La semaine dernière, le Cour européenne condamnait l’Etat belge à verser 50000 euros à Tabitha. Au même moment, une pétition a été lancée au niveau européen pour s’opposer à une directive qui éntérine l’enfermement et l’éloignement des mineurs étrangers (voir www.mrax.be). Aujourd’hui, 10 associations ont rendu public un rapport salé sur les centres fermés...
Les centres fermés de la Belgique violent les droits humains
Mrax, Caritas, Aide aux Personnes Déplacées...
Centres fermés pour étrangers : un bilan inquiétant
Communiqué de presse commun : Aide aux Personnes Déplacées, Caritas International Belgique, le CIRÉ, le Centre Social Protestant, Jesuit Refugee Service Belgium, la Ligue des Droits de l’Homme asbl, le MRAX, Point d’Appui, le Service Social de Solidarité Socialiste, et Vluchtelingenwerk Vlaanderen du 19 octobre 2006
En moyenne, 8000 personnes sont détenues chaque année en centre fermé. Parmi celles-ci, le nombre d’enfants a considérablement augmenté. Les placements en cellule d’isolement ne font que croître. 25 % des détentions n’étaient pas justifiées et à peine 20% des détenus ont pu faire vérifier la légalité de leur détention par un tribunal en 2003. Chaque année, la détention et les expulsions coûtent plus de 25 millions d’Euros à l’Etat belge. La privation de liberté, acte normalement exceptionnel, se banalise dans le cas des étrangers. Ces personnes sont arrêtées et placées en détention pour le seul motif de leur situation administrative.
Dresser un bilan annuel de la situation dans les six centres fermés pour étrangers est l’objectif de ce rapport rendu public ce 19 octobre. Les associations signataires, fortes de leur expérience en centre fermé, ont décidé de faire la lumière sur la politique de détention des étrangers en Belgique. Ce rapport vise à informer les responsables politiques et les citoyens afin d’alimenter le débat et d’aider chacun à se forger une opinion. Il est issu d’observations concrètes faites lors de nombreuses visites en centres fermés. Il s’agit donc d’un rapport largement documenté, précis et circonstancié.
Après avoir présenté des chiffres accompagnés de commentaires critiques, nous avons privilégié deux thèmes : d’une part, les aspects médicaux et psychologiques de la détention et d’autre part, les pressions et violences autour des expulsions. Cet état des lieux est ponctué de témoignages qui illustrent les difficultés que doivent affronter les personnes détenues dans ces centres.
Trop souvent, on retrouve dans les centres fermés des personnes qui, au vu de leurs problèmes physiques ou psychiques, ne devraient jamais se retrouver dans ce type d’environnement. Elles ont régulièrement le sentiment de ne pas être écoutées ou que leurs problèmes ne sont pas pris au sérieux. Souvent, elles ne reçoivent pour tout traitement que des calmants ou des somnifères.
Et le fait qu’il y ait au centre de ce système, un service médical et social
dépendants, à des degrés divers, de l’administration n’est pas sans poser de problèmes.
La détention en tant que telle a parfois des effets dévastateurs sur l’état de personnes qui la subissent. Beaucoup de détenus se montrent stressés, angoissés et plus les durées de détention sont longues, plus les individus apparaissent cassés et sombrent dans la déprime. Les détenus ont souvent l’impression d’être traités comme des criminels et ne connaissent pas la durée de leur détention. Dans le cas des enfants, la détention peut laisser des séquelles irréversibles. Ces exemples montrent bien que la politique d’éloignement prime sur toutes autres considérations.
La détention a pour objectif l’expulsion. Les témoignages de pressions et de brutalités lors de ces expulsions sont récurrents, avec souvent des indices sérieux de traitements dégradants. Les contrôles pendant les expulsions sont quasiment inexistants. Il n’y a pas de surveillance vidéo et les possibilités effectives qu’une plainte aboutisse sont presque nulles. Qu’il s’agisse du placement en zone de transit, du transfert, de l’arrivée à l’aéroport ou de l’embarquement dans l’avion, les personnes expulsées sont constamment soumises à de très fortes pressions.
Ce travail vise donc à rendre public une réalité trop souvent méconnue. En
compilant les données et en pointant du doigt les problèmes auxquels sont
confrontées les personnes qui vivent dans ces centres, nous voulons dénoncer ces situations souvent inacceptables mais aussi, à partir de nos constatations, proposer des recommandations concrètes au monde politique.
Voir www.mrax.be
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Extrait du rapport :
Janvier 2005 : M.D., camerounais : « Hier il y avait foot à la télé. Au beau milieu du match nous avons dû aller nous coucher... qu’est-ce que c’est çà ? A Anvers on trouve une télé pour 30 euros ... il faut quand même traiter les gens de façon humaine... »
Conséquences médicales et psychologiques de la détention
L’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme stipule que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales... »
La Convention énonce un droit fondamental : la liberté est la règle, l’enfermement l’exception. La privation de liberté est une épreuve très lourde. Or, des personnes sont
enfermées, dans le cadre du contentieux des étrangers, au motif qu’on leur interdit l’entrée sur le territoire, ou parce qu’elles n’ont plus les papiers nécessaires et doivent être expulsées.
La législation belge autorise l’enfermement dans le but d’organiser l’expulsion.
Il est important de souligner ici que ces étrangers sont enfermés pour le seul motif qu’ils séjournent « illégalement » dans le pays. Rien ne leur est reproché pénalement. Ils n’ont pas commis d’infraction. Ils sont détenus pour des raisons purement administratives.
Nos visites hebdomadaires dans les centres fermés en Belgique et nos contacts avec des personnes détenues nous permettent d’affirmer que la privation de liberté sur décision administrative et les conditions de l’enfermement ont un impact sur la santé physique et psychologique des étrangers.
Cette section a pour objet de mettre cette problématique en lumière. La situation que nous évoquons est celle qui nous est décrite, à nous visiteurs, par les détenus.
L’arrestation et l’enfermement : un rêve avorté
L’anxiété, l’impuissance et la colère sont omniprésentes dans les centres fermés. Nos visites nous ont permis de constater combien les détenus se montrent stressés. Souvent aussi ils font état d’importants problèmes de santé physique.
L’arrestation et l’enfermement, préludes à une expulsion forcée, annihilent l’espoir d’une vie meilleure en Belgique. La perspective d’un renvoi dans le pays d’origine devient soudainement imminente.
Il convient de distinguer « arrestations » à la frontière et arrestations sur le territoire belge.
Et parmi les arrestations sur le territoire, il faut distinguer celles de demandeurs d’asile qui sont encore en procédure (et ont donc un droit de séjour) et celles d’autres étrangers qui ne sont plus en séjour légal.
Impact de la détention
a) Difficulté de la détention en tant que telle
Quel que soit le centre où ils se trouvent, les étrangers nous font part de leur très grande difficulté à supporter l’enfermement. La privation de liberté est une atteinte très lourde et a des conséquences sur l’état psychique et physique des détenus.
En outre, le régime des centres est un véritable régime carcéral. Non seulement les gens y sont enfermés, mais ils sont soumis à un système de groupe très strict pourvu de règles nombreuses et d’une discipline sévère, avec des horaires fixes, des portes qui ne s’ouvrent et ne se ferment qu’à clef. Ils ne jouissent d’aucune forme de vie privée. Selon les centres, le régime a plus ou moins de souplesse, mais il reste un régime carcéral - à cette différence près que dans les centres fermés les détenus n’ont pas, comme en prison, la possibilité de travailler (à l’exception de petites prestations rémunérées par une carte de téléphone). Les journées passent dans l’oisiveté, avec de temps à autre des activités sportives ou autres. Ces conditions sont génératrices de beaucoup de tension et peuvent conduire à la dépression.
Le fait que les étrangers sont enfermés dans d’anciennes prisons ou dans des centres lourdement sécurisés par de hauts grillages et des barbelés donne aux détenus l’impression d’être considérés comme des « criminels » - alors qu’ils sont enfermés pour raisons administratives et non suite à un délit. Certains en conçoivent un très violent sentiment de révolte. Par ailleurs, l’ « arbitraire » qui caractérise les décisions d’enfermement (dont le seul critère paraît être le nombre de places disponibles) suscite entre autres incompréhension et colère.
Il y a très peu de respect de la vie privée et de l’intimité dans les centres fermés. Par exemple, dans certains centres (au CIB et au 127) il n’y a que des dortoirs de 20 personnes.
Dans d’autres il y a aussi de plus petites chambres. Les familles sont logées dans une seule chambre, ou deux s’il s’agit d’une famille nombreuse. Le détenu n’est jamais seul, il est constamment environné par le bruit des autres.
La journée est découpée selon un schéma strict : heures fixes de lever et de coucher, heures fixes pour les repas, heures fixes pour « prendre l’air », jours et heures fixes pour la douche.
Aucun choix individuel n’est possible pour les occupations de la journée. On est toujours obligé de suivre le « mouvement du groupe ». Celui qui n’a pas envie de sortir pendant l’heure de détente est obligé de sortir. Celui qui n’a pas faim est contraint d’accompagner le groupe au réfectoire. Celui qui n’est pas fatigué doit aller se coucher à l’heure fixée, etc.
Pour la moindre infraction, le régime disciplinaire prévoit la sanction (pouvant aller jusqu’à la cellule d’isolement). Le régime de groupe régit toute la vie du centre et pèse très lourdement sur les détenus.
Dans certains centres, l’accès aux dortoirs ou chambres n’est même pas autorisé pendant la journée. Dans d’autres, il est autorisé, parfois de façon limitée. Au centre 127 il y a en outre le vacarme constant des avions qui décollent ou atterrissent : ce centre est situé sur les pistes d’envol et d’atterrissage de l’aéroport national.
Tous les détenus portent un numéro, et dans certains centres le personnel ne s’adresse à eux que par ce numéro, pas par leur nom.
Autre facteur de stress : le fait que les détenus ignorent quelle sera la durée de leur détention.
La loi fixe un premier terme de 2 mois, qui peut être prolongé de 2 mois puis encore jusqu’à une durée totale de 5 mois (les gens considérés comme dangereux pour l’ordre public peuvent être enfermés pendant 8 mois). Rappelons que dans les faits la détention est illimitée, comme nous l’avons dit en première partie. Cette possibilité d’être détenu administrativement de manière illimitée est un facteur supplémentaire de pression psychologique et donc de stress très intense.
Au début de la détention, l’étranger ignore combien de temps celle-ci durera ; c’est psychologiquement très pénible.
b) Quelques témoignages :
Novembre 2004 : J‘ai eu un entretien avec un membre du personnel soignant du service médical ; il me dit qu’il est normal que tous ceux qui sont enfermés aient des problèmes psychologiques.
Mai 2005 : Mme P., nigériane : Madame me dit qu’elle est si fatiguée de la détention. Elle en devient vraiment malade. Elle demande combien de temps ce martyre va encore durer.
Elle se sent devenir folle. Je constate qu’elle est de plus en plus confuse. Elle parle de son souhait de mourir ici.
Novembre 2004 : M. K., algérien : Cet homme est détenu alors que son père, ses 4 frères et ses 3 sœurs habitent en Belgique et sont belges. Il était journaliste dans l’AIS (Armée Islamique du Salut) en Algérie. Sa demande d’asile a été rejetée parce qu’une amnistie est intervenue en Algérie. Il se plaint de forts maux de tête, il est très amaigri et souffre d’insomnie dans le centre. Il est très anxieux.
Août 2005 : M. G., libanais : la demande d’asile de cet homme a été rejetée. Il ne cesse de pleurer pendant l’entretien avec le visiteur. Il ne comprend rien à ce qui lui arrive, aux raisons pour lesquelles la Belgique le maintient enfermé et à la manière dont il est traité dans le centre.
Juin 2004 : Mme M., congolaise : son mari vit en Belgique depuis 2002 et est encore en procédure d’asile. Elle a dû fuir parce que les activités passées de son mari la mettaient en danger, et elle est arrivée en Belgique en juin 2004. Elle a été contrainte de laisser ses 4 enfants au Congo.
Sa demande d’asile a été refusée. Le HCR intervient et demande que son dossier d’asile soit joint à celui de son mari, ce qui sera finalement le cas. Mais cette femme a été enfermée pendant plus de 6 semaines et a subi une tentative de rapatriement (elle a refusé de partir).
Elle se plaignait de constants maux de tête, de vertiges et de cauchemars. Elle a perdu conscience deux fois pendant sa détention.
c) Régime de groupe
L’A.R. du 2.08.02 prévoit expressément qu’un régime de groupe prévaut dans les centres fermés. Ce qui signifie qu’il y a très peu de possibilité de vie privée et que chaque déplacement à l’intérieur du centre se fait en groupe. Ce régime est psychologiquement très dur à supporter. En pratique, le régime de groupe varie selon les centres. Dans l’un, on peut circuler librement entre les chambres et les salles de séjour, dans d’autres ce n’est pas permis. Mais il reste que les détenus vivent constamment en groupe.
Un Marocain qui a commis deux tentatives de suicide : « Je suis incapable de vivre ici. J’ai fait « ceci » (il montre son poignet où l’on voit une cicatrice). J’ai un poids sur la poitrine et j’ai l’impression que ma tête va éclater. Auparavant je n’avais jamais pensé au suicide. Je ne me suis jamais senti prêt à mourir...lorsque je suis arrivé ici j’étais un homme, maintenant je ne cesse pas de pleurer » . Quant à ce qui l’a amené à vouloir se suicider : « Lorsque je suis arrivé dans le groupe, tout le monde s’est moqué de moi. J’avais mal à l’estomac et je devais tout le temps roter. Au moment du coucher, trois hommes du groupe avaient un projet contre moi pendant la nuit : je les ai entendus chuchoter qu’ils voulaient m’attraper. Cette nuit-là je suis resté éveillé...J’entendais un d’entre eux demander ‘est-ce qu’il dort ?’ et un autre répondre ‘non, pas encore’..... Je veux partir d’ici »,dit-il en pleurant.
Avril 2004 : M. H., somalien : il dit qu’il préfère être isolé du groupe parce qu’il n’est jamais à l’aise avec les autres. Il a l’impression d’être traité comme un criminel, et dort très mal. Il y a quelques jours, quelqu’un a répandu du dentifrice sur sa tête pendant la nuit ; il est très mal à l’aise.
d) Isolements disciplinaires
L’A.R. prévoit une série de « mesures d’ordre » en vertu desquelles un étranger peut être placé en « isolement ». L’A.R. décrit les circonstances dans lesquelles l’isolement peut être décidé. Agression physique et vandalisme sont les principales raisons pour lesquelles un détenu peut être placé en cellule d’isolement.
La « sécurité » est considérée comme une priorité absolue dans les centres fermés. On ne s’interroge pas sur les raisons pour lesquelles des gens ont parfois un comportement agressif.
La seule réponse à un tel comportement est le placement en cellule d’isolement ou le transfert vers un autre centre (cf. les chiffres cités dans la 1ère partie du rapport, p. 35 : il y a eu en 2004, 778 cas d’isolement disciplinaire).
e) Transferts d’un centre à l’autre
L’A.R. du 2.08.02 prévoit un règlement pour le transfert vers un autre centre fermé. Les principales raisons pour lesquelles un transfert peut avoir lieu sont la mise en danger par un détenu de sa sécurité ou de la sécurité du centre, un refus de tentative de rapatriement, le souci d’assurer une répartition « équilibrée » entre les différents centres, etc.
La décision est prise par le directeur de centre en concertation avec le centre vers lequel le transfert doit avoir lieu. L’étranger lui-même n’est pas entendu.
Dans certains cas le transfert est une faveur accordée au détenu, par exemple parce que sa famille, avec de petits enfants, réside près d’un autre centre.
Le plus souvent, le transfert résulte d’une décision administrative (le transfert s’impose pour faire de la place), d’une « mesure disciplinaire » ou d’une tentative de rapatriement qui a « échoué ».
En avril 2005, les visiteurs des ONG ont été avertis que de nombreux transferts étaient effectués du centre 127bis vers Bruges ou Merksplas afin de faire de la place pour les « cas Dublin ». Il semble aussi qu’à cette époque le consul du Maroc n’a plus voulu rencontrer les sujets marocains qu’à Bruxelles, raison pour laquelle nombre de Marocains furent déplacés vers le 127bis.
Certains problèmes semblent se poser lors des transferts. Lors d’entretiens avec les directions de centres, il est apparu que la « fiche de transfert » du détenu n’est pas remplie par tous les centres : les renseignements concernant l’état psychique de la personne transférée ne parviennent pas au nouveau centre, avec toutes les conséquences que ce manque peut entraîner.
L’étranger ne comprend pas toujours ce qui lui arrive. Et le transfert peut avoir des conséquences pour lui : par exemple, l’avocat désigné à Merksplas par le Bureau d’aide juridique ne peut poursuivre la défense de son client à Vottem, près de Liège. Dans un cas pareil l’assistance juridique doit repartir de zéro, avec toutes les pertes de temps que cela entraîne.
f) L’angoisse « entretenue »
L’angoisse est omniprésente dans les centres fermés. Il y a l’angoisse de l’enfermement, l’angoisse de l’expulsion.... Il faut remarquer que ce sentiment est souvent renforcé - consciemment ou non - par le fait que l’étranger détenu n’est pas toujours correctement informé. Par exemple, lorsqu’un représentant d’une ONG demande à les voir, on ne les avertit pas systématiquement de quoi il s’agit et on les amène sans explication dans un petit local réservé aux entretiens. Certains détenus en ressentent une forte angoisse, car il arrive que ce soit pour d’autres raisons qu’ils sont appelés hors du groupe : interview avec l’ambassade ou avec les instances de l’asile, entretien avec l’assistant social qui leur annonce une tentative de rapatriement, mise en isolement avant une tentative d’expulsion, etc. Il devrait être de règle que les détenus soient informés de qui souhaite les rencontrer, afin de ne pas susciter trop d’angoisse.
M. K., algérien, entre, il est blême. Je lui demande ce qui ne va pas. Il me dit qu’un gardien est venu le chercher dans la salle commune et l’a fait attendre dans une pièce sans lui en expliquer la raison. Il s’est affolé parce que c’est dans cette même pièce qu’on l’avait fait attendre lors d’une précédente tentative de rapatriement.
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