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1 Etat des lieux

Publié le dimanche 26 novembre 2006 | http://prison.rezo.net/1-etat-des-lieux/

1 Etat des lieux

Qui est en prison ? Quelques particularités

En France, au premier Janvier 1998, 50.744 personnes étaient détenues (on en comptait exactement la moitié vingt ans plus tôt). Ce chiffre correspond à un taux de détention de 86,4 pour 100.000 habitants.
Au sein de l’Union Européenne, la France se situe en position intermédiaire, entre le Portugal, très large pourvoyeur de ses prisons (taux de détention # 145 / 100.000 hab.) et la Grèce particulièrement économe d’incarcérations (taux de détention # 54/ 100.000 hab.).
Depuis une dizaine d’années, le nombre de détenus évolue dans une marge peu importante (augmentation du nombre de détenus de 5% en 10 ans) mais cela ne rend pas compte des importantes modifications survenues pendant la décennie, à savoir une importante diminution du taux des entrées (- 20%) et un sensible allongement de la durée moyenne de détention (+ 26%), amenant à une minime évolution du chiffre brut mais correspondant à une très sensible modification des populations incarcérées.
En 1999, pour la première fois, les détenus condamnés pour agression sexuelle représentent la catégorie la plus nombreuse (20%), suivis de près par les condamnés pour infraction à la législation sur les stupéfiants (17%), (appellation légale mais manifestement abusive quand on sait que le cannabis représente une très large majorité des substances concernées et que celui-ci ne peut en aucune façon être assimilé aux stupéfiants donnant lieu à accoutumance et/ou à assuétude). Pendant le même temps, on notera la forte croissance des détenus étrangers, la répression de l’immigration clandestine jouant là un rôle prééminent et le recours à la prison ferme étant beaucoup plus fréquent à l’encontre des étrangers.
En vingt ans leur nombre s’est accru de 86%, ils représentent 26% de la population carcérale, pour seulement 7% de la population à l’extérieur.
Qu’il s’agisse d’accès au logement, à l’emploi... ou à la prison, les étrangers et les nationaux ne sont manifestement pas à égalité.
Pour des délits ou des crimes comparables, la longueur des durées de détention a presque doublé.
Très sensible alourdissement des peines qui amène un vieillissement de la population et concerne en premier lieu la délinquance et la criminalité à connotation sexuelle.
Ces condamnés pour viol, pour "pédophilie", pour inceste et autres outrages aux moeurs ont longtemps fait l’objet d’un rejet de la part des autres détenus.
Le développement exponentiel de leur présence en prison et sa banalisation en quelque sorte modifie quelque peu la donne.
Alors que les détenus appartiennent pour la plupart aux catégories sociales défavorisées, ce groupe que les directeurs d’établissements évoquent souvent comme des détenus "modèles" se répartissent en transversal dans toutes les couches sociales. Dans les faits, ce sont eux qui ont perdu le maximum de contact familial, professionnel, social, religieux ou culturel et ces détenus modèles sont, en fait, écrasés par un mépris quasi généralisé et par une immense réprobation interne et externe à l’établissement.
Ces "détenus modèles" sont en fait des personnalités très gravement atteintes et c’est chez eux que se recrute le plus grand nombre de candidats au suicide.

* Les longues peines

L’entrée en maison centrale après une condamnation à la réclusion de longue durée laisse peu de place à l’espérance.
Les condamnés à la réclusion perpétuelle ou ceux dont la peine est assortie d’une peine de sûreté de 20 ans ou plus, sont exposés à de graves décompensations de type dépression réactionnelle.
La proposition de participer à l’élaboration d’un projet d’exécution des peines est obligatoirement vécue comme un épisode dérisoire. Il existe le plus souvent une sensation aiguë de l’inutilité de l’effort. Qu’apprendre aujourd’hui, qui sera encore utile dans 20 ans ? Aucune perspective d’individualisation de la peine n’existe. La quasi disparition des libérations conditionnelles, même si depuis quelques mois on assiste à une timide reprise, l’application des peines de sûreté de durée incompressible, la multiplication des catégories de détenus échappant à l’application des grâces et amnisties (agressions sexuelles, infraction à la législation sur les stupéfiants, terrorisme), tous ces éléments démobilisent très sévèrement les détenus et le risque majeur est celui de la perte définitive de l’espoir.
Or, depuis l’abolition de la peine de mort, la seule vraie question qu’on puisse se poser quand un homme entre en prison c’est :"Dans quel état sortira-t-il ?".

* Le quartier des mineurs

Le dernier cercle de l’enfer que Dante Alighieri n’aurait pas imaginé.
La gestion d’un quartier de mineurs est une entreprise effrayante qui demande aux personnels en charge d’exceptionnelles qualités humaines.
Les surveillants qui y sont affectés sont volontaires, le comportement de plusieurs d’entre eux force l’admiration, il fallait que cela soit dit.
L’incontrôlable agressivité, l’indiscipline, l’absence de repères, les attitudes imprévisibles, l’irrespect de toute norme, l’inculture, le caïdat, les retards mentaux sont des contingences qu’il faut affronter non pas au jour le jour, mais bien à la minute la minute.
Les problèmes de santé y sont traités avec des succès inégaux, tout se passant comme s’il existait non seulement une méconnaissance mais aussi un désintérêt absolu de la plupart de ces jeunes détenus pour leur propre santé.
Les tentatives de faciliter un brin de prise de conscience, de retisser un lien social minimal, de rétablir une insertion même élémentaire, de faire accepter quelques règles contraignantes sont marquées par un taux d’échec important et l’obtention ou la restitution d’un certain niveau de santé mentale est un objectif qui semble particulièrement difficile à atteindre.
Les mineurs, d’âge inférieur à 16 ans, condamnés pour crime, sont les plus difficiles à aborder. Les pédopsychiatres s’y emploient avec ténacité mais le succès de l’entreprise est aléatoire. Par ailleurs, la création de 50 postes supplémentaires de surveillants, tous volontaires pour cette affectation, a permis d’initier une modeste amélioration de la démarche de resocialisation, qu’il restera à évaluer.

* Les femmes en prison

Leur présence en prison est presque insolite, elles représentent une très faible proportion (moins de 5%) de l’effectif carcéral. A des degrés divers, toxicomanie, prostitution, dissolution des liens familiaux, et troubles psychiques de gravité inégale font partie de leur commune condition.

Elles posent, de plus, des problèmes particuliers notamment pour ce qui est de la maternité et plus généralement de la vie familiale.
Deux grandes classes de délinquance ou de criminalité les ont rassemblées en ces lieux : les infractions à la législation sur les stupéfiants et les crimes de sang.
Deux populations très différentes, dont les besoins spécifiques se recoupent cependant. Un traitement des habitudes de consommation de substances illicites, un suivi gynécologique, une initiation à la puériculture, l’apprentissage de la maternité peuvent faciliter le retour à une vie personnelle acceptable après leur sortie.
Mais là encore, la pauvreté du langage, la désorientation sociale, l’indigence culturelle, l’absence de référence constituent des obstacles majeurs que rencontrent les équipes pluridisciplinaires de traitement.
Il convient en outre de porter une grande attention aux tout-petits qui restent auprès de leur mère pendant quelques mois. Ce temps peut être mis à profit pour mener une démarche pédagogique auprès des mamans.
Conjoncture privilégiée au cours de laquelle ces jeunes femmes, souvent privées de tout repère social, peuvent redevenir capables, en face d’un bébé, d’exprimer leur tendresse, de poser des gestes désintéressés, se montrer perméables à des notions d’attachement auxquelles on aurait pu les croire définitivement étrangères.

Les conditions de la santé

* Les conditions d’hygiène alimentaire

Dans les EGPD que j’ai eu l’occasion de visiter, elles sont partout très étroitement contrôlées : la composition des repas, leur préparation, la richesse calorique, l’équilibre des composants, la variété des menus, les modes de préparation, de cuisson, de conditionnement, de distribution, la qualité de la chaîne de froid, tout cela fait l’objet d’une très attentive observation.
Les installations de cuisine, les lieux de stockage de denrées alimentaires, les circuits, sont conformes à des normes draconiennes, les procédures, régulièrement surveillées, sont scrupuleusement respectées.
Les conditions d’exercice professionnel et notamment d’hygiène remplies par le personnel, extérieur ou détenu classé n’appellent aucune observation.
La situation est différente dans le parc classique, malgré de notables améliorations apportées, ces dernières années.

* Les conditions d’hygiène du logement

Extrême hétérogénéité des situations. La plupart des maisons d’arrêt est en surcharge chronique : deux détenus dans les cellules individuelles, trois détenus et parfois quatre dans les cellules pour deux, situations d’une banalité telle que plus personne ne songe même à s’en étonner. Le logement en cellule individuelle, qui devrait être la règle, est du domaine du rêve, pour cause d’arrivées en nombre de prévenus qu’il faut bien loger...
A titre d’exemple, la M.A. de Bayonne accuse un taux d’occupation supérieur à 200% depuis plus de 20 ans. Une " rapide amélioration de la situation "est itérativement annoncée depuis une quinzaine d’années..
Bayonne n’est pas seule dans son cas et la poursuite d’un effort de construction de nouveaux établissements pour renouveler un parc manifestement inadapté reste une urgente nécessité.
A cet égard, encore les établissements du programme 13000, établissements à gestion partiellement déléguée (EGPD) bénéficient de l’immense avantage d’un numerus clausus qui leur évite de recevoir une surpopulation de détenus supérieure à 20% du nombre de places dans l’établissement.
La M.A. de Nanterre, prévue pour 600 places ne recevra jamais plus de 720 détenus, considérable "privilège" pour les détenus si on compare leurs conditions de logement avec ceux qui vivent dans établissements à gestion directe.
Les maisons centrales, elles, naviguent autour de 75 à 80% de taux d’occupation. Il existe dans toutes les centrales un volant de cellules qui demeurent inoccupées prêtes à recevoir des condamnés, transférés d’un autre établissement en cas d’urgence. Tous les détenus y sont en cellule individuelle. Une minorité de détenus cependant demande à partager leur cellule.

* L’hygiène corporelle

C’est le problème du linge, de son renouvellement et surtout celui des douches.
Problème quasiment insoluble tant que demeureront les conditions d’exercice actuelles : accompagnement par un surveillant, durée de la douche, installations inadéquates (dans plusieurs établissements visités du domaine de la gestion directe, une cabine sur deux est inutilisable), défauts d’entretien, erreurs de conception architecturale, etc.
Question qui a pris une importance capitale, à Fleury Mérogis, par exemple, cheval de bataille de la revendication des détenus, place forte du pouvoir des surveillants.
La troisième douche hebdomadaire, dont le retentissement immédiat sur l’hygiène des détenus n’est pas, à dire vrai, de nature à modifier radicalement leur état de santé, est, à juste titre, ardemment réclamée par les détenus et semble particulièrement difficile à mettre en oeuvre.
Demande pourtant raisonnable dont le seul inconvénient serait de remettre en cause une certaine " culture " carcérale.
Les français ont alors inventé le système des "douches médicales" (sic).
C’est donc au médecin qu’il revient de décider qui aura droit à une douche destinée à sauvegarder sa santé. Cette invention est assurément grotesque et son exposé déchaîne l’hilarité générale, quand on en parle à l’étranger. La médecine n’a, bien évidemment rien à voir avec cette tartufferie.
La solution de ce problème, c’est l’installation de douches dans les cellules, alimentées en eau chaude quelques heures par jour et la possibilité offerte à chacun d’en bénéficier tous les jours. Question que les architectes n’ont pas envisagée ou que les calculs de coût de construction n’ont pas pris en compte, jusque très récemment (le programme de construction de 4.000 nouvelles places), mais qui est aujourd’hui à l’origine d’une agitation sans commune mesure avec son importance sanitaire.

* Les activités physiques et sportives

Une des surprises qui attend le néophyte visitant une prison est l’aspect physique des détenus. L’inconscient collectif a laissé se développer l’image du détenu, pâle, le regard éteint, menacé par la dénutrition et la cachexie.
Dans les faits, les détenus, dans une très importante proportion sont des gens jeunes, musclés, d’aspect sportif. On les croise au retour d’une séance d’entraînement ou à la sortie de la salle de musculation, l’exercice physique étant un des points forts de l’activité dans les établissements.
L’image du corps a, en prison, un très grand impact sur la santé physique et mentale. Il s’agit là d’une attitude qui semble paradoxale de la part de gens qui ne se sont guère souciés de leur santé jusqu’alors et se jettent à corps perdu dans une activité sportive intense. Plusieurs facteurs peuvent favoriser une telle attitude : outre le désir de paraître "présentable" à la sortie, il existe aussi au sein de cette société masculine, un prestige réel lié à l’apparence physique, en rapport direct avec le volume musculaire, attitude qui peut paraître un peu puérile mais qui est très profondément enracinée dans la culture carcérale.
On retrouve cette préoccupation de l’image du corps et de l’apparence extérieure dans l’extrême engouement des prisonniers pour les vêtements ou les chaussures de marque.
Porter des chaussures de basket, récemment mises sur le marché par la marque NIKE, par exemple, est un must, pour lequel des détenus pourtant dénués d’abondantes ressources sont prêts à travailler (ou à racketter) avec ardeur. Ainsi en va-t-il du survêtement ADIDAS ou du blouson Lacoste, dont la possession donne de l’ascendant sur ceux qui se contentent d’articles aussi confortables et fonctionnels mais dont le prix est trois ou cinq fois inférieur.
Une pareille attitude n’est pas spécifique au milieu carcéral, elle amplifie et caricature une démarche déjà très présente dans beaucoup d’établissements scolaires. En prison, elle peut être à l’origine de dérives parfois dangereuses.
Le football reste la discipline reine sur les terrains de sports des établissements pénitentiaires. Entraînements, matchs, au sein de la prison, ou disputés contre des équipes extérieures, voire entre détenus et personnels de surveillance, tout se voit et il s’agit là d’une activité assez généralement encouragée par les autorités.
La médecine du sport n’y est guère présente, et la musculation en particulier, pratiquée à tout va par des personnes non encadrées mériterait, à coup sûr, une intervention spécifique

* La sexualité

Sujet abordé du bout des lèvres par les acteurs de terrain.
Les médecins sont les plus explicites. Tout se passe comme si le détenu était asexué.
Les grandes fonctions physiologiques, immunologiques, métaboliques, qui contribuent au maintien en bonne santé ou qui tendent à rétablir une santé compromise sont prises en compte. La nutrition, les grands équilibres, veille et sommeil, l’activité musculaire malgré l’enfermement, font l’objet d’évaluation précises.
La sexualité reste un domaine très opaque, un tabou pour la quasi-totalité des autorités rencontrées au cours des visites qu’il m’a été loisible d’opérer.
Certes, les détenus se masturbent, en cellule, ou dans les douches.
Certes, les parloirs donnent lieu à quelques épanchements devant lesquels les surveillants préfèrent fermer les yeux pour peu que l’oaristys ne soit pas trop spectaculaire, qu’il n’y ait pas d’enfants témoins de ces clandestins ébats, et que le dit surveillant soit de bonne composition.
Alors, aussi il doit bien se produire des rapports sexuels entre détenus.
On en entend parler lorsque l’un des partenaires n’est pas consentant et suffisamment courageux pour faire état de cette "oppression". Les affaires ne vont généralement pas très loin et le plus souvent, le résultat pratique se résume au déplacement du plaignant, simple changement de cellule, ou orientation vers un autre quartier, voire affectation en quartier d’isolement.
Le fait est qu’une sexualité existe en prison. Elle est clandestine et chacun semble s’accommoder de cet état de faits. "On ne parle pas de ça à table" disait-on dans les familles bourgeoises. Telle semble être la pratique qui prévaut dans les établissements pénitentiaires.
Tenir pour négligeable le respect d’une fonction aussi importante que la fonction sexuelle, décider "ex-cathedra "que ce n’est pas un problème à aborder, renoncer avant même que d’y avoir réfléchi aux possibles avancées sur ce terrain est une grave erreur.
Une indication intéressante peut être apportée par une initiative prise dans une MA de la région parisienne.
Des préservatifs, disposés au grand jour, dans un panier, au centre médical n’étaient pratiquement pas pris par les détenus, jusqu’au jour où une infirmière a pensé installer ces paniers de préservatifs dans les toilettes. Dans les jours qui ont suivi, le stock de préservatifs a été épuisé...
Quand on n’est pas titulaire d’une permission de sortie, prendre un préservatif au vu et au su de tout le monde, au centre médical, est un aveu public de rapports homosexuels. Or l’homosexualité est vécue comme une tare, une honteuse pratique, dans un monde où la masculinité s’affirme comme la vertu première ( "On est pas des gonzesses, on est pas des pédés, ici ").
Les rapports homosexuels existent. Pourtant, ils se pratiquent de façon occulte, les règlements intérieurs des établissements sont particulièrement discrets sur le sujet et l’autorité n’intervient qu’en cas de retentissement sur l’ordre public.
Si on pense que l’exercice de la sexualité est de nature à favoriser le retour à une vie " normale", alors, l’exemple, une fois encore, peut nous venir de l’étranger : l’Espagne, le Québec, les pays de l’Europe du Nord, entre autres, ont déjà institué des parloirs intimes, des pavillons familiaux, pour les détenus qui ne peuvent pas bénéficier de permissions de sortie, leur facilitant la réception de leurs proches, pendant quelques heures, ailleurs que dans la stalle du parloir dont les dimensions excèdent rarement 3 m2... L’ensemble des publications sur le sujet montre que le comportement des détenus est très favorablement influencé par la mise en oeuvre de ces mesures.

* L’environnement

Chacun en conviendra, passer 22 heures par jour dans une cellule pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, n’est pas, à proprement parler, la voie idéale pour obtenir un développement harmonieux de la santé physique et mentale.
L’incertitude devant un procès qui va venir, l’angoisse des comparutions devant le juge d’instruction, le coup de massue d’une condamnation, l’isolement du milieu familial, la sensation (justifiée) d’être surveillé à tout instant, la disparition de toute intimité sont autant d’agressions contre l’équilibre psychique et somatique du détenu en maison d’arrêt.
Depuis quelques années, le personnel de surveillance, par le fait des promotions de sortie de l’ENAP, se féminise quelque peu.
Les quelques questions posées sur ce sujet aux détenus, lors d’entretiens impromptus, aux surveillants en poste et aux agents administratifs ont amené à des réponses dans l’ensemble très favorables. Il semble bien qu’à l’échelon collectif, la présence féminine "humanise " en quelque sorte les rapports entre les détenus et le personnel de surveillance. Tout se passe comme si il était plus difficile de lancer des insultes à une surveillante-femme qu’à un surveillant-homme. Les rapports surveillants-détenus ont gagné en urbanité, l’autorité n’en a semble-t-il subi aucun dommage.
A l’échelon individuel, les détenus sont assez favorables à cette évolution, sans qu’il soit possible d’accorder une quelconque valeur statistique aux propos recueillis ici ou là, l’impression retirée est très positive.
Pour mener à bien un travail de maintien de la santé ou pour aider à son recouvrement, il importe que l’ensemble des intervenants auprès des détenus se comprennent bien et oeuvrent de façon complémentaire, même si leurs attributions diffèrent sensiblement.
Les rapports entre surveillants et intervenants se sont considérablement modifiés par le fait que la santé a fait une brusque irruption en tant qu’entité autonome, dans les établissements pénitentiaires, tout d’abord, dans les EGPD en 1990, puis par la mise en place des UCSA après 1994
Pour diverses raisons, il semble que ce " new deal " se soit opéré avec plus de facilité (si on peut dire) dans les EGPD que dans les établissements à gestion directe.
L’arrivée d’un "service médical" dans les EGPD a été contemporain d’une mini-révolution de la vie carcérale. Elle a fait partie d’une vaste reconversion des esprits et des moeurs et s’est un peu fondue dans un ensemble de modifications au milieu desquelles la "pilule", assez amère pour les surveillants, est passée sans trop de difficultés majeures.
L’apparition des UCSA, en revanche a constitué une irruption plus abrupte dans les rapports avec les détenus et les autorités.
L’accouchement s’est parfois déroulé à frottement dur, voire au forceps.
Les nouveaux arrivants, adossés à une structure solide, porteurs d’un prestige que confèrent le savoir et une certaine forme de pouvoir, n’ont pas toujours été suffisamment informés des contraintes spécifiques au milieu carcéral. L’hôpital, bien équipé au plan technique, servi par des médecins et des soignants de compétence incontestée, était mal préparé à entrer dans ce monde clos, aux règles particulièrement contraignantes.
On a parfois eu l’impression que les praticiens hospitaliers, en charge de la santé dans un établissement pénitentiaire se comportaient comme si la prison n’était rien d’autre qu’une extension pure et simple de leur service hospitalier. Or la prison est tout, sauf hospitalière.

* L’activité intellectuelle

L’enseignement, tel que dispensé par l’Education Nationale permet à un nombre très notable de détenus d’élever leur niveau de connaissances.
L’illettrisme, terrible handicap pour la recherche d’un emploi à la sortie fait l’objet d’un soin particulier en maisons d’arrêt. En cela, la scolarisation ou la reprise de la scolarité est un élément très favorable à la naissance et au développement d’un équilibre mental perturbé.
L’aménagement des horaires permet rarement de suivre un cursus scolaire et de pratiquer un travail suivi en atelier, à plus forte raison lorsque le détenu émet la prétention de pratiquer une discipline sportive.
La fréquentation des bibliothèques, l’évaluation du nombre de volumes distribués en prêt, chaque mois, rapporté au nombre des pensionnaires d’un établissement permet de noter que les détenus sont des lecteurs beaucoup plus assidus qu’un échantillon de population du même âge à l’extérieur. Ce phénomène étant beaucoup plus notable en centrale qu’en maison d’arrêt.
Les romans policiers trouvent relativement peu d’amateurs... L’histoire, les essais, la philosophie elle-même sont plus prisés que les romans.
Cela est un peu surprenant quand on sait que la population incarcérée comporte plus de 10% d’illettrés et que 54% des détenus n’ont pas atteint le niveau du premier cycle de l’enseignement secondaire.

*L’activité spirituelle et/ou religieuse

Peu de manifestations visibles, le travail des aumôneries, pourtant très présentes, reste remarquablement discret. Quelques noyaux de vie religieuse, une publication régulière dont la rédaction est entièrement entre les mains des détenus et dont le tirage est de l’ordre de 2000 exemplaires diffusés en France et à l’étranger (Foi et Prison) est une réalisation un peu solitaire, sévèrement désapprouvée par tel ou tel syndicat, mais qui a, entre autres vertus, de permettre à des hommes d’entretenir l’espérance. A noter au passage qu’une proportion non négligeable des associatifs, des bénévoles, impliqués dans la visite aux prisonniers, dans le soutien scolaire, ou dans l’assistance aux familles appartient à la mouvance religieuse chrétienne.

Les maladies

* Somatiques
- Les maladies infectieuses et virales

Le VIH

C’est à lui, c’est au SIDA qu’on doit la réforme des soins dans les prisons. Le SIDA a été un détonateur qui a déclenché une réflexion et induit une volonté d’action.
Il faut noter à ce sujet, que de très importantes modifications qualitatives et quantitatives se sont produites au cours des douze dernières années.
Le SIDA, maladie mortelle à 100% ou presque, vers la fin de la décennie 80, atteignait à l’époque une proportion voisine de 6% des détenus connus des équipes médicales (Enquête "un jour donné" du ministère de la Santé)
Telle n’est plus la situation : les campagnes d’information sur la prophylaxie de la maladie, l’instauration d’une politique de réduction des risques, l’apparition de médicaments plus efficaces et leur administration simultanée, la qualité du suivi biologique et thérapeutique ont, sinon bouleversé la situation, au moins notablement transformé le tableau : le pronostic à court et moyen terme s’est très sensiblement amélioré. En 1998, on compte 1,6 % de détenus séropositifs, connus des équipes médicales (Enquête "un jour donné" du ministère de la Santé) dont une immense majorité est concentrée en région parisienne et en PACA. Ces malades détenus sont traités dans des conditions comparables à celles qui prévalent pour les malades du "dehors" et leurs chances de mener une vie proche de la normale, tout en se soumettant à de rudes contraintes thérapeutiques, se sont manifestement améliorées.
L’ensemble des malades atteints de viroses fait l’objet de traitements up-to-date, dans des conditions certainement de meilleur aloi que s’ils étaient dehors, si on s’en réfère à la façon dont ils étaient suivis et traités avant d’entrer en prison. Il faut garder à l’esprit le fait que bonne part des malades atteints par le virus VIH et plus encore par le VHC n’étaient pas suivis du tout, encore moins traités avant leur incarcération. C’est à cette occasion qu’un traitement aura été instauré. La très sensible diminution du nombre de ces malades, le relatif progrès apporté par les traitements récents n’empêchent nullement que le SIDA reste un objet de souci très présent, très prégnant pour les équipes soignantes. Il reste une maladie emblématique, une menace ressentie par l’ensemble de notre société et plus encore par la population carcérale toute entière.
Les détenus de nationalité étrangère, en cours de traitement, ne doivent pas être frappés d’expulsion du territoire national à leur sortie de prison.
Le renvoi dans son pays d’origine d’un malade, congolais, atteint du SIDA, ou d’une autre maladie mettant sa vie en danger, alors qu’il est sans ressources, et qu’il est en traitement dans une prison française constitue une exécution capitale masquée.
On notera au passage une procédure existante : article 25 -8°de l’ordonnance du 02/11/45 relatif aux catégories d’étrangers protégés par des mesures d’éloignement du territoire français.

Les hépatites B et C

Alors que la prévalence VIH semble se concentrer davantage dans deux régions bien individualisées (Ile de France et Provence Alpes Côte d’Azur) et que ses chiffres semblent se tasser quelque peu, depuis deux ou trois ans, l’évolution des chiffres de malades infectés par le virus de l’hépatite C, beaucoup plus également réparti sur le territoire national, est extrêmement inquiétant.
Le dépistage, pratiqué lors de la visite d’entrée ou dans les premières semaines suivant l’incarcération, montre un nombre de malades infectés par le VHC considérablement plus grand que celui des malades à sérologie VIH positive.
La surveillance biologique et anatomo-pathologique de ces malades pose de difficiles problèmes d’organisation.
Leur traitement, très contraignant pour les malades, est encore très onéreux pour les organismes assurant la couverture sociale (on peut raisonnablement espérer voir apparaître de nouvelles modalités de traitement qui réduiront le poids de ces deux facteurs dans un délai de quelques mois).
Ces malades, séropositifs au VHC, constituent une bombe à retardement dont le mécanisme est enclenché et vont provoquer demain, une véritable explosion de la maladie évolutive, si la proportion d’hépatites chroniques actives par rapport au nombre de sujets séropositifs demeure celle qu’elle est aujourd’hui.

La tuberculose pulmonaire

De nombreuses raisons peuvent expliquer sa résurgence dans les prisons au cours des dernières années 80 et au début des années
90.
Une grande inquiétude s’est fait jour quand des dizaines de cas de tuberculose sont apparues à la faveur d’immunodéficience acquise, maladies à fort potentiel évolutif, avec apparition de BK résistants au traitement.
Aujourd’hui, sans qu’on puisse affirmer que l’alerte est passée, force est de reconnaître que le nombre de malades a fortement décru, que les traitements bien conduits sont efficaces et qu’une certaine sérénité reparaît sauf au sein des personnels de surveillance qui conservent une attitude extrêmement craintive. Le malade tuberculeux, traité, stabilisé, non bacillifère, en voie de guérison est encore considéré comme un lépreux, un pestiféré par des surveillants dont il conviendrait de parfaire les connaissances afin de les rassurer.
La maladie demeure cependant près de 10 fois plus fréquente qu’à l’extérieur en région PACA.

Les maladies sexuellement transmissibles

Elles ne doivent pas pour autant être négligées, elles n’ont pas disparu, même si elles n’occupent plus aujourd’hui le devant de la scène

Les pathologies plus récemment apparues

Elles sont liées à l’âge, en rapport avec le vieillissement de la population carcérale. Les plus de 50/60 ans étaient relativement rares en prison jusque très récemment. L’alourdissement des peines, la durée de détention qui va en augmentant a fait apparaître, en nombre, des pathologies qui étaient jusqu’alors très minoritaires.
La maladie artérielle, tout d’abord et ses diverses déclinaisons viscérales, hypertension, coronarites, accidents cérébraux, infarctus du myocarde, artérites des membres inférieurs, thromboses, toutes maladies qui atteignent plus volontiers les sujets au cours de la deuxième moitié de leur vie.
Les tumeurs bronchiques (en rapport avec un tabagisme majeur chez les détenus) ou digestives, les maladies métaboliques, au premier rang desquelles il faut noter le diabète. Les maladies chroniques et plus particulièrement l’insuffisance rénale obligeant à recourir à la dialyse périodique, voire à la transplantation d’organe.
Les handicaps moteurs posent en prison de très difficiles problèmes, car les architectes n ’avaient guère prévu qu’on mettrait les paralytiques en détention. Les paraplégiques sont complètement dépendants du bon vouloir de leurs codétenus pour leurs déplacements à l’intérieur des établissements, ils éprouvent d’immenses difficultés à poursuivre leur rééducation, sans parler des tracas qu’occasionnent les fonctions d’exonération.

* Maladies mentales ou le désastre psychiatrique

En revanche, les troubles mentaux qui frappent un nombre tout à fait élevé de détenus sont, sinon laissés à l’abandon, au moins insuffisamment étudiés, surveillés et traités. Ces troubles ne bénéficient pas du niveau d’attention et d’efficacité que réclame l’état des malades.
Au mieux, on survole, au pire on occulte ces pathologies qui ont souvent été la cause première de l’incarcération et qui obèrent lourdement l’avenir des "sortants".
On ne peut manquer d’être frappé par le questionnement insistant des médecins sur l’inexplicable présence en prison d’un nombre considérable de psychotiques identifiés.
Problème aujourd’hui sans solution, laissant médecins, infirmières, surveillants et codétenus dans une situation extrêmement difficile à gérer.
Cette présence incongrue est certainement en rapport avec de multiples facteurs, tous très complexes, mais on ne peut s’empêcher de noter deux éléments qui y concourent.
- D’une part, l’attitude des psychiatres experts qui s’est substantiellement modifiée au cours des dix dernières années.
Pour ce qui est des procès aux assises, c’est à dire de la criminalité, on est passé d’une proportion voisine de 16% d’accusés, jugés "irresponsables au moment des faits" au début des années 80, à 0,17 % pour l’année 1997. Ces avis d’experts, il est vrai, sont contemporains d’une réforme du code pénal qui modifie la classification des imputations de responsabilités. Ces chiffres, communiqués au congrès des SMPR de Nantes, l’année dernière, ne traduisent donc pas forcément une sensible amélioration de la santé mentale des accusés, mais plus vraisemblablement un changement d’appréciation de la part des psychiatres experts ; leur qualité "d’experts" emportant tout naturellement la conviction des magistrats et celle des jurés, il n’est peut-être pas inintéressant de noter le sensible alourdissement des condamnations qui, depuis quelques années, a accompagné ce revirement.
- D’autre part, l’attitude des hôpitaux psychiatriques et de leurs personnels à qui il arrive de refuser au nom d’une éthique qui leur appartient, de recevoir dans leur service des malades très sévèrement atteints, renvoyés sans états d’âme dans la vie urbaine, quelques heures après leur admission. Ces malades font, à l’évidence, montre d’un comportement hors normes qui les ramène inéluctablement entre les mains de la police, puis de la justice, enfin de la prison.
Tout se passe comme si la prison était devenue le seul lieu "d’accueil" pour un nombre croissant de psychotiques, rejetés à l’extérieur de l’institution hospitalière.
Nombre de médecins psychiatres qui oeuvrent en milieu carcéral signalent qu’ils sont amenés à traiter un nombre important de malades délirants chroniques sévères.
Ainsi, à la Centrale de Lannemezan, Mme le docteur ROLLAND, psychiatre attaché à l’établissement fait état de la présence de plus de 10 de ces malades au sein d’une population de l’ordre de 150 détenus, tous condamnés à de lourdes peines. Il ne s’agit pas là d’une situation exceptionnelle, tant s’en faut.
Un tel constat, joint aux extrêmes difficultés rencontrées par les praticiens pour obtenir une hospitalisation d’office en service habilité, lors d’épisodes aigus mettant en péril la vie du malade et/ou de ceux qui l’entourent posent d’inextricables problèmes aussi bien dans les établissements en gestion directe que dans les établissements à gestion déléguée.
Resterait alors le recours aux placements en unités pour malades difficiles.
Les Unités pour malades difficiles (UMD) sont réduites au nombre de 4 pour l’ensemble du territoire national, leur capacité d’accueil n’excédant guère 520 lits pour desservir une population de 60 millions d’habitants...
Loin d’être réservées aux malades provenant des lieux de détention, elles sont appelées à recevoir l’ensemble des malades dont le comportement est considéré comme dangereux. L’existence de ces unités est abondamment citée par ceux qui refusent de recevoir les psychotiques incarcérés comme une raison pour maintenir leur attitude de refus d’hospitalisation de ces malades, alors qu’ils savent, mieux que personne, que la tentative d’y placer un malade relève de l’exercice de haute voltige rarement couronné de succès.
Pour faire face à ce besoin inassouvi de médecine, car c’est bien de diagnostic et de traitement qu’il s’agit, et non de savants discours sur l’ethnologie au sein des mégapoles, l’anthropologie carcérale, la sociologie de l’exclusion, discours dont ces malades n’ont que faire, le nombre d’heures de présence de personnel spécialisé est dramatiquement, insuffisant dans la quasi totalité des établissements visités.
Médecins psychiatres, infirmiers psychiatriques, psychologues cliniciens sont présents, certes, et beaucoup y font un travail considérable qui force l’admiration. Ce n’est pas encore assez.
En fait, on s’achemine vers une très inquiétante régression. Il y a près de deux siècles déjà, Pinel "brisant les chaînes des aliénés" avait fait faire un pas de géant à la médecine en instituant leur hospitalisation. Et voilà qu’aujourd’hui, au nom du respect que l’on porte aux personnes, on remet des chaînes (au sens propre du terme) à des malades mentaux pour les amener en consultation.. Il paraît que c’est un progrès. !!!
En fait, pour beaucoup de malades incarcérés, atteints de graves troubles du comportement, dont l’hospitalisation est est très difficile, même lorsqu’elle est nécessaire, l’institution psychiatrique, en France, ne rend pas les services qu’ils sont en droit d’attendre d’elle.
La plus grande ouverture des services de psychiatrie, dont chacun se félicite, s’est probablement effectuée aux détriments des malades qui ont besoin d’une surveillance renforcée.
On a supprimé les services fermés en pensant rendre service à la dignité de la personne malade, et quand se présente un malade réellement dangereux, on lève les bras au ciel en déclarant que le service n’est pas équipé pour recevoir ces patients

* Toxicomanies

Il s’agit là d’un domaine où la confusion sémantique est reine. Toutes les prises de parole sur le sujet souffrent de graves troubles de l’interprétation des termes employés dès lors qu’on se sera dispensé d’en donner une définition préalable.
Beaucoup de responsables de l’ordre public, qu’il s’agisse de policiers, de gendarmes, de magistrats ou de membres de l’administration pénitentiaire et de beaucoup d’autres encore montrent une tendance manifeste à tout confondre : les produits utilisés, la fréquence d’usage, les voies d’administration, les profils des consommateurs et à mettre, en quelque sorte, "tout dans le même sac" : cannabis occasionnel, héroïne gravement addictive, ecstasy récréatif, cocaïne mondaine, crack criminogène, etc. Le tout, dans une absolue fidélité à l’esprit de la loi de 1970, qui a fait naître et entretient encore cette détestable confusion.
Les usagers de ces diverses substances, obéissent à des pulsions à des désirs, à des besoins de natures différentes et il convient de prendre cette notion en compte, même si, en France en particulier, un nombre élevé de nos contemporains manifestent un désir de paradis artificiels dont l’industrie de l’alcool et des apéritifs anisés reste le pourvoyeur numéro 1.
Les avantages du statut : les toxicomanes ou ceux qui se présentent comme tels savent que cet aveu (ou cette revendication) leur ouvre un environnement plus accueillant : des bénévoles, des associations, des médecins, des travailleurs sociaux, des aumôniers, vont être plus attentifs à ce qui leur arrive ; l’institution elle-même, alertée par les multiples publications sur le sujet, pourra peut-être se montrer plus souple. Le rapport Gentilini (1996), lui-même issu de la plus honorable inspiration, mentionne en clair que les demandes de libérations anticipées devraient être mieux orientées, "en particulier celles des toxicomanes". Voilà qui en dit long sur le traitement plus attentif dont quelques toxicomanes, vieux habitués des prisons, espèrent bénéficier.
En fait, c’est du degré de dépendance, c’est à dire de l’importance de la pathologie qu’il faut tenir compte. En la matière, l’alcool est au moins aussi addictif que les opiacés et on peut raisonnablement se demander pourquoi la dépendance aux opiacés (pourtant beaucoup moins mortifère que l’alcoolisme) a fait l’objet d’une superbe créativité en termes d’entourage, de substitution de soins attentifs alors que l’alcoolique reste le plus souvent soumis à un sevrage autoritaire, plus ou moins bien accompagné des bonnes paroles de telle ou telle association.
Les conduites adoptées sont très variables suivant les établissements et les personnels responsables. On conçoit aisément que l’attitude puisse être sensiblement différente suivant qu’on se trouve en maison d’arrêt au sein de laquelle le séjour peut être relativement bref ou bien qu’on entre en maison centrale pour une durée de plus de dix ans.
Dans le premier cas, une thérapeutique substitutive pourra probablement aider à éviter une rechute dans l’addiction à la sortie de prison, dans l’autre cas, ce n’est manifestement pas la même perspective et c’est probablement l’aide au sevrage définitif qui sera au premier plan.
Ces malades, jusque dans les années 80 étaient régulièrement orientés vers les psychiatres. Il a fallu qu’apparaisse le SIDA chez les adeptes de la voie intraveineuse, à la fin des années 80, et que ces malades deviennent des condamnés à mort pour que la "gens-psychiatrica" accepte en maugréant d’entrouvrir aux autres médecins les portes de son domaine réservé où elle restait pourtant singulièrement inefficace. La médecine faisait là un "come-back" fracassant, imposant un renversement complet de tendance. il s’agissait bel et bien de traiter les malades, de les rendre à la vie et si possible, de les guérir.
Au milieu des ricanements, des quolibets, mais aussi des pièges adroitement tendus par la psychiatrie institutionnelle, un bon nombre de psychiatres clairvoyants et courageux (qu’on a tendance à nommer dissidents, tant l’institution évoque le défunt stalinisme) ont joint leurs efforts à ceux des médecins praticiens et se sont donc mis au travail.
Parlons clair, la plupart de ceux-là exerçaient dans le secteur libéral.
En quelques années, l’information des toxicomanes a progressé, une politique de réduction des risques a été mise en oeuvre, les virologistes, les pharmacologistes ont identifié et diffusé des molécules permettant de ralentir ou d’inhiber la multiplication du virus, des malades jusqu’alors condamnés à court terme ont retrouvé la vie ; les toxicomanes se sont vu proposer des solutions alternatives au sevrage forcé dont chacun connaît le taux de rechutes. C’est ainsi que des milliers de malades ont retrouvé une stabilité familiale, professionnelle et sociale, une vie acceptable.
Tout cela s’est passé au milieu d’une indifférence dépitée des ténors de l’institution psychiatrique qui après avoir ardemment lutté contre, s’est résolue à laisser faire. Un tel comportement n’a pas facilité la tâche des praticiens qui se débattaient face à une demande des toxicomanes qui craignaient (à juste titre) pour leur survie. Soupçonnés par les pouvoirs publics, brocardés par leurs confrères "spécialistes", ils ont cependant transformé la vie des malades, fait apparaître une baisse sensible de la délinquance parmi ceux qui se soumettaient à des traitements de substitution et obtenu un substantiel recul de la diffusion des maladies virales et de leurs conséquences. Ils ont en outre incité beaucoup de jeunes gens à ré-apprendre, à aimer, à lire, à avancer, à vivre enfin. Rien de tout cela n’est négligeable.

- Subutex : planche de salut ou bête noire ?

La controverse autour de la buprénorphine, médicament utilisé dans les programmes de substitution demeure d’actualité en milieu pénitentiaire.
Chaque épisode de cette longue histoire, chaque progrès dans la prise en charge des malades dépendants est une médaille qui comporte son revers.
C’est à très juste titre que les tenants d’une politique de substitution ont courageusement oeuvré pendant des années afin de promouvoir une approche faisant en quelque sorte "la part du feu" (mais qui permettait de rendre à la vie "normale" un plus grand nombre de sujets dépendants) et qui a été longtemps dénigrée par les tenants du sevrage absolu sans compensation pharmacologique, méthode dont le taux d’échec était pourtant singulièrement inquiétant. L’heure des anathèmes est passée.
Reste ...le plus important, c’est à dire le traitement de ces dépendances.
Au sein même de la substitution, deux "convois" naviguent de conserve.
Sont partis en tête, les centres de traitement utilisant la Méthadone.
L’intérêt de la substance, qui est présentée sous forme d’un sirop, a été maintes fois détaillé. La méthode d’administration a pour avantage d’être développée au sein de groupes de travail réunissant des personnels médicaux, infirmiers, et psychosociaux, en contact quotidien avec les demandeurs. Cette rencontre occasionnée par la prise du médicament, c’est le bon côté de la procédure, permet d’établir une relation de soutien, de construire lentement une attitude de confiance mutuelle progressive, une meilleure connaissance, une capacité de conseil et d’assistance en cas de difficultés. L’inconvénient majeur, c’est le poids de la structure, le besoin en personnel, l’assiduité obligatoire aussi bien pour les patients que pour les soignants, c’est le fait qu’il s’agit d’un travail de longue haleine, une course de fond, un objectif qui n’est pas atteint en quelques semaines, toutes difficultés que notre monde, épris de succès immédiats et de triomphes spectaculaires, n’est pas très disposé à affronter.
Parallèlement, et au moins en partie, à cause de cette lourdeur du système, qui limite l’accès des demandeurs aux programmes de substitution, s’est développé le recours à une molécule qui était connue de longue date pour son pouvoir antalgique, mais dont l’usage en cures de "compensation pharmacologique" est beaucoup plus récent. Molécule plus maniable, présentation galénique plus flexible et surtout, possibilité d’associer les médecins praticiens du secteur libéral de ville à l’entreprise.
Là encore, le travail n’a pas été simple. Réticences, procès d’intentions, accusations de tous ordres, frilosité de l’institution médicale, conservatismes tous azimuts, tout cela a été surmonté et aujourd’hui, un nombre bien plus grand de toxicomanes que par le passé peut avoir accès à un traitement qui rend possible le retour à l’insertion familiale, sociale, professionnelle, perspective qui était jusqu’alors, quasiment hors d’atteinte.
Aujourd’hui, en prison, qu’en est-il ?
Un nombre tout à fait considérable de personnes incarcérées se disent "toxicomanes" à leur entrée en prison. Le chiffre varie selon les régions, l’Ile de France et la région PACA occupant la tête du peloton. Le fait est qu’une proportion non négligeable de ces sujets dépendants (ou s’affirmant tels) est effectivement suivie, traitée, incluse dans les programmes de substitution et l’attitude qu’il convient d’adopter à leur égard est parfaitement décrite dans des textes officiels qui laissent peu de place à interprétation restrictive. Et pourtant...
Un des problèmes que se posent les soignants lors de la consultation à l’entrée du détenu est celui de la continuité du traitement institué "dehors".
Sur simple appel téléphonique au médecin traitant ou au centre de soins indiqué par l’impétrant, il est possible d’obtenir la confirmation des dires du sujet, des précisions sur les substances et les dosages utilisés jusqu’alors, sur la régularité du suivi, etc. Ceci sous la réserve que ces entrées se déroulent à des heures où le cabinet médical sera ouvert, où le centre méthadone sera fonctionnel. Du vendredi après midi au lundi matin, ces éléments sont quasiment impossibles à colliger. Ainsi en va-t-il des horaires ectopiques. Quand on sait que l’arrivée dans une maison d’arrêt fait souvent suite à un épisode de garde à vue qui peut durer jusqu’à 96 heures, au cours desquelles la sollicitude policière va rarement jusqu’à proposer l’administration de la thérapeutique substitutive, même si celle ci a déjà été initiée "en ville", alors il faut s’attendre à de fâcheux épisodes d’état de manque. Ce qui ne manque pas de se produire...
Dès le moment où la décision de poursuivre le traitement aura été prise, c’est bien sûr avec la substance avec laquelle le patient était traité, qu’elle sera mise en oeuvre.
On peut cependant se demander laquelle de la méthadone ou de la buprénorphine est la mieux adaptée au traitement d’un patient détenu.
La buprénorphine (Subutex), de maniement plus aisé à l’extérieur, moins contraignant, présente cependant en milieu carcéral quelques mauvais points, justement liés à cette "commodité". Tout d’abord, la présentation sous forme de comprimés en facilite l’accumulation, voire le trafic. Cette même présentation permet aussi toutes sortes de mésusages : un comprimé, ça se pile, ça se réduit en poudre, ça se dilue, ça s’injecte, même si il n’existe pas de flash contemporain de l’injection, lors de la saturation simultanée de tous les récepteurs, le rituel de l’intra veineuse fait partie, chez quelques toxicomanes de l’indispensable préalable pour goûter au plaisir. Bref, le médicament est relativement facile à détourner de son indication. L’ingestion du produit doit en principe se dérouler sous le regard, du personnel soignant, le comprimé se délite, en sublingual, en quelques minutes et le patient quitte l’unité de traitement à l’issue de cette procédure.
Dans les faits, il est assez rare que les choses se passent ainsi. Le personnel infirmier doit distribuer un grand nombre de comprimés et contrôler un grand nombre de consultants au centre médical, le temps de délitement en sublingual n’est pas respecté. Le comprimé peut ainsi être recraché, enveloppé dans un kleenex, et ensuite utilisé, soit par le récipiendaire, soit par un codétenu qui s’en saisira, contre argent sonnant et trébuchant, bien sûr ! La méthadone sous forme de solution buvable, à ingérer quotidiennement au centre médical, sous les yeux du personnel soignant ne se prête pas à ce genre de manipulation. L’administration est instantanée. Impossible d’en faire trafic à l’intérieur de l’établissement.
Impossible de l’injecter. Les caractéristiques pharmacologiques, plus dangereuses, sont moins intéressantes, notamment pour les amateurs de sensations fortes, mais au quotidien, le maniement médicalement contrôlé est plus sûr, au moins en milieu pénitentiaire.
En prison, la quasi totalité des soignants interrogés sur le sujet disent accorder leur préférence à la méthadone. La buprénorphine, cependant, est la substance, de loin, la plus utilisée en ville. C’est elle qui a permis l’élargissement des indications des traitements de substitution et donc celle qui est beaucoup plus largement utilisée pour la reprise des traitements intramuros, car le changement de molécule de substitution pourrait rendre plus hasardeux le maintien du traitement à la sortie de la maison d’arrêt Il n’empêche, un travail de longue haleine orientant préférentiellement les consultants vers la méthadone ne serait probablement pas du temps perdu.
Quoiqu’il en soit, malgré les avis autorisés, les circulaires ministérielles, les résultats publiés en France et à l’étranger, le traitement de la dépendance chez les personnes détenues reste très disparate, subordonné aux convictions ou aux humeurs des médecins, des directeurs d’établissements pénitentiaires, des personnels de surveillance etc. Les travaux de la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT) devraient inspirer les décisions des responsables de terrain... on y gagnerait en cohérence et en efficacité.

* Le suicide en prison

Cauchemar de l’administration et des personnels de surveillance, le nombre des suicides en prison monte inexorablement depuis quelques années suivant une pente extrêmement raide. De tels épisodes sont beaucoup plus fréquents en France et en Belgique que dans tous les autres pays de l’Union Européenne.
Le taux de suicide dans les prisons françaises s’établit autour de 19 pour 100.000 détenus alors qu’en Suède ce taux est voisin de 7 pour 100.000 (1996).
En 10 ans, le chiffre des morts par suicide au cours de l’incarcération a plus que doublé, passant de 60 en 1987, à 138 en 1996, pour un nombre de détenus qui n’a guère bougé.
Pendant l’année 1997, ce sont 1.022 tentatives d’autolyse qui se sont produites en prison et n’ont pas abouti au résultat recherché par leurs auteurs.
Il n’est bien sûr pas question de rapprocher ces chiffres de l’ascension vertigineuse du nombre de malades mentaux incarcérés... et pourtant !
Ces drames touchent indistinctement les établissements de type EGPD et ceux qui vivent sous un régime de gestion classique.
Des programmes d’action ont été mis en oeuvre dans onze sites pilotes dans le but de prévenir de tels accidents.
Tentative d’identification des "sujets à risques" lors de la visite d’entrée et observation plus attentive des personnes détenues considérées comme plus fragiles sont les deux éléments les plus importants de ces programmes.
L’heure n’est pas encore venue d’évaluer l’efficacité de ces dispositifs. Tout au plus peut-on noter avec un peu d’amertume, qu’à Aiton, par exemple, pas un seul des cinq suicidés dans l’établissement n’était inscrit sur la liste des sujets à risques... Deux éléments méritent une réflexion.
- 40% des morts par suicide interviennent dans les trois mois qui suivent l’incarcération, dont plus de la moitié dans les quinze premiers jours ;
- ce sont les quartiers disciplinaires qui sont les plus grands pourvoyeurs de ces épisodes tragiques.
Le passage à l’acte est la marque d’une détermination qui défie, encore aujourd’hui, toutes les précautions et la prévention du suicide reste à l’état de problème non résolu : en quelques années, ce sont des centaines de vies humaines qui ont payé le prix de notre incapacité.
Les automutilations entrent dans le cadre de ces actions agressives, leur nombre est plus élevé encore que celui des tentatives de suicide. Ce sont, le plus souvent, des incisions cutanées plus ou moins profondes, voire des sections de doigt, des ingestions de corps étrangers ou de produits toxiques.

* La fin de vie en prison

Les détenus en phase terminale vont avoir à affronter la mort en prison, un épisode que personne ne peut accepter sans sourciller.
Pour l’ensemble des personnels intéressés, on ne doit pas mourir en prison, c’est une question de courtoisie. L’apparition de signes annonciateurs de l’imminence de la mort donne lieu à de fébriles agitations pour que le malade ait au moins franchi les portes de l’établissement avant de mourir. Le SAMU sera très instamment prié d’entretenir les manoeuvres de réanimation jusqu’à l’hôpital.
A cette occasion, il faut raisonnablement se poser la question du maintien en détention de malades qui abordent de façon tout à fait prévisible la phase terminale de leur maladie. Porteurs de tumeurs très évoluées ou de déchéances pluriviscérales, grabataires, sans espoir de guérison, ni même de répit évolutif, ils meurent lentement, dans la solitude et l’abandon, alors que leur famille ou des associations seraient à la fois désireuses et capables de leur assurer l’entourage minimum qui est de mise dans ces moments là.
En France, aujourd’hui encore, les grâces, même pour raisons médicales sont (on se demande pourquoi) réservées au Président de la République.
Les textes en ont ainsi décidé, probablement.
Qu’est-ce donc qui qualifie le Président pour accorder une grâce pour raison "médicale " ? Cela demeure un mystère, mais une réponse intelligente à cette question pourrait peut-être faciliter la prise de décisions qui respecteraient les hommes et honoreraient notre pays.

Les soins en prison

* La demande de soins

Elle est manifestement beaucoup plus pressante en prison qu’à l’extérieur pour une population d’âge comparable.
La médiocrité de l’état de santé à l’entrée donne une explication partielle de cette différence. Mais bonne part cette demande va bien au-delà de la plainte pour céphalée ou petit trouble digestif, le recours au service médical ou à l’UCSA est en fait, de la part du détenu, une demande de contact, c’est un témoignage du mal-vivre, c’est un besoin de parler en confiance, d’attirer l’attention sur son propre malheur. Parallèlement, les "exigences" des détenus vont en croissant au fur et à mesure que se développe la notion de la santé considérée comme un droit. Il n’y a là rien de scandaleux, ce niveau d’exigence s’élève en même temps et au même rythme qu’au sein de la population, à l’extérieur des établissements pénitentiaires. Cette revendication doit être gérée avec beaucoup d’attention, la qualité de l’écoute est certainement plus importante que le nombre de comprimés prescrits.

* La médecine générale

Au sein des EGPD et des UCSA le médecin du centre assure la continuité de la vie, telle qu’elle pourrait se dérouler "dehors" ; il (ou elle) est ce qui reste de l’existence "normale". Au centre médical, chacun peut y parler de soi sans apprêt. Cette impression "d’extraterritorialité" est ressentie et exprimée par un très grand nombre de détenus qui disent parfois qu’ils pensent avoir à faire à "leur médecin".
Les fonctions qu’il remplit sont celles qui ont été définies par les contrats mais force est de reconnaître que cette personnalisation du rapport médecin-malade joue un rôle majeur.
Garant de la santé des détenus, et du secret des conversations, responsable de la tenue des dossiers de santé, le généraliste est perçu comme un possible intercesseur auprès de l’autorité administrative, même si cette activité est tout à fait exceptionnelle.
Le corps des spécialistes intervenant intra-muros est beaucoup plus lointain dans la vision qu’en ont les détenus.

* Le personnel infirmier

C’est de lui, en très grande partie que dépendent les progrès, les avancées de la santé en prison.
Personnage central de l’activité de soins, l’infirmier(e) est présent(e) sur place, pendant des plages horaires plus étendues que le médecin. Plus disponible, plus proche des détenus, ces personnels entretiennent souvent avec les surveillants et plus particulièrement avec le surveillant chargé de l’UCSA ou du centre médical des rapports très fréquents et souvent assez étroits, dont la qualité facilite la compréhension des obligations et des servitudes de chacun.
Interface précieuse entre le monde de la santé et les impératifs de sécurité, entre la médecine et l’administration, entre les détenus et les surveillants, l’infirmier(e) est souvent une bonne oreille, en capacité d’écoute et d’analyse des demandes, un bon élément de soutien de la santé physique et mentale des détenus.
La promotion de la santé trouve en eux les agents les plus efficaces.

* La demande de médicaments

Dans la vie courante, à “ l’extérieur ”, c’est déjà une des plaies de l’exercice médical, en particulier pour les médecins exerçant dans le secteur libéral. En prison, cela devient un cauchemar.
Beaucoup de détenus et pas seulement les toxicomanes ou les usagers de médicaments détournés de leur indication, sont très en appétit de remèdes à ce “ mal-vivre ” déjà évoqué. Beaucoup espèrent qu’une molécule psychotrope va les aider à supporter les très rudes conditions de la vie carcérale. Or il n’existe pas de pilule du bonheur. Les soignants qui exercent en milieu pénitentiaire doivent

SAVOIR COMMENT DIRE NON.

SAVOIR, car ces choses là s’apprennent, il ne suffit pas d’être attentif aux demandes du consultant et rigoureux dans sa décision. L’expérience est, en la matière, un élément irremplaçable.

COMMENT, car un refus doit être expliqué, motivé, c’est un acte pédagogique, la bienveillance doit y être très présente.

DIRE, car le verbe est capital. Que les propos du médecin soient clairs, précis, qu’ils ne prêtent pas à confusion, ni à interprétation de la part du détenu auquel il s’adresse.

NON, enfin car, même en prison, les médicaments gardent des indications et ce non ne sera pas un rejet, un renvoi, il ne sera pas systématique, il restera ouvert, il y aura, grâce à Dieu, beaucoup d’occasions de dire oui. Mais il arrive souvent, très souvent, que la demande formulée au médecin n’ait, avec la médecine, que d’assez lointains rapports. La recherche d’un "alibi médical", la pression exercée sur le praticien, le "mini-chantage" dont les détenus sont coutumiers, (non par malice constitutionnelle mais simplement parce qu’ils se battent avec les seules armes qu’ils ont), une naturelle compassion du médecin, tout cela met la conscience à rude épreuve et le NON est difficile à prononcer.
Démarche difficile, d’autant que si on se réfère à la consommation de soins de la population générale d’âge équivalent, telle que rapportée par les chiffres de consultations et de prescriptions médicamenteuses publiées par la Caisse nationale de Sécurité Sociale, la consommation de soins des détenus est très supérieure. Le nombre de consultations médicales, de généralistes et de spécialistes, d’examens complémentaires, de séances de soins infirmiers ou de soins dentaires, d’entretiens avec des psychologues cliniciens, des infirmiers psychiatriques, des psychiatres, rapporté au chiffre de population concernée semble être largement au- dessus de la moyenne nationale.
Une étude comparative précise serait probablement très utile pour affiner une telle appréciation.

* Les soins dentaires

C’est partout le point noir.
Bien plus encore que pour le reste de la population française, pourtant peu soucieuse de l’état de sa denture, l’état bucco-dentaire des entrants en primo incarcération est franchement désastreux.
Caries multiples, soins commencés, puis abandonnés, édentés partiels ou sub-totaux sont la marque d’une véritable déréliction, d’un décrochage des liens sociaux. Pour beaucoup d’entrants, il s’agit du premier examen de leur denture. Jamais jusqu’alors ils n’avaient eu l’occasion d’ouvrir la bouche devant un homme de l’art.
Si on veut mettre à part les africains, dont bon nombre, pour des raisons qui demeurent à élucider possèdent une denture d’une remarquable qualité, les détenus méritent tous un examen attentif et presque tous des soins dentaires assidus. Les EGPD ont dès le début de leur exercice installé des cabinets dentaires dignes de ce nom, avant même que la loi de Janvier 94 en fasse un must, mais la disproportion entre l’offre et la demande est telle que le service médical, le plus souvent, se contente de parer au plus pressé.
Soins itératifs, avulsions et prothèses sont le pain quotidien des chirurgiens dentistes dont le nombre d’heures de présence en prison ne suffit manifestement pas à couvrir les besoins.
En revanche, partout les problèmes de stérilisation du matériel ont été résolus, la présence d’autoclaves est généralisée et l’utilisation de kits ensachés est la règle.

* Le secret médical

Les détenus sont des personnes humaines auxquelles est dû le respect scrupuleux de leur dignité, de leurs besoins et des libertés qui leur restent, liberté de pensée, d’opinion appartenance politique ou religieuse, dans la mesure où ces aspects de leur vie ne porte pas atteinte à la sécurité des établissements.
Le secret médical est une exigence minimale que les personnels soignants ont imposé d’entrée.
Le malade, détenu, ou non, a droit au "colloque singulier". Le contenu du dialogue qu’il a avec le médecin ou l’infirmière ne doit pas être communiqué. C’est un principe de base sur lequel plus personne ne songe à revenir mais qu’il convient parfois de réaffirmer avec insistance.
Sur ce point précis, les EGPD ont joué un rôle déterminant dans l’acceptation par tous de cet impératif. Ils ont en quelque sorte assuré une fonction innovante qui a radicalement modifié les rapports des détenus avec le personnel soignant. Le personnel surveillant a accepté sans enthousiasme ce "new deal" mais aujourd’hui, son attitude ne pose guère de problème majeur en la matière.
Les UCSA, quelques années plus tard, ont dû affronter des difficultés analogues qui sont aujourd’hui pratiquement surmontées au prix de quelques anicroches, plus ou moins aimablement conclues, plus souvent moins que plus.
Le dossier confidentiel, sa protection. Chaque détenu fait l’objet d’un dossier médical, qui comporte, au départ, les résultats de l’examen d’entrée, clinique, radiologique, biologique etc.
Ce dossier sera conservé car il n’est pas exceptionnel de voir revenir un certain nombre de détenus dans les mois ou les années qui suivent leur libération.
Chaque consultation y est notée, chaque nouvel examen y est rapporté, chaque épisode qui concerne la santé de la personne y est consigné. On y trouve en clair, les résultats des examens de dépistage pratiqués, les diagnostics posés, les traitements suivis, l’évolution des pathologies dont le sujet est porteur. L’ensemble de ce dossier n’est accessible qu’au personnel soignant à l’exclusion de toute autre personne. Il est conservé sous clé au service médical.
La gestion de ce secret n’est pas exempte de difficultés.
L’irruption en urgence d’un personnel médical extérieur à la prison, en cas d’accident grave, médical ou chirurgical et la légitime exigence du praticien de connaître les antécédents du patient pour lequel on l’a appelé, amènent parfois quelques difficultés.
Il est 20h, une tentative de suicide justifie l’intervention d’urgence du SAMU, le personnel soignant est absent, de l’établissement, le médecin du SAMU demande des détails sur les antécédents du malade. Le dossier est sous clé..., ce sont des épisodes qui finissent toujours par se résoudre, mais qui sont autant d’aspérités.
L’informatisation des dossiers médicaux et le stockage des données dans le disque dur d’un ordinateur situé au service des urgences de l’hôpital de référence, consultable à partir du service médical ou de l’UCSA de l’établissement pénitentiaire par un mot de passe, est un aménagement relativement simple.
Une des difficultés qui demeure mal surmontée est celle de la rédaction des certificats médicaux et leur remise.
Le médecin du centre médical n’est pas un expert au service de la justice mais bien le médecin traitant du détenu malade, ou blessé.
C’est à la demande du malade (ou du blessé) qu’il rédigera un certificat médical descriptif, qu’il remettra en main propres, y compris s’il s’agit d’un certificat de coups et blessures.
Reste qu’à l’occasion d’un trouble de l’ordre, d’une rixe, par exemple, l’autorité pénitentiaire, voire judiciaire peut demander au médecin de pratiquer un examen et de rédiger un certificat. Elle devra en l’occurrence, avoir recours à un expert.
Il faut, en matière de secret médical, garder présent à l’esprit le fait que chaque détenu est susceptible de faire l’objet de fouilles à corps, et que le fouille de la cellule d’un détenu sanctionné ne laisse rien, absolument rien qui n’ait été examiné, lu, relu, identifié, recoupé et vérifié. Les documents en possession des détenus, censés être confidentiels, sont ainsi portés à la connaissance pleine et entière des personnels surveillants, administratifs et judiciaires à l’occasion de tels épisodes.
Y a-t-il une solution à ce problème ?

* Les rapports surveillants-soignants

Ils revêtent, le plus souvent, un caractère de bonne civilité et chacun s’en félicite. L’estime mutuelle est fréquemment au rendez-vous. Reste que très souvent encore, surveillants et soignants, par la différence de leurs formations respectives, par la nature de leurs travaux quotidiens, par leurs approches dissemblables des personnes dont ils ont la charge, rencontrent des difficultés à établir une communauté de vues sur les décisions à prendre.
Les bons rapports personnels sont précieux, ils ne suppriment pas les obstacles à la mutuelle compréhension et à la bonne marche des services.
Entretenir, à tous les niveaux (directions centrales, directions régionales, personnels administratifs, surveillants et soignants au sein même des établissements) des contacts étroits, formalisés, permettant de définir de façon claire des objectifs communs est un but qui n’est pas encore partout atteint.
A l’échelon local, des incompréhensions demeurent, les soignants sont parfois désarmés devant des comportements déviants, ils vivent souvent mal la violence institutionnelle, sur la légitimité de laquelle ils n’ont rigoureusement rien à dire (quitte à formuler intérieurement leur avis personnel). Les surveillants, quant à eux sont souvent désireux qu’une caution médicale vienne conforter les mesures disciplinaires qu’ils sont amenés à prendre. Rencontres, explications, échanges de vues, voire participation commune à des propositions de modifications du règlement intérieur d’un établissement, voilà des initiatives locales susceptibles de faire avancer une convergence d’intentions et d’action.
C’est au nom de la sécurité (ou de l’idée qu’on s’en fait aujourd’hui) qu’un certain nombre de restrictions sont apportées aux déplacements et aux activités des détenus, qu’un grand nombre de contrôles sont effectués. La prise en compte de ces impératifs doit être acceptée sans barguigner par les intervenants extérieurs.
Il n’échappe à personne que la disparition d’une lime et d’une scie d’un atelier de la prison est un épisode de haute gravité sans commune mesure avec la valeur marchande de ces outils. De la même façon, la découverte d’un petit stock de médicaments potentiellement dangereux ou susceptibles de faire l’objet d’un trafic ou de servir à une tentative de suicide n’est pas comparable à la constitution d’une mini pharmacie familiale.
Les surveillants n’ont pas bonne presse, ils le savent, ils le déplorent. Il faut, au passage noter quelques éléments de réponses aux problèmes posés à ce corps de fonctionnaires qui fait un travail difficile, ingrat, peu considéré et "mal aimé" pour tout dire.
Les surveillants font un travail très pénible. Pour qui n’est pas naturellement doté d’un tempérament dominateur, pour qui n’éprouve pas de satisfaction primaire à faire plier son prochain, passer une vie entière à ouvrir et à fermer des serrures, à se faire insulter n’est pas véritablement très récompensant.
Depuis quelques années, le niveau socioculturel des personnels de surveillance s’est pourtant sensiblement élevé. L’ENAP (Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire) forme depuis quelques années des surveillants dont le niveau de recrutement dépasse celui du baccalauréat, la formation reçue est ouverte sur le respect des personnes, les droits de l’homme, sont des notions qui font l’objet de cours et de travaux dirigés, en même temps que les techniques de maintien de la sécurité.
Paradoxalement, voilà que cette amélioration du niveau de recrutement est contemporain d’une sensible restriction des domaines d’intervention de ces personnels. L’intervention de nombreux personnels extérieurs, plus ou moins spécialisés, a fait que les surveillants, qui étaient jusqu’alors les intermédiaires obligatoires voient leur rôle se rétrécir, leur crainte de ne plus être bientôt que des porte-clés est tout à fait compréhensible.
La représentation syndicale du corps des surveillants, dont on aurait pu attendre une coopération sans retenue, dans l’intérêt de tous, fait parfois cruellement défaut. Des tracts de nature franchement diffamatoires ont été rédigés et distribués dans tel ou tel établissement, accusant nommément l’UCSA, de "complicité" avec d’inadmissibles prétentions des consultants, d’attentat à la sécurité, de collusion avec les détenus contre le corps de surveillance, etc. Accusations détestables assez peu fréquentes, il est vrai, mais qui sont révélateurs de tensions encore inégalement résolues.
A cet égard, il est de toute première importance de multiplier les contacts, les éclaircissements avec le personnel surveillant et avec les détenus pour obtenir une transparence maximale sur les moyens employés et s’acheminer vers une définition précise des objectifs poursuivis.

* Les traitements

La liberté de prescription, n’est, à ce que j’ai pu en voir, nulle part bridée par un souci de sordide économie sur le dos des malades.
Cette liberté (toujours relative) est reconnue aux médecins praticiens et ne semble pas plus limitée que celle qu’accordent les pharmacies hospitalières.
Les substances médicamenteuses, d’un prix élevé sont prescrites et administrées dans des conditions qui paraissent honorables : interféron, ribavirine, trithérapie ne font pas l’objet de restriction en rapport avec le coût du traitement, au moins pas à ma connaissance.
Un défaut d’information, joint à une solide capacité de revendication, généreusement répandue chez les détenus, amène bien à des récriminations de la part de quelques uns.
"Mon docteur m’avait prescrit du Clamoxyl. Ici, on ne me donne que de l’Amoxicilline, un espèce de truc générique, qu’on me donne à la place, parce que ça coûte moins cher. Vous trouvez ça normal, vous ? Vous voyez bien qu’on est mal soigné, ici. Ah ! On peut crever, dites le, dites le bien, que ça se sache". Aucune explication rationnelle n’arrivera à convaincre le malade.
Pour quitter la fantasmatique revendicative, je n’ai pas trouvé d’exemple de malade transféré d’un établissement à gestion déléguée à un établissement à gestion directe au seul motif du coût de son traitement.
La distribution des médicaments, partout opérée par le service médical est un terrain de prédilection pour le développement des relations surveillants-soignants. C’est parfois à cette occasion que se cristallisent les difficultés, c’est aussi à ce moment là que peuvent prendre forme l’information et la compréhension réciproque des agents impliqués.
Les actions quotidiennes d’éducation pour la santé qui, il faut ici le répéter, concernent les détenus ET les personnels de surveillance trouvent dans ces moments un site privilégié.

* Le bilan médical d’entrée

C’est bien d’une consultation qu’il s’agit, comportant tous les éléments de cet acte médical. Il présente cependant le caractère particulier suivant : le malade n’est, pas nécessairement malade et de plus, il n’est pas demandeur.
Cet examen doit intervenir dans les heures qui suivent l’arrivée à la maison d’arrêt, de façon impérative chez les entrants pour la première fois en détention.

II doit inclure un interrogatoire sur les antécédents sanitaires, personnels et familiaux du détenu, un examen physique détaillé, un cliché pulmonaire, un bilan de l’état bucco-dentaire, un profil psychologique pouvant orienter vers un entretien plus approfondi, un état des traitements éventuellement suivis par l’arrivant.
Les aléas de l’horaire d’arrivée, les difficultés liées à l’absence de personnels médicaux où infirmiers au moment de l’entrée peuvent amener à un délai de quelques heures pour la pratique de ces examens.
Il convient cependant de ne pas prolonger ce délai au-delà de 48 heures.
Les difficultés qu’éprouvent certains établissements à obtenir une présence médicale quotidienne (soit les maisons d’arrêt de faible population, soit par le fait de l’éloignement géographique de l’établissement), doivent être prises en compte mais il n’est pas acceptable que des délais égaux ou supérieurs à trois jours soient atteints.
Lorsqu’il existe des contraintes thérapeutiques majeures : diabète insulino-dépendant, épilepsie connue, hypertension artérielle sévère, ou autre menace directe sur la vie du détenu, cela justifie alors une consultation médicale en urgence et un contact avec le médecin ou le centre de soins qui s’occupait de ce malade. Ces procédures sont pratiquement toujours respectées et les délais le plus souvent respectés.
La douche à l’arrivée et le changement de linge à l’issue de dizaines d’heures de garde à vue constitue un minimum d’hygiène corporelle avant l’affectation dans le quartier "d’accueil", lorsque celui-ci existe. Il arrive assez fréquemment que cette douche soit effacée du programme d’arrivée, pour des questions d’horaires, de manque de personnel, motifs qui seront régulièrement invoqués chaque fois qu’un dysfonctionnement sera relevé.
Les entrants, surtout ceux qui entrent pour la première fois en prison, sont des sujets fragiles.
Ce sont des personnes assez jeunes, les 18 à 40 ans forment le gros de la troupe, appartenant à un milieu social souvent défavorisé, d’éducation sommaire, d’entourage familial problématique, à revenus faibles, au sein desquels la proportion d’étrangers est importante, surtout en maison d’arrêt, personnes fréquemment asservies à la consommation de tabac, d’alcool, de médicaments psychotropes plus ou moins détournés de leurs indications thérapeutiques ou de substances dont la consommation est clairement illicite.
Les entrants sont en état de santé assez médiocre, c’est au cours de cette visite d’entrée qu’il convient de dépister les affections somatiques potentiellement dangereuses et souvent inconnues du sujet, de faire un bilan psychologique d’orientation (c’est au cours des premiers jours, parfois des premières heures que le risque de tentative de suicide est majeur), d’établir un constat de l’état bucco-dentaire fréquemment catastrophique.
Un interrogatoire succinct mais orienté permet également d’apprécier les conduites "à risques" qui sont très fréquemment retrouvées dans cette catégorie de population. Hospitalisations pour traumatismes, présence de matériel d’ostéosynthèse sont six à huit fois plus fréquents chez les détenus que dans une population d’âge comparable.
Cette consultation d’entrée en détention est assez généralement de bonne qualité et les documents établis à cette occasion sont de précieux outils pour le suivi des personnes au cours de la détention.
De façon générale, c’est à cette occasion qu’est établi un bilan des vaccinations, à commencer par les vaccinations les plus classiques contre Tétanos et Poliomyélite. Cette protection, souvent déjà accordée aux personnes qui ont passé en France le temps de leur scolarité ou de leurs obligations militaires est plus rarement retrouvée chez les détenus récemment immigrés. Leur proposer ces vaccinations, de façon convaincante, est une obligation sanitaire.
Différente est la vaccination contre l’hépatite B, qui doit être rendue obligatoire non seulement pour les détenus mais aussi pour les personnels en contact direct avec eux.
A cet égard, les établissements 13000 et ceux en gestion "classique" assurent des prestations de qualité comparable. A noter cependant, que les EGPD sont en quelque sorte favorisés, protégés contre la surpopulation par le numerus clausus qui leur est applicable et dont on peut se demander au passage pourquoi cette salubre mesure n’est pas applicable à TOUS les établissements pénitentiaires.

* Les urgences

Comme dans la vie à l’extérieur, les urgences sont de toutes natures, de toutes gravités, n’ayant en commun que le caractère inopiné de leur survenue. Urgences ressenties par le malade, ou mettant réellement sa survie en danger, elles doivent être gérées d’abord par le personnel de surveillance, aux avant-postes de l’opération, personnel dont le rôle est de donner l’alerte. Gestion difficile, responsabilité majeure, la personne du surveillant est particulièrement exposée. La négligence ou l’erreur d’appréciation peuvent conduire à des drames, l’anxiété ou le perfectionnisme, à des agitations itératives inutiles.
Carrefour ou se croisent les impératifs éthiques, les contraintes de sécurité et les lourdeurs administratives, le traitement des urgences intra-muros est un casse-tête pour ceux qui sont là en situation de responsabilité. Il s’agit, là, d’épisodes qui sont loin d’être exceptionnels et qui occasionnent pourtant des improvisations plus ou moins talentueuses chaque fois qu’ils se présentent.
C’est sur ce chapitre que des mesures simples et novatrices doivent pouvoir être prises sans engager de somptuaires dépenses.

* L’hospitalisation

Episode toujours difficile que l’hospitalisation d’un détenu.
Le tableau classique reste l’hospitalisation dite “ réglée ”, telle qu’opérée pour examens complémentaires, ponction biopsie du foie (PBH), par exemple, mais ce qui est vrai pour cette exploration hépatique est également valable pour les échographies cardiaques, les scintigraphies radio isotopiques, la tomodensitométrie et les examens de tous ordres qui réclament l’intervention d’un matériel technologique évolué et d’un personnel spécialisé.
Les ponctions-biopsies hépatiques (PBH) sont toujours pratiquées en milieu chirurgical (la hantise des opérateurs, c’est l’apparition d’un épisode hémorragique secondaire, au niveau du point de ponction, c’est pourquoi une surveillance assidue en milieu hospitalier est préconisée dans les heures qui suivent l’acte opératoire). Obtenir une PBH pour un détenu hautement suspect d’hépatite, est un exercice qui tient du parcours du combattant. Il faut, tout d’abord, obtenir un rendez-vous opératoire avec le service hospitalier compétent. Les opérateurs ont un tableau prévisionnel souvent très chargé. Il ne s’agit pas là d’un épisode urgent et un rendez-vous obtenu à quelques jours de distance est encore tout à fait acceptable.
Le jour venu, il faut transférer le malade à l’hôpital, mobiliser le personnel d’escorte et celui de la garde statique qui restera devant ou dans la chambre du malade pendant la durée de l’hospitalisation, généralement de l’ordre de 24 à 36 heures. Opération délicate, même lorsque des contacts préalables laissaient entendre que ces personnels seraient disponibles.
Commencent alors de longues tractations entre les administrations impliquées. Chaque établissement comporte ses particularités et la qualité des rapports établis entre directeurs et commissaires de police est un élément-clé de la réussite de l’opération. La police, trop souvent, traîne les pieds ("on a autre chose à faire, on manque d’effectifs, c’est pas notre travail", etc.) la gendarmerie, en zone rurale ou semi urbaine est d’un naturel plus souvent bon enfant, elle accepte en maugréant. La pénitentiaire reste ferme sur ses positions : "Dès qu’un détenu a quitté l’enceinte de la prison, ce n’est plus à nous d’intervenir ! "
S’ensuivent des heures de communications téléphoniques, des palabres sans fin, des discussions aussi âpres que futiles, dont l’issue est parfois marquée par des manifestations de mauvaise humeur des personnels pénitentiaires. Une relève tardive des surveillants par les forces de police, comme ce fut le cas à Tarascon, il y a quelques semaines, entraîne manifestations, pétitions, etc.
Tout cela serait risible si, en bout de chaîne ce n’était pas le malade qui paie l’addition de cette guerre pichrocoline. Car il est tout à fait banal que les rendez-vous soient annulés en dernière minute, parce qu’on ne peut pas déplacer le détenu.
Des extractions judiciaires, plus "urgentes", des forces de police indisponibles, des véhicules occupés ailleurs, toutes sortes de raisons sont invoquées, pas toujours par mauvaise volonté, au demeurant...
Mécontentement des hospitaliers qui ont à gérer des techniques délicates dans des emplois du temps extrêmement serrés et qui renâclent à reporter plusieurs fois le rendez-vous opératoire du même malade.
Malades eux-mêmes ballottés, interventions renvoyées aux calendes grecques, retards parfois préjudiciables à la santé des patients, réduction inacceptable du temps passé sous surveillance hospitalière, bref, une détestable incoordination des services concernés, que l’on retrouve à des degrés divers sur l’ensemble du territoire national, qui concerne aussi bien les EGPD que les prisons en gestion directe. Il convient de mettre un terme à ces mini-querelles par un accord global répartissant précisément les tâches de chacun, la publication de textes clairs, contraignants, ne laissant pas de place aux interprétations subtiles de responsables locaux.

Éducation pour la santé

Encore balbutiante dans TOUS les établissements, à gestion classique comme à gestion déléguée.
Vaste champ en friche pour plusieurs raisons.
Les médecins français, sauf, peut-être ceux des toutes dernières générations n’ont bénéficié d’aucune formation en santé publique. Tare nationale qui singularise notre pays au sein de l’Union Européenne.
Inexplicable lacune de l’enseignement médical pendant des décennies qui a entraîné une incompétence notoire de milliers de médecins français en la matière.
Quelle que soit l’initiative prise dans ce domaine, on peut noter que son efficacité est directement proportionnelle à la participation volontaire des détenus. Les cours magistraux sur la responsabilité de chacun vis-à-vis de sa propre santé ou de celle des membres de la collectivité sont des coups d’épée dans l’eau.
Pour ce qui est de la santé publique, les "usagers" de la prison, eux-mêmes, font très souvent preuve d’une méconnaissance des notions les plus élémentaires d’hygiène ou de prévention. Il s’agit là d’un véritable danger collectif auquel il faut faire face. L’inculture sanitaire de l’immense majorité des détenus impose de mettre en oeuvre des programmes pédagogiques adaptés.
Quelques notions de base semblent indispensables pour que la démarche ait un brin d’efficacité.
Outre l’active participation des détenus, sans laquelle rien de positif ne pourra être mené, le responsable médical de l’UCSA ou le médecin chef de centre médical dans les établissements à gestion déléguée doit mobiliser les énergies et rechercher des fonds ad hoc dans un inextricable imbroglio au sein duquel la DDAS, la DRAS, l’administration pénitentiaire, la MILDT, les collectivités locales, les comités type CODES, CCAA, les fondations et associations subventionnées possèdent toutes des lignes de crédits utilisables pour faire progresser le niveau des connaissances et de conscience des détenus.
Au plan opérationnel, on ne saurait insister trop sur l’intérêt que présentent les réseaux associatifs et les organismes spécialisés pour mener à bien ces programmes d’action. Leur expérience, leur savoir-faire, le fait qu’ils sont présents "dedans" et "dehors", tout milite en leur faveur.
Une grave difficulté fréquemment rencontrée a trait aux lignes budgétaires utilisables pour cette entreprise d’éducation.
Des crédits assez largement disponibles seront attribués dès lors que le projet pédagogique traite du VIH ou de la dépendance aux opiacés, par exemple et pratiquement rien ne sera débloqué lorsqu’il s’agira d’aborder des sujets comme le rapport aux médicaments, le bon usage du sport ou la consommation d’alcool.
Au cours des visites effectuées, il est apparu que ce vaste pan d’activités était plutôt bien géré au sein des établissements à gestion déléguée, des initiatives relativement nombreuses, de qualité notable ont vu le jour et se développent.
Les sujets à aborder sont légion.
Au premier rang desquels : le rapport aux médicaments.
Rencontres, discussions, exposés, films, expo-photo ou vidéo, controverses, dépliants, plaquettes tout est bon pour que chacun réfléchisse à sa condition en face de la pharmacopée. Quand on sait la phénoménale fringale de consommation médicamenteuse qui est la règle en milieu carcéral, c’est un sujet qu’il faut aborder de front, mais aussi, bien sûr, les hépatites, la nutrition, le tabac, la musculation, les soins dentaires, la sexualité, l’hygiène corporelle, la "déprime", d’immenses champs de rencontre et d’éducation sont ouverts.
L’appétit de connaissances et la capacité de réflexion sont plus vastes qu’on ne le croit.