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7 Les dérives du critère

Publié le mercredi 27 septembre 2006 | http://prison.rezo.net/7-les-derives-du-critere/

Chapitre 2. Les dérives du critère

Le critère de la volonté apparaît donc comme un critère subtil permettant de rendre compatible la nécessité d’une sélection et le souhait légitime de laisser une chance à chacun. Pourtant, cette subtilité même est source d’erreurs d’analyse. Tout d’abord, malgré les précautions envisagées précédemment, le risque d’une confusion entre vouloir et pouvoir est toujours possible (Section 1). Ensuite, le postulat de l’égalité de tous devant la volonté doit être fortement relativisé (Section 2).

Section 1. Confusion entre vouloir et pouvoir
La crainte d’une confusion entre le fait de vouloir son insertion et le fait de pouvoir la réaliser repose sur un risque et sur une certitude. Le risque est constitué par la tendance naturelle consistant à considérer que si quelqu’un a en main les premiers éléments de son insertion c’est qu’il l’a voulu et qu’il a fait en sorte d’y parvenir par sa seule action (§1). La certitude c’est que le critère de la volonté ne permet pas d’opérer une sélection complète et que d’autres critères prennent alors le relais (§2).

§1. DEDUIRE LA VOLONTE DE CRITERES MATERIELS
Malgré l’aide des mécanismes destinés à identifier la volonté de la personne souhaitant bénéficier d’une mesure d’insertion, le processus de sélection implique toujours une part de subjectivité. Dès lors, le risque existe de présumer que celui qui dispose des moyens de s’insérer en a également la volonté et, plus grave, que celui qui n’en a pas les moyens n’en a pas vraiment l’envie. On retrouve la présence d’une telle présomption dans le cadre de l’attribution de la libération conditionnelle. On sait que sous l’empire de l’ancien article 729 du code de procédure pénale l’obtention d’une promesse d’embauche était une condition quasi indispensable pour bénéficier d’une telle mesure. A l’époque, toutefois, la notion de volonté comme critère de sélection n’était pas clairement énoncée. Elle l’est aujourd’hui de façon beaucoup plus claire. Comme on l’a vu, l’article 729 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d’innocence dispose que le détenu qui souhaite bénéficier d’une mesure de libération conditionnelle doit manifester des « efforts sérieux de réadaptation sociale ». De même, lors des débats relatifs à l’adoption de cette loi le garde des sceaux a eu l’occasion de préciser que « tous ceux qui font des efforts sérieux de réinsertion pourront espérer bénéficier de la mesure, sans condition d’obtention d’un emploi. » [1]
Enfin, la commission sur la libération conditionnelle, dont le rapport est à la base de cette réforme, indique assez clairement son souhait de voir l’attribution de la libération conditionnelle réorientée sur le critère de la volonté. Ainsi, elle prescrivait l’abandon de l’examen automatique des dossiers des détenus pouvant techniquement bénéficier de cette mesure et elle a rejeté l’idée de faire de la libération conditionnelle un mode normal de libération. Pourtant, à l’issue de cette réforme on constate que l’appréciation de l’effort repose toujours sur la réalisation par le détenu d’actes concrets comme l’exercice d’une activité professionnelle, l’assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle, l’obtention d’un stage ou d’un emploi temporaire, la participation essentielle à la vie de famille, la nécessité de subir un traitement, un effort particulier d’indemnisation des victimes. Cette liste n’est pas limitative mais elle montre bien que l’appréciation de la volonté doit se faire sur la base de critères matériels dont on déduit la motivation de la personne, or ces critères matériels ne sont pas nécessairement liés à la volonté. Il en va de même dans le cadre des structures d’insertion qui recrutent par l’intermédiaire d’organisations partenaires, l’accès à ces dernières pouvant être conditionnée par des critères assez éloignés de la seule volonté.

§2. L’INCOMPLETUDE DE LA SELECTION
Il faut enfin relever le fait que le critère de la volonté ne permet que rarement d’opérer une sélection complète. A volonté présumée égale, d’autres critères interviennent pour opérer le choix final. C’est surtout le cas dans les entreprises d’insertion qui restent malgré tout contraintes d’assurer le bon fonctionnement de leurs services. Le diplôme, l’expérience professionnelle ou même l’âge prennent alors une importance considérable.
« Les entreprises d’insertion on en a fait quelque chose de relativement élitiste, non du fait des entreprises elles-mêmes mais parce qu’elles doivent survivre, ce qui nécessite une certaine productivité. Les très désocialisés en sont donc exclus. » [2]

Section 2. Le postulat de l’égalité devant la volonté
En fait, les critiques adressées ci-dessus au critère de la volonté tiennent toutes au fait qu’un certain nombre de difficultés concrètes rendent la validité du postulat de l’égalité devant la volonté très incertaine. Ces difficultés sont d’ordre matériel (§1) et psychologique (§2). Il faut également tenir compte de la question du manque de place dans les dispositifs d’insertion (§3).

§1. DIFFICULTES MATERIELLES
La question du postulat de l’égalité devant le volonté est en partie le reflet de celle de la confusion entre vouloir et pouvoir en ce sens que l’on considère parfois que tout le monde peut faire telle ou telle chose et qu’il est donc normal d’utiliser ce critère pour évaluer la motivation de la personne. Tel n’est pourtant pas le cas, on a vu par exemple que l’accès aux formations professionnelles nécessite les mêmes capacités préalables en détention que celles exigées à l’extérieur. L’accès à la scolarisation elle-même n’est pas évidente, les détenus sont souvent amenés à choisir entre la scolarisation et le travail, or lorsque l’on ne dispose pas de ressources par l’intermédiaire de sa famille, ce qui est le cas des plus exclus qui auraient particulièrement besoin de suivre une scolarisation, le travail est le seul moyen d’améliorer le quotidien de la détention et de se préparer un pécule de sortie. Une autre difficulté peut résider dans la formulation même de la demande d’insertion. Tout d’abord, la formulation d’une demande nécessite de connaître le dispositif auquel on doit accéder, ce qui n’est pas nécessairement le cas, aussi bien à l’extérieur (où la volonté de ne pas être assisté incite les sortants de prison à éviter les services publics ou associatifs) qu’en détention (où, malgré ses efforts, le personnel des SPIP rencontre des difficultés à faire circuler l’information). Autre difficulté : l’écriture. En détention les demandes doivent en principe se faire par écrit et l’obstacle de la rédaction est réel. C’est également le cas à l’extérieur lorsque des courriers sont exigés pour constituer des dossiers. Bien sûr tous ces obstacles sont surmontables mais il est clair que celui qui a bénéficié d’une plus longue scolarité, ou qui peut utiliser un réseau familial fort, aura un avantage considérable dans l’accès à de nombreux dispositifs, d’où une certaine inégalité.

§2. DIFFICULTES PSYCHOLOGIQUES
Au delà des difficultés matérielles il ne faut pas négliger l’impact de la question psychologique. Maurice Cusson envisage plusieurs causes susceptibles de conduire un délinquant, surtout s’il est récidiviste, à changer de comportement et de mode de vie [3].
L’essentiel de ces causes ont une connotation négative : perte d’attirance pour ce mode de vie, prise de conscience du prix du crime, poids des années passées en détention, crainte de la déchéance et rejet d’une vie de fuite. Même si ces causes sont loin de s’appliquer à l’ensemble de la population carcérale mais plus restrictivement aux personnes ayant intégré la délinquance dans leur mode de vie, il n’en est pas moins vrai que l’envie de changer de vie, le « déclic », lorsqu’il a lieu, est certainement très fréquemment causé par une certaine forme de négation de son passé. Or si cela n’est pas en soi une mauvaise chose, c’est d’une volonté plus positive que la personne a besoin pour pouvoir s’investir pleinement dans sa démarche d’insertion. Il faut avoir envie de « réussir dans autre chose » [4]. Si une telle volonté peut émerger d’elle-même, elle est le plus souvent le fruit d’une stimulation extérieure, d’un soutien, d’un accompagnement. Or une telle stimulation n’est pas offerte à tous et les services sociaux ne sont pas actuellement en mesure de combler l’attente et le besoin de soutien de l’ensemble de la population carcérale.

§3. LE MANQUE DE PLACES
Il convient enfin de rappeler que même en supposant tous ces obstacles levés, le nombre limité de places par dispositif d’insertion ne permet pas réellement à toute personne qui le souhaite d’accéder à l’un d’eux. Cette situation, qui est d’ailleurs connue des détenus, ce qui ne les incite guère à se lancer dans des démarches relativement complexes pour un résultat très incertain, interdit à un certain nombre de personnes, pourtant motivées, d’accéder à ces dispositifs dont certains ont une importance considérable dans le parcours d’insertion (suivi par un organisme social, formation professionnelle). On en arrive ainsi au risque le plus fort dans le cadre du critère de la volonté. Travailler sur la volonté correspond à l’application d’une forme indirecte d’insertion mais, utilisée comme critère, elle détermine l’accès aux formes directes d’insertion, ce qui est fortement discriminant. En effet, utiliser l’une ou l’autre de ces modalités de façon exclusive place tout le monde dans une situation d’égalité. Utiliser l’une ou l’autre parallèlement laisse à chacun la possibilité d’accéder à une forme d’aide.
Mais subordonner l’une à l’autre revient à donner beaucoup à certains et rien à d’autres.
Certes le critère est légitime, mais l’égalité ne règne pas face à lui. Utiliser la volonté comme critère implique donc de mettre en œuvre les moyens permettant d’établir cette égalité. La situation actuelle en France est encore très éloignée d’un tel modèle.

[1] Intervention au Sénat de Mme le garde des sceaux, Ministre de la Justice, séance du 30 mai 2000

[2] Entretien avec Mme Pierrette Catel, directrice de l’agence ANPE Espace Liberté Emploi

[3] CUSSON Maurice, op. cit., p.249 et s.

[4] Ibid., p.249