Ban Public
Le portail d’information sur les prisons
Les mesures de sûreté : des peines après la peine.

Publié le mardi 24 octobre 2006 | http://prison.rezo.net/les-mesures-de-surete-des-peines/

Il existe de nombreuses mesures de sûreté, prononcées au moment du jugement et qui s’appliquent après la libération.

La "dangerosité" des personnes demeure un concept extrêmement flou qui pourtant sert de justification à nombre de dispositifs répressifs. Dire d’une personne qu’elle est "dangereuse" c’est porter un jugement sur la base de faits dont on suppose qu’ils pourraient être commis. La peur qui accompagne la prise de conscience d’un danger, est éminemment subjective, or c’est elle qui permet de dire qu’il y a ou non danger ; d’où l’impossibilité à établir des critères objectifs de dangerosité. C’est pourtant sur la base de la dangerosité supposée des personnes que des mesures de sûreté sont prononcées.

Une peine d’emprisonnement vise très clairement à sanctionner, à mettre à l’écart et à favoriser la réintégration les personnes ; objectifs complexes, liés parce que se situant dans un même lieu et parfois contradictoires. La mesure de sûreté a pour objectif principal de prévenir les troubles à la société et en ce sens ne doit pas avoir de caractère afflictif. Entre autres conséquences, la peine contient en elle-même une connotation morale alors que la mesure s’intéresse moins à la personne en tant que telle qu’à sa supposée dangerosité. Par ailleurs, et au moins en théorie, la peine fait l’objet de garanties concernant le respect de la légalité ou le respect de la dignité ; ce n’est pas le cas de la mesure de sûreté. Ce qui distingue une peine d’une mesure de sûreté semble donc relativement clair : d’un côté, la personne est au centre d’un dispositif et bénéficie de garanties (en théorie) ; de l’autre, la personne est réduite à une évaluation de sa dangerosité et fait l’objet d’une surveillance sans garantie d’un point de vue légal. Pourtant les choses sont loin d’être aussi claires dans la réalité. Tout d’abord, il est évident que les mesures de sûreté ont un caractère contraignant comme des peines. Ensuite, comme pour aggraver la confusion, certaines mesures de sûreté, comme l’interdiction d’exercer une profession, existent sous l’appellation de peines complémentaires alors même qu’elles sont effectivement des mesures de sûreté puisqu’elles visent à protéger la société face à des risques éventuels supposés. A la fois pour garantir les mêmes droits, notamment en matière de respect de la légalité, et pour reconnaître que les mesures de sûreté ont un réel caractère afflictif, il serait probablement plus juste de qualifier ces mesures de sûreté de peines à part entière.

Les principales mesures de sûreté qui existent dans le droit français sont : l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS), le suivi socio-judiciaire, l’injonction de soins, la surveillance judiciaire et le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM).

La loi 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, a institué le FIJAIS. Ce fichier sert à : prévenir la récidive des auteurs d’infractions sexuelles déjà condamnés, faciliter l’identification des auteurs de ces mêmes infractions et les localiser rapidement et à tout moment. Le fichier est alimenté par les procureurs de la république et les juges d’instruction compétents. Des obligations résultent de l’inscription à ce fichier. En particulier celle de justifier de son adresse une fois par an et de déclarer ses changements d’adresses dans les quinze jours ; les personnes ayant commis "les infractions les plus graves" doivent, tous les six mois, justifier en personne de leur adresse. Au 31 mai 2006, le nombre de dossiers enregistrés dans le FIJAIS était de 30 013, dont 20 222 dossiers enregistrés dès la mise en service. Les informations sont conservées pendant vingt ou trente ans selon la gravité de l’infraction commise. Dans son discours du 8 juillet 2005 Pascal Clément se félicite de la voie choisie par le gouvernement en matière d’identification des auteurs d’infractions sexuelles, arguant que ce dispositif garantit le respect de la vie privée. Pourtant le principe même d’un fichier, avec des obligations afférentes pour les personnes qui y sont inscrites, représente une réalité oppressante pour les personnes concernées. Cette mesure de sûreté a un caractère afflictif. De plus, est-elle réellement efficace quant à la vocation première d’empêcher de commettre de nouvelles infractions ?

La loi 1998-468 du 17 juin 1998, relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, a institué le suivi socio-judiciaire. Il peut être prononcé par les juridictions à l’encontre des personnes condamnées pour certaines catégories d’infraction. Cette mesure est encourue pour les infractions à caractère sexuel ainsi que, depuis la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, pour les autres infractions les plus graves (actes de torture et de barbarie, meurtres, pyromanie...). Le suivi socio-judiciaire présente en soi un caractère intermédiaire entre la peine complémentaire et la mesure de sûreté. Le suivi socio-judiciaire consiste à soumettre le condamné, sous le contrôle du juge de l’application des peines, pendant une durée fixée par la juridiction de jugement, à des mesures d’assistance et de surveillance destinées en principe à prévenir la récidive. Le suivi comporte des mesures de surveillance (interdictions diverses) et des mesures d’assistance (aide sociale et éventuellement aide matérielle). L’injonction de soin fait partie des obligations possibles dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire. Ce suivi ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans en matière criminelle. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a porté cette durée à trente ans en matière criminelle lorsque les peines prononcées étaient de 30 ans de réclusion criminelle. Cette loi a de plus prévu de ne pas fixer de limite à la durée du suivi socio-judiciaire lorsque la peine prononcée était la réclusion criminelle à perpétuité. Les durées pendant lesquelles ces obligations perdurent sont considérables surtout eu égard au fait que les interdictions imposées privent les personnes d’une partie de leur liberté. Il est à noter que, le 2 septembre 2004 (arrêt n° 04-80518) la chambre criminelle de la cour de cassation qualifie le suivi socio-judiciaire de peine. Le conseil constitutionnel n’est d’ailleurs pas revenu sur cette qualification, ce qui ne l’a toutefois pas empêché d’adopter une autre qualification pour la surveillance judiciaire, y compris lorsqu’elle comprend un placement sous surveillance électronique mobile.

L’injonction de soins est prononcée dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire. Le juge de l’application des peines désigne un médecin coordonnateur sur une liste départementale de psychiatres ou de médecins ayant suivi une formation spécifique. Ce médecin est notamment chargé de transmettre au juge de l’application des peines les éléments nécessaires au contrôle de l’injonction des soins. La personne soumise à cette injonction choisit son médecin traitant en liaison avec le médecin coordonateur. Cette mesure est relativement peu prononcée, essentiellement du fait de la pénurie de médecins susceptibles d’en assurer l’application. La non observation par la personne de l’injonction de soins (au même titre que n’importe quelle autre obligation fixée dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire) est sanctionnée par un emprisonnement. Comment se soigner quand on n’en fait pas soi-même le choix ? Comment se soigner quand le secret médical est forcément remis en cause par le contrôle qu’exerce le juge de l’application des peines ? Comment se soigner quand pèse la menace du retour en prison ? Une telle menace ôte toute liberté de choix. Elle impose l’adhésion de la personne et de fait peut d’ailleurs être une "adhésion stratégique", dont le bénéfice est loin d’être évident pour la personne.

La loi 2005-1549 du 12 décembre 2005, relative au traitement de la récidive des infractions pénales, a créé la surveillance judiciaire. Elle consiste à contrôler des personnes ayant commis des infractions particulièrement graves, considérées comme "dangereuses" et susceptibles de récidiver. Le contrôle prend la même forme que celui défini dans le cadre du suivi socio-judiciaire (y compris l’injonction de soins). La durée maximale de cette surveillance est égale à celle des réductions de peines dont a bénéficié la personne durant son incarcération. Cette mesure présente les mêmes inconvénients que le suivi socio-judiciaire, sans par ailleurs de mesure d’accompagnement.

Cette même loi a introduit le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM). Cette mesure s’applique dans le cadre soit du suivi socio-judiciaire, soit de la surveillance judiciaire, soit de la libération conditionnelle (aux auteurs des infractions pour lesquelles un suivi socio-judiciaire est encouru). La personne concernée doit donner son consentement mais, si elle refuse, elle peut être réincarcérée ! Le refus de cette mesure peut de toute évidence être motivé par le fait de voir les personnes chargées du contrôle pénétrer son intimité. La durée maximale du placement est de 2 ans renouvelables une fois en matière correctionnelle et 2 fois en matière criminelle ; le placement est assorti d’obligations. La mesure est actuellement en cours d’expérimentation. Comment ne pas considérer cette mesure comme une atteinte à la liberté, compte tenu que tous les déplacements de la personne sont connus et que ces derniers sont limités ? En outre, porter en permanence un objet émetteur est particulièrement stigmatisant. Dans ces conditions, la question de l’efficacité de la mesure n’a même pas à être posée ; des critères de sécurité, réelle ou supposée, ne peuvent pas précéder la question du respect des droits de l’Homme.

Les différentes mesures de sûreté, par nature, réduisent la personne au concept de dangerosité puisqu’elles ont comme seul but de protéger la société d’un danger. Dans le cadre de ces mesures, des dispositions sont prises, relatives à des contraintes ou à des interdictions. De telles dispositions, en particulier les interdictions (de paraître dans certains lieux, d’exercer une profession au contact d’enfants, de contacter certaines personnes) ne sont pas de nature à permettre à la personne, une fois la mesure levée, et confrontée à toutes les situations qui se présentent dans le déroulement d’une vie libre, d’avoir les outils nécessaires pour éviter l’écueil d’une éventuelle récidive. Soit on considère que la peine permet la réintégration des personnes et alors les mesures de sûreté n’ont pas de raisons d’être ; soit, ce n’est pas le cas, mais l’interdiction n’est en rien une solution pour appendre à adapter son comportement face à des situations reconnues comme des tentations pour un passage à l’acte. De fait les mesures de sûreté révèlent une certaine indifférence à la personne. Au-delà de cette indifférence, ces mesures sont véritablement restrictives de liberté. Elles portent donc atteintes à ce qui est constitutif de l’humanité des personnes. Elles sont de véritables peines après la peine.

La rédaction
Ban Public

(Octobre 2006)