Introduction et bref retour sur le passé
La mission qui m’a été confiée a pour objet l’analyse des conséquences que comporte l’existence d’un double secteur, privé et public pour la prise en charge de la santé des détenus, d’évaluer son adaptation au milieu très spécifique auquel il s’adresse, et d’étudier les possibles évolutions d’une telle situation.
C’est en 1990 que de nouveaux établissements sont construits pour soulager la surcharge du parc existant et renouveler quelque peu l’architecture pour le moins archaïque au sein de laquelle les prisons sont confinées.
La maigreur des budgets disponibles, une tentation de suivre l’exemple anglo-saxon, la pression des grandes entreprises privées amènent le Garde des Sceaux de l’époque à proposer la gestion de ces nouveaux établissements à de grandes sociétés qui se partageront donc le territoire d’intervention en quatre zones autonomes.
Quelques remous au sein de l’administration pénitentiaire, du Parlement et de l’opinion publique, quelques mouvements d’humeur des redoutables syndicats qui pèsent lourd sur la vie des établissements, réduisent un peu l’ambition du projet initial qui prévoyait au départ la privatisation de tous les services.
On en restera donc à la délégation de gestion pour la maintenance et l’entretien des locaux, la restauration et l’hébergement des détenus, le fonctionnement de la cantine, la formation professionnelle et les travaux en ateliers.
La santé, elle-même, fait l’objet d’une délégation de gestion, laquelle est confiée à quatre filiales spécialisées qui au fil des ans se réduiront à deux.
Chaque zone a constitué un bureau de coordination sous l’autorité d’un médecin.
Un contrat de 10 ans a donc été signé avec l’Administration Pénitentiaire aux termes duquel toutes les dépenses relatives à la santé des détenus, y compris la consommation de médicaments, sont couvertes par les soins de la société gestionnaire les dépenses d’hospitalisation étant couvertes par l’assurance -maladie des détenus.
Au début de la décennie 90, 21 établissements pénitentiaires dont le mode de gestion était tout à fait nouveau, ont donc refermé leurs portes sur 13 000 détenus.
Alors que l’Administration Pénitentiaire conserve toute son autorité sur les personnels de direction, de surveillance, de greffe, d’insertion et de probation, des entreprises privées se voient déléguer compétence pour gérer la maintenance des locaux, l’alimentation des détenus, la blanchisserie, les ateliers où travaillent les prisonniers... et la santé au sein de l’établissement.
Ces établissements à gestion partiellement déléguée (EGPD) inaugurent en fait, dans les prisons françaises, un système de surveillance sanitaire et une organisation des soins en rupture complète avec les usages antérieurs.
Il existe un changement symbolique fort : la démarche antérieure à l’institution des EGPD et à la loi de 1994 était une démarche de dispensaire, aujourd’hui, on découvre une structure médicale indépendante de l’autorité pénitentiaire disposant de moyens renforcés.
L’administration n’intervient plus dans le recrutement, le statut, l’exercice professionnel, la rémunération, l’avancement des personnels soignants.
Tous ces éléments sont aux mains des sociétés qui ont passé contrat avec le Ministère de la Justice à l’issue d’un marché public assorti d’un cahier des charges précis.
II s’ensuit une véritable petite "révolution" pour les détenus, les corps de surveillants, les personnels soignants qui étaient antérieurement employés par l’administration pénitentiaire et les personnels de direction.
L’infirmerie devient centre de diagnostic et de traitement ; médecins et infirmiers organisent sous leur unique responsabilité les consultations, les soins aux malades, la distribution des médicaments, la surveillance de l’état de santé des détenus. Une véritable politique de santé publique, dégagée des contraintes administratives traditionnelles, commence à se faire jour et l’expérience de ces EGPD inspirera le ton et le contenu de la loi de Janvier 1994 qui assied l’autonomie du corps de santé dans tous les établissements pénitentiaires.
Il s’est donc agi là d’une démarche "pionnière" en quelque sorte et le changement des usages, des habitudes, n’a pas été simple à mettre en oeuvre.
Si on se réfère à ce qui se passait dans les années 80 dans les établissements pénitentiaires, force est de reconnaître que les EGPD dès le début des années 90 ont marqué un progrès manifeste dans la façon dont ont été traités les problèmes sanitaires, s’inscrivant dans le droit fil d’une politique initiée en 1986, par la création des services médico-psychologiques régionaux en milieu pénitentiaire, et par la signature de conventions entre certains établissements pénitentiaires et des structures hospitalières spécialisées.
Avant même la parution des textes d’application de la loi de 94, ces établissements avaient défriché le terrain, montré la voie, inventé une méthode, construit des schémas d’action innovants, souples et efficaces.
Ce sont eux qui ont eu à résoudre le difficile problème d’instaurer de nouveaux rapports entre services de santé et administration pénitentiaire, et leur action a considérablement facilité la mise en oeuvre de la réforme dans les établissements à gestion "classique".
Notamment, à l’échelon local, l’établissement de nouveaux rapports entre les surveillants et les soignants n’a pas été sans difficultés, les réticences ont été surmontées, une certaine "méthode" a été mise au point qui a grandement facilité les changements dans les établissements publics.
Ceux qui en ont été les premiers bénéficiaires, les détenus et plus précisément les détenus malades, ont immédiatement senti l’amélioration de leur condition.
Ceux qui ont été les plus difficiles à convaincre, ce sont les membres du corps de surveillance car il a fallu modifier bonne part des façons de faire, accepter qu’une nouveau partenaire, investi d’une certaine autorité fasse valoir ses contraintes.
La qualité de la gestion privée dans les établissements à gestion déléguée n’est mise en doute par personne. L’ensemble des prestations dans les domaines de la maintenance, de l’alimentation, de la blanchisserie, semble au-dessus de tout reproche. Les stipulations des accords sont remplies, parfois même la qualité des services opérés par les gestionnaires est supérieure à ce qui était convenu par contrat. Le maintien de leur statut privatisé ne semble pas poser de problème majeur. Pour ce qui est de la santé au sein de l’institution carcérale, les décisions semblent un peu plus difficiles.
... Quelques années plus tard, en effet, la loi du 18 Janvier 1994, immédiatement applicable aux établissements pénitentiaires en gestion directe a très profondément modifié l’organisation des soins administrés aux détenus et a confié la prise en charge de la santé au service public hospitalier. Cette loi, valable pour tous, a cependant prévu des dispositions transitoires de dérogation pour les EGPD, le service public hospitalier n’intervenant pas à l’intérieur de ces établissements.
Si on veut bien en rester au caractère forcément schématique qu’un travail comme celui-ci, extrêmement limité dans le temps et dans les moyens, revêt obligatoirement, on peut considérer que grosso modo, deux attitudes sont aujourd’hui en présence, à la veille du renouvellement des contrats.
Pour les uns, les services médicaux, dans les établissements du programme 13.000 ou établissements à gestion partiellement déléguée (EGPD) sont loin d’avoir démérité. Et de ce fait, le statut actuel doit être renouvelé, sous la réserve de nombreux et substantiels aménagements.
Pour d’autres, un "programme commun" du système de santé carcéral serait préférable, en tirant les leçons de la réforme des soins opérée par la mise en application de la loi de Janvier 94, laissant à l’hôpital public la charge d’administrer la santé dans tous les établissements pénitentiaires.
Il convient tout d’abord de donner aux mots la signification qui leur est propre et de lire les textes tels qu’ils ont été écrits... et votés.
La loi de Janvier 94, dans ses motifs, ses principes directeurs, ses stipulations de base s’applique à TOUS les établissements pénitentiaires.
C’est seulement à titre provisoire que des dérogations peuvent être modulées en fonction du statut des établissements. La fidélité à l’esprit de la loi reste une obligation qu’au demeurant, personne n’a cherché à contourner.
Les rencontres organisées à différents niveaux hiérarchiques des institutions concernées, directions centrales, directeurs d’établissements, membres du personnel administratif, chefs de détention, surveillants, médecins généralistes et spécialistes, infirmiers, personnels socio- éducatifs, détenus, car ceux-là ont aussi beaucoup à dire, les visites personnellement opérées dans une quinzaine d’établissements, la lecture attentive de nombreux documents m’ont montré que tous les établissements pénitentiaires, quel que soit leur mode de gestion, ont à affronter des difficultés analogues.
Chemin faisant, il m’est apparu que la solution des problèmes posés passe par de notables modifications des us et coutumes de l’institution carcérale, et cela dans tous les établissements, quel que soit leur mode de gestion.
Les établissements à gestion partiellement déléguée (EGPD) sont-ils mieux ou plus mal placés pour affronter les nécessaires évolutions ?
Le maintien des mesures dérogatoires qui conservent le domaine sanitaire dans le secteur privé est-il compatible avec les avancées à prévoir ?
Au total, est-il souhaitable de prolonger l’existence de ce double secteur ?
Et si oui, pour combien de temps et à quel prix ?
Est-il préférable au contraire de fondre l’ensemble de la politique sanitaire de l’institution pénitentiaire dans un système unique assuré par l’hôpital public ?
Qualités et défauts des structures actuellement en activité seront examinées à propos des principaux aspects de la santé et de la maladie en milieu pénitentiaire, gardant présent à l’esprit le fait qu’aucun des deux systèmes n’a de baguette magique pour régler les problèmes liés à une prise en charge sanitaire dans le contexte carcéral.
Au total, un aménagement des dispositions actuelles, moyennant de notables ajustements, techniques, administratifs et financiers, qui restent à définir, est très probablement la solution la plus raisonnable.
Les Etablissements à gestion partiellement déléguée (EGPD), les termes du contrat
Quelques articles du “Cahier des clauses administratives et techniques particulières” et les directives du “Guide de mise en oeuvre des marchés de fonctionnement ”, qui régissent l’activité sanitaire au sein de la gestion déléguée, méritent d’être cités, car ils constituent le cadre auquel il faut constamment faire référence.
Article 25
"Le cocontractant met en oeuvre les moyens susceptibles de préserver la santé des détenus qui lui sont confiés. A ce titre, il assure les actions de prévention, de diagnostic, et de soins conformément à la réglementation en vigueur, sous le contrôle de l’IGAS et des services extérieurs du ministère de la santé".
* Engagements de moyens en équipement
Article 26
- Mise en place de matériel pour la salle de soins pour le médecin généraliste et les spécialistes ;
- matériel dentaire ;
- matériel de radiologie.
* Engagements de moyens en personnel
Article 27
Chaque établissement comprend une équipe médicale et paramédicale recrutée par l’opérateur privé, et dont les membres doivent être habilités par la Direction Régionale de l’Administration pénitentiaire.
Par vacation, il faut entendre une heure de travail.
Le concept "équivalent temps plein" (etp) signifie 39 heures pour les personnels non médicaux et 36 heures pour les médecins, X 47 semaines.
* Actions de prévention
Articles 25 et 28
L’opérateur doit provoquer les dépistages et mesures prophylactiques en accord avec les services du département et les services extérieurs du ministère de la santé.
A l’occasion de la visite médicale d’admission, le médecin doit contrôler :
- Toutes les mesures générales en vue de prévenir les affections épidémiques et contagieuses ;
- la prophylaxie des maladies vénériennes et de la tuberculose.
Les examens de dépistage et les consultations sont à la charge du
Conseil Général, les soins sont à la charge du cocontractant.
* Organisation des soins généraux
La médecine générale
- Le médecin assure la visite médicale d’admission, les visites de dépistage obligatoires ou facultatives, les consultations demandées par les détenus, les visites dans les quartiers disciplinaires et d’isolement ;
- il est responsable du service et de l’équipe médicale ;
- il suit les détenus hospitalisés ;
- il s’assure que l’hygiène corporelle est respectée ;
- il est responsable de la rédaction d’un compte rendu de consultation qui doit être consigné dans le dossier médical ;
- les horaires et la répartition des consultations médicales sont adaptées aux contingences de chaque établissement et établis en collaboration avec le directeur ;
- le groupement privé et le médecin organisent le système applicable en cas d’urgence, et lorsque le médecin est absent.
Les soins dentaires
- Le dentiste assure les soins et les prothèses dentaires indispensables au maintien ou au rétablissement de la santé ;
- au-delà, les prestations sont prises en charge par les détenus ;
Pour ces soins, le groupement doit au préalable en informer la direction de l’établissement, qui au vu du devis et de la demande du détenu, s’assure que le pécule de celui-ci est suffisant.
La pharmacie
- L’ouverture d’une pharmacie intérieure nécessite l’autorisation de la préfecture, exprimée par une licence ;
- la préparation et la dispensation des médicaments sont réalisés sous la seule responsabilité du pharmacien qui assure en outre la gestion des stocks et la tenue de la comptabilité de la pharmacie.
* Organisation des soins de santé mentale
Recrutement du personnel
Dans les maisons d’arrêt 600 :
- 1 équivalent temps plein de psychiatre soit 36 H hebdomadaires ;
- 1 infirmier psychiatrique (39 H hebdomadaires).
Dans les centres pénitentiaires 600 :
- 1 équivalent mi-temps de psychiatre (18H hebdo) ;
- 1 équivalent temps plein d’infirmier psychiatre.
Dans les centres pénitentiaires 400 :
- 1 infirmier psychiatrique temps plein ;
- [½ ;] équivalent temps plein médecin psychiatre.
Dans les centres de détention 600 :
- 1 ou plusieurs psychiatres ( au total : 10h 48 minutes (sic !) X 47 semaines).
Dans les centres de détention 400 :
- 1 ou plusieurs psychiatres ( au total 7 heures X 47 semaines).
Mission
- Prévention des affections mentales par le dépistage systématique des troubles des entrants ;
- mise en oeuvre des traitements psychiatriques en collaboration avec le médecin généraliste ;
- lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie ;
- fourniture de prestations comprenant notamment des prises en charge individuelles, des consultations, des interventions ambulatoires, des thérapies de groupe...
La mission implique une liaison étroite avec l’équipe psychiatrique du secteur relevant du centre hospitalier spécialisé et avec le SMPR.
* Lutte contre la toxicomanie dans les maisons d’arrêt 600
Recrutement d’un personnel spécialisé : 1 travailleur social, 1 psychologue.
Mettent en oeuvre des actions particulières et préparent la sortie des détenus en liaison avec des services en milieu ouvert de l’administration pénitentiaire et les partenaires extérieurs.
* Lutte contre l’infection par le VIH
Proposition systématique d’une consultation spécialisée de prévention de l’infection par le VIH et si cela semble indiqué, d’un test de dépistage anonyme sur une base de volontariat. Un entretien préalable et un accompagnement médical à l’annonce du résultat sont indispensables.
Sont à la charge du groupement :
- les frais de consultation, la prise de sang, les examens biologiques ;
- la fourniture et la distribution de préservatifs aux détenus permissionnaires et aux sortants + aujourd’hui dans l’établissement.
Soins : suivi de contrôles dans la durée de l’infection ; mise en oeuvre de la thérapie en liaison avec les services médicaux spécialisés compétents.
* Hospitalisation complète
Sur avis du médecin, l’opérateur privé propose au directeur de l’établissement l’hospitalisation complète.
On entend par hospitalisation complète la prise en charge du détenu pour une période comprenant au moins une nuit avec surveillance appropriée
L’orientation hospitalière dépend de :
- la nature du soin et de l’urgence ;
- la structure sanitaire ;
- des contraintes du transport et de sécurité ;
- des sites hospitaliers.
* Soins et consultations externes et hôpital de jour
Toute prestation médicale, hors des locaux de l’établissement et qui ne constitue pas une hospitalisation, est prise en charge par le groupement à la demande du médecin.
= actes de consultations, examens ou explorations fonctionnelles facturées par l’hôpital au tarif externe y compris les dépenses afférentes aux médicaments.
Le choix de l’établissement hospitalier doit être effectué en fonction du plateau médico-technique, mais également des contraintes de transport et de sécurité.
L’hôpital de proximité doit être privilégié s’il dispose d’un plateau technique suffisant.