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Mourir en prison

Publié le mardi 24 octobre 2006 | http://prison.rezo.net/mourir-en-prison,8705/

Le droit à mourir dans des conditions choisies est un droit inaliénable de la personne. A ce titre, il ne peut être indexé sur aucun critère car sa portée est universelle, au sens de la déclaration des droits de l’Homme.

"Prisons : une humiliation pour la République". C’est en ces termes que le rapport de la commission d’enquête du sénat, remis le 28 juin 2000, décrivait les prisons françaises ; "à la prison républicaine héritée des idéaux positivistes et des philanthropes de la fin du XIXè siècle, s’est substitué un système confus, où apparaissent la prison-asile, la prison-hospice et la prison-hôpital", peut-on lire. Depuis ce rapport sénatorial de 2000, rien n’a changé sur le fond : surpopulation, inactivité, suicides, décisions arbitraires, droits fondamentaux bafoués... Parmi ces droits : le droit à mourir dans des "conditions dignes", qui est un droit pourtant inaliénable. La personne incarcérée n’est pas considérée comme sujet de droit ; on ne parle pas de droit mais d’octroi, de permission, d’autorisation ; on ne parle pas de devoir mais d’obligation, de contrainte, de sujétion.

Le droit à une fin de vie dans "des conditions dignes" recouvre une vaste réalité. Il ne s’agit pas de donner à la fin de vie des apparences "supportables" pour la société. Il s’agit bien de s’interroger sur les souhaits profonds de l’Homme, lorsqu’il est confronté à sa finitude, dans le respect de son parcours, de sa culture, de ses relations aux autres, de sa spiritualité. Toute personne en fin de vie doit avoir la possibilité de choisir d’être avec ses proches. Les proches eux-mêmes peuvent exprimer des souhaits qu’il est essentiel de prendre en compte. Tout cela constitue le devoir d’accompagnement, qui est simplement un geste d’humanité ; ce geste est la marque de la civilisation, de la vie en société. Toute personne doit se voir reconnaître son humanité à ce moment particulier qu’est la fin de sa vie, et ce, bien évidemment, quel que soit son passé. La prison est-elle en situation d’assurer cela ? De toute évidence non. Etre à l’écoute des besoins exprimés par la personne, lui permettre d’être avec ses proches pour échanger verbalement ou pour avoir un contact physique, lui laisser simplement la possibilité de choisir sont autant d’éventualités intrinsèquement contradictoires avec les règles de fonctionnement des établissements pénitentiaires.

Jusqu’à la loi 2002-303 du 4 mars 2002 (publiée au journal officiel n° 54 du 5 mars 2002), relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, la sortie de prison, pour une personne en fin de vie, était possible par le recours à des mesures discrétionnaires, comme la grâce, la suspension de peine, la libération conditionnelle pour les personnes condamnées et la liberté provisoire pour les personnes prévenues. Ces mesures étaient prononcées de façon exceptionnelle. La loi du 4 mars 2002 instaurait un dispositif pouvant s’appliquer à tous ; cette loi devait permettre de sortir d’un système exclusivement discrétionnaire : "La suspension [de peine] peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux". Si la suspension de peine peut "également" être ordonnée, c’est parce que : "en matière correctionnelle, lorsqu’il reste à subir par la personne condamnée une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à un an, cette peine peut, pour motif grave d’ordre médical, familial, professionnel ou social (...) être suspendue ou exécutée par fractions". Mais cette loi n’a pratiquement rien changé. Il devient même de plus en plus difficile d’en bénéficier depuis la modification introduite fin 2005 dans le CPP (code de procédure pénale), consécutivement à la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales. On lit maintenant : "Sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction" ; risque difficile à évaluer... Il était même question, lors des débats parlementaires, d’ajouter la phrase : " hors les cas où cette suspension de peine est susceptible de provoquer un trouble exceptionnel à l’ordre public ou s’il existe un risque particulièrement élevé de récidive du condamné". La notion de trouble exceptionnel à l’ordre public est particulièrement vague... Le critère prioritaire d’urgence sanitaire s’est vu indexé sur un critère de sécurité (plus supposée que réelle d’ailleurs). Le CPP a également été modifié en imposant une expertise médicale tous les 6 mois, lorsque la personne avait fait l’objet d’une condamnation en matière criminelle. C’est d’autant plus étonnant qu’existait déjà la possibilité, pour le juge de l’application des peines, d’ordonner à tout moment une expertise médicale. Ces 2 dispositions coexistent maintenant. Les modifications introduites dans le CPP par la loi sur le traitement de la récidive des infractions pénales constituent une régression évidente. Le "tout sécuritaire" a supplanté les considérations humaines et les urgences sanitaires.

Quoi qu’il en soit, et avant modification du CPP, le nombre de personnes ayant bénéficié d’une suspension de peine pour raison médicale était particulièrement faible. D’après les chiffres de l’administration pénitentiaire, au 2e semestre 2005, 191 personnes avaient vu leur peine suspendue pour raison médicale depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 (461 personnes avaient formulé la demande). Aucun cas de renouvellement de l’infraction n’a été relevé. Dans le même temps, chaque année, entre 120 et 130 personnes meurent en prison, hors les cas de suicide. Il est difficile d’évaluer exactement ce chiffre car dans les "chiffres clés de l’administration pénitentiaire", les décès, sans distinction entre mort naturelle et suicide, sont comptabilisés dans la catégorie "extradition, expulsion, évasion, fugue, décès". Le nombre de suicides est donné par ailleurs dans le document, mais pas le nombre de morts naturelles, à croire que cette question n’est pas une préoccupation prioritaire...

Les freins à l’application de la loi sont trop nombreux, ce qui ne peut être que déplorer. Tout d’abord, il y a indéniablement la crainte de l’opinion publique : même si l’expertise médicale conclut à une incompatibilité entre l’état de santé de la personne et son maintien en détention, ou bien fait état d’un pronostic vital engagé, c’est le juge qui prend la décision et il est forcément soumis, en dépit de son indépendance, à des pressions, énoncées ou implicites, de l’opinion publique ou des élus. Ensuite, il n’y a peu, voire pas, de sensibilisation éthique des personnels pénitentiaires et plus généralement des intervenants en prison. La lourdeur de la procédure semble également être un obstacle : des personnes meurent en prison quelques jours après leur demande de suspension de peine, car celle-ci a été rejetée pour vice de forme, ou bien n’a pas pu être examinée... Il y a aussi la difficulté de l’expertise : le professionnel de santé s’engage pour conclure à une incompatibilité entre l’état de santé de la personne et le maintien en détention, alors qu’il connaît parfois mal les conditions de la détention (notamment en matière d’accès aux soins et d’absence de soins palliatifs). Enfin, les structures d’accueil pour les personnes en fin de vie (comme certains services hospitaliers) refusent parfois l’accès à des personnes bénéficiant d’une suspension de peine pour raison médicale. Par ailleurs, il convient de respecter le secret médical tout au long de la procédure. Le principe du respect de ce secret ne doit jamais être remis en cause, et ne doit surtout pas être présenté comme une difficulté pour mener la procédure, un prétexte qui justifierait une application trop limitée de la loi.

L’allongement des peines prononcées laisse entrevoir que ce problème de la fin de vie en prison risque de se poser de plus en plus ; d’autant plus d’ailleurs que la prison est elle-même pathogène. La médicalisation de la prison en réponse à ce problème est une dérive qu’il faut éviter ; un "hôpital-prison" pourrait peut-être permettre d’apporter des soins médicaux adaptés, mais il ne garantirait pas les conditions de vie nécessaires pour prodiguer ces soins. Jamais en prison, une personne ne pourra être dans une situation lui permettant d’aborder sa fin de vie dans des conditions d’humanité suffisantes. Il faut abandonner l’idée de laisser en prison des personnes mourantes.

La rédaction
Ban Public

(Octobre 2006)

Statistiques

|France|Décès en prison|Suicides en prison|Décès en prison, à l’exclusion des suicides|Taux de mortalité pour 10000 détenus| |1996|279|138|141|49| |1998|214|118|96|39| |1999|262|125|137|47| |2000|233|120|113|46| |2001|236|104|132|48,7| |2002|244|122|122|45,6| |2003|230|120|110|40|

 

|Allemagne|Décès en prison|Suicides en prison|Décès en prison, à l’exclusion des suicides|Taux de mortalité pour 10000 détenus| |1996|151|75|76|21| |1998|155|78|76|21| |1999| | | | | |2000|155|78|77|20| |2001|171|98|73|21,7| |2002|162|71|91|20,6| |2003|150|80|70|18,9|

 

|Suède|Décès en prison|Suicides en prison|Décès en prison, à l’exclusion des suicides|Taux de mortalité pour 10000 détenus| |1996|14|6|8|27| |1998|14|10|4|29| |1999|11|2|9|23| |2000|11|5|6|15| |2001|12|4|8|22,2| |2002|20|8|12|30,7| |2003|15|8|7|22,2|

 

|Turquie|Décès en prison|Suicides en prison|Décès en prison, à l’exclusion des suicides|Taux de mortalité pour 10000 détenus| |1996|48|13|35|8,8| |1998|120|20|100|26| |1999|133|16|117|19| |2000|126|22|104|18| |2001|101|25|76|15,6| |2002|93|16|77|15,5| |2003|152|34|118|23,7|

 

Source : statistique pénale annuelle du conseil de l’Europe (SPACE).

 
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