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(2006) Blog 20 " Le cauchemar de Lacenaire "

Publié le vendredi 20 octobre 2006 | http://prison.rezo.net/2006-blog-20-le-cauchemar-de/

Laurent JACQUA
Maison Centrale de Poissy
17 Rue Abbaye
78300 POISSY

Le cauchemar de Lacenaire

- " C’est l’heure, réveillez-vous ! "
C’est par ces mots et quelques secousses que l’on me tira du sommeil. Il faisait nuit et des ombres s’agitaient frénétiquement autour de moi dans la petite cellule où je me trouvais.
- " Que se passe t-il ? "
Demandai-je en tentant de me lever.
- " Soyez courageux. "
- " Courageux ?! Mais courageux de quoi ? Qu’est-ce que vous racontez ? "
Plusieurs hommes s’approchèrent, l’un deux tenait une vieille lanterne qui éclairait par intermittence leurs visages jaunes et menaçants.
- " Voulez-vous voir le prêtre pour vous en remettre à Dieu ? "
L’homme d’église se faufila entre deux silhouettes sombres et se présenta à moi, l’air grave. Il était en soutane avec une sorte de grand jabot blanc. Tout en me présentant une bible à quelques centimètres de mon visage, il s’adressa à moi :
- " Mon fils repentez-vous afin d’être pardonné, je suis prêt à entendre votre confession. "
J’étais entrain d’halluciner ou était-ce encore un mauvais tour que me jouait l’administration pénitentiaire... Mon esprit fût tout d’un coup submergé par la panique et je me mis à hurler tout en me débattant :
- " Mais vous êtes fou, lâchez moi ? "
A ces mots, l’un des hommes debout près de moi me sauta dessus et me ceintura tandis que deux autres me saisirent les poignets pour me les lier dans le dos avec une cordelette.
J’essayais de me libérer mais impossible de lutter contre ceux qui me maîtrisaient. Soudain je remarquais leurs accoutrements particuliers et cela me paralysa de frayeur et de stupeur. J’étais maintenant bien réveillé et je pouvais mieux les distinguer. J’avais sans doute embarqué dans une infernale machine à remonter le temps car ils étaient vêtus à la mode su 19ème siècle avec des longs manteaux et des chapeaux hautes formes.
Ils me sortirent brutalement dans le couloir où je fus immédiatement encadré par plusieurs hommes en uniforme dont deux me maintenaient fermement les bras comme dans un étau. La procession se mit en marche silencieusement arpentant un long tunnel humide et sombre, seule la voix du prêtre psalmodiant les derniers sacrements résonnait contre les murs épais tandis que nous avancions dans les entrailles de ce qui semblait être une ancienne prison.
- " Mais où m’emmenez-vous ? "
Personne ne me répondit. On entra dans une pièce mal éclairée où l’on me fit asseoir sur un tabouret de bois. Un homme tenant un grand ciseau à la main, s’approcha et tira le col de ma chemise blanche pour le découper de façon méthodique afin de laisser apparaître ma nuque.
J’essayais de comprendre ce qui m’arrivait, mais ce que je voyais, ressentais était tellement intense et réel que la peur m’empêchait de raisonner.
J’avais l’impression d’être dans le corps et l’esprit de quelqu’un d’autre et, je vivais les dernières minutes d’un homme que l’on allait visiblement exécuter.
Après le discours bref et solennel d’un homme de loi, je ne pus retenir que deux choses ; tout d’abord un nom, LACENAIRE puis le fait qu’il était condamné à avoir la tête tranchée.
Comprenant que j’allais être guillotiné d’une seconde à l’autre, je me mis à protester en leur criant que je n’étais pas ce LACENAIRE, que la peine de mort était abolie depuis 1981... Mais je n’eus qu’un silence incrédule en guise de réponse puis, après un instant, l’un deux me répondit d’une voix glaciale que nous étions en 1836 et que j’avais été condamné par la justice à la peine capitale.
Par la suite, ils me traînèrent sans ménagement dans une cour d’honneur face à une grande porte qui, à notre approche, s’ouvrit dans un grincement sinistre. Une brise froide et humide s’empara de tout mon être comme pour me préparer à cette mort inéluctable. Elle était là, la guillotine, imposante, monstrueuse, montant jusqu’au ciel comme une échelle menant vers la promesse d’un au-delà rempli de ténèbres et de tourments.
Une petite foule silencieuse entourait la petite place où elle était installée. Eux aussi portaient des costumes d’époque, certains esquissaient un petit sourire cruel et leurs regards avides suivaient avec délectation mes pas hésitants qui me conduisaient vers l’échafaud.
Toujours solidement maintenu, on me fit monter de force les quelques marches menant sur l’estrade où était fixée la terrible machine à décapiter. Là je me retrouvais face à un bourreau portant une cagoule. Les deux trous noirs qui faisaient office d’yeux me transperçaient l’âme et semblaient ne vouloir qu’aspirer mon dernier souffle pour m’arracher la vie. J’étais au-delà de la peur, au-delà de l’effroi, impuissant, chancelant sur des jambes qui ne me portaient plus. Je levais la tête pour voir du coin de l’œil la lame en biseau scintiller dans un ciel obscur réclamant son sacrifice humain au petit matin.
J’allais mourir décapité dans un siècle qui n’était pas le mien pour un crime que je n’avais pas commis, mais quand allais-je me réveiller pour sortir de ce cauchemar ?
Ils m’allongèrent, me sanglèrent sur une planchette de bois puis me firent basculer et glisser jusqu’à ce que ma tête pénètre dans un trou noir. Je fermais les yeux et quand je les rouvris, mon regard se posa sur le fond d’un panier d’osier taché de sangs séchés. J’entendis le bourreau actionner un levier et ma tête, soudain trop lourde bascula dans le néant...

C’est à ce moment là que je me suis réveillé en sursaut, tout en sueur après avoir vécu toute l’horreur d’une exécution.
Mais qui était ce LACENAIRE ?
Après cette nuit agitée, je me suis précipité à la bibliothèque de la centrale pour y faire quelques recherches sur cet individu dont je ne savais même pas s’il avait vraiment existé. A ma grande surprise, je découvris un personnage ayant de nombreuses similitudes avec mon parcours. J’étais lié à lui de façon très troublante, j’en reste encore stupéfait et déconcerté.
Voilà ce que j’ai pu lire sur sa biographie dans un dictionnaire :

" LACENAIRE Pierre François (1800-1836)
Bien éclipsée pendant un siècle par tant d’autres criminels aussi effrayant et plus récent, la figure de LACENAIRE est sortie de l’ombre grâce aux " enfants du paradis " de Prévert et Carné.
Fils d’honorables commerçants établis près de Lyon, élève au lycée de cette ville puis au petit séminaire d’Alès dont il est chassé, LACENAIRE entame sa licence en droit à Chambéry. Ses indélicatesses et ses débauches le contraignent à chercher refuge à Paris en 1825. Il sait s’y faire accueillir par les journaux de l’opposition, mais un duel malheureux en 1829, avec un neveu de Benjamin CONSTANT qu’il tue, le prive de ressources ; Il vole et revend alors un cabriolet, ce qui lui vaut un an de prison purgé à Poissy. Il y fait là, dira-t-il, son " université criminelle " et, dès sa sortie, fonde une association de malfaiteurs. Il encourt bientôt une nouvelle condamnation en 1832 et, c’est en prison qu’il écrit une ballade qui le rend célèbre, " Pétition d’un voleur à un roi, son voisin ", qui lui vaut d’entrer au journal Le bon sens (dirigé par Altaroche, un détenu politique) où il publie un article remarqué sur le régime pénitentiaire, Les prisons et le régime pénitentiaire.
LACENAIRE y décrit l’initiation criminelle et les mœurs infâmes qui sont de règle dans les maisons centrales. Sans argent, il décide d’égorger les garçons de recettes des banques au retour de leur tournée. Au deuxième crime, sa tentative échoue. Il est identifié et arrêté par le célèbre policier CANLER en 1835. Les assises de la Seine le condamnent à mort. En attendant son exécution, il écrit ses Mémoires et révélations qui dénotent un indéniable don littéraire, il reçoit dans sa cellule la haute société parisienne " émerveillée par son éducation et son talent " qui vient solliciter des autographes. Il est exécuté le 9 janvier 1836, refusant les prières de l’aumônier, lui qui avait écrit : " Dieu, le néant, notre âme, la nature...C’est un secret. Je le saurai demain ".

Est-ce un hasard que je sois né le 9 janvier 1966, soit 130 ans jour pour jour après la date de son exécution ? En voilà de la matière pour les adeptes de la numérologie et des sciences occultes...
Suis-je la réincarnation de ce contestataire pénitentiaire du 19ème siècle, qui, il y a 170 ans, dénonçait le monde carcéral de son époque ?
Est-ce encore une coïncidence si aujourd’hui je tourne dans les promenades de la centrale de Poissy qu’il a jadis fréquenté ?
Il aura fallu un mauvais songe, sans doute envoyé par son esprit encore présent dans les murs, pour que je me retrouve confronté à son histoire et à son existence passé. Ce rêve m’a inspiré un dessin torturé et mystérieux représentant une vision dont je n’ais pas encore trouvé l’interprétation, ni la clé.
Les corps physiques des réprouvés peuvent disparaître, mais leurs esprits sont munis d’une énergie vivace qui leurs permettent facilement de communiquer lorsqu’ils désirent le faire. Ce n’est pas étonnant que cela soit toujours en prison ou dans des lieux de souffrances que ce genre de phénomènes étranges arrivent, c’est même très fréquent, comme si il y avait ici un passage ou une porte ouverte laissant passer les ondes ou les vibrations venant du monde des ténèbres. Ces lieux sont de véritables paraboles pour entendre distinctement les voix d’outre tombes.

9 octobre 2006, c’est le 25ème anniversaire de l’abolition de la peine de mort, et c’est la raison pour laquelle je vous ais fait partager, par ce texte, une exécution onirique, afin que vous vous rendiez compte de l’horreur qu’on pu vivre des milliers de guillotinés et rappeler que ces mises à mort sont à tout jamais une page sanglante et honteuse de notre histoire judiciaire. Tuer un prisonnier sans défense alors qu’il a déjà été écarté de la société par son incarcération, est un acte d’une lâcheté, d’une cruauté, d’une violence et d’une barbarie sans nom.

On ne peut prétexter de l’exemplarité d’une exécution légale pour justifier la protection d’une société contre des criminelles car il n’y a aucune différence entre une exécution et un crime, les deux sont une égale atteinte à la vie humaine. On ne peut donc accepter qu’une institution réprime le crime par un autre crime et c’est sur ce plan que la peine de mort est une aberration, un non-sens et une monstruosité tant sur le plan judiciaire, moral que philosophique.

Après le temps de la sanglante guillotine, ils ont institués une nouvelle peine de mort, celle de la dégradation et de la mort lente par la longueur des peines, ce qui est tout aussi inhumain, voir même, plus cruelle encore.
Au fond la barbarie à simplement changer d’époque, de méthode et de visage, désormais on ne tue plus, on laisse crever au fond des centrales. Même après ces quelques générations qui nous séparent du 19ème siècle, le système carcéral et pénal français n’a pratiquement pas évolué. Aujourd’hui, la prison tue encore mais de façon plus raffinée et plus sadique. En fait ce cauchemar n’est qu’un avertissement pour me rappeler qu’il faut encore et toujours se battre par les mots, les textes pour dénoncer les abus répressifs à l’encontre des prisonniers. Même si nous ne sommes que de piètres écrivains maudits, il faut le faire car ces écrits seront toujours emprunts de vérité, celle de ceux qui souffrent et qui n’ont plus que des mots pour le dire.
Je n’écris pas pour écrire mais pour témoigner de ce que nous vivons d’indigne au sein du monde carcéral et quoi qu’on en dise, cela servira un jour, car ces témoignages resteront gravés quelque part.
Aujourd’hui les médias, les supports ont changés, mais il y a encore des " LACENAIRE " qui malgré la mort continuent de vous chatouiller la conscience.
La mort n’atteint jamais ceux qui écrivent pour défendre une part d’humanité, aussi petite soit-elle

A bientôt sur le BLOG pour la suite...

Laurent JACQUA
"Le blogueur de l’ombre"