formation
Formation personnelle des personnes rencontrées
Trois des médecins rencontrés ont une formation universitaire centrée sur les addictions, trois (dont un des précédents) travaillent également dans un CSST.
Les autres évoquent une formation personnelle, la pratique, les formations et contacts rendus possibles par le réseau ville-hôpital, des formations internes plus ou moins structurées, le travail de formation proposé par l’industrie pharmaceutique, les colloques, les contacts avec les CSST locaux. La formation est donc très protéiforme.
Les besoins de formation
- Le besoin le plus fréquemment exprimé (6 fois) est celui d’échanges sur les pratiques avec d’autres équipes intervenant en milieu carcéral ou avec des intervenants en CSST.
- Une formation centrée sur la globalité de la prise en charge et sur le travail en partenariat est évoquée trois fois.
- Une réactualisation globale des connaissances (2 fois) avec approche spécifique de la psychopathologie des addictions (1 fois).
- Les autres thèmes sont :
o Le problème des co-prescriptions notamment avec les benzodiazépines (2 fois) ;
o La méthadone (bonnes pratiques, pharmacologie, 2 fois) ;
o Le suivi social et la préparation à la sortie ;
o L’éthique et le soin ;
o La pharmacocinétique des traitements de substitution ;
o La Buprénorphine Haut Dosage.
Les formations à destination du personnel pénitentiaire
Les formations animées par les équipes sanitaires à destination des personnels pénitentiaires sont rares et considérées comme souvent frustrantes, les surveillants se présentant étant le plus souvent peu nombreux en raison des insuffisances d’effectifs dans les établissements.
4-2-1-14 : Remarques complémentaires à l’ensemble du questionnaire
Des points spécifiques ont été abordés en plus des questions posées :
- La demande d’une réflexion sur la place des traitements de substitution lors de longues peines.
- Les difficultés communes à deux établissements du nord de la France, frontaliers avec la Belgique, confrontés à la gestion de détenus substitués par de la méthadone prescrite en Belgique, de qualité et de cadre de prescription différents.
- Les insuffisances en effectifs soignants et en locaux pour les équipes.
- Et, point particulièrement intéressant, un désir de beaucoup plus « fonctionner » en logique de partenariat que d’opposition avec le personnel pénitentiaire.
4-2-2 : ENQUETE PENITENTIAIRE
4-2-2-1 : Présentation du recueil de données
Des personnels pénitentiaires de 3 établissements ont fait l’objet d’entretiens semi-directifs ayant pour objet de :
- évaluer leurs connaissances des traitements de substitution (en général et dans l’établissement pénitentiaire) ;
- recueillir leurs points de vue, représentations, opinions, propositions et attentes en matière d’organisation des soins en substitution.
Ce travail devait être initialement complété par une formation expérimentale (1 journée) proposée à des personnels dépendants de la direction régionale pénitentiaire de Paris, mais ce second volet n’a pas vu le jour faute de temps et en raison des difficultés à l’organiser.
En terme de méthodologie, nous n’avions pas l’objectif d’interviewer un panel représentatif des personnels pénitentiaires en France (que ce soit en termes d’âge, d’ancienneté, de fonction exercée, d’affectation attribuée, de taille d’établissement, etc.) Il s’agissait plutôt de recueillir, à travers des entretiens assez qualitatifs, des grandes tendances autour des objets d’investigation.
Vingt-sept entretiens ont été réalisés auprès de toutes les catégories de personnels de ces établissements (3 maisons d’arrêt : Osny, Nîmes, Villefranche sur Saône) :
• 6 Surveillants affectés en détention (tous types de postes : étage, quartier mineur, quartier disciplinaire, loge, etc.).
• 1 Surveillant affecté à l’UCSA.
• 5 Premiers Surveillants.
• 1 Surveillant Principal (parloir familles).
• 1 Surveillant échelon exceptionnel.
• 3 Chefs de Service Pénitentiaire.
• 1 Directeur et 2 Directeurs adjoints.
• 4 Conseillers d’Insertion et de Probation.
• 2 cadres des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation.
• 1 Moniteur de sport.
Les entretiens ont été réalisés :
- soit dans un bureau affecté à cet effet ;
- soit sur le lieu d’affectation le jour de l’enquête (cette modalité ayant pu limiter pour certaines personnes une liberté de parole, un supérieur hiérarchique ou un collègue pouvant être présent à proximité).
4-2-2-2 : Sur les connaissances des personnels pénitentiaires
De façon générale, les personnels connaissent l’organisation des soins dans l’établissement, y compris les rôles respectifs du médecin chef de l’UCSA et du psychiatre (responsable du SMPR ou de secteur associé).
En revanche, les niveaux de connaissance sur les traitements sont inférieurs : si les dénominations de « méthadone » et « Subutex » sont connues dans l’absolu, peu identifient une différence entre les deux traitements (au delà de la galénique - voir plus bas) d’une part, et peu savent concrètement quels traitements sont prescrits dans leur établissement (11 sur 27 ne savent pas ou ne sont pas sûrs, soit 41 % d’entre eux). De la même façon, beaucoup (23 répondants, soit 85 %) ne savent pas quand les traitements de substitution ont été introduits dans leur établissement (mais il est vrai qu’une dizaine d’entre eux avait une ancienneté dans l’établissement inférieure à 4 ans).
4-2-2-3 : Sur la formation des personnels pénitentiaires
La plupart déclarent ne pas avoir eu de formation spécifique sur les traitements de substitution, que ce soit en formation continue pour les personnels en poste au moment de l’introduction des traitements, ou en formation initiale à l’ENAP pour les personnels plus récents (en fait, une discussion avec ces derniers les amènent à se rappeler qu’ils ont bénéficié d’un module sur la substitution - 1 heure ou 2 - mais qu’ils ne s’en souviennent pas).
4-2-2-4 : Les propositions des personnels pénitentiaires
Deux propositions majeures ressortent des entretiens :
- l’amélioration des circuits de délivrance ;
- le souhait de voir une galénique liquide pour tous les traitements de substitution.
Ces deux propositions s’appuient sur le même souci : diminuer le trafic des traitements de substitution. C’est ainsi que sont proposées soit une délivrance en détention (bureau à l’étage
- 1 proposition - ou en cellule - que ce soit avec la distribution des médicaments somatiques ou par une distribution spécifique), soit une meilleure organisation de la délivrance au service médical (en particulier pour éviter les « engorgements »). De la même façon, une très grande majorité se prononce pour une galénique unique liquide à boire immédiatement devant la personne délivrant le traitement ; si la terminologie employée pour qualifier cette galénique est très diverse, elle souligne un souci unique majeur partagé : « oral, buvable, liquide, dilué, en flacon, solution aqueuse ».
Le trafic apparaît comme la préoccupation majeure des personnels (en particulier des personnels surveillants, mais aussi de quelques personnels des SPIP) : « il y a tellement de cachets qu’on ne contrôle plus rien ».
4-2-2-5 : Attentes majeures des personnels pénitentiaires
Les personnels pénitentiaires ne souhaitent pas jouer un rôle particulier dans l’organisation des soins en matière de substitution. Le principal argument invoqué est que cette mission relève du sanitaire ; toutefois, cette absence de projection dans un rôle spécifique peut aussi s’expliquer chez certains par au minimum une interrogation sur les bénéfices et l’intérêt pour le détenu des traitements de substitution, au maximum par des représentations négatives de l’usage de drogue (auquel la substitution est foncièrement associée dans leur esprit) : « je n’aime pas trop avec ces gars, le patient comme ils disent... ».
Cela n’empêche pas les personnels pénitentiaires d’avoir des demandes spécifiques vis à vis des personnels sanitaires, demandes reposant sur le manque de connaissance sur les drogues et leurs effets (dont le manque) et la nature des traitements prescrits. Cette attente vis à vis des personnels sanitaires peut se doubler d’une demande d’échanges plus formels ou plus réguliers autour des détenus concernés dans un souci de mieux connaître les conséquences de la dépendance ou de l’abus sur les détenus pour mieux gérer les situations quotidiennes. Les personnels qui ont été ou sont affectés à la surveillance des UCSA et des SMPR sont particulièrement demandeurs d’un minimum d’information.
Parfois, le « service médical » est ainsi vécu comme une boîte noire (dans laquelle le personnel pénitentiaire ne cherche pas à s’immiscer), qui le frustre. Et ce d’autant plus que les personnels souhaitent malgré tout un minimum d’échanges et/ou de formations/informations.
Ce souhait est aussi nourri par le constat que leur expérience quotidienne avec les détenus peut les amener à jouer malgré tout un rôle : « nous apportons l’expérience du quotidien avec les détenus », « on joue un petit rôle : quand ils sont en manque, on essaie de discuter avec eux en attendant l’infirmière »
4-2-2-6 : Les principaux enseignements concernant les personnels pénitentiaires
L’expérience professionnelle (« le vécu en détention ») apparaît comme la source majeure de ce qui forge l’opinion et les connaissances en matière de traitements de substitution.
Au terme de l’enquête, l’opinion des personnels pénitentiaires semble osciller entre un arbitrage entre avantages et inconvénients des traitements :
- d’un côté le sentiment que l’introduction des traitements de substitution en prison a facilité leur travail en « calmant » les détenus dépendants en manque ;
- de l’autre un désaccord avec les traitements de substitution soit parce qu’ils sont perçus comme une toxicomanie médicalisée (« il faudrait mieux les sevrer »), soit parce que la délivrance de ces traitements génère du trafic face auquel ils se sentent impuissants.
Un des personnels a formulé cette dichotomie de la façon suivante : « le risque sanitaire individuel des détenus baisse mais le risque du point de vue de la vie quotidienne dans l’établissement augmente (difficultés générées par le trafic) »
A terme, de nombreux personnels souhaitent que le traitement ne soit que transitoire dans la perspective d’un sevrage (« c’est très bien si à la fin de ce traitement les gens sont désintoxiqués »).
4-2-3 : ENQUETE DETENUS
4-2-3-1 : présentation du recueil de données
28 détenus ont été rencontrés dans 5 sites et 7 établissements :
• Toulouse : 4 détenus au CD et 1 en MA
• Villefranche sur Saône : 4 détenus en MA
• Ecrouves : 3 détenus au C.D.
• Loos : 4 détenus en MA et 4 au CD
• Marseille : 8 détenus en MA
Soit 17 détenus en MA et 11 détenus en CD. Seuls des hommes ont été rencontrés.
Si le questionnaire initial était composé de questions semi-ouvertes, la passation des entretiens a finalement plus relevé de l’entretien qualitatif, le questionnaire fournissant alors une trame d’entretien.
La remarque méthodologique formulée pour la partie pénitentiaire s’applique aussi à la partie détenus : il s’est plus agi d’identifier les grandes tendances en matière de vécu, de représentations et d’attentes par rapport à la substitution que de dresser une photographie représentative des 3 000 détenus en substitution en France.
Moins d’entretiens que ceux initialement prévus ont été réalisés (cf. moins de sites investigués du côté détenus) ; toutefois, des tendances majeures sont rapidement apparues.
Les entretiens ont la plupart du temps porté sur l’ensemble du parcours dans la substitution de la personne (y compris à l’occasion d’autres incarcérations ou de prise en charge en milieu libre) et des expériences carcérales (certains entretiens ayant pu durer 2 heures). Les entretiens ont ainsi permis d’évaluer la situation par rapport au vécu et à la perception des traitements de substitution par ces mêmes détenus de manière plus large (dans d’autres établissements et/ou à d’autres périodes d’incarcération).
Les rencontres avec les détenus ont été organisées :
- soit dans les unités de soin (SMPR, UCSA ou CSST), un bureau étant affecté à l’investigateur qui rencontrait le détenu au moment de la délivrance et/ou de la consultation ;
- soit en parloirs avocat ou dans les bureaux des SPIP, les détenus ayant été préalablement sélectionnés par les équipes sanitaires et/ou les SPIP, et convoqués par les personnels de surveillance le jour de l’entretien. [6]
4-2-3-2 : Sur le contexte de la prescription du traitement
Les parcours de soin dans la substitution ont été assez difficiles à expliciter par les détenus.
Une des raisons majeures à cette incertitude repose sur l’alternance entre incarcérations et périodes en milieu libre d’une part, sur la perception des termes « initiation » et « poursuite » différente de celle des équipes sanitaires d’autre part. En effet, de nombreux détenus ont « initié » le traitement hors prescription (que ce soit en milieu libre ou en milieu carcéral). A cet égard, ces détenus ne sont pas foncièrement différents de la population des usagers de drogues en France (90 % des répondants à l’enquête AIDES/INSERM [7] déclaraient avoir consommé régulièrement hors prescription le traitement actuellement prescrit). Un troisième élément vient perturber la lecture faite par les détenus : la succession de périodes différentes dans le rapport au produit (phases de consommation compulsives de produits illicites ; essais de diminution des consommations, voire arrêt ; temps de substitution s’insérant dans ces parcours chaotiques ; etc.).
Un contexte de prescription marqué par des difficultés pour la plupart des détenus...
Il convient donc de distinguer « initiation d’une prescription d’un traitement de substitution » de « initiation au médicament de substitution ». De nombreux détenus (70 %) ont « essayé » le traitement hors prescription. Cette première rencontre avec le traitement a généralement eu lieu en milieu libre, mais 3 des détenus interviewés ont déclaré avoir consommé le traitement (de la BHD) pour la première fois en prison. Les raisons invoquées par ces 3 détenus sont la recherche du soulagement des effets anxiogènes dus à l’incarcération et le soulagement d’une douleur somatique (un bras cassé) ; ces comportements de consommation ont été facilités par l’existence d’une offre importante. En milieu libre, la prise d’un traitement de substitution hors prescription concerne à la fois la méthadone et la BHD dans les proportions relatives à la diffusion de ces deux traitements actuellement, avec une mention spéciale pour le nord de la France où des usagers de drogue ont recours à des préparations magistrales de méthadone dans des pharmacies belges.
Si ce phénomène est donc fréquemment partagé chez les détenus, constituant ainsi une sorte de dénominateur commun, les réponses en termes de prise en charge sanitaire apparaissent très disparates et incohérentes aux yeux des détenus : en fonction des lieux d’incarcération, la palette des décisions thérapeutiques proposées ira de la « non poursuite » d’un traitement dont la prescription n’est pas authentifiée (créant chez le détenu un sentiment d’incompréhension et d’injustice profonde) à une poursuite sur les simples propos du détenu. Il est d’ailleurs intéressant de constater, sur ce dernier point, que la majorité des détenus ayant vécu ce type de situation s’accorde, avec du recul, à le dénoncer, parfois en des termes assez vifs : « c’est la merde à [étab. X] ; ils donnent trop facilement ; j’ai eu des problèmes à cause de ça : tout le monde nous voyait et savait ce qu’on avait » ; « A [étab. X], quand je suis arrivé, j’ai demandé ce que je voulais et on m’a tout donné » ; « ils n’ont pas cherché à savoir plus, ils n’ont pas appelé mon médecin pour vérifier l’ordonnance » ; « ici, c’est une vraie plaque tournante » ; « A [étab. X], le médecin m’a demandé à combien j’étais ; je lui ai répondu que j’étais à 10 mg ; il m’a juste dit qu’il allait m’en donner 12 mg ». Le même : « maintenant, c’est différent ; quand je suis arrivé à [étab. Y], le médecin a discuté avec moi ; il m’a donné 12 mg au début, mais je le vois et on en discute car je veux baisser ; il m’aide ». Sur le long terme, ce que l’on peut qualifier de dérives dans la pratique de prescription est vécu comme tel par les détenus.
Le constat est d’autant plus dur si ces pratiques ont cours lorsque la prescription est initiée alors que le détenu est en situation transitoire dans l’établissement (exemple : un mois), avant le transfert dans un autre établissement.
Conséquence :
- les détenus ont des difficultés à se construire une opinion sur le traitement de substitution ;
- une perception négative est automatiquement associée au traitement et au système de soin, que cette opinion soit explicitement formulée ou qu’elle transparaisse dans l’analyse que font les détenus de leur parcours dans la substitution.
Cela ne contribue certainement pas à asseoir un projet thérapeutique clair pour les détenus, le médicament de substitution étant assimilé à un produit-drogue.
... mais qui peut être bénéfique à certains d’entre eux
Toutefois, l’incarcération, en permettant aussi une initiation ou une poursuite dans un cadre thérapeutique clair (avec entre autre la réévaluation d’un traitement pré-existant) a bénéficié à certains détenus (sentiment d’un impact du traitement dans leur vie, distanciation avec les pratiques de mésusages, etc.) ; ce bénéfice semble étroitement lié au sentiment d’être écouté par l’équipe médicale (tant lors de la prescription - accompagné d’un examen médical - que du temps passé avec les personnels infirmiers au moment de la délivrance des traitements). Ce sentiment se traduit par un niveau de satisfaction partagé par les détenus vis-à-vis de l’organisation des soins en substitution et dans les relations avec les équipes sanitaires. Le cheminement pour arriver à percevoir ce bénéfice n’est pas toujours fluide et limpide, et le détenu passera parfois par une phase d’adaptation douloureuse suite au transfert : ce qui est perçu comme un refus de prescription par rapport à la situation antérieure pourra générer des comportements violents chez le détenu qui se sent incompris ; ce n’est généralement qu’au terme de ces épisodes de violence (après un passage en quartier disciplinaire) qu’une réévaluation de la dépendance sera proposée par l’équipe sanitaire.
Le sentiment d’incompréhension ou d’injustice peut être d’autant plus marqué que le détenu aura une expérience riche d’incarcérations dans des établissements différents ou bien dans le ou les mêmes établissement(s) mais à des périodes différentes ; il en viendra ainsi à comparer les pratiques des professionnels en matière de décision thérapeutique, l’accessibilité plus ou moins grande des traitements, dressant ainsi une sorte de « guide Michelin » des établissements pénitentiaires autour de la dichotomie suivante : ceux où « l’on trouve ce qu’on veut » [8] et les autres. Nous retrouvons d’ailleurs le même phénomène pour ce qui concerne la prescription de benzodiazépines (voir plus bas).
En conclusion, nous soulignons les 3 aspects suivants concernant la prescription :
- le parcours dans la substitution de nombreux détenus révèle une difficulté préalable certaine ne facilitant pas l’inscription de la démarche substitutive dans le cadre d’une relation de soin (soignant/soigné) ;
- la diversité des pratiques en milieu pénitentiaire constatées par les détenus au regard de la substitution augmente cette difficulté ;
- toutefois, certains détenus expriment la satisfaction d’avoir pu bénéficier d’une réelle évaluation ou réévaluation consécutivement à un transfert ayant provoqué un changement de pratiques (ou à une évolution de la prise en charge sanitaire des usagers de drogues dans le même établissement) ; dans ces cas, la prison peut jouer un rôle d’initiateur de soins dans un cadre permettant au détenu d’exprimer une certaine satisfaction.
4-2-3-3 : Le vécu et les représentations de la substitution chez les détenus
Si une partie mineure des détenus souhaite maintenir une relation distante avec le médecin et considère le médicament de substitution comme un « produit » ou comme un anxiolytique, la majorité souhaite inscrire le traitement de substitution dans un cadre de soin (avec une perspective de sortie de la substitution).
Beaucoup de détenus ont demandé à diminuer les doses prescrites au motif que la dépendance au traitement de substitution était plus forte que celle ressentie avec les opiacés (« finalement, c’est pire » ; « je ne peux pas m’en passer »).
Les détenus inscrivant le traitement dans une relation de soin expriment la frustration de ne pas pouvoir investir plus longtemps et plus souvent les temps de rencontre avec l’équipe sanitaire (qu’il s’agisse du médecin prescripteur ou de l’équipe infirmière). C’est ainsi que les détenus déplorent que le renouvellement de la prescription puisse être réalisé par le médecin sans consultation ou que le temps passé avec l’équipe infirmière au moment de la distribution ne soit pas plus long. « Il y a des jours quand tu te lèves, tu as réfléchi toute la nuit et tu as envie d’en parler ; mais il y a trop de monde à la distribution, alors ils n’ont pas le temps ; cela ne dure même pas 5 minutes »). Cette frustration est souvent le seul reproche formulé à l’encontre des équipes sanitaires concernant l’organisation des soins en substitution.
Sur la représentation du médicament, le cadre de délivrance du traitement en prison contribue beaucoup à l’image qui est donnée par le détenu. Ainsi, la BHD apparaît beaucoup plus souvent que la méthadone comme un produit dangereux au regard des conditions d’incarcération. Nous retrouvons ici une caractéristique proche du milieu libre, où les traitements de substitution sont eux aussi étroitement associés au cadre de leur prescription.
4-2-3-4 : La difficile lisibilité de la substitution par les détenus et un sentiment d’incompréhension
Comme nous l’avons vu, les détenus sont ou ont été confrontés à une très grande diversité des pratiques des équipes sanitaires par rapport à la substitution.
La diversité des pratiques rencontrées par les détenus dans leurs différents parcours d’incarcération ne contribue pas à asseoir une compréhension et une lisibilité claire des traitements de substitution.
Ces difficultés sont renforcées quand la même diversité de pratiques concerne les prescriptions associées (dont celles de benzodiazépines) : « j’avais du Tranxène® à [étab. X] ; pourquoi, je ne peux pas en avoir ici ? ». Il est d’ailleurs important de souligner que ce n’est pas tant la décision médicale en elle-même qui est mise en cause que l’impression de ne pas être entendu dans une souffrance. Dans tous les cas de ce type, le détenu déclare ne pas comprendre la motivation de cette décision médicale : « je ne sais pas ; ici, c’est comme ça, c’est tout ». Cette incompréhension est d’autant plus forte que le détenu aura parlé en consultation de ses consommations associées (y compris celles obtenus par le trafic) et qu’il ne se voit pas proposer une prise en charge par le médecin : « le psy est au courant, mais il m’a dit que comme je me débrouille pour en trouver, je n’ai qu’à continuer comme cela... ».
C’est sur la question des prescriptions associées que les détenus expriment la moins grande satisfaction par rapport aux équipes sanitaires.
4-2-3-5 : Stigmatisation et confidentialité
Les détenus ressentent une stigmatisation certaine consécutive aux modalités d’organisation de la prescription d’un traitement de substitution (dont les circuits de délivrance) ; les difficultés, voire l’absence, de confidentialité sont étroitement liées à cette stigmatisation.
Cette dimension du vécu des détenus apparaît sous deux angles : les autres détenus et les surveillants.
Les autres détenus
Nous abordons certainement ici un des points les plus cruciaux unanimement révélés par les entretiens : la pression énorme exercée par l’environnement des autres détenus autour de la substitution. Le traitement de substitution (la BHD en l’occurrence, la méthadone étant délivrée quotidiennement devant soignant) constitue une monnaie supplémentaire dans l’univers carcéral. Il fait donc, au même titre que les autres médicaments psychoactifs ou que les drogues, l’objet d’un trafic. Les modalités de ce trafic sont variées, de la même façon que les raisons qui le nourrissent. Dans les entretiens, trois types de détenus sont apparus :
- les détenus gérant leur prescription autour de deux objectifs (le traitement de la dépendance en partie, la possibilité d’avoir une ressource supplémentaire de l’autre
- « pour ma consommation personnelle et pour les affaires ») ;
- les détenus étant soumis à une contrainte physique et morale pour rétrocéder leur traitement ;
- les détenus extérieurs aux circuits de trafic sur les traitements de substitution.
Ce trafic autour du médicament de substitution n’est pas alimenté uniquement à partir des prescriptions internes aux établissements.
Nous n’allons pas nous pencher sur les raisons de ce trafic (toutefois, nous reviendrons sur la place du trafic en prison de façon plus générale dans le chapitre conclusions et discussion) ; notons simplement que ce dernier existe aussi en milieu libre. D’ailleurs, face à ce phénomène, les détenus font la comparaison eux mêmes dans des termes très clairs : « les mecs se prennent la tête en prison comme dehors pour le subutex sans médecin ; dehors, tu cours, ici tu cours aussi ». [9]
Ce contexte oppose donc très clairement un obstacle majeur à une entrée dans le soin ou à une appropriation de la relation de soin par le détenu. Une amélioration des bonnes pratiques en matière de substitution en prison ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion plus globale sur cet environnement oppressant et violent.
Cette pression amène certains détenus à se construire des « armes de protection » autour d’éléments relevant de pathologies :
- un détenu utilisant l’argument de l’hépatite C pour se protéger du racket « si tu veux ce qu’il y a dans ma bouche, tu prendras tout ce qu’il y a avec » ;
- un détenu déclarant aller quotidiennement au service médical en raison de son asthme.
Ces « excuses » ou « protections » ne contribuent-elles pas à dévaloriser le rapport au médical, et donc aussi le traitement ? Le fait de penser que « en prison, c’est la jungle » n’alimente-t-il pas de la même façon un contexte défavorable au soin ?
Les surveillants
Les détenus en substitution s’accordent tous à penser que les personnels de surveillance les considèrent comme des toxicomanes. Concernant leurs relations avec les surveillants, certains ont fait part de difficultés (rapports violents, dans un sens ou dans l’autre). Il est vraisemblable que ces difficultés ne sont pas spécifiques aux traitement de substitution dans les rapports surveillants/détenus ; toutefois, les témoignages recueillis ont fait apparaître qu’en cas de difficultés, le traitement de substitution (et surtout l’accès physique au traitement) peut devenir un moyen de pression sur les détenus : « si tu nous emmerdes, on ne te laissera pas descendre à l’infirmerie pour aller chercher ta came » ; « le chef, il sait qu’on prend un traitement de substitution et il te dit : tu es obligé de filer droit, sinon il y aura des représailles : on ne te laissera pas aller à l’infirmerie et là tu vas couiner ». La pression autour de la substitution ne constitue donc pas le monopole des autres détenus...
4-2-3-6 : L’enjeu de la délivrance des traitements
La place accordée par les détenus aux réflexions sur la délivrance des traitements en prison est certainement liée au fait que cette question est au croisement de plusieurs problématiques : celles abordées ci-dessus d’une part et leur incidence directe sur la vie quotidienne en détention d’autre part.
Un phénomène que nous n’avions pas envisagé est apparu au cours des entretiens : la lassitude, voire la fatigue, générée par les modalités de délivrance des traitements (essentiellement quand celle-ci est quotidienne). Les propos des détenus sur ce sujet sont explicites : « c’est fatigant de se lever tous les matins pendant plusieurs années ; il faudrait au moins que les horaires soient plus précis » ; « Ca m’ennuie de le prendre tous les jours ». Mais, les détenus sont très clairement conscients des contraintes posées par la délivrance des traitements de substitution en milieu carcéral, qui amènent les équipes sanitaires à définir un cadre assez strict de délivrance. Bien évidemment, la question du trafic et du racket est prégnante dans leur analyse, et ce pour trois raisons différentes :
- soit ils ont eux mêmes participé ou participent à ce trafic ;
- soit ils ont subi des pressions de co-détenus et se sont fait racketter ;
- soit ils ont été les témoins de scènes relevant de l’une ou l’autre des situations.
Ce dernier point soulève d’ailleurs une commisération certaine de leur part : « ce n’est pas normal, j’en connais qui ont eu tellement de problèmes qu’ils ne vont même plus chercher leur traitement ; ils restent tout le temps seuls en cellule et ils ne vont même pas en promenade ». Au delà d’un sentiment d’impuissance et de fatalité (« de toute façon, c’est la loi de la jungle ici »), cette conscience aiguë des difficultés les amène à formuler des propositions très précises sur l’organisation de la délivrance, propositions qui ont clairement pour objet de garantir au mieux la confidentialité et la non stigmatisation, la protection des détenus vulnérables par rapport à leur environnement, la souplesse du cadre de distribution afin d’atténuer la lassitude et la fatigabilité :
• dans les cas de distribution quotidienne en service médical, il conviendrait selon eux de :
- préciser les tranches horaires dans lesquelles les détenus sont susceptibles d’être convoqués pour aller chercher leur traitement (une amplitude moyenne de 3 heures à 3 heures et demi actuellement) ;
- éviter les phénomènes d’attroupement au sein du service médical (meilleure répartition des flux de détenus) et à l’extérieur (meilleure gestion de l’espace devant l’entrée du service médical) ; ce dernier point est particulièrement sensible, des concentrations très importantes de détenus venant clairement renforcer la pression sur les détenus venus chercher leur traitement et contribuant à les identifier ;
• la délivrance en cellule devrait être privilégiée, à la condition qu’un infirmier y participe ;
• de façon générale, les détenus souhaitent qu’il existe des dispositifs spécifiques pour les détenus « vulnérables » (c’est-à-dire particulièrement soumis à des pressions) ;
Quelle que soit l’opinion des détenus sur les modalités de délivrance, la plupart s’accordent à dire qu’il n’y a pas assez de temps consacré à cet acte essentiel dans la vie du détenu en substitution. Le manque de volonté des équipes sanitaires n’est pas évoqué, mais bien plutôt la conscience que ces dernières sont en sous-effectif. Un incident rapporté en lien avec une délivrance de méthadone un week-end vient illustrer la rapidité à laquelle les équipes peuvent être contraintes dans leurs actes, en raison de cette insuffisance de moyen, et les conséquences que ce fonctionnement à capacités réduites fait peser sur le détenu et son intégrité (ainsi, un détenu s’est vu remettre un dimanche l’emballage carton comportant le flacon d’un autre détenu, soit 90 mg de méthadone, au lieu des 20 mg prescrits...).
Les détenus font preuve de maturité et d’esprit constructif dans leur analyse des conditions de délivrance.
4-2-3-7 : Sorties, transferts et extractions
Nous avons évoqué la question de la réévaluation (ou bien de l’initiation) de la prescription à la suite d’un transfert.
Au travers des entretiens réalisés, la préparation de la sortie ne semble pas poser de problème en matière de relais post-pénal pour la prise en charge médicale. Cette perspective est même souvent investie d’un désir de « sortie de la dépendance », y compris par rapport au traitement de substitution (voir ci-dessous).
Concernant les extractions, les détenus savent qu’ils peuvent avoir accès à leur traitement (soit la veille, soit le matin même avec le service médical en fonction des horaires, soit par le biais d’une enveloppe scellée à leur nom et déposée au greffe), mais il n’ont pas confiance dans la fluidité du système, certains d’entre eux ayant connu des interruptions de traitement.
Une sorte de « système D » s’est ainsi mis en place : la veille, les détenus rappellent aux personnels assurant la délivrance qu’ils auront une extraction le lendemain. Un cas d’absence totale de traitement à l’occasion d’un transfert provisoire entre deux établissements (pour une durée de 5 jours) a été signalé.
4-2-3-8 : L’arrêt de la substitution
De nombreux détenus (tous traitements confondus) ont exprimé le souhait d’arrêter le traitement de substitution. Deux stratégies apparaissent :
- l’arrêter en détention (« le sevrage à la dure », comme il y a quelques années pour les opiacés) ;
- l’arrêter à la sortie.
Dans tous les cas, la dépendance ressentie vis-à-vis du traitement (surtout pour la BHD) est manifeste et clairement exprimée ; cette dépendance est comparée à celle des opiacés, cette dernière étant jugée moins douloureuse. Pour une minorité de détenus (particulièrement les plus jeunes), une autre raison préside à ce souhait d’arrêter le traitement : le médicament de substitution est associé au parcours dans la toxicomanie d’un point de vue social, familial et affectif mais aussi judiciaire. L’image du traitement est assez négative. La dimension du trafic en détention vient renforcer cette perception.
4-2-3-9 : Autres enseignements
Si les entretiens avec les détenus avaient pour objet de recueillir leur sentiment sur la substitution en milieu carcéral, les temps d’attente entre les entretiens sur un même établissement ont permis à l’investigateur d’avoir des discussions informelles avec les équipes soignantes présentes. Ces entretiens méritent d’être retranscrits sur certains aspects :
- dans un établissement, les entretiens avec les détenus, confortés par des discussions avec l’équipe infirmière, ont révélé un système exceptionnel de délivrance de la méthadone par rapport aux pratiques en vigueur : délivrance pour deux jours le weekend (flacon bu devant soignant le samedi, flacon du dimanche laissé au détenu qui doit le rapporter au service médical le lundi).
- Dans d’autres établissements, des personnels en première ligne sur la distribution des médicament ont pu faire état de leurs questionnements et de leurs doutes sur l’intérêt des médicaments délivrés : « nous, on est contre ; mais comme le psy prescrit, il faut bien les donner... » ; « on a bien été obligé de donner la méthadone avec la circulaire de janvier 2002... » ; « on ne connaît pas les effets secondaires de ces médicaments » ; etc.
Ces remarques n’ont pas vocation à dé-crédibiliser l’organisation des soins, mais bien à pointer les difficultés ressenties par les équipes, justifiant certainement un accompagnement (voir chapitre recommandations : formation et accompagnement des équipes).
4-2-3-10 : Conclusion générale sur le volet détenus
Assez généralement, les détenus ont le sentiment que les équipes sanitaires ont une perception positive des traitements ; peu d’incidents ou de difficultés dans la relation avec les équipes soignantes sont exprimés. Les détenus sont plutôt satisfaits de leurs relations avec les équipes.
Quand des difficultés sont exprimées, elles sont généralement de deux natures :
- incompréhension majeure chez le détenu de la décision de modification du traitement (en termes de posologie) ou de l’absence de proposition du traitement au regard d’une prescription non authentifiée ou d’une habitude de consommation antérieure prise hors prescription ;
- incompréhension (et insatisfaction) sur la co-prescription de benzodiazépines.
Dans le second cas, les détenus expriment un mal-être certain, ce mal-être pouvant être provoqué par différents phénomènes (effet anxiogène de l’incarcération, effet anxiogène lié à un transfert d’établissement, troubles psychologiques pré-existants, etc.).
Dans les deux cas, ce ressenti négatif semble traduire une insuffisance ou une absence d’information autour de la décision thérapeutique. La relation soignant/soigné ne repose pas sur un échange permettant de définir clairement ce que le traitement peut apporter, ce à quoi il ne peut pas répondre, les étapes dans la mise en place, etc. L’écoute des détenus lors des entretiens fait apparaître un sentiment d’incompréhension réelle. Des détenus ont fait allusion à l’impact que pourrait avoir la présence plus ou moins régulière d’intervenants extérieurs, pouvant animer des réunions sur les thématiques liées aux dépendances et à la réduction des risques. Ces interventions sont pensées comme complémentaires de la prise en charge sanitaire et sociale telle qu’elle est pratiquée en milieu carcéral.
D’un point de vue général, les difficultés exprimées par les détenus ne sont pas spécifiques à l’environnement carcéral, sauf sur deux points :
• la confidentialité : le sentiment de résignation couramment exprimé ne doit pas cacher la profonde insatisfaction des détenus concernés sur le manque certain en la matière (« tout le monde est au courant.. alors que normalement un dossier médical c’est personnel », « de toute façon, on est en taule, donc c’est comme ça... ») ;
• les modalités de délivrance : s’ils sont conscients du cadre particulier de la prison (les détenus en substitution par BHD sont d’ailleurs les premiers à souhaiter un système de délivrance qui les protège de la pression des codétenus, voire des surveillants), les modalités de prescription cristallisent des insatisfactions chez les détenus.
Au terme de l’analyse du côté « détenus », nous constatons une ambivalence certaine dans les représentations autour de la substitution, entretenue par les perceptions du traitement en prison (perception essentiellement nourrie par la diversité des pratiques et par les pressions exercées dans l’univers carcéral autour de ces traitements). Cette ambivalence apparaît comme l’obstacle majeur à la définition d’un projet thérapeutique clair pour le patient, mais aussi à l’impossibilité, dans certains établissements, de se voir proposer un cadre thérapeutique cohérent.
Lorsqu’il répond à une véritable évaluation clinique, en fonction aussi des attentes du patient, et qu’il fait l’objet d’un suivi plus ou moins régulier (avec adaptation des posologies et des modes de délivrance), le traitement semble bénéfique pour les détenus, en particulier en comparaison de l’impact ressenti précédemment dans d’autres établissements où président d’autres pratiques médicales. Pour ces détenus-là, l’incarcération a joué un rôle soit de stabilisation dans le traitement, soit est venu modifier les représentations sur le traitement en permettant de l’inscrire dans un projet de soin. Ce phénomène est particulièrement perceptible chez ceux qui ont profité d’un transfert pour réévaluer avec le médecin la prescription du traitement (dont le changement éventuel de molécule). Ces témoignages apportent la preuve que, du point de vue des détenus, la substitution en prison n’est pas uniquement réductible au trafic, à la pression, au mésusage.